Le système LSE
Jacques Baudé
Qui a connu ou qui se souvient du LSE qui a largement permis le travail des pionniers de « l'informatique pédagogique » dès les années 70. Cet article a pour objet de replacer le système dans son contexte historique : expliquer sa genèse, montrer ce qu'il a permis au sein d'une communauté enseignante, comprendre les raisons de sa disparition après plusieurs années de bons et loyaux services... Les collègues intéressés se reporteront aux ouvrages encore disponibles (cf. bibliographie) et aux articles en ligne notamment sur le site de l'EPI.
Les origines. Pourquoi le LSE ?
Fin 1967 se posait au service informatique de l'École Supérieure d'Électricité (SupElec) le problème suivant : donner aux élèves de l'école un accès convivial aux ordinateurs de l'époque. Il fut décidé de réaliser un système en temps partagé. Ce fut l'origine de la saga des LSx (LSD, LSE, LSG, LST) développée durant les années 1968-1976 [1].
Or, à la suite du séminaire CERI-OCDE de Sèvres en mars 1970 [2] il fut décidé – dans le contexte favorable du Plan Calcul, de la préparation du VIe plan et de « l'impératif industriel » – de lancer l'expérience des « 58 lycées » (cf. 1024 n° 4). La Délégation à l'informatique passa contrat avec SupElec pour la définition d'un langage adapté aux besoins de l'enseignement. Ce fut le LSD rebaptisé LSE pour des raisons évidentes !
Le rapport de définition du LSE fut remis au Ministère de l'éducation nationale (mission à l'informatique) en octobre 1971. Mais il restait encore à réaliser le système de programmation et le système d'exploitation en temps partagé pour au moins 9 terminaux (1 télétype et 8 consoles de visualisation) pour les mini-ordinateurs Mitra 15 (SEMS) et T 1600 (Télémécanique).
Le Mitra 15 de SupElec fut livré au lycée de La Celle Saint Cloud (premier des 58 lycées équipés) en avril 1973, voir photo dans la suite du texte. C'est ainsi que nous avons eu le plaisir de fréquenter Yves Noyelle qui venait y achever la mise au point du système à la faveur (?) des plantages soft. Sans compter les plantages hard dus pour l'essentiel à des variations brutales du voltage EDF !
Simple d'usage, de syntaxe française, doté de procédures, de fonctions chaînes, d'une structure de ligne, d'un mode machine de bureau... ce langage, adapté aux mini-ordinateurs Mitra15 et T1600, fut celui d'une communauté enseignante motivée. Avec LSE, la cohérence de l'expérience des « 58 lycées » devenait possible, les échanges indispensables à la formation des enseignants, à la création de logiciels éducatifs (tout était à inventer) et à la recherche pédagogique étaient grandement facilités. « Le système LSE assurait une compatibilité et une portabilité bien supérieures à ce qu'aurait permis alors toute autre combinaison. » [E. Pélisset 1985]
Système et langage LSE
Les finalités
Je rappelle que ce qui avait animé les concepteurs du LSD. C'était la volonté de mettre à la disposition des élèves de SupElec un langage simple et convivial sans être rudimentaire. C'est ce qui a convaincu la Délégation à l'informatique du MEN de passer commande pour le LSE.
L'orientation générale retenue par le ministère, à la suite du séminaire de Sèvres (cf. note 2) étant l'apport de l'informatique aux différentes disciplines, il convenait que le langage disposât notamment de fonctions chaînes.
Dans ces perspectives, le LSE a bien joué son rôle. Langage évolué, de syntaxe française, il a prouvé son intérêt pédagogique. Conversationnel et interactif, il favorise la créativité, garantit un apprentissage personnalisé, l'autonomie de l'élève qui peut choisir le rythme de son travail... Voilà ce qui se disait déjà dès les années 70 ! Si les applications numériques ne sont pas négligées, la richesse des fonctions-chaînes permet de pleinement satisfaire les besoins de traitement des caractères. Les services fournis sont nombreux et étendus : gestion autonome des fichiers (sans passer par le système d'exploitation), interventions dans le déroulement du programme pour arrêter, modifier, relancer l'exécution, créations de procédures internes et externes, etc.
Créé pour des utilisateurs non informaticiens, les élèves et leurs professeurs, il n'a cessé d'évoluer grâce à ces derniers au cours des années. Sa maîtrise par les enseignants en a fait un instrument pédagogique de qualité.
