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Le plan « Informatique pour tous »

Jacques Baudé
 

Après le plan « 100 000 micros » que j'ai évoqué à la fin de mon précédent article sur l'expérience des « 58 lycées » [1], le gouvernement de Gauche a préparé en 1984 et présenté le 25 janvier 1985 le plan « Informatique pour tous » (IPT). Incontestablement, le plan IPT a été un moment fort d'un processus entamé dès les années 70 [2]. Par l'équipement de tous les établissements publics d'enseignement, ce plan avait pour objectif d'initier tous les élèves et les étudiants à l'informatique. De plus, ces équipements devaient être accessibles à tous les citoyens. Je me suis appuyé pour écrire cet article sur les nombreux documents en ligne sur le site de l'EPI (rubrique « Historique » [3]) et notamment sur la brochure Informatique pour tous, publiée conjointement par le Premier ministre (délégation chargée des nouvelles formations) et le ministère de l'Éducation nationale (Mission aux technologies nouvelles) en 1985 [4].

Présentation à la presse, le 25 janvier 1985

   Le vendredi 25 Janvier 1985, M. Laurent Fabius, Premier ministre, en présence de Messieurs Gaston Defferre, ministre d'État, chargé du plan et de l'aménagement du territoire, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Éducation nationale, Roger-Gérard Schwartzenberg, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Éducation nationale, chargé des universités, Roland Carraz, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Éducation nationale, chargé de l'enseignement technique et technologique et Gilbert Trigano, délégué du Premier ministre aux nouvelles formations, présentait l'opération.

   « ... Compte tenu de son importance, je m'engage personnellement à mener à bien ce plan. Plusieurs ministres m'assisteront dans cette tâche au premier rang desquels le ministre d'État, chargé du plan et de l'aménagement du territoire, qui me suppléera si nécessaire. J'en confie la responsabilité technique à Monsieur Trigano assisté de Monsieur Greffe. Je réunirai les préfets de région et les recteurs dès la semaine prochaine afin de mettre en oeuvre ces décisions. Mesdames et Messieurs, la formation est l'investissement le plus important de la Nation, la clef de voûte de la modernisation du pays. L'informatique va devenir de plus en plus une véritable seconde langue. L'objectif du Président de la République, le nôtre, est de faire de cette génération la mieux formée de notre histoire. Grâce à ce plan, la France va être dès cette année un des premiers pays du monde, probablement le premier, dans l'enseignement de l'informatique pour tous. » insuffisamment enthousiastes à son goût. Il fallait réussir cette opération et vite.

   Dans la préface de la brochure « Informatique pour tous », Laurent Fabius précise les principaux objectifs du plan et notamment celui de toucher tous les citoyens : « "Informatique pour tous" entend donner à notre société la chance de mieux dominer l'avenir. En présentant ce plan ambitieux le 25 janvier 1985, notre objectif était triple : initier à l'outil informatique les élèves de toutes les régions de France ; permettre son usage par tous les citoyens ; former 110 000 enseignants en un an à l'utilisation des futurs ateliers. Les atouts pour y parvenir sont nombreux car notre pays dispose des moyens requis en équipements, en logiciels, en formateurs et en animateurs. Le Gouvernement, pour sa part, a décidé un effort financier exceptionnel. Encore convient-il d'achever la mise en oeuvre de ce plan, de le développer, et c'est l'affaire de tous » (cf. note 4).

   Dans la note de presse du MEN il est annoncé que « dès 1985, tous les établissements disposeront de l'outil informatique. C'est un élément essentiel à la modernisation du pays ». À l'évidence, le Gouvernement a pris notamment conscience de l'impact de l'informatique sur l'emploi (nouveaux emplois créés et modification des emplois existants). Le système éducatif doit assumer ses responsabilités. Et à l'époque, les auteurs de la brochure « Informatique pour tous » pouvaient écrire « La France est un pays présent sur les marchés du matériel et pionnier en matière de logiciels ».

La mise en oeuvre

   Ce chapitre se réfère à la brochure « Informatique pour tous » et notamment aux « Documents administratifs » en ligne sur le site de l'EPI (cf. note 4). Mais localement, comme en témoigne l'article d'Astrid Baljoux, des variations et adaptations ont eu lieu [5].

   Toute une série de BO paraît courant 1985 concernant : les équipements (BO n° 24 du 13 juin), le financement (BO n° 26), les TUC [6] (BO n° 27), la formation continue (numéro spécial), les assurances (BO n° 30). La série se poursuit début 1986 pour : l'ouverture au public, la préparation de la rentrée de septembre, la formation des enseignants (formation continue, formation « lourde », la formation complémentaire pour les enseignants de l'option informatique, les formations spécifiques...) ainsi que de nombreux textes sur la décentralisation.

