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L'expérience des « 58 lycées »

Jacques Baudé
 

   Il est des moments, dans ce long fleuve pas forcément tranquille qu'est le déploiement de « l'informatique pédagogique » [1] au sein du système éducatif français, qui ont laissé des traces plus ou moins précises dans les mémoires. J'ai retracé à grands traits, dans le numéro 2 de 1024, l'histoire de l'option informatique des lycées dans les années 80 et 90. Dans ce n° 4, je remonte un peu plus loin dans le temps pour évoquer l'expérience des 58 lycées moins connue car plus ancienne mais qui a marqué durablement la suite des événements.

   J'ai participé à cette expérience depuis son tout début au lycée de La Celle Saint Cloud, doté dès la fin de la décennie 60, d'un ordinateur 10010 de la CII [2]. Bien qu'ayant vécu cette expérience de près, je n'ai pas voulu me fier seulement à ma mémoire. Cet article s'appuie sur l'étude de l'INRP Dix ans d'informatique dans l'enseignement secondaire (1970-1980) [3]. Les historiens devront obligatoirement s'y reporter.

   Je me réfère également à de nombreux documents tous en ligne sur le site de l'association Enseignement Publique et Informatique et notamment : « Pour une histoire de l'informatique dans l'enseignement français, premiers jalons » par Émilien Pélisset [4].

Le séminaire de Sèvres

   Même si un certain nombre d'expériences ont eu lieu dans les années 60 (voir note n° 4) il est couramment admis que l'introduction de l'informatique dans l'enseignement général français trouve son inspiration dans le séminaire du Centre d'études et de recherches pour l'innovation dans l'enseignement (CERI de l'OCDE créé en 1968) au Centre national d'études pédagogiques de Sèvres en mars 1970 [5]

   La lecture des conclusions et recommandations du séminaire est intéressante. On y retrouve les grands thèmes qui vont marquer les décennies à venir, certains étant encore en débat (discipline informatique ou pas), d'autres toujours pas mis en oeuvre de façon durable 45 ans après (la formation des enseignants).

   Ainsi, page 33, discipline ou pas : « Envisagé comme enseignement ayant son propre statut, ou intégré dans une autre disciple d'enseignement, l'informatique... »

   Page 34, l'enseignement de l'informatique nécessite des machines : « Dans la mesure où le contenu de cet enseignement prévoit une initiation à la programmation conduisant à la rédaction de programmes par les élèves, il est nécessaire, au moins pour des raisons pédagogiques, que ces derniers voient le résultat de leur travail et prennent ainsi conscience de ce qu'un ordinateur est en mesure de faire... »

   Page 35, à propos de la formation des enseignants : « Il est évident qu'une action importante doit être entreprise dans le domaine de la formation des enseignants à l'informatique » et page 37 : « Si l'on ne veut pas se contenter d'une formation au rabais, avec comme conséquence une dégradation presque immédiate de cet enseignement de l'informatique au niveau des élèves, ce seront des ressources importantes qui devront être consacrées à cet aspect du problème tant en argent qu'en hommes. »

   Tout a été dit, ou presque, au cours de ce séminaire international d'une semaine, du lundi 9 mars au samedi 14 mars 1970.

La politique volontariste du ministère de l'Éducation nationale

   Rapidement, à la suite de ce séminaire, le MEN français va mettre en oeuvre une politique ambitieuse comportant une formation des enseignants (avant même qu'il y ait des machines dans les établissements, c'est à noter !), une réflexion pédagogique collective dans le cadre de groupes disciplinaires au sein du Service de l'informatique éducative (SIE-INRDP), l'équipement (entre 1973 et 1976) de 58 lycées-collèges en mini-ordinateurs Mitra15 (CII) et T1600 (Télémécanique) [6].

   Une conséquence importante de ce séminaire fut également la création au ministère de l'Éducation nationale d'une « mission informatique » dont le responsable avisé sera Wladimir Mercouroff.

   L'appellation trompeuse « d'expérience des 58 lycées » fut donnée après que collèges et lycées aient été séparés (loi de 1975 sur les CES).