L'EPI bien consciente de l'intérêt pédagogique du LSE en fit la promotion tout en ne fermant pas la possibilité d'évolution et d'émergence de nouveaux langages. Ainsi, dans sa participation au schéma directeur (en 1982) on peut lire :
« Le LSE doit être, pour l'instant, conservé. Il est totalement maîtrisé dans son évolution par les enseignants eux-mêmes. Il est apte, par sa normalisation actuelle comme par ses développements en cours (graphique) à répondre aux besoins dans tous les ordres d'enseignement. Il peut être amélioré (Bulletin n° 26, p. 14). Son vocabulaire et sa syntaxe française constituent un argument décisif dès lors que l'introduction de l'informatique est réalisée dans les collèges, les écoles et la formation permanente. Il est urgent de se préoccuper d'installer le LSE sur les micro-ordinateurs français destinés au grand public. (l'EPI a pris des contacts avec la CAMIF et THOMSON à ce sujet).
Ainsi la France est en mesure de fournir un modèle complet d'introduction de l'informatique dans l'éducation. Ce modèle peut être un des éléments permettant de retrouver le rôle culturel qu'elle a perdu dans de nombreux pays (des versions du LSE en espagnol et en anglais existent déjà).
Réfléchir dès maintenant à l'évolution ou à la relève du LSE. Créer très vite une commission de réflexion sur les langages.
Réfléchir aussi (et ne pas seulement réfléchir !) aux problèmes que pose la multiplication des micros de toutes marques. Nous devons trouver des solutions (matériel Éducation nationale à bas prix, proposant le LSE...) C'est urgent.
Développer des langages-auteurs. Le pluralisme, dans ce domaine, nous semble souhaitable. » [3].
« Pluralisme », « complémentarité », sont des mots souvent employés par l'EPI qui s'est toujours gardée de tout dogmatisme...
Mais l'association n'était pas sans ignorer que tout n'était pas parfait ! L'expérience a eu à souffrir de conditions défavorables liées aux insuffisances du matériel et du logiciel : nombreuses pannes dans certains établissements, lenteur des premières entrées-sorties puis, après l'adoption tardive des disques souples, incompatibilité entre ces supports, incompatibilité entre les systèmes. Sans oublier l'insuffisance des décharges de service (compte tenu du travail à effectuer) et leur arrivée tardive dans les établissements.
Description du langage LSE
Dissipons tout d'abord deux idées fausses assez répandues :
Il est erroné de dire, comme on l'entend parfois, que LSE a été inspiré par BASIC. « En 1970, BASIC (conçu en 1964) était un langage simple mais très rudimentaire, quasiment inexistant en France [4]. En vérité, LSE a deux sources dont la première, injustement oubliée, est le langage PAF (interactif et à syntaxe française), conçu et réalisé par la SEA (Société d'électronique et d'automatisme) pour les ordinateurs CAB 500, qu'elle commercialisait dans les années 60, et la seconde n'est autre que le langage ALGOL, né, lui aussi, vers les années 60. » [Jacques Hebenstreit. Préface de « Parler LSE » de Michel Canal]
Le LSE n'est pas un langage compilé. Il y a traduction d'une ligne de programme entrée en langage source (symbolique LSE) en une chaîne postfixée (en abrégé cpf). Par abus de langage, on appelle « compilation » en LSE le traitement qui réalise l'analyse lexicale, l'analyse syntaxique et la traduction en cpf d'une ligne de programme.
En effet, pour des raisons essentiellement pédagogiques, le LSE a une structure de ligne où chaque ligne est indépendante et analysée (interprétée) dès sa saisie. Le contenu d'une ligne peut être : - une commande, - une (ou plusieurs) instruction traitée en mode machine de bureau (elle commence alors par un ?) à exécution immédiate. - une ligne d'un programme LSE (elle commence alors par un numéro) à exécution différée (mode programme). La ligne ne devra pas comporter plus de 80 caractères y compris le caractère de fin de ligne.
Le système LSE se compose de plusieurs modules : l'initialisateur qui permet d'entrer de plain-pied dans le système (il attend la frappe d'une ligne de programme portant un numéro, une commande ou une requête adressée à la machine de bureau) ; le moniteur ; l'analyseur de commande ; le compilateur et décompilateur ; l'interpréteur (il exécute un programme mis en cpf par le « compilateur » ; le module machine de bureau (il permet d'exécuter immédiatement une ligne LSE précédée d'un ?) ; le module de gestion de fichiers (il stocke en mémoire auxiliaire des fichiers données et des fichiers programmes.) ; plus tard, le module graphique.
Les commandes de base : BOnjour, LAncer, APpeler, EXécuter, LIster, AUrevoir, etc.
Les instructions du langage LSE (court extrait d'une plaquette de 4 pages correspondant au LSE de 1982) [5]
- entrées-sorties : LIRE, AFFICHER, CHARGER, GARER...