Les équipements (BO n° 24 du 13 juin 1985)

   Le choix, qui n'a pas manqué d'être contesté, a été fait d'équiper le maximum d'établissements en nanoréseaux. Quatre types de configurations ont été définis en fonction du niveau d'enseignement et de la taille des établissements :

Le nanoréseau

   Le nanoréseau associait une série d'ordinateurs familiaux (nano-machines) à un ordinateur professionnel permettant de distribuer simultanément ou séparément des logiciels aux petits ordinateurs familiaux. Cette architecture répondait à un triple objectif : pédagogique, technique et économique (il a été possible d'accroître les équipements, sans altérer les fonctionnalités, et sans augmentation sensible des coûts).

   Près de 12 000 réseaux (type II du BO du 13 juin 1985) de ce type équipaient 12 000 établissements dont 9 000 écoles et 2 700 collèges.

La configuration de base (type I du BO du 13 juin 1985)

   Les écoles qui ne disposaient pas d'un nanoréseau (soit 33 000) recevaient un équipement de base. Il se composait d'un micro-ordinateur de type familial, d'un téléviseur, d'un lecteur/ enregistreur de programmes et d'une imprimante.

Le nanoréseau « renforcé »

   Destinée aux lycées, cette configuration, identique au réseau (type II) décrit précédemment, disposait de deux postes de travail supplémentaires. S'y rajoutaient également trois micro-ordinateurs professionnels et une imprimante. Cet équipement permettait d'utiliser des applications pédagogiques plus importantes ainsi que des logiciels professionnels.

Les ateliers en université

   Ils étaient formés de huit micro-ordinateurs professionnels et deux imprimantes. Deux terminaux connectables à des serveurs permettaient aux étudiants la consultation de banques de données. 400 ateliers, soit 1 pour 400 étudiants de 2e année de 1er cycle, devaient être installés à l'automne 1985. Un petit nombre d'ateliers était réservé aux bibliothèques (15), ces ateliers devant, eux aussi, être ouverts à tous.

Certains ont ironisé sur ces équipements. Il faut se souvenir qu'en 1985 un compatible PC coûtait de l'ordre de 25 000 F (environ 3 800 euros). Le nanoréseau était une solution réaliste car pour ce prix on pouvait équiper une salle entière. De plus, il anticipait sur les usages pédagogiques de l'informatique en réseau.

   Faut-il aussi critiquer injustement les responsables politiques de l'époque d'avoir voulu relancer la production d'ordinateurs français ? En effet, la fourniture des micro-ordinateurs familiaux était assurée par deux constructeurs français : Thomson (MO5 et TO7) et Exelvision (EXL). La fourniture des micro-ordinateurs professionnels était assurée par plusieurs constructeurs : SMT, BULL, LOGABAX, LEANORD, MATRA. Si les gouvernements qui se sont succédés avaient persisté dans cette démarche, au lieu d'abandonner progressivement la filière informatique, nous n'en serions pas aujourd'hui à importer la quasi totalité de nos matériels et à creuser notre déficit commercial.

Les logiciels

   Les dotations en logiciels dont bénéficiaient les établissements prenaient deux formes : d'une part des envois de « valises », d'autre part une distribution de « chèques logiciels » pouvant être tirés sur un catalogue. Ce catalogue préparé par la Mission aux technologies nouvelles du MEN avait un double objectif : dresser un tableau du logiciel français et francophone (près de 700 produits, pour beaucoup issus de l'opération « 58 lycées », y étant représentés avec pour chacun d'entre eux une présentation documentée), et permettre de gérer le droit de tirage, chaque établissement disposant d'un crédit de points.

   Ce chiffre de 700 logiciels n'était pas négligeable mais trop faible, d'autant que certains de ces produits laissaient à désirer (cf. note 5). Aussi était prévue une politique de création, d'édition et de diffusion comprenant :

  1. l'aide à la conception de logiciels pédagogiques par les enseignants, la réalisation étant confiée à des informaticiens,

  2. une aide à l'édition des logiciels en favorisant la constitution de sociétés de taille mondiale dans ce domaine,

  3. l'ouverture de compétitions régulières en matière de production de logiciels.

   Les logiciels qui furent retenus à la suite d'un appel d'offres auprès des auteurs, producteurs, éditeurs de logiciels et d'un examen par une commission d'experts, répondaient à trois objectifs : un objectif pédagogique pour les différentes disciplines, un objectif professionnel (traitement de texte, tableur, gestionnaire de fichiers, imagiciel, système-expert, etc.) et un objectif « récréatif », toute une série de jeux ayant été intégrée.