La formation des enseignants

   Dès l'année scolaire 1970-1971, 80 enseignants (sélectionnés parmi 1 024 candidats, ça ne s'invente pas !) sont répartis dans 3 centres de formation, 40 chez IBM, 20 à la CII et 20 chez Honeywell-Bull. Tout un ensemble de problèmes pédagogiques et organisationnels vont se poser. Les stagiaires ressentant la nécessité d'une structure spécifique, l'association Enseignement Public et Informatique (EPI) fut créée et officiellement déclarée le 1 février 1971.

   Le positionnement des stagiaires est clair : c'est à eux, membres de l'enseignement public, de décider comment ils utiliseront l'informatique. Et apparemment, plusieurs voies sont possibles.

   Ainsi, dans l'éditorial de premier bulletin de l'EPI (décembre 1971) [7] on peut lire :

   « ... Notre attitude doit rester accueillante à l'égard des diverses expériences pédagogiques. L'introduction de l'informatique se présente actuellement, semble-t-il, sous trois aspects :

  • comme l'enseignement d'une matière nouvelle (sections et établissements spécialisés, cours pour volontaires, enseignement intensif de quelques jours pour tous les élèves d'un même niveau) ;

  • comme l'enseignement d'une méthode de pensée à l'intérieur des matières existantes, chaque professeur retrouvant dans sa discipline les notions fondamentales de modèle, d'algorithme, d'information ;

  • comme l'utilisation d'un moyen nouveau, comparable à ce que fut le premier livre imprimé, aidant le professeur dans la partie répétitive de son travail.

   Si la politique du ministère consiste à favoriser la deuxième solution, et malgré l'intérêt d'un tel choix qui facilite les rapports entre les différentes spécialités, nous pensons que nous devons nous intéresser à ces trois types d'expériences. L'avenir nous dira quelle est la voie la plus sûre. Mais peut-être s'agit-il de trois aspects complémentaires qui devraient coexister. En tout cas, nous ne pouvons ni ne devons choisir dès maintenant... »

   Les années suivantes (de 1971 à 1976) les formations « lourdes » se déroulent dans des centres universitaires à Grenoble, Nancy, Toulouse, Paris, Rennes. Au total, 528 enseignants de différentes catégories et disciplines furent formés.

   Avec des variations selon les centres de stage, on trouvait sensiblement les mêmes éléments :

  • notions générales d'informatique (information, algorithmes, structure de l'ordinateur...),

  • initiation à la programmation qui avait tendance à dominer compte tenu de la rareté, voire de l'absence, de logiciels,

  • les applications de l'informatique dans les différentes activités humaines et notamment une réflexion sur les applications pédagogiques possibles (je rappelle qu'à l'époque, il n'existait pratiquement pas en France de logiciels utilisables dans les disciplines générales, en dehors de ceux qui seront progressivement conçus et réalisés par les stagiaires. Dans ma discipline, deux des premiers logiciels de simulation LINKO et NUTRIT datent de 1974).

   Une formation « légère » fut également mise en place par le Centre National de Télé-Enseignement (CNTE) de Vanves sous forme d'un cours par correspondance complété par 4 jours de stage sur machine. Elle concerna environ 5 000 enseignants. Enfin, nombreux furent les autodidactes autour des machines.

   Alors que la circulaire 70-232 du 21 mai 1970 (BOEN n° 22 du 28 mai) envisage un enseignement de l'informatique « soit à l'occasion des cours traditionnels, soit dans des cours spéciaux pour volontaires », le comité pédagogique animé par Wladimir Mercouroff, chargé de mission à l'informatique, donne la place prépondérante à l'outil pédagogique dans les différentes disciplines. C'est ce qui va orienter l'expérience des 58 lycées.

Les groupes disciplinaires coordonnés par l'INRDP

   La Section Informatique et Enseignement (SIE), créée dès 1971 à l'INRDP, a regroupé un certain nombre d'enseignants formés dans des groupes disciplinaires (j'ai appartenu durant la décennie 70 au groupe « Informatique et Sciences naturelles »). Ces enseignants recevaient des décharges de service pour leur donner le temps nécessaire à leur recherche et à la conception-réalisation de logiciels. Tout était à inventer et je peux témoigner, pour ce qui me concerne, que cette période pionnière qui comprenait à la fois l'enseignement de l'informatique, la recherche pédagogique, la conception de logiciels testés sur mes élèves de terminale, la formation des collègues... est la plus passionnante de toute mon existence professionnelle. 

 
Le lycée de La Celle Saint Cloud
 

Le lycée-collège de la Celle Saint Cloud est un peu à part dans la mesure où une expérience d'enseignement optionnel de l'informatique, pilotée par l'INRDP, a été engagée à partir de l'année 1969-70 grâce à un ordinateur 10010 prêté par la CII (plusieurs parents travaillaient dans cette entreprise) (voir note n° 2). Cette expérience se poursuivra avec le Mitra15 (reçu en février 1973) et le langage LSE..

Il fut le premier à recevoir un Mitra 15. Cette attribution première (février 1973) n'a pas été qu'un avantage ! Nous avons essuyé les plâtres à la fois par les plantages du système LSE (vite réparés par Yves Noyelle de SupElec) mais surtout par les multiples pannes hard et une maintenance CII dépassée. Il fallait avoir la foi bien chevillée au corps pour survivre aux travaux pratiques (de Biologie, pour ce qui me concerne) interrompus en pleine séance ou reportés à la dernière minute. Nous avions appris à toujours prévoir une solution de remplacement pour nos élèves. Heureusement qu'à l'époque, l'ordinateur exerçait un tel attrait qu'il faisait oublier ses faiblesses. Comme disait Émilien Pélisset, ex-président de l'EPI, « on amenait les élèves à l'ordinateur comme la vache au taureau ».

Les matériels : Mitra 15 - T1600

   Les équipements s'échelonneront de 1973 à 1976. Un des premiers établissements équipé fut celui de La Celle Saint Cloud qui a reçu en février 1973 le Mitra15 ayant fait un séjour à SupElec pour la mise au point du LSE. Il prenait la succession d'un 10010 de la CII (voir l'encart ci-dessus).

   Mitra15 (CII puis SEMS) et T1600 (Télémécanique) étaient des mini-ordinateurs plutôt imposants (2 mètres de haut, 200 kg) accompagnés de 9 terminaux et, au début, d'un lecteur de ruban perforé sur télétype. Il fallait plus d'une heure pour charger le système LSE par cette voie ! Le lecteur de ruban fut remplacé par la suite par un floppy disque.

   Le disque dur au départ de 256 Ko (eh oui !) se révéla très vite insuffisant pour stocker les logiciels et les travaux des élèves.

Le LSE [8]

   Il résulte d'un contrat passé par la Délégation à l'informatique avec l'École Supérieure d'Électricité pour la définition d'un langage adapté aux besoins de l'enseignement secondaire.

   Le rapport de définition de LSE fut remis au MEN (Mission à l'informatique) en octobre 1971. Il restait à réaliser le système de programmation et le système d'exploitation en temps partagé sur les deux machines retenues, avec comme date limite la rentrée scolaire 1972-73.

   Le système LSE (Langage Symbolique pour l'Enseignement) de syntaxe française fonctionnait en temps partagé, c'est-à-dire que chaque utilisateur, en alternance, disposait de la totalité du système. Chaque utilisateur pouvait dialoguer avec les différentes ressources du système par le télétype pilote et par sa console de visualisation. « Le plus étonnant c'est que ça marche ! » L'exclamation n'est pas de moi mais d'un des concepteurs du système qui venait régulièrement réparer les plantages.

   L'EPI fit activement la promotion de ce système qui assurait une compatibilité et une portabilité bien supérieures à ce qu'aurait permis alors toute autre combinaison. Si le premier manuel LSE fut un numéro spécial du Bulletin de liaison de l'INRP (avril 1973), l'EPI produisit par la suite plusieurs coéditions successives avec le CRDP.