- branchements : ALLER EN, SI ALORS SINON, FAIRE...
- interruption : PAUSE, TERMINER...
- exécution : EXECUTER...
Les instructions de déclaration : LSE connaît, dans ses dernières versions, 4 types d'objets :
Les nombres, les chaînes, les booléens et les objets graphiques.
Les fonctions : numériques et chaînes.
Les procédures de 2 types : fonctions et sous-programmes.
Mais compte tenu de la diversité des matériels diffusés au cours des années 70 et 80 (mini-ordinateurs, micro-ordinateurs, nanoréseau...) il convenait, tout particulièrement pour le langage de commande, de se reporter aux manuels des constructeurs.
Mais l'objet de cet article n'est pas d'entrer dans les détails du système et du langage. Les collègues intéressés trouveront à la fin de cet article une bibliographie et des articles en ligne.
Un extrait du logiciel de simulation (réalisation d'une carte chromosomique en terminale)
APPELER LINKO
1*S LINKOVER J.BAUDE LA CELLE SAINT CLOUD 04-02-1974
3 AFFICHER [/,' ETABLISSEMENT D''UNE CARTE FACTORIELLE.']
10 CHAINE GS
11 AFFICHER [3/, ' LES 12 GENES LIES SONT : A C H I J K M P R T U Y']
12 AFFICHER [2/,' TAPEZ 3 GENES (EX : CJR) :'] ; LIRE GS
13 SI LGR(GS)#3 ALORS ALLER EN 14 SINON ALLER EN 16
14 AFFICHER[/,' SYMBOLE DE GENE INCORRECT.'] ; ALLER EN 12
16 TABLEAU TOT[6] ; CHAINE SS ; TABLEAU G[5]
18 FAIRE 43 POUR Q3 ← 1 JUSQUA 3
...
49 GARER SS,1,'LINK' ; GARER TOT,2,'LINK'
50 EXECUTER 'LL', 51 |
Le langage a été révisé en 1983, par Jacques Arsac, pour enfin intégrer la notion de boucle explicite indispensable à toute bonne programmation structurée et se débarrasser de son « ALLER EN » (goto) [6].
Le LSE pour quoi faire ?
La création de logiciels pédagogiques par les enseignants
J'ai eu l'occasion d'écrire dans l'article sur « l'opération 58 lycées » (1024 n° 4 [7] que dans les années 70 tout était à inventer dans le domaine vierge des logiciels pédagogiques. C'était alors le domaine des pionniers en pleine innovation.
Les groupes de recherche INRP dans les différentes disciplines ont, en quelques années, produit en LSE des logiciels originaux dans différents domaines : simulation, traitement de données, exercices d'entraînement, etc. Certains de ces logiciels ont été utilisés ensuite, en version micro-ordinateur, pendant de longues années. À la fin de la décennie 70, une expertise importante avait été accumulée par la communauté enseignante, à la fois sur la conception de logiciels et sur leur mise en oeuvre dans les classes [8].
Cette activité s'est poursuivie au cours des années 80. En 1982 a été créée au CNDP une structure consacrée aux logiciels éducatifs : Mission à l'informatique, puis Unité des logiciels éducatifs (ULE)
Cours et clubs d'informatique
Par ailleurs, dans de nombreux établissements, des cours d'informatique étaient organisés (Ce fut le cas, dès le début des années 70, au lycée de La Celle Saint Cloud où une option informatique expérimentale était pilotée par l'INRDP, langage Fortran) [9]. Le contenu de ces cours pouvait soit se limiter à la programmation soit être un véritable cours d'informatique avec : structure et fonctionnement de l'ordinateur, analyse d'un problème, construction d'un algorithme, programmation...
Des clubs informatiques fonctionnaient également dans de nombreux établissements (lycées-collèges). En témoigne le concours sur le thème « Informatique à l'école » organisé par l'AFCET (Société savante d'informatique, d'automatique et de recherche opérationnelle) avec la participation de l'EPI. Sur l'ensemble des dossiers reçus, 60 programmes étaient écrits en LSE (41 en BASIC, 1 en COBOL, 1 en FORTRAN). Les travaux des 16 lauréats étaient pour 10 d'entre eux écrits en LSE (6 en BASIC). 14 des 16 établissements scolaires qu'ils fréquentaient étaient des lycées équipés de mini-ordinateurs (Mitra15 ou T1600) ou de micro-ordinateurs [10].
Je ne reviens pas sur l'option informatique des lycées, j'ai abondamment traité du sujet [11]. Je rappelle que les 3 langages retenus pour cette option (créée en 1981, supprimée en 1992, rétablie en 1995, et supprimée à nouveau en 1998), et donc pour l'épreuve écrite au baccalauréat, étaient BASIC, LSE et PASCAL.