   De cette politique originale, associant les enseignants et leurs besoins réels, sont issus un certain nombre de logiciels de qualité adaptés par la suite aux ordinateurs PC [7].

La formation des enseignants (Circulaire 85.077 du 27 février 1985)

   Mettre l'outil informatique à la disposition de tous les élèves, à tous les niveaux du système éducatif de notre pays, supposait, au-delà de l'équipement, la formation des enseignants qui avaient à introduire l'usage de l'ordinateur dans leurs pratiques pédagogiques quotidiennes.

   Cette formation reposait en grande partie sur le potentiel des formés « lourds » (cf. note 1). Rien n'aurait été possible sans les connaissances, l'expérience et le dévouement des formateurs qui répondirent favorablement à l'appel qui leur fut lancé. Nombre de ces collègues étaient membres de l'EPI.

   Le dispositif de formation fut d'une ampleur considérable et son délai de mise en place très rapide. Il visait à offrir une formation de premier niveau à plus de 110 000 enseignants de toutes les disciplines, appartenant à tous les niveaux d'enseignement, de l'instituteur au professeur d'université. Une première vague avait, durant les vacances de printemps 1985, bénéficié des premières actions de formation « Informatique pour tous » dans l'ensemble des académies. D'autres suivirent en été et à la Toussaint. Il est à noter que les demandes de formation ont été supérieures aux offres, ce qui en soi est la meilleure preuve que nombre d'enseignants avaient pris conscience des enjeux pour le système éducatif.

   Par ces formations, il s'agissait dans un premier temps :

  1. de permettre aux enseignants de maîtriser l'usage des matériels et des logiciels,
  2. de tous types dont ils devaient disposer désormais dans leurs établissements,
  3. de les amener à réfléchir à la meilleure façon d'intégrer ces outils dans leurs pratiques pédagogiques,
  4. de les mettre sur la voie d'échanges pluridisciplinaires et de travaux d'équipe,
  5. de les inciter à poursuivre et élargir cette initiation.

   La tonalité dominante était de type « culture générale », qui fournit des représentations mentales opérationnelles, qui forme des utilisateurs « intelligents » et des citoyens en prise avec les évolutions de la société. Les formations comportaient des activités de programmation, non pas pour former des informaticiens professionnels mais pour aider à la compréhension de la « logique » de la machine.

   Dans ces stages au rythme soutenu, éprouvant pour tous, l'enthousiasme, l'intérêt, l'activité des stagiaires ont bien répondu aux efforts et attentes des formateurs. Toutefois, aussi intensifs qu'aient été les travaux, pouvait-on en six jours faire plus qu'une approche des divers aspects de l'informatique pédagogique ? La demande de formation complémentaire a été unanime.

   Beaucoup se plaisent à dire que ce plan a été un échec. Donner une cinquantaine d'heures de formation (rémunérée) en informatique à 110 000 enseignants dans 5 000 stages ouverts durant l'année 1985 n'avait rien de négligeable. Comme l'a écrit Jean-Pierre Archambault : « des échecs comme cela, on aurait tendance à en redemander ! ».

Les contrats de travaux d'utilité collective (TUC)

   La circulaire du 25 juin 1985 (cf. note 4) précisait « que le gouvernement souhaite qu'un nombre important de jeunes reçoive une formation spécifique – par le canal des Travaux d'utilité collective (TUC) – leur permettant d'être associés à l'opération ». La lettre du 25 juin aux commissaires de la République et aux recteurs précisait de son côté les modalités de recrutement et de formation : « Le jeune"TUC" affecté sur un site "Informatique pour tous" dans le cadre de l'ouverture hors du temps scolaire pourra, entre autres, se voir confier les tâches suivantes :

  1. assurer la mise en fonctionnement du matériel et prévenir immédiatement les responsables de toute défaillance ;
  2. accueillir le public et l'informer sur le fonctionnement des ateliers et sur les ressources institutionnelles et humaines existant dans son environnement ;
  3. assister l'animateur pour une première initiation à l'utilisation des micro-ordinateurs et des logiciels disponibles. »

   Leur formation devait ouvrir des possibilités d'accéder à certains nouveaux métiers liés à l'informatique. Ce fut parfois le cas sans qu'on en connaisse les chiffres exacts.

La mobilisation du secteur associatif – L'utilisation pour tous

   Une des caractéristiques d'Informatique pour tous, et non des moindres, était de créer les conditions de l'accès aux ateliers informatiques pour tout public.