   Comme a tenu à le souligner Jacques Hebenstreit dans sa préface au Parler LSE de Michel Canal (éd. Eyrolles) : « Il est erroné de dire que LSE soit inspiré par BASIC. En 1970, BASIC (conçu en 1964) était un langage simple mais très rudimentaire, quasiment inexistant en France. En vérité, LSE a deux sources dont la première, injustement oubliée, est le langage PAF (interactif et à syntaxe française), conçu et réalisé par la SEA (Société d'Électronique et d'Automatisme) pour les ordinateurs CAB 500, et la seconde n'est autre que le langage ALGOL, né, lui aussi, vers les années 60. »

   Toujours est-il que ce langage de syntaxe française, gérant les chaînes de caractères dès sa création, a permis pendant des années les échanges au sein d'une communauté d'enseignants soucieux d'enseigner la programmation (clubs) et surtout de créer des logiciels pédagogiques pour les différentes disciplines. Ce ne fut pas le moindre de ses mérites. Comme disait un collègue, il aurait fallu qu'il nous revienne du Japon pour qu'il s'impose durablement en France.

   Les logiciels et le LSE (ainsi que les sources) étaient diffusés gratuitement dans le système éducatif. L'esprit du « libre » s'enracine profondément dans la démarche de l'informatique pédagogique française...

Les logiciels

   Dès les premières installations de mini-ordinateurs et du langage LSE, des enseignants commencèrent à concevoir et écrire des logiciels, soit isolément, soit dans des équipes locales, soit dans le cadre des groupes disciplinaires de l'INRP. Certains de ces logiciels n'eurent que des usages locaux, d'autres furent estampillés « INRP » et diffusés comme tels.

   Parmi les 500 professeurs « formés lourds » beaucoup enseignent leur discipline d'origine dans des lycées équipés (ce fut mon cas). Ils disposent de décharges de service (toujours insuffisantes et trop tardives, mais néanmoins elles existaient !) pour accompagner leurs collègues, animer des clubs, concevoir des logiciels, les tester avec leurs élèves. Dans les années 80, beaucoup deviendront des formateurs notamment pour l'opération Informatique Pour Tous (qui fera l'objet d'un prochain article), d'autres s'engageront dans la voie de l'option informatique (voir 1024 n° 2)...

   Cette expérience fondatrice d'introduction de l'informatique dans l'enseignement secondaire a vu la conception, la réalisation (allant jusqu'à la programmation en LSE), l'échange gratuit de logiciels développés par les enseignants eux-mêmes en liaison étroite avec le SIE-INRP. 800 logiciels environ ont été produits toutes disciplines confondues de 1972 à 1979. Plus de la moitié n'a été utilisée que localement, mais environ 400 ont été répertoriés et diffusés dans les 58 lycées (et au-delà par la suite) soit sous forme de rubans perforés soit sous forme de floppy plus tard. Chaque logiciel était accompagné d'une fiche pédagogique [9] comprenant le livret du maître, le livret de l'élève, le descriptif du programme et le listing en LSE.

   Je n'ai pas la place ici de traiter complètement le sujet et renvoie à la troisième partie (pages 55 à 140) de l'étude de l'INRP (note n° 3) qui traite de la banque de logiciels, de l'analyse des logiciels et de leur utilisation.

   Je dirais seulement que contrairement à l'idée qu'on peut se faire ou qu'on a pu se faire (surtout à l'époque de l'enseignement « assisté » par ordinateur) les approches pédagogiques sont variées et souvent très novatrices. Certes, il y a les logiciels d'enseignement « tutoriel » et les exercices d'entraînement et de contrôle des connaissances mais il y a aussi les logiciels de simulation, de traitement de données et les jeux pédagogiques.

   Après adaptation aux micro-ordinateurs puis au nanoréseau, une partie de ces logiciels se retrouvera dans les opérations « 10 000 micros » et « 100 000 micros », puis dans les « valises » du plan Informatique Pour Tous (IPT) (note n°4) et même au delà.

Les clubs

   Dans leurs établissements, les enseignants formés sont très souvent à l'origine de clubs « informatiques », où l'on organise un enseignement selon des modalités variées où domine la programmation. Ces clubs concernent aussi bien les collégiens que les lycéens.

   Ainsi, au concours de programmes [10] ouvert aux jeunes d'âge scolaire, organisé en 1981 par l'AFCET, avec la participation active de l'EPI, sur les 113 dossiers retenus 65 avaient comme points d'appui un des 58 lycées-collèges (16 dossiers provenaient de collégiens). La plupart de ces travaux n'auraient pas été menés à bien sans l'ambiance intellectuelle des clubs informatiques qui fonctionnaient depuis plusieurs années dans les établissements équipés.

   On voit la complémentarité des approches se dessiner peu à peu, évidemment à échelle encore très réduite : l'informatique « outil » dans les différentes disciplines et l'informatique « objet » pratiquée dans les clubs informatiques.

L'accompagnement

   Un bulletin de liaison INRP « L'informatique dans l'enseignement secondaire » a été diffusé dans les établissements équipés. Dans ces numéros, des comptes-rendus de réunions de travail et de séminaires, mais surtout, des comptes-rendus d'expériences et de pratiques dans les différentes disciplines.

   Un numéro spécial (avril 1973) fut un manuel d'utilisation du LSE, complété et amélioré par un nouveau numéro (janvier 1975) rédigé par François Chédeville, professeur de lettres au lycée de La Celle Saint Cloud, Madame Faure de l'INRDP et Christian Lafond, responsable du SIE.

   Le numéro spécial de décembre 1976 fait le point sur l'expérience des « 58 lycées ». On y retrouve « les deux frères ennemis », Jaques Arsac et Jaques Hebenstreit, l'un plaidant pour l'informatique « objet », l'autre pour l'informatique « outil ». Le débat ne date pas d'hier. Il sera – provisoirement – tranché en 1981 ! [11]

   À ce Bulletin de liaison s'ajoutait le bulletin trimestriel de l'EPI.

   La volonté des enseignants appartenant aux groupes disciplinaires a été de faire connaître les résultats de leurs recherches et notamment leur production logicielle à leurs collègues. C'est ainsi, par exemple, que le groupe « Informatique et sciences naturelles » a été la cheville ouvrière du thème « Biologie et informatique » du congrès et journées nationales de l'APBG de juillet 1979 à Toulouse. Un dossier spécifique était paru, en deux parties, dès 1978 dans les numéros 3 et 4 du Bulletin de cette association, avec une double introduction de Wladimir Mercouroff et de moi-même [12].

   Naturellement, des démarches analogues eurent lieu en direction d'autres associations de spécialistes. Il était important que les travaux de quelques-un(e)s soient connus du plus grand nombre et pour cela la presse associative est un excellent vecteur.

L'évaluation

   L'année 1975-1976 a marqué un tournant, l'arrêt de l'expérience (cf. ci-dessous), mais il n'avait pas échappé au Directeur des lycées que quelque chose d'important s'était passé dans les 58 lycées et collèges. Il commanda à l'INRP une nouvelle mission, celle d'évaluation (lettre du 9 août 1976 au responsable de la Section Informatique et Enseignement, Christian Lafond). Cette évaluation aboutit, en 1981, au rapport déjà cité plusieurs fois (note n° 3)

   « Cette étude est le résultat d'un travail collectif effectué par le groupe auquel l'INRP a confié le soin d'évaluer L'expérience d'introduction de l'informatique dans l'enseignement secondaire. Au moment de la rédaction, ce groupe était constitué des personnes suivantes :
Georges-Louis Baron, Michèle Bounay, Philippe Dautrey, Josée Guelfucci, Danie Hebert, Pierre Muller, Monique Schwob, Philippe Tourtelier. Il a bénéficié des contributions extérieures ou des conseils de Mmes Bonin, Dassonville et Torcq et de M. Baudé (Secrétaire général de L'EPI, ex-membre du groupe Informatique et Sciences naturelles). »
(page 3).

   Il s'agit d'un essai de bilan global de nature à servir aux opérations à venir. La première partie de ce rapport dresse le cadre matériel et administratif dans lequel s'est déroulée l'expérience et fournit un certain nombre de données quantitatives sur le fonctionnement des centres informatiques des lycées. La sensibilisation à l'informatique, premier objectif que s'était fixé le Ministère, est l'objet de la deuxième partie où les auteurs examinent les contenus qu'elle a essayé de transmettre. Dans la troisième partie, il est traité longuement des logiciels pédagogiques envisagés successivement sous l'angle de leur contenu et de leur utilisation. La quatrième partie tente de dégager les différents apports de l'informatique aux élèves et aux enseignants. On trouve dans la conclusion à la fois un constat des acquis, les limites d'une expérience et un ensemble de propositions pour la poursuite d'une généralisation déjà amorcée.

Parmi les acquis de l'expérience

• Il faut dire tout d'abord que les résultats obtenus – pour une expérience qui ne concernait que 58 établissements – sont loin d'être négligeables. Outre l'expérience acquise qui se révélera importante pour les années à venir, plus de 45 000 élèves et plus de 1 000 enseignants ont chaque année utilisé l'ordinateur (à une époque où il s'agissait d'un objet rare !). Toutes utilisations confondues, les centres informatiques ont fonctionné en moyenne 32 heures par semaine.

• La formation des enseignants ayant été posée comme préalable, l'utilisation de l'ordinateur a permis de nouvelles pratiques pédagogiques (simulation, exploitation de banques de données, ...) suscitant des motivations nouvelles de la part des élèves. Elle a permis la constitution d'équipes compétentes capables d'innover et notamment de participer à la conception de logiciels disciplinaires en liaison avec la recherche pédagogique. La prise de conscience de la nécessité d'une recherche pédagogique de qualité à l'écoute du « terrain » s'est imposée.

• L'introduction de l'informatique a pu s'effectuer à travers toutes les disciplines. On peut parler ici de pluridisciplinarité effective et même d'interdisciplinarité pour un certain nombre de démarches. Dans nombre d'établissements, la cohabitation entre l'EAO et les clubs informatiques fut bénéfique pour les élèves et les enseignants.

• Les décharges de service pour les enseignants impliqués dans la recherche et la conception de logiciels (répondant aux besoins réels, et non supposés, des enseignants), la disponibilité de logiciels gratuits (diffusé avec le source) furent également des facteurs déterminants.

   Mais l'expérience a connu quelques difficultés, certaines conjoncturelles et en partie résolues (matériels, par exemple), d'autres étant toujours d'actualité :

• Les insuffisances du matériel (pannes, lenteur des entrées-sorties, incompatibilité des disques souples, engorgement de la salle informatique...). Une certitude s'impose, les matériels doivent être en nombre suffisant et leur maintenance assurée.

• Les insuffisances administratives (planning de la salle informatique, horaires des élèves, classes devant être dédoublées, décharges de service insuffisantes ou parvenant très en retard dans les établissements, manque de moyens au niveau du pilotage national...)

   Difficultés insuffisantes pour décourager des « pionniers » mais de nature à compromettre une généralisation. Ce qui se vérifiera d'ailleurs pas la suite.

Le coup d'arrêt de l'année 1975-1976

   En septembre 1975, le Ministre de l'Éducation nationale supprime brutalement la Mission à l'informatique. Les difficultés économiques entraînent un plan d'austérité général et un budget de rigueur pour l'Éducation nationale en 1976. La Direction générale de la programmation et de la coordination (DGPC), qui a confié la gestion de l'expérience à la Direction des Lycées, supprime les formations et décide l'arrêt des équipements (janvier-février 1976).

   On voit apparaître les premières « dents de scie » d'une politique de déploiement de l'informatique dans le système éducatif et on commence à se rendre compte que ce déploiement sera plus chaotique que linéaire. Les changements de ministres de l'Éducation nationale (l'EPI en a connu 20 depuis sa fondation) ne rajoutant rien.

   Toutefois, le volume des décharges de service et une partie des postes attribués antérieurement sont conservés ; quelques améliorations techniques facilitent l'usage des matériels en place (notamment lecteurs-enregistreurs de disquettes 8 pouces). Une nouvelle série de cours du CNTE assortie d'un stage de trois jours est diffusée entre 1976 et 1979 mais elle est payante. Elle touchera moins d'un millier de collègues. Il n'y aura aucune formation approfondie de 1976 à 1981.

Les suites de l'expérience : le plan « 10 000 micro-ordinateurs »...

   L'informatisation de la société, rapport de Simon Nora et Alain Minc est remis en janvier 1978 au Président de la République qui, en novembre, demande au gouvernement d'élaborer un nouveau plan informatique pour accroître l'efficacité, la compétitivité du système économique.

   Une décision de décembre 1978 relance un projet d'ampleur et de nature sensiblement différents : il s'agit de l'opération « dix mille micro-ordinateurs ». En effet, les micro-ordinateurs sont apparus vers 1975, faisant prévoir un rapport nouveau du public à l'informatique. C'est aussi l'occasion d'un encouragement des Pouvoirs Publics aux entreprises françaises qui semblent alors capables en ce domaine de tenir une place dans la concurrence mondiale. Mais le projet concerne encore essentiellement les lycées et les collèges. Pourtant en 1980 commence à se développer un plan d'équipement des Écoles normales et de formation des personnels, en même temps que se réunit régulièrement une « cellule de réflexion » sur l'introduction de l'informatique dans les écoles, à l'initiative de la Direction des Écoles. Mais toujours pas de reprise des formations « lourdes » et cette fois, les matériels précèdent les formations quand il y en a.

   Mais ceci est une autre histoire et nous sommes déjà sortis de l'expérience des « 58 lycées ».

Juin 2014

Jacques Baudé
Président d'honneur de l'EPI
association Enseignement Public et Informatique
jacquesbaude@free.fr

Paru dans Bulletin de la société informatique de France, 1024 n° 4 de septembre 2014.
http://www.societe-informatique-de-france.fr/bulletin/1024-numero-4/
http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2014/10/1024-4-baude.pdf

Publié sous licence Cretative Commons Attribution – Pas de Modification 3.0 France.
http://creativecommons.org/licenses/by-nd/3.0/fr/

NOTES

[1] Expression créée par l'EPI : http://www.epi.asso.fr/revue/48/b48p003.htm

[2] Introduction de l'informatique dans l'enseignement secondaire, étude effectuée d'octobre 1971 à juin 1972 par MM. Pitié et Scherer :
http://emnps.net/pdf/1971/etude_pitie-scherer.pdf

[3] Dix ans d'informatique dans l'enseignement secondaire (1970-1980), collection Recherches pédagogiques, Recherches pédagogiques n° 113, INRP, 4e trimestre 1981, 182 pages. Archivé sur LARA, URI : http://hdl.handle.net/2332/1250.

[4] Pour une histoire de l'informatique dans l'enseignement français, premiers jalons, Émilien Pélisset : http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h85ep.htm

[5] Actes du Séminaire pour « l'enseignement de l'informatique à l'école secondaire » organisé par l'OCDE (OCDE/Centre pour la Recherche et l'Innovation dans l'enseignement) avec la collaboration de la Direction de la coopération du MEN. Centre International d'Études Pédagogiques de Sèvres, 9 au 14 mars 1970. Les conclusions (pages 33 à 40) :
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h70ocde.htm

[6] Liste des 58 lycées : http://epi.asso.fr/revue/histo/h70-58lycees.htm

[7] Éditorial du premier Bulletin de l'EPI (décembre 1970) :
http://www.epi.asso.fr/revue/01/b01p001.htm

[8] « La Saga du LSE et de sa famille (LSD/LSG/LST) » par Yves Noyelle, Bulletin de l'EPI n° 54, juin 1989. http://www.epi.asso.fr/revue/54/b54p216.htm

[9] Première page de la fiche accompagnant le logiciel de simulation expérimentale MENDEL : http://epi.asso.fr/revue/histo/h70-58lycees_jb_mendel.gif

[10] À propos du concours AFCET, L'informatique à l'école, Bulletin de l'EPI n° 22, juin 1981 : http://www.epi.asso.fr/revue/22/b22p059.htm
Condition de participation au concours : « La réalisation d'un programme représentant un phénomène simple ou complexe relevant des disciplines enseignées dans le secondaire général et technique. »

[11] L'option informatique des lycées dans les années 80 et 90. Première partie : La naissance d'une option. EpiNet n° 128, octobre 2010. http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb1.htm

[12] Bulletin pédagogique de l'APBG, n° 3, 1978 ; 2e partie dans le Bulletin n° 4, 1978.
http://www.epi.asso.fr/tic/78apbg.htm

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