L'évolution du LSE (mini, micro 8bits, nanoréseau, 16 bits...)
LSE sur les mini-ordinateurs : Mitra 15 et T 1600
L'une des caractéristiques du LSE est qu'il a été créé en vue d'une utilisation conversationnelle, c'est-à-dire que chaque utilisateur peut « dialoguer » avec les différentes ressources du système par l'intermédiaire du clavier du télétype ou de la console de visualisation.
Alternativement, chaque utilisateur dispose de la totalité du système : les travaux de toutes les consoles semblent s'effectuer simultanément et on pourrait croire que la mémoire est divisée en autant de parties qu'il y a d'utilisateurs. Un tel système serait peu performant et laisserait peu de place en mémoire à chacun. Ce n'est pas la mémoire mais le temps que le système consacre aux différentes tâches qui est partagé.
Pour effectuer la gestion de tous les travaux, l'analyse, l'exécution des tâches des utilisateurs, il existe un ensemble de programmes, baptisés « système LSE ». Une partie est en permanence en mémoire (le « résident »). Les autres ressources du système, auxquelles tous les utilisateurs ont recours, sont stockées sur le disque et chargées en mémoire lorsque cela est nécessaire.
Le Mitra 15 était accompagné de 8 consoles de visualisation permettant un travail en binôme. L'impression se faisait sur un télétype (ASR 33) collectif pourvu d'un lecteur-perforateur de ruban (photo) permettent d'entrer et de sauvegarder programmes et données. L'entrée de la « galette » LSE prenait plus d'une heure. Ce n'est pas là mon souvenir le plus agréable.
Au lycée de La Celle Saint Cloud en 1973. On ne voit pas le lecteur de ruban à gauche du télépype. Il a fallu attendre 1977 pour que le lycée soit doté d'un disque souple (floppy disk).
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Puis apparurent les micro-ordinateurs 8 bits
Les difficultés économiques entraînent un plan d'austérité. En septembre 1975 la Mission à l'informatique est supprimée. La Direction générale de la programmation et de la coordination (DGPC) supprime les formations et décide, début 1976, l'arrêt des équipements.
L'opération « 58 lycées » continue sur sa lancée sans moyens importants nouveaux donc sans que de nouveaux établissements la rejoignent. Toutefois, le volume des décharges de service et une partie des postes d'enseignants sont conservés. À cela s'ajoute l'évolution rapide des matériels qui change quelque peu la donne.
Il faudra attendre février 1979 pour que, à la suite du rapport Nora-Minc, le Président de la République demande au gouvernement d'élaborer un nouveau plan informatique pour accroître l'efficacité et la compétitivité du système économique.
Ce sera, pour le système éducatif, le plan 10 000 micro-ordinateurs (10 000 annoncés...). L'EPI obtient que soit conservé le LSE avec son potentiel de portabilité et que soit sauvegardé le travail important d'une communauté enseignante ayant produit environ 400 logiciels éducatifs.
Pour les matériels, les choix se sont portés sur des micro-ordinateurs 8 bits de constructeurs français aujourd'hui disparus : Logabax (LX500), Société Occitane d'Électronique (X1) – photo ci-dessous –, R2E (Micral). Environ 1 200 de 1979 à 1981. Le LSE, au cahier des charges des différents constructeurs, sera adapté.
Deux langages sont au cahier des charges : le BASIC et le LSE L'implémentation de ce dernier par une seule équipe du CNDP assure la compatibilité. Les logiciels écrits en LSE sont transposables d'une machine à une autre de marque différente.
On redécouvre, pour ce qui concerne les logiciels, adaptés non sans peine aux nouveaux matériels, les apports pédagogiques de l'expérience des « 58 lycées » !
Au cours de l'année 82-83, la bibliothèque diffusée gratuitement par le CNDP est uniquement disponible en LSE Il s'agit des logiciels provenant de l'opération des « 58 lycées » recueillis par l'INRP.
Un appel d'offre est lancé auprès des enseignants pour une nouvelle production de logiciels éducatifs. Cette procédure entamée en 1983 s'étalera sur plusieurs années. En plus du LSE le CNDP soutient le développement d'autres langages comme LISP et LOGO (pour l'école primaire)
Après des épisodes variés et chaotiques, dont le « gel » du plan informatique par Alain Savary, et une opération dans 16 départements (les lecteurs intéressés se reporteront à l'article d'Émilien Pélisset [12]) ce sera cette fois le plan 100 000 micro-ordinateurs et 100 000 enseignants à former. Le marché « 4ème tranche » s'ouvre à cinq constructeurs. À la rentrée 1984, plus de la moitié des lycées (650 + 700 LEP) avaient un équipement de l'Éducation nationale.
Puis ce fut le plan « Informatique pour tous » dont j'ai traité dans 1024 n° 5 [13].
Le CNDP est chargé de la production et de la diffusion des logiciels. Pour l'essentiel, il s'agira d'adapter aux PC les 400 logiciels éducatifs développés dans le cadre de l'expérience des « 58 lycées », la grande majorité en LSE Un interpréteur a été développé à cette fin.
Les enseignants, seuls ou en équipe, continuent de programmer des logiciels en LSE et à les proposer au CNDP. Après amélioration éventuelle, ce dernier les diffuse gratuitement (seuls les disquettes et le port sont à la charge des établissements). L'esprit du libre fonctionne déjà.
LSE sur le nanoréseau
Je ne reviens pas sur le plan « IPT ». Différentes versions du LSE se succèderont : 2.2 ; 3.2 ; 3.3 ; 3.5 ; LSE-NR... La portabilité commence à souffrir.
En 1990, on estime à au moins 120 000 le nombre d'ordinateurs Thomson : MO5, MO5NR, MO6... (regroupés en nanoréseaux) et TO7, TO8, TO9... (en postes isolés) dans les établissements scolaires. Ces équipements commencent à être obsolètes et la question de leur remplacement se pose. Le CNDP va s'employer à permettre le transfert des logiciels (dont beaucoup sont en LSE) du format Thomson aux formats PC. Autant dire que les problèmes posés ont été nombreux et redoutables.
Par exemple, dans le catalogue CNDP « Micro-savoirs » (1987) la grande majorité des 160 logiciels en vente fonctionne sous LSE essentiellement les versions 3.2, 3.5 et LSE84 (ce dernier pour les ordinateurs 16 bits). Dans la rubrique « Langages et outils » est vendue 300 Francs la nouvelle version 3.5 (LSENR) pour MO5, MO6, MO7 et MO7-70 équipés de cartouches RAM et fonctionnant en nanoréseau. Les performances sont améliorées en vitesse d'exécution et étendue au graphique.
LSE sur micro-ordinateurs 16 bits
Le système LSE 8086/8088 a été réalisé par la société Microdur pour les micro-ordinateurs 16 bits. Il fonctionnait sous différents systèmes d'exploitation : CP/M86 pour les SIL'Z 16 ; MS-DOS pour Persona 1600 ; Prologue pour Micral 9020 ; etc.
Microdur était une SARL fondée en 1982 par une équipe comprenant de nombreux enseignants membres de l'EPI. Cette équipe, très au fait des besoins du système éducatif, a contribué au développement des réalisations françaises en matière d'informatique pédagogique. L'EPI et Microdur ont publié, en juin 1983, un dossier technique de 230 pages « Le système LSE mieux connaître son fonctionnement sur micro-ordinateur »
Le LSE aurait été utilisé par l'École d'application des transmissions de l'armée (j'ai effectivement rencontré il y a quelques années un Mitra 15 à la caserne du Mont Valérien à Suresnes) et un compilateur LSE pour ordinateur CII 10170 et CII IRIS aurait été développé et utilisé dans les universités disposant de ces matériels. Je n'ai pas plus d'informations à ce sujet et suis preneur... |
Les publications
De nombreux livres et articles se succèdent au cours des décennies 70 et 80, depuis la brochure sur le LSD (Utilisation du système en temps partagé ; langage L.S.D., École supérieure d'électricité, 58 pages, en1970), et les publications de l'INRP, jusqu'aux ouvrages parus chez plusieurs éditeurs. On se reportera à la bibliographie en fin d'article.
Comme exemple, le sommaire de « LSE POUR TOUS » (1re édition EPI, numéro spécial en supplément au Bulletin d'octobre 1981) : Préface et EPIgramme. Pour apprendre à manipuler seul. Ce que l'on traite. Qu'est-ce qu'un programme. Expressions numériques et expressions chaînes. Traitement séquentiel. Itération. Fichiers. Procédures. Langage de commande. De la formulation d'un problème à sa résolution. Annexes (dont quelques conseils en programmation).
En publiant ce travail collectif, l'EPI répond à son objectif : « promouvoir et favoriser toute action de recherche et de formation visant à la diffusion et à l'utilisation de l'informatique dans l'enseignement public ».
Ce numéro spécial sera suivi de plusieurs coéditions CNDP-EPI dont la dernière paraîtra en juin 1985.
Le déclin et la disparition
Le début des années 80 voit le développement de la micro-informatique. IBM lance une machine appelée Personal Computer (PC). Microsoft diffuse le système d'exploitation MSDOS. La chute des prix qui caractérise cette nouvelle génération de produits va changer la donne. Des logiciels nouveaux, dits « professionnels », font leur apparition (traitements de texte, tableurs, gestionnaires de données...) L'attrait du made in USA, souvent doublé d'un a priori négatif pour ce qui est français, le fait que le MEN ne se préoccupe guère du suivi d'un langage qu'il a suscité... laissent peu de chance au LSE.
Les mini-ordinateurs - qui ont continué d'être utilisés dans les 58 lycées - furent submergés par la vague des micro-ordinateurs 8 bits sur lesquels furent néanmoins portés le LSE et son environnement.
Pour des tas de raisons, plus ou moins bonnes, le LSE eu des adversaires acharnés.
C'est vrai que dans les années 80, la multiplication des ordinateurs de différentes marques conduit à des versions différentes du LSE qui ont mis à mal ce qui faisait une grande partie de son intérêt, la compatibilité. C'est vrai aussi que la concurrence du BASIC, qui avait évolué et qui était largement présent hors de l'École, pesa lourd dans le désintérêt pour le LSE
La compatibilité, qui était un des arguments en faveur du LSE, n'existait pas pour les matériels acquis par les établissements sur leurs fonds propres (Apple, Tangy, Commodore, ZX81 de Sinclair...) dont aucun ne disposait du système LSE. Pour les élèves le BASIC était beaucoup plus répandu hors du lycée.
Le désengagement du MEN, déjà évoqué, pour ce langage qu'il avait lui-même commandé, est une illustration, une fois de plus, d'une certaine politique « en dents de scie ».
Ce désengagement est perceptible dès le début des années 80 (opération 10 000 micros). Le rapport Pair-Le Corre [14], octobre 1981, mentionne à peine ce langage (en annexe 3 à propos des stages de formation : « Langage LSE, plus ouverture vers d'autres langages »). Il faudra une intervention appuyée de l'EPI pour que le LSE soit disponible sur le nanoréseau de l'opération Informatique pour tous.
On peut aussi regretter que les constructeurs aient fait si peu d'efforts pour s'intéresser à ce langage.
Dans le cadre d'une politique d'inspiration libérale lancée en 1986, le secteur privé a pris une place plus importante dans le domaine des logiciels. Le CNDP a vu ses missions dans ce domaine orientées vers la coproduction. Celles-ci, assurées dans le cadre d'une « Direction de l'ingénierie éducative », privilégiaient trois axes : outils pour l'enseignant ; supports pour auto-formation et l'apprentissage autonome ; enrichissement des disciplines.
Dans cette phase, le ministère de l'Éducation nationale s'est réservé un rôle d'orientation, par l'intermédiaire de la politique dite de « licences mixtes » inaugurée cette année-là et maintenue ensuite (en fonction des orientations prioritaires, une commission nationale sélectionne des produits, dont les lycées et collèges ne payent qu'une fraction du prix public).
Les effets de cette politique ont été très importants. Elle a rendu disponibles dans les établissements des logiciels professionnels récents. C'est ainsi qu'ont fait leur apparition de nouveaux types de produits logiciels dits « professionnels » qui n'ont plus rien à voir avec le LSE Corrélativement, elle a conduit a privilégier l'utilisation des « outils » au détriment de l'enseignement d'une discipline informatique.
Pour un musée des systèmes anciens
Je propose ces adresses... J'avoue ne pas les avoir explorées.
- Émulateurs de tous les ordinateurs 8 bits Thomson : http://dcmoto.free.fr/
- Documentation sur LSE2000 : http://fr.wikibooks.org/wiki/Programmation_LSE
Cela n'a pas empêché LSE de sombrer rapidement dans l'oubli à la suite de l'abandon de celui-ci par le gouvernement français. Il existe cependant une petite communauté d'utilisateurs et le langage a fait l'objet d'une révision proposée par Luc Goulet (LSE2000) qui reprend en bonne partie les propositions de 1983 et inclut des améliorations. Notamment elle ajoute au langage la prise en charge de la programmation orientée objet et aspect. Un wikilivre décrit la proposition LSE-2000 in wikipedia :
https://fr.wikipedia.org/wiki/LSE_(langage_de_programmation)
- Nasium-lse : « Dans un but historique et pseudo-muséologique, nous présentons une implémentation du système LSE, NASIUM LSE, qui devrait permettre de faire tourner les vieux programmes LSE, et d'avoir une impression de ce qu'était l'informatique dans les années 1970. http://nasium-lse.ogamita.com
- Wikiwand : http://www.wikiwand.com/fr/LSE_(langage_de_programmation)
Conclusion
Le langage LSE avait des qualités incontestables, et il a évolué au cours des années, mais il s'est heurté à un ensemble de contextes défavorables comme par exemple :
le manque de constance et de cohérence des politiques informatiques et les décisions prises par quelques uns, au sein du MEN, sans évaluations ni concertations,
la concurrence directe du BASIC, tellement mieux puisqu'il vient d'ailleurs, comprenez d'outre-atlantique,
l'arrivée des logiciels « professionnels » et la priorité donnée par le ministère à l'utilisation des « outils » au détriment de la programmation dans le cadre d'un enseignement de l'informatique.
Mais on va m'accuser d'être partial, aussi je laisse le dernier mot à Science et Vie Micro de mai 1986, Plaidoyer pour un langage méprisé (extrait) : « Ce langage propre à l'Éducation nationale française, beaucoup décrié, continue malgré tout son chemin. On se rend compte aujourd'hui que ceux qui avaient vaillamment défendu le LSE n'avaient peut-être pas tout à fait tort. » Suit toute une série d'arguments en faveur de ce langage : syntaxe, française, structure de ligne, procédures, chaînes, graphismes « étonnants ». Et le coup de pied de l'âne : « La méfiance des informaticiens qui ont souvent critiqué le LSE sans en connaître vraiment les possibilités »...
S'il n'y avait eu que les informaticiens !
Mais les choses sont en train de changer... et l'on redécouvre la programmation dans les enseignements scolaires.
Septembre 2015
Jacques Baudé
Président d'honneur de l'EPI
jacquesbaude@free,fr
Paru dans 1024 n° 7 de novembre 2015.
http://www.societe-informatique-de-france.fr/bulletin/1024-numero-7/
http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2015/12/1024-no7-Baude.pdf
Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification).
http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/
Bibliographie
Utilisation du systéme en temps partagé (langage LSD), École supérieure d'électricité, Polycopié n° 2162, et brochure n°2193,58 pages, 1970.
Un Langage Symbolique destiné à l'Enseignement : le LSE, J. Hebenstreit, Y. Noyelle, Congrès AFCET, Grenoble, novembre 1972,
« LSE manuel d'utilisation », Numéro spécial du bulletin de liaison « l'informatique et l'enseignement secondaire » de l'INRDP, Section Informatique et enseignement (SIE),108 pages, avril 1973.
« Un langage symbolique destiné à l'enseignement : LSE » par J. Hebenstreit et Y. Noyelle Bulletin n° 6 de l'EPI (1973) : http://epi.asso.fr/revue/06/b06p010.htm
« Pour LSE... » par Alain Thomazo, Bulletin n° 26 de l'EPI (1982) :
http://epi.asso.fr/revue/26/b26p014.htm
« P ». Numéro spécial du bulletin de liaison « l'informatique et l'enseignement secondaire » de l'INRDP, Section Informatique et enseignement (SIE) janvier 1975, 202 pages. Le LSE Pour la version 4 (T 1600) et la version 8 (Mitra 15) ; rédaction terminée en décembre 1974.
LST : A Highly Adaptative Real-Time Time-Sharing System, S. Berche, J. Hebenstreit, Y. Noyelle, Symposium IFAC/IFIP, Tallinn, Mai 1976.
« Le LSE, son histoire, son développement », Y. Noyelle, Éducation 2000 n° 6, Institut Supérieur de Pédagogie, Paris, 1980.
« LSE POUR TOUS » Numéro spécial supplément au Bulletin de l'EPI, collectif, 210 pages, 2 éditions successives, octobre 1981.
LSE POUR TOUS, coédition CNDP-EPI (1982), même contenu plus mise en route du Micral (R2E) et du Logabax (LX 529)
LSE POUR TOUS deuxième coédition CNDP-EPI (1983), même contenu plus deux chapitres : graphique et compléments de juin 1983.
Norme expérimentale Z65-020 : LSE : Langage Symbolique d'Enseignement, AFNOR, Paris, décembre 1983.
« Le système LSE, mieux connaître son fonctionnement sur micro-ordinateur », Dossier EPI n° 3, EPI + Microdur, 230 pages. Juin 1983.
Le LSE 8086/8088 (pour débuter avec le SIL'Z 16 et le PERSONA 1600, manuel utilisateur, manuel de référence, d'après la norme Afnor Z65-020) Classeur EPI-Microdur, 220 pages, septembre 1984.
LSE POUR TOUS troisième édition CNDP-EPI, plus deux chapitres : LSE sur TO7 - MO5, et LSE sur machines 16 bits.1985.
String Handling Facilities of the LSE language, Y. Noyelle, SIGPLAN, Août 1984.
« LSE 83 », J. Arsac, Bulletin de l'EPI n° 38, p. 116-139, juin 1985 (sur le site EPI).
Programmation en LSE, Yves Noyelle et Stéphane Berche (Ed.PSI), 1979.
Lire LSE, C. Lafond et P. Muller (éd. Nathan).
Parler LSE, Michel Canal (éd. Eyrolles), 1982.
LSE Programmer en français, A.Thomazo (éd. Scodel), 1981.
Exercices d'application du LSE A. Billès (éd. Eyrolles).
L'abc du LSE, C. Cohort (éd. Eyrolles).
Le LSE pour tous TO7 et MO5 (Magnard).
[Certains de ces ouvrages parus chez les éditeurs sont disponibles d'occasion sur des sites de vente en ligne.]
14 documents à Bibliothèque nationale de France (BNF)
http://data.bnf.fr/11940440/lse__langage_de_programmation_/
http://data.bnf.fr/documents-by-rdt/11940440/a/page1
Langage lse sous siris 7 / siris 8 - manuel d'utilisation, P. Fischer, P. Mercier (i.u.c.a) référence : notc0031 mai 1978. Institut universitaire de calcul automatique de Lorraine.
Langage symbolique d'enseignement LSE, 15 - manuel d'utilisation école d'application des transmissions - Direction de l'instruction -Diffusion interne à des fins pédagogiques seulement.
Sans oublier d'aller consulter la : « List of French inventions and discoveries » (chapitre 9, dans lequel le LSE figure avec Champollion, Braille, Micral et le Minitel !
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_French_inventions_and_discoveries#Communication_. 26_Computers
Articles et documents sur le site de l'EPI accessibles avec votre moteur habituel :
site:epi.asso.fr LSE
site:epi.asso.fr langage symbolique d'enseignement
NOTES
[1] « La Saga du LSE et de sa famille (LSD-LSG-LST) » par Yves Noyelle :
http://epi.asso.fr/revue/54/b54p216.htm
[2] Conclusion du séminaire : http://epi.asso.fr/revue/histo/h70ocde.htm
« Quelques points de repère dans une histoire de 40 ans : L'association Enseignement Public et Informatique (EPI) de février 1971 à février 2011 », par Jacques Baudé :
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h11epi_jb.htm
[3] Participation EPI au « schéma directeur » (10 juin 1982) :
http://www.epi.asso.fr/revue/28/b28p036.htm
cité dans wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/LSE_(langage_de_programmation>).
[4] Comparaison LSE/BASIC par Stéphane Berche :
http://ife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue- francaise-de-pedagogie/ INRP_RF056_2.pdf
[5] Plaquette LSE : http://www.epi.asso.fr/blocnote/plaquetteLSE.pdf
Un langage symbolique destiné à l'enseignement : http://epi.asso.fr/revue/06/b06p010.htm
Pour LSE... : http://epi.asso.fr/revue/06/b06p010.htm
[6] http://www.wikiwand.com/fr/LSE_(langage_de_programmation)
Et voir également LSE83 (Jacques Arsac) : http://www.epi.asso.fr/fic_pdf/b38p116.pdf
[7] Jacques Baudé, Expérience des 58 lycées :
http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2014/10/1024-4-baude.pdf
http://epi.asso.fr/revue/histo/h70-58lycees_jb.htm
[8] Collectif (1981). Dix ans d'informatique dans l'enseignement secondaire, 1970-1980. INRP, Recherche pédagogiques, n° 113, 197 pages.
http://www.epi.asso.fr/blocnote/Dix_ans_INRP_1981.pdf
et : http://lara.inist.fr/bitstream/handle/2332/1250/INRP_RP_81_113op.pdf?sequence=2
[9] Étude Pitié-Scherer : http://ensmp.net/pdf/1971/etude_pitie-scherer.pdf
[10] À propos du concours AFCET « L'informatique à 'école » :
http://www.epi.asso.fr/revue/22/b22p059.htm
[11] L'option informatique des lycées dans les années 80 et 90 (en 3 parties chaînées) par Jacques Baudé :
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb1.htm
[12] « Pour une histoire de l'informatique dans l'enseignement français, premiers jalons » par Émilien Pélisset :
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h85ep.htm
[13] Jacques Baudé, Le plan « Informatique pour tous » :
http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2015/04/1024-5-baude.pdf
http://epi.asso.fr/revue/histo/h85-ipt-jb.htm
[14] L'introduction de l'informatique dans l'Éducation nationale. Rapport de MM. Claude Pair et Yves Le Corre remis à Alain Savary le 15 octobre 1981 :
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h81_Pair-Le-Corre.htm
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