L'Agence de l'informatique (ADI) entreprit de mobiliser les grandes associations nationales de jeunesse et d'éducation populaire et, notamment, celles qui participaient à la fédération des centres X 2000. Le plan IPT, en effet, avait pour objectif que dans chaque commune, chaque village, des opérations d'ouverture au public se développent. La gestion des sites était alors confiée aux associations ayant passé convention avec les mairies. Ce qui n'a pas été sans poser problème.

   Les membres de l'EPI animaient de nombreux clubs fédérés par les organisations amies (Ligue de l'enseignement, avec laquelle l'association avait une convention, OCCE, FOEVEN...).

   La présence des ordinateurs dans les établissements scolaires, mais aussi à l'extérieur des établissements, entraînait un questionnement : quelles utilisations faire des machines ? Pour quels objectifs ? Comment les atteindre ? De toute évidence, les enseignants ne peuvent refuser cette évolution et la réflexion qui l'accompagne (cf. notes 5 et 22). La recherche pédagogique de terrain et les échanges de pratiques se montrent indispensables, c'est toujours le cas aujourd'hui.

L'utilisation des ordinateurs dans l'enseignement

   Les usages, explorés dès les années 70 dans l'opération des « 58 lycées », étaient déjà très variés. De plus, grâce aux efforts de formation continue (stages « lourds »), l'opération disposait d'un nombre assez important de professeurs formés à l'informatique.

   On peut dès cette époque citer quelques usages :

  1. découverte de la machine sous son aspect technique,
  2. recherche d'algorithmes pour résoudre un problème donné,
  3. initiation aux méthodes de programmation,
  4. utilisation de logiciels de simulation qui permettent de tester différents modèles tirés de représentations de tel ou tel phénomène,
  5. dialogues pédagogiques avec un ordinateur,
  6. utilisation de progiciels tels : gestionnaire de fichiers, tableur ou traitement de texte.

   À l'évidence, les démarches sont multiples et il est pratiqué la diversité des approches. L'EPI parle depuis sa création de « complémentarité ».

Le volet télématique [8]

   Le plan IPT a également comporté un volet télématique. On s'en souvient moins. Il s'est inscrit dans le contexte du Minitel. Une communication électronique grand public s'est développée dans le pays, jusqu'à 15 millions d'utilisateurs réguliers, car le terminal vidéotex était mis gratuitement à disposition des abonnés du téléphone.

   De nombreux usages ont vu le jour, donnant du sens à des activités d'écriture, d'échanges internationaux, mais aussi de recherche et de consultation d'informations, de services présentant les établissements, d'inscription aux examens et concours, de publication des corrigés et des résultats...

   Le plan IPT a constitué un symbole très fort du caractère irréversible de la mutation en cours vers la « société de l'information ». À l'époque, ce caractère ne fut pas perçu par l'ensemble de la communauté éducative. D'une certaine façon, il prépara le terrain à Internet. De nombreux articles décrivant les matériels et les pratiques sont en ligne sur le site de l'EPI [9].

L'option informatique dans le contexte de l'opération IPT

   On vient de voir que le plan IPT privilégiait une approche de complémentarité et non d'exclusion.

   À la rentrée 1985, l'option informatique (OI) était sortie de sa phase expérimentale et était inscrite dans la liste des options offertes au lycée (BO n° 25, arrêté du 31 mai 1985). Son enseignement démarrait officiellement en seconde [10].

   Il est précisé dans la brochure « Informatique pour tous » (page 40) qu'il s'agit d'un enseignement dont les grands objectifs sont :

  1. permettre aux élèves de s'approprier les éléments d'une culture générale dont ils auront à l'avenir besoin dans leur vie de citoyens ;
  2. à l'occasion de la pratique de méthodes d'analyse et de programmation, mettre les élèves en situation de mobiliser leurs connaissances.

   Cet enseignement se veut résolument tourné vers l'extérieur et souligne la portée de la démarche informatique. Il ne se réduit pas à un cours de programmation dans un langage particulier.

[Parallèlement, les programmes de l'école primaire accompagnant le lancement du plan IPT ont fait une place à la programmation à travers « la manipulation d'objets programmables ». Cette manipulation disparaîtra par la suite, remplacée par l'informatique des « usages ».]

Le plan IPT dans les établissements d'enseignement supérieur

   Le lettre du secrétaire d'État chargé des universités aux recteurs en précisait les principes :

  1. « tous les étudiants de deuxième année du premier cycle (DEUG, IUT, écoles disposant d'un premier cycle intégré) pourront recevoir une initiation à l'informatique d'au moins 30 heures pendant l'année 1985-1986 ;
  2. cette initiation sera assurée dans le cadre d'ateliers informatiques installés dans les établissements concernés, et elle sera dispensée sous la forme d'heures de monitorat ;
  3. plus de 15 000 étudiants sont concernés par ce programme et près de 400 ateliers seront installés, conformément aux objectifs fixés par le Premier ministre. Ces ateliers doivent également pouvoir donner lieu à une ouverture au public. »

La lettre précisait également les critères de répartition des ateliers et leur équipement.

Les cadres réglementaires et financiers

   Compte tenu de l'importance de l'effort d'équipement et des délais impartis pour le réaliser, le plan IPT a nécessité la mise en place de dispositifs financiers et juridiques spécifiques. Les grandes orientations ont été fixées dans le BO n° 26 du 27 juin 1985 qui reproduit la note de service du 21 juin (Éducation nationale, Affaires financières) adressée aux commissaires de région et aux recteurs.

Pour ce qui concerne le financement (cf. note 4)

   Le budget global du plan, selon la brochure « Informatique pour tous », s'élevait à 1 890 millions de francs comprenant : matériel (1 163 MF), logiciel (200 MF) et universités (dont logiciels (100 MF), mobilier (35 MF) et formation, installation, logistique (392 MF).

   Ce budget ne comprenait que les dépenses afférentes aux efforts entrepris dans le cadre du plan IPT, à l'exclusion des achats d'un montant de 200 MF, réalisés sur le budget de l'Éducation nationale (chapitre 56-37). Il n'incluait pas l'effort financier réalisé par l'État pour favoriser l'utilisation par le « grand public » des matériels installés (recrutement et formation des TUC).

   Dans ces conditions, et selon les nombres donnés dans la brochure « Informatique pour tous », le coût global du plan dépassait les 2 milliards de francs.

   Les financements se répartissaient entre le budget de l'État, un crédit-bail et le ministère des PTT. Les équipements étaient fournis par l'UGAP [11] dans le cadre des marchés publics.

L'opération IPT, jugements contrastés et nuancés

   Ce plan, qui a – c'est le moins qu'on puisse dire – brutalisé le système éducatif, a suscité des jugements tranchés et contradictoires, allant de la réussite incontestable au sinistre fiasco !

Parmi les jugements critiques

   On y trouve de tout : « les errances du plan IPT », « un plan IPT pour rien ou presque » du Sénateur Laffitte, le plan IPT « n'a pas été vraiment fait pour tous mais plutôt pour relancer une industrie électronique française à travers la société Thomson », le manque de fiabilité des machines, des logiciels « rares et décevants », le manque de formation... On trouve aussi des psychopédagogues pour affirmer que faire programmer des enfants en Basic, c'était massacrer les jeunes esprits.

   Certaines des réserves sont fondées. Ainsi, utiliser la salle informatique avec une classe de plus de 25 élèves n'est sûrement pas facile et demande la préparation de deux séances de travail, la première pour les élèves qui passent sur machines, la seconde pour ceux qui sont invités à travailler sur fiches. Ce n'est pas évident et génère un surcroît de travail pour les enseignants. Ce n'est d'ailleurs pas spécifique au plan IPT.

   Un des pré-requis indispensables pour la réalisation d'un projet quel qu'il soit est l'engagement des enseignants. Lorsque les moyens matériels sont attribués en l'absence de projet collectif, ce qui fut trop souvent le cas, l'échec n'est pas loin. C'est ainsi que fut critiqué le choix, essentiellement politique, d'équiper le maximum d'établissements sans tenir compte de la présence ou non d'une équipe pédagogique. On peut lire dans l'éditorial du Bulletin EPI n° 38 (juin 1985) : « ... Mais, par elle-même, la multiplication des instruments informatiques ne transformera et n'enrichira pas plus l'enseignement que ne le ferait la multiplication des manuels scolaires. Dans la perspective actuelle de la généralisation rapide de l'informatique, une fuite en avant par l'accumulation des moyens matériels et logiciels ne pourra longtemps retarder le moment des choix pédagogiques fondamentaux » [12].

Parmi les jugements plutôt favorables

   Même si les jugements divergent, tout le monde reconnaît que le plan IPT est le premier plan de grande envergure destiné à introduire l'ordinateur dans le système éducatif de la maternelle à l'université et qu'il s'accompagne d'un souci de formation (certes insuffisante) des enseignants. Au rang des avis a priori favorables, je citerai un extrait de la conclusion d'Émilien Pélisset à son article « Pour une histoire de l'informatique dans l'enseignement français, premiers jalons » [13] : « En 1985, le plan "Informatique pour tous" constitue un pari exceptionnel. Il n'est pas seulement un nouveau progrès ; il provoque un brutal changement d'échelle : en moins d'un an c'est six fois plus d'ordinateurs, six fois plus d'enseignants concernés et vingt fois plus d'établissements équipés que prévus dans le plan précédent. À la fin de l'année, grâce à 120 000 machines ajoutées aux 40 000 déjà installées, un enseignant sur quatre devra avoir reçu une initiation. En juin 1986, tout élève ou étudiant sortant du système scolaire aura travaillé sur ordinateur. »

   La généralisation de l'ordinateur dans les classes a généré des pratiques nouvelles. Ainsi, le traitement de texte, en de bonnes mains, a pu renouveler les pratiques scolaires autour de l'écrit.

   Même un début de télématique a pu voir le jour grâce aux facilités accordées par les Télécoms pour obtention d'un Minitel par les écoles. (Malheureusement, c'est souvent le téléphone qui fait défaut, et pas forcément dans de petites communes !). L'accueil des syndicats enseignants fut globalement favorable. Je prendrai ici les exemples de la FEN [14] et du SNES [15].

   Dans la brochure « Système éducatif et révolution informatique » (cf. note 13), on peut lire dans l'introduction : « La FEN, depuis des années, se préoccupe des problèmes posés au système éducatif par la révolution informatique et son irruption accélérée dans tous les domaines de la société » et, plus loin, Louis Astre rappelle « quelques traits de la doctrine de la FEN » et cite Louis Mouchoux, responsable du secteur éducatif de la fédération : « Une école moderne doit être en phase avec son temps... ». Tout en émettant un certain nombre de réserves (formation des enseignants, nécessité de la recherche pédagogique, machines « ouvertes »..., la FEN ne s'est pas montrée hostile au plan IPT.

   Cette brochure comprend le dépouillement d'une enquête par questionnaire (2 000 réponses dépouillées). On peut lire dans la conclusion : « L'analyse des réponses montre clairement que l'informatique intéresse tous les enseignants quelle que soit leur discipline et quel que soit le niveau où ils enseignent ».

   Dans un communiqué de presse du 1er février 1985, en réponse à la présentation du plan IPT par le Premier ministre, on peut lire : « Le SNES [...] est favorable à l'introduction massive des technologies dans le système de formation. En tant qu'objet de connaissance et en tant que moyen d'enseignement, elles sont un élément important de l'ouverture de l'école aux réalités contemporaines ». Suivent naturellement les réserves portant sur les finalités, les équipements, la formation des enseignants, la production de logiciels par le Service public, l'ouverture des ateliers au grand public, la consultation des personnels.

   Pour ce qui concerne les associations, nous avons vu plus haut l'implication de plusieurs d'entre elles.

   L'EPI a, en cette affaire, tenu son rôle habituel : rôle d'information, de liaison mais aussi d'aide directe, notamment en proposant au MEN la mise à disposition gratuite de deux de ses dossiers et du logiciel de lecture rapide LIRA [16]. Les publications se multiplient, ce sont des milliers de pages publiées et diffusées qui témoignent des expériences et pratiques d'enseignants novateurs. Outre ses rapports avec le ministère, l'association s'est employée à susciter des synergies avec les organisations syndicales, les associations de spécialistes, les parents... Elle diffuse très largement son second manifeste [17].

Parmi les jugements nuancés

   Celui de Claude Pair, par exemple, coauteur du rapport Pair-Le Corre et ex-directeur des lycées : « Était-ce raisonnable de décider d'équiper tous les établissements en même temps ? N'aurait-il pas mieux valu concentrer les efforts sur un niveau d'enseignement, le collège par exemple, ce qui aurait permis de mieux former les enseignants et d'acquérir un matériel plus fiable ? Si le plan IPT appelle quelques réserves, il est pourtant très positif, surtout par la mise en place de réseaux dont les ressources pédagogiques pourraient être mieux exploitées » [18].

   Citons un extrait de Wikipédia [19] : « Le plan Informatique pour tous s'est appuyé sur le nanoréseau. Conçu avec comme tête de réseau les premiers PC 16 bits Bull Micral, le nanoréseau a été une réussite informatique et pédagogique. Malheureusement le choix des terminaux 8 bits MO5 de Thomson a été une catastrophe. Cela devait développer la filière française de l'informatique avec le LSE (Langage Symbolique pour l'Enseignement) et le minitel, mais le crayon optique n'a pas résisté longtemps à la souris de Apple. Les critiques ont concerné le manque de formation des enseignants, le choix de mettre l'accent sur l'enseignement de la programmation au détriment de l'utilisation de progiciels, si bien que ce plan est aujourd'hui considéré par certains comme un échec. Cependant le plan permit aussi un premier accès à l'informatique pour de nombreux élèves (le taux d'équipement des ménages en ordinateur était extrêmement faible à l'époque) et leurs enseignants, une première approche de la programmation (en Basic ou en Logo) et de l'utilisation d'un ordinateur (avec clavier et crayon optique, la souris n'existant que depuis un peu plus d'un an sur des ordinateurs de type américains Apple Lisa ou Macintosh, très onéreux) ».

Changement de Gouvernement, l'opération est interrompue

   Les élections législatives de mars 1986 ont ramené la Droite au pouvoir. Jean- Pierre Chevènement est remplacé par René Monory. Par de nombreuses déclarations, le nouveau ministre a manifesté la ferme intention d'intégrer massivement les « technologies de pointe » dans l'enseignement à tous les niveaux. Mais les nouvelles structures mises en place ont bousculé l'environnement de l'informatique pédagogique.

   L'EPI, reçue au cabinet du ministre, a quelques motifs de s'inquiéter. On assistera bientôt à la disparition de la Mission des technologies nouvelles, qui a suivi de peu celle de la « Délégation Trigano », privant le plan IPT de ses organes nationaux de pilotage.

   Objet d'appréciations brutales, souvent péjoratives, le CNDP est menacé d'amputation sévère, particulièrement dans sa production de logiciels d'enseignement. « Les logiciels sont l'affaire de professionnels » entend-on rue de Grenelle de la bouche de Thierry Breton, conseiller de René Monory.

   Les logiciels sous LSE firent l'objet d'un tri en 1986 (sur 700 logiciels en LSE, le catalogue micro-savoirs de 89-90 n'en proposait plus que 160 dont les 30 les « plus indispensables » étaient encore en vente dans les CDDP et CRDP).

   Le plan IPT est laissé sans suite. Les moyens du Service public sont considérablement réduits.

   Le MEN se désengage de l'opération. Ainsi, pour prendre l'exemple des écoles, on peut lire dans la circulaire du 14 octobre 1987 [20] : « L'équipement des écoles élémentaires en matériels informatiques dans le cadre du plan IPT financé par l'État a constitué une opération d'un caractère exceptionnel. En effet, l'équipement des écoles élémentaires en matériel pédagogique relève, de par la loi, des budgets communaux. Le financement de l'informatique pédagogique dans les écoles élémentaires ne fait pas exception à cette règle ».

   Le plan IPT, conçu pour la durée, a été malheureusement interrompu pour l'essentiel par le changement de gouvernement. Ceux qui critiquent l'opération IPT seraient bien inspirés de tenir compte de cette nouvelle donne.

   Quelques avancées positives néanmoins, dans les enseignements technologiques, les classes préparatoires et les licences mixtes. Et le Comité scientifique national pilotant l'option informatique est maintenu. Celle-ci ne semble pas menacée. (Comme chacun le sait, elle sera supprimée par deux fois, en 1995 et 1998, par la Gauche revenue au pouvoir.)

Conclusion

   Le plan « Informatique pour tous » fut une opération parfaitement délimitée dans le temps. Le bilan que l'on peut en faire, le jugement que l'on peut porter, ne doivent pas se fonder sur les suites qu'il a connues, ou n'a pas connues ! Il constitua un pari exceptionnel dont on a en général mal apprécié la dimension et la portée. Il provoqua un brusque changement d'échelle par rapport aux opérations précédentes [21] et entraîna un grand nombre d'enseignants à s'interroger sur la place de l'informatique dans le système éducatif. Le succès qu'ont connu les stages de formation (plus de candidats que de places) témoigne d'une prise de conscience assez générale : l'informatisation qui est en train de devenir un phénomène de société ne peut être ignorée par l'École.

   L'écoute des enseignants engagés dans l'opération IPT [22] montre qu'ils considèrent l'informatique comme « une nouvelle nécessité culturelle » qui, ne serait-ce qu'à ce titre, doit être présente dans l'enseignement. La suite montre qu'ils ont vu juste.

   Beaucoup ont conscience également que, dans la rude compétition mondiale, un impératif vital pour la France est la modernisation passant par le développement des « technologies nouvelles », en particulier l'informatique. Cela requiert un immense effort de formation du plus grand nombre.

   Cette prise de conscience était déjà amorcée dès l'opération « 58 lycées » (cf. note 1). Il fallait avoir beaucoup d'imagination au début des années 70 pour percevoir l'intérêt pédagogique de l'ordinateur. Par contre les impératifs culturel et économique semblaient plus évidents pour justifier son introduction dans le système éducatif. C'est ainsi que j'ai personnellement perçu les choses. C'est ce qui m'a conduit à entraîner mes élèves dans sa pratique et sa maîtrise. Au fil des années la démonstration a été faite que l'enseignement avait beaucoup à y gagner.

Janvier 2015

Jacques Baudé
Secrétaire général puis Président de l'EPI de 1981 à 1995
Président d'honneur.
jacquesbaude@free.fr

Article paru dans le Bulletin de la société informatique de France, 1024 n° 5
http://www.societe-informatique-de-france.fr/bulletin/1024-numero-5/
http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2015/04/1024-5-baude.pdf

Dans la continuité de cet article, le numéro 6 de 1024 proposera un article de Jean-Pierre Archambault : « Le plan Informatique pour tous dans l'académie de Créteil – Une enquête d'évaluation », il sera repris dans EpiNet.

Publié sous licence Cretative Commons Attribution – Pas de Modification 3.0 France.
http://creativecommons.org/licenses/by-nd/3.0/fr/

NOTES

[1] L'expérience des « 58 lycées » :
http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2014/10/1024-4-baude.pdf

[2] Quelques points de repère dans une histoire de 40 ans : L'association EPI.
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h11epi_jb.htm

[3] Rubrique « Historique » : http://www.epi.asso.fr/revue/histosom.htm#h85-ipt

[4] Brochure Informatique pour tous : http://epi.asso.fr/revue/histo/h85-ipt.htm
Présentation du plan par l'EPI dans le Bulletin de l'EPI n° 37 :
http://epi.asso.fr/revue/37/b37p023.htm

[5] « Les stages informatique pour tous », Astrid Baljoux, dans le numéro spécial Informatique et pédagogie, EPI-1986 : http://epi.asso.fr/revue/histo/h85-stageIPT.htm

[6] Travaux d'utilité collective.

[7] « Utilisation des logiciels Thomson sur compatible PC – Problèmes et solutions », CNDP – Direction de l'ingénierie éducative. Étude réalisée par le Service de l'informatique éducative (SIE). Bulletin EPI n° 61 de février 1991 : http://www.epi.asso.fr/fic_pdf/b61p169.pdf

[8] « 1985, vingt ans après », par Jean-Pierre Archambault :
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0509a.htm

[9] Voir par exemple « La télématique d'IPT » : http://epi.asso.fr/revue/42/b42p014.htm
et « J'ai découvert la télématique, avec un TO7 », par René Guyot :
http://epi.asso.fr/fic_pdf/b42p147.pdf

[10] « L'option informatique des lycée dans les années 80-90 », (2e partie), par Jacques Baudé :
http://epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb2.htm

[11] Union des Groupements d'Achat Public.

[12] Éditorial du Bulletin EPI n° 38 (juin 1985) : http://www.epi.asso.fr/fic_pdf/b38p003.pdf

[13] Article paru dans Système éducatif et révolution informatique, Collection Recherches, Les cahiers de la FEN, 1985, 192 pages : http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h85ep.htm

[14] Fédération de l'Éducation nationale.

[15] Syndicat national des enseignants de second degré.

[16] Documentation du logiciel LIRA : http://www.epi.asso.fr/revue/dossiers/k04_lira-doc.htm

[17] Manifeste EPI (novembre 1985) « Pour un développement pertinent et efficace de l'informatique dans l'enseignement » : http://www.epi.asso.fr/fic_pdf/b40p003.pdf

[18] « Informatique et enseignement : hier, aujourd'hui et demain », Claude Pair, Centre de Recherche en Informatique de Nancy, Bulletin EPI n° 47, septembre 1987 :
http://www.epi.asso.fr/revue/47/b47p085.htm

[19] http://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_informatique_pour_tous

[20] L'équipement informatique des écoles élémentaires (matériels et logiciels) : http://www.epi.asso.fr/fic_pdf/b48p061.pdf

[21] Se reporter notamment à « Éléments pour un historique », Dossier EPI n° 4, L'informatique au collège (mars 1984) : http://www.epi.asso.fr/revue/dossiers/d04p005.htm
et « Éléments d'histoire », Dossier EPI n° 6, L'informatique à l'école (septembre 1984) : http://www.epi.asso.fr/revue/dossiers/d06p005.htm

[22] « Au terme de deux enquêtes », par Michel Narcy (EPI-1986) :
http://epi.asso.fr/revue/histo/h85-gredip.htm

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