La science informatique
doit être enseignée dès le secondaire
au même titre que la physique ou la biologie
Des analyses convergentes
Jacques Baudé
Résumé
Un argumentaire pour l'intégration de l'informatique dans la culture générale scientifique, dans le cadre de la pluralité des approches : l'informatique outil pédagogique et instrument de travail personnel et collectif des enseignants et des élèves ; facteur d'évolution des disciplines enseignées, de leurs objets et méthodes, de leur « essence » ; enfin, objet d'enseignement, élément de la culture générale scolaire car composante de la culture générale de l'« honnête homme » du XXIe siècle. Ces statuts complémentaires se renforçant mutuellement.
Mots clés : agrégation, algorithme, autonomie, Capes, citoyenneté, complémentarité, complexité, comprendre, concept, culture générale, culture informatique, fondamentaux, industrie, informatique, information, initiative, innovation, internet, langage, modèle mental, modélisation, numérique, programmation, projet, redéploiement, réseaux, science, simulation, travail en équipe.
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Pourquoi enseigner l'Informatique ? N'y a-t-il pas des logiciels tout faits, de plus en plus « conviviaux », répondant à tous les besoins ? Nous ne sommes plus à l'époque des Mitra 15 et T1600 des années 70 où il n'y avait rien d'autre à faire qu'à programmer en LSE et en Basic ! Maintenant, l'ordinateur omniprésent est un « outil » à la disposition des usages les plus variés et un média massivement utilisé en tant que tel par les jeunes. Voilà ce qu'on entend couramment.
Justement, n'y a-t-il pas là pour les enseignants, les parents et les responsables du système éducatif matière à s'interroger ?
Ordinateurs, tablettes, smartphones... sont présents partout ou presque et avant tout hors de l'École. Les jeunes baignent dans ces « outils » du réveil au coucher quand ils ne s'endorment pas sur leur portable. Nous sommes de plain pied dans un phénomène de société qui semble irréversible et nous réserve encore des surprises.
Une de ces surprises pourrait être une certaine lassitude et un besoin de comprendre.
La question se pose, l'École doit-elle en rajouter ou tendre à calmer le jeu. Assumer ce qui est fondamentalement de sa compétence : transmettre des connaissances, savoirs et savoir-faire, ouvrir des boîtes noires.
Faut-il enseigner l'Informatique dès le secondaire au même titre que la Physique ou la Biologie ? Et si tout avait déjà été dit sur le sujet ?
Je livre ici quelques déclarations récentes et réflexions personnelles extraites d'articles le plus souvent en ligne sur le site de l'EPI.
Pour une culture générale élargie
Promouvoir une discipline informatique c'est viser à enrichir la culture générale par une science incontournable dans un nombre de plus en plus grand de domaines. C'est mettre l'informatique au coeur d'une culture générale élargie.
Mais on entend souvent « Même si l'informatique est une science, faut-il pour autant l'enseigner dans le secondaire ? ».
« ... On n'enseigne pas toutes les sciences, nous dit-on. Ainsi, "on n'enseigne pas la physique quantique dans le secondaire et pourtant elle est omniprésente". Certes, mais on enseigne la physique dont elle est une branche. Et comparaison n'est pas raison : on voit bien comment l'informatique vient au devant de chacun d'entre nous, comment nous sommes de plus en plus confrontés aux ordinateurs, aux logiciels et à toutes les technologies associées. Et cela en situation active, souvent en situation de création, pas seulement passifs comme on l'est devant un tube cathodique de télévision.
On nous dit encore, qu'il n'est pas besoin de savoirs savants, qu'il suffit de cliquer. Bel argument pour des marchands mais le rôle des enseignants n'est-il pas d'ouvrir ou d'entrouvrir, tant que faire se peut, les boîtes noires, de donner aux élèves les moyens de comprendre ce qu'ils font, de prendre du recul, et non pas d'en faire de simples consommateurs toujours dépassés ? », Jacques Baudé [1].
Jean-Pierre Archambault a montré comment le mythe de l'inutilité d'une discipline informatique dans l'enseignement général fonctionne sur un certain nombre de présupposés. Le coeur de doctrine est que l'utilisation des outils informatiques suffit à leur appropriation et à l'acquisition d'une culture en la matière. Les compétences attribuées aux « natifs numériques » sont souvent invoquées sans vraiment se préoccuper de savoir ce que valent ces compétences en dehors de la pratique des jeux et des réseaux sociaux [2].
Le procédé nous viendrait paraît-il des USA. Peut-être. En tous cas il est durablement installé. De quoi s'agit-il ? De répéter sans la moindre argumentation, la pensée dominante sur un sujet donné. Le ministre Vincent Peillon vient de nous en faire une nouvelle démonstration lors du débat du 15 mars 2013 à l'Assemblée nationale : « notre objectif est de faire intervenir le numérique dans l'ensemble des disciplines, sans en faire une discipline à part, ce qui ne traduirait pas notre ambition d'en faire un véhicule qui sert à tous les apprentissages. » [3].
L'approche dans l'ensemble des disciplines fonctionne très mal dans l'enseignement général, voire pas du tout, et cela depuis des décennies ; ça n'empêche pas le ministre, certainement mal conseillé, de persister !
Et pourtant, la phrase d'un orfèvre en la matière n'a pas pris une ride : « L'utilisation d'un outil, si fréquente et diversifiée soit-elle, ne porte pas en elle-même les éléments qui permettent d'éclairer sa propre pratique. », Jean-Michel Bérard [4].
Certes les adolescents ont acquis des compétences réelles (que souvent les adultes n'ont pas) mais elles restent limitées aux usages pragmatiques quotidiens qui concernent peu l'institution scolaire. Ils ont appris sur le tas à utiliser Internet. Toutefois dès que les démarches deviennent plus complexes (c'est le cas dans les pratiques disciplinaires) peu d'entre eux sont capables de faire face et beaucoup se découragent par manque de ressources cognitives et culturelles.
Faute de s'investir efficacement dans la prise en charge des connaissances indispensables, l'institution scolaire doit « faire avec » des compétences très superficielles acquises hors de ses murs.
Faut-il rappeler, n'en déplaise à certains, que l'École est le seul endroit où les élèves rencontrent la connaissance sous une forme structurée, organisée et progressive. C'est dans ce cadre que l'enseignant correctement formé devrait pouvoir apporter ce « plus » à une utilisation superficielle des TIC. C'est là que doit résider la « valeur ajoutée » de l'adulte possédant les connaissances, le recul et la culture nécessaires.
« ... au delà de l'usage, les enfants ne mériteraient-ils pas aussi de se voir expliquer davantage les sciences informatiques qui sont à la racine du monde numérique ? Nos collégiens ne devraient-ils pas consacrer autant de temps au fonctionnement du réseau internet qu'à celui de l'ADN ? Les sciences informatiques méritent d'être expliqué aux enfants, au même titre que la physique ou que la biologie qui sous-tendent les machines et la médecine. », Philippe Baptiste, Gérard Berry, Pierre Haren [5].
« La science au coeur du nouveau système technique est l'informatique. Les savoirs et compétences qui constituent cette science s'organisent autour d'un paradigme central : la programmation des ordinateurs. Dans la société transformée par la nouvelle révolution industrielle, ceux qui auront étudié cette science, ou qui du moins y auront été initiés, comme un lycéen est initié aujourd'hui aux mathématiques et à la physique, seront infiniment plus à même de comprendre les rouages du monde nouveau, et partant infiniment plus maîtres de leur destin que ceux pour qui le fonctionnement des automates constitutifs du nouveau système technique restera de la magie noire. Nous pouvons en inférer qu'il serait très souhaitable qu'une proportion importante des lycéens reçoive un véritable enseignement en informatique, et par informatique il faut entendre programmation des ordinateurs, pas formation bureautique ou maîtrise des réseaux sociaux. Pour atteindre cet objectif, vital, il est urgent d'introduire l'informatique dans notre système éducatif. », Laurent Bloch [6].
L'informatique a ses propres modes de pensée et ses méthodes de travail spécifiques. Elle se veut fédératrice par ses implications dans un nombre de plus en plus important d'activités humaines. Il est grand temps de former les jeunes générations aux modes de pensée et d'action qui ont gagné tous les domaines de la connaissance ; de leur donner une bonne compréhension de ce que l'informatique est capable de faire ; de leur permettre de se constituer un modèle mental cohérent et le plus exact possible de ce qu'est la démarche informatique.
La place existe pour un enseignement, tenant compte des pratiques empiriques des élèves, mais ayant pour objectif une réelle « maîtrise » que le ministère de l'Éducation nationale appelle semble-t-il de ses voeux sans en dégager les moyens.
Cet enseignement ne devant pas être confondu avec un cours de bureautique qui a sa place par ailleurs, notamment dans le cours de Technologie au collège.
« ... le pouvoir politique, tout en voulant bien faire, a contribué à la confusion, avec les initiatives comme le B2I ou le C2I, dont les noms très mal choisis entretiennent l'idée selon laquelle "Informatique" c'est savoir faire clic, utiliser un tableur, un traitement de texte et installer un antivirus. J'aimerais bien savoir quelle réaction auraient nos collègues mathématiciens devant la mise en place d'un BMC (Brevet de Mathématique et Calcul) où l'on apprendrait à utiliser des caisses enregistreuses et des calculettes scientifiques.
Le moyen à long terme le plus efficace pour changer les choses est la mise en place d'une stratégie qui aide l'ensemble de la population à se constituer un modèle mental correct de ce qu'est l'Informatique : il faut, pour y parvenir, introduire l'Informatique dans l'enseignement primaire et secondaire, et revaloriser l'enseignement de l'Informatique dans le supérieur.
Cela permettra d'avoir à terme des politiques (à tous les niveaux) mieux (in)formés, plus de vocations vers les métiers de l'Informatique, une meilleure formation à l'Informatique parmi les étudiants d'autres disciplines, et plus stratégiquement, une population mieux préparée pour la société de la connaissance qui se construit en ce moment, et qui exige des capacités de traitement et analyse conceptuelle de l'Information qui ne se font pas sans une bonne familiarité avec ce que l'on appelle, dans certains cercles, le "Computational Thinking" (cf. "La pensée informatique" par Jeannette Wing sur Interstices [7]). Cette dernière est sans doute la raison la plus profonde pour introduire rapidement de l'Informatique dans les programmes, et un tout récent rapport au UK fait une analyse qui va dans le même sens. », Roberto Di Cosmo [8].
Il y va effectivement de l'exercice même de la citoyenneté.
« ... ils sont légion les débats qui mêlent enjeux de société et sciences sans que l'on sache toujours explicitement ce qui est métaphore et ce qui ne l'est pas. Il faut donc prendre garde à ce que les élèves d'aujourd'hui, citoyens de demain, ne se retrouvent pas dans pareilles inconfortables situations où on les entretient d'enjeux économiques, d'enjeux de société, en faisant référence à des notions qu'ils ignorent. On ne peut imaginer un instant que l'on puisse débattre sereinement, sur un pied d'égalité si l'on n'a pas de solides connaissances scientifiques, en général et en particulier en informatique. », Jean-Pierre Archambault [9].
« Quand les citoyens s'intéressent au nucléaire ils peuvent se référer à ce qu'ils ont appris à l'École en cours de sciences physiques (atome, courant électrique...). Quand ils s'intéressent aux OGM ils peuvent se référer à leurs cours de SVT. Or le monde devient numérique... », Jean-Pierre Archambault [10]. À quoi peuvent-ils se référer en termes de notions et de concepts informatiques acquis à l'École ?
Il ne s'agit pas pour l'École de faire des élèves de simples utilisateurs-consommateurs (le hors-École s'en charge suffisamment !). Il s'agit d'en faire des citoyens compétents, aux connaissances solides, capables de créer, d'innover, de faire face aux évolutions des matériels, des logiciels et des modes de pensée.
Les grands domaines de l'informatique
Le colloque de Sèvres en 1970 recommandait déjà que l'informatique soit introduite dans l'enseignement général parce que « la pratique de la programmation développe des aptitudes algorithmiques, organisationnelles et opératoires » [11]. Neuf ans plus tard, dans son rapport remis au Président de la République Giscard d'Estaing, Jean-Claude Simon demandait que l'informatique soit enseignée au lycée. Quelque temps plus tard, Jacques Arsac proposa au Directeur des lycées la création d'une option informatique [12].
Il n'était pas encore question des besoins du pays en informaticiens. Cet argument ne s'imposa que plus tard.
« En fait c'est par la réflexion sur les algorithmes rencontrés dans tous les domaines que l'informatique a transformé le monde et s'est imposée comme un des principaux facteurs d'innovation et de progrès... Je me demande ainsi toujours comment on peut refuser à nos enfants de réfléchir à ce concept absolument fondamental d'algorithme qui sous tend la majeure partie des activités humaines, sinon par totale ignorance de ce qu'il est vraiment, de son étendue comme de sa profondeur. D'autant plus qu'il s'accompagne de ce que Gérard Berry dans ses récentes leçons au Collège de France appelle justement la "révolution numérique". », Maurice Nivat [13].
L'informatique c'est l'algorithmique et à la programmation, c'est aussi la théorie de l'information, les machines et leurs architectures, les réseaux, Internet, les bases de données... Cette science a ses propres concepts et ses méthodes spécifiques. Il est grand temps de former les jeunes générations aux modes de pensée et d'action qui ont gagné tous les domaines de la connaissance, de leur permettre de se constituer un modèle mental cohérent et le plus exact possible de ce qu'est la démarche informatique.
« On n'enseigne pas aux collégiens ni aux lycéens à construire des centrales nucléaires, mais on leur enseigne quelques notions qui permettent d'en comprendre le fonctionnement : masse, énergie, chaleur, température, tension, intensité... C'est ce même objectif que nous devons avoir pour l'informatique : faire comprendre ce que sont informations, machines, langages, algorithmes... Et on ne peut pas comprendre ces notions sans écrire soi-même quelques petits programmes. Petits ? Tous les exercices du programme de la spécialité Informatique et Sciences du Numérique, proposé en Terminale à la rentrée prochaine, demandent moins de trente lignes de code. », Gilles Dowek [14].
Et Gilles Dowek ajoute : « Quand on enseigne une discipline, il faut veiller à en respecter les équilibres internes, afin que les contenus enseignés donnent une image fidèle de la discipline elle-même. On propose ici l'idée que, l'informatique est structurée par quatre concepts : algorithme, machine, langage et information, et on insiste sur l'importance de respecter l'équilibre entre ces différents concepts dans la conception d'un programme d'enseignement de l'informatique au lycée. (...) L'événement qu'a constitué notre prise de conscience du fait que ces quatre concepts formaient quatre pièces d'un puzzle qui s'assemblent parfaitement, et la transformation de l'architectonique des sciences qu'elle a impliqué, était un événement a priori très peu probable, un événement comme il y en a peu dans l'histoire », Gilles Dowek [15].
Repris brillamment par Pierre Léna dans un ouvrage collectif récent (page 172) : « Chacun des quatre ingrédients de base de cette nouvelle science informatique – les algorithmes, les machines, le langage, l'information selon Gilles Dowek et Gérard Berry – peut être abordé dès l'entrée au lycée, mais aussi dès l'entrée au collège, et sans doute dès l'école primaire... Penser un enseignement de la science informatique est un défi majeur. » (cf. note [49]).
L'intérêt d'un tel enseignement pour l'élève
- Comprendre, innover, prendre des initiatives, apprendre à chercher, gérer la complexité, travailler en équipe dans des démarches de Projet, mieux comprendre l'impact de l'informatique sur les autres disciplines...
Les élèves, nés avec un hochet numérique, après avoir été scannés in utero, ont appris hors de l'école l'essentiel des trucs et savoir-faire, ils baignent dans les tablettes et autres smatphones. Que peut leur apporter le système éducatif qu'ils ne sachent déjà ?
« Ce n'est pas sur ce terrain [de l'utilisation de l'outil] que l'École doit se positionner si elle veut remplir un rôle utile à la société. Elle doit se situer résolument à un autre niveau de compréhension. Or, il se trouve que beaucoup d'élèves sont demandeurs de "Comment ça marche ?", "Comment aller plus loin ?" Nombre d'entre eux souhaitent que des enseignants plus compétents qu'eux les aident à ouvrir ou entrouvrir quelques boîtes noires. Et plutôt que de répéter jusqu'à la nausée que le "fossé se creuse", que "l'École est dépassée", que "l'écart s'accroît entre les enseignants et les jeunes"..., il nous semble plus sain de proposer une autre approche.
L'EPI propose une discipline I+TIC, dans un premier temps pour les élèves qui le souhaitent, et ayant vocation à se généraliser. Tout en continuant de promouvoir naturellement les utilisations didactiques et pédagogiques dans les différentes disciplines et activités. Les deux démarches n'étant pas exclusives mais complémentaires. », Jacques Baudé [16].
L'innovation passe de plus en plus, depuis au moins deux décennies, par l'informatisation : informatisation des objets produits et vendus, informatisation des processus de fabrication, informatisation de la gestion des entreprises... Elle passe de plus en plus également par le travail en équipe. Un enseignement de l'informatique sur ordinateur, en classe dédoublée, débouchant sur un « projet » se prête particulièrement à ces approches.
« ... l'informatique, l'activité de programmation en particulier, se prêtent bien à des activités pédagogiques consistant à plonger les apprenants en situations de projets. À la clé, une meilleure efficacité dans les apprentissages, ceux des contenus théoriques compris... et une préparation aux conditions de la vie professionnelle. », Jean-Pierre Archambault, Jacques Baudé [17].
« Enseigner l'informatique n'est pas seulement une affaire de contenus et de programmes. C'est aussi une question de manières de travailler. Il ressort clairement des points précédents qu'une orientation pédagogique favorisant l'apprentissage de ces savoir-faire consiste à plonger les apprenants en situations – simulées ou réelles – de projets. Ce type de pédagogie pose des problèmes eu égard au fonctionnement habituel de l'institution scolaire et universitaire : emplois du temps, services des enseignants, méthodes pédagogiques, suivi et évaluation des étudiants, etc. Il présuppose certainement un minimum d'autonomie de la part des apprenants, notamment au lycée. Mais on peut penser qu'il permettrait une meilleure efficacité dans les apprentissages, ceux des contenus théoriques compris. », Bernard Morand [18].
On assiste, pas seulement en France, à un renouveau du goût pour la programmation. La recherche d'un algorithme efficace, le pilotage de robots, sont des activités motivantes pour les élèves qu'il serait temps de redécouvrir. Quand je pense aux réalisations des élèves dans les clubs « informatiques » il y a 30 ans ! Comme en témoigne, par exemple, le numéro spécial de juin 1982 sur le concours de programmes AFCET-EPI .On y trouve les 103 dossiers retenus (émanant de collégiens mais surtout de lycéens) correspondant à des travaux réalisés avant le 1er décembre 1980 pour la grande majorité dans l'ambiance intellectuelle des clubs informatiques en liaison avec les différentes disciplines.
Récemment en Suisse,
« pour les plus âgés, programmer des lignes de code, c'est aussi du concret. Le 17 mars dernier (2012) se tenait le plus grand concours de programmation de Suisse. Parmi les 120 concurrents, beaucoup ne sont pas informaticiens ou étudiants en informatique. Ce qui les attire, c'est d'entrer au coeur même de l'ordinateur et de ne pas rester en surface. (...) Ce renouveau du goût pour la programmation arrive à point nommé, car le manque de développeurs, programmeurs ou informaticiens se fait cruellement sentir. D'après le Groupement Romand de l'Informatique, 3 000 jeunes se lancent chaque année dans une carrière dans ce secteur. Mais il en faudrait deux fois plus pour satisfaire les besoins des entreprises. », Yves Gerber [19].
« ... Le premier correspond à un objectif général qui consiste à apprendre à chercher. Un problème d'algorithmique est avant tout un problème intéressant, s'inspirant de la vie courante, que l'on a envie de résoudre : passer du temps à chercher la solution d'un exercice, faire des dessins, tourner le problème dans tous les sens, le reformuler, apprendre à le simplifier, et finalement trouver un algorithme et arriver à le programmer, voilà ce qui est important. Une fois que les élèves ont appris à chercher, ont découvert qu'ils étaient capables de trouver la solution de problèmes qui n'étaient pas évidents au premier abord, il est possible de leur faire découvrir par eux-mêmes la plupart des algorithmes dits "classiques", puis leur apprendre à les modifier, les combiner pour inventer de nouveaux algorithmes adaptés aux problèmes rencontrés. », Loïc Février, Mathias Hiron, Arthur Charguéraud [20].
Le cadre des mini-projets ouverts sur les autres disciplines constitue un environnement particulièrement favorable :
« L'informatique se prête à une pédagogie participative, avec un enseignement par mini-projets qui peut être moins magistral, plus orienté vers le travail en groupe. Apprendre à programmer un petit logiciel, c'est donner à l'élève des clés, mais aussi la liberté de s'approprier ces clés et de les mettre en pratique de diverses façons (il y a plusieurs choix possibles dans la manière de mettre en oeuvre la solution).
L'informatique conduit aussi à un apprentissage de la rigueur par un mécanisme très spécifique : celui des essais-erreurs avec une machine "neutre" qui ne donnera un résultat que si tout est correct, mais qui donnera indéfiniment une chance de corriger, de reprendre, de tester (la machine est un outil qui permet d'apprendre de manière incrémentale, sans jamais porter de jugement de valeur).
L'informatique favorise l'apprentissage par l'utilisation, ce qui correspond bien à l'esprit humain (par exemple, découvrir un algorithme avant d'en déduire la notion abstraite sous-jacente).
Au niveau intellectuel, l'informatique est un levier pour les autres sciences, car elle permet de mieux comprendre des notions universelles (par exemple, la notion d'information) ou fondamentales (par exemple, le calcul "mécaniste" par opposition à d'autres formes de raisonnement). Elle fait entrevoir l'immense intérêt des sciences théoriques qui permettent de "toucher" (opérer avec, énumérer, visualiser...) des objets abstraits (si l'informatique est une forme de mathématiques, alors il s'agit de mathématiques "incarnées").
C'est en apprenant l'informatique le plus tôt possible qu'on tirera le meilleur profit de son rôle transversal à la quasi-totalité des autres disciplines universitaires et socio-économiques. », Pascal Guitton, Thierry Viéville [21].
« ... formulation rigoureuse des problèmes à résoudre en vue d'un choix pertinent des outils, recherche et traitement de l'information de toutes natures : chiffrée, textuelle, graphique..., pratique de la modélisation, et de la simulation pour ses apports spécifiques, esprit de recherche, prise de décisions, curiosité, esprit critique, communication avec les autres en cours de travail et au moment de la publication des résultats, travaux transdisciplinaires, réflexion sur la technique (informatique et société) », Jean-Pierre Archambault, Jacques Baudé, voir note [17].
Les informaticiens savent que pour s'attaquer à un problème il faut : identifier les informations à traiter, construire un algorithme, le traduire en un langage approprié, le tester sur machine... Ces concepts d'information, d'algorithme, de langage, de machine, de réseau... sont considérés comme fondamentaux et donc dignes d'être transmis aux jeunes générations. Et comme leur assimilation prendra du temps (comme pour les concepts de toutes les autres disciplines) il convient de s'y prendre tôt en s'adaptant aux âges des apprenants et en rendant cet enseignement le plus concret possible. Un enseignement en classes dédoublées est nécessaire comme pour les travaux pratiques de Biologie ou de Physique. L'informatique est à ce titre proche des sciences expérimentales.
Ces différentes connaissances et compétences peuvent être acquises individuellement et collectivement (démarches liées aux PROJETS) dans des activités motivantes car elles sont :
en phase avec la réalité hors de l'École,
finalisées (utilisation de l'informatique pour faire quelque chose d'utile difficile à mettre en oeuvre par d'autres moyens),
efficaces (elles permettent l'acquisition de méthodes favorisant l'accès aux différentes connaissances).
Leur caractère méthodologique et transdisciplinaire est une composante essentielle de la formation du citoyen de demain.
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Pour que les choses soient bien claires il ne s'agit pas de nier l'importance de l'utilisation des « outils » informatiques dans les différentes disciplines et activités. Ces pratiques sont importantes et doivent se développer toutes les fois que possible. Tout devrait être fait pour que les deux démarches s'enrichissent mutuellement.
Nous sommes encore nombreux à pouvoir témoigner qu'à l'époque de l'ex-option Informatique (supprimée alors qu'elle était ouverte dans 50 % des lycées) la présence de cet enseignement était loin de nuire à l'utilisation de l'ordinateur dans les disciplines traditionnelles (on parlait alors d'EAO). Au contraire, la présence d'élèves formés et d' équipes d'enseignants compétents favorisait la complémentarité des démarches. D'ailleurs, il est à noter que la suppression, par deux fois, de cette option n'a pas entraîné un développement de l'approche par les disciplines qui – pour ce qui concerne l'enseignement général – stagne malheureusement depuis des années.
- Développer la confiance en soi
Nombre d'élèves insuffisamment à l'aise dans les autres disciplines scientifiques peuvent trouver en informatique l'occasion de se surpasser et de s'engager dans des études supérieures.
Tous les collègues ayant enseigné l'informatique au lycée (certains depuis le début des années 70, j'en suis, cf. note [10]) savent que cet enseignement révélait des élèves qui ne s'épanouissaient pas forcément dans les autres disciplines. Cet aspect est loin d'être négligeable quand on sait la crise des enseignements scientifiques.
« Le développement de la confiance en soi : les élèves qui ont participé aux expérimentations (en classe de seconde en 2009-2010) n'étaient pas tous, et de loin, conformes au profil du "bon élève qui ira en S et aura le bac avec mention", et pour ces élèves en recherche et parfois en rupture la découverte de l'informatique et des différents aspects du numérique a eu un effet important. Par exemple, dans un lycée proche de Montpellier, certains élèves "décrocheurs" et promis à une scolarité des plus incertaines en série STG ont-ils pu trouver l'occasion de valoriser leurs auto-apprentissages, d'acquérir des compétences dont ne disposaient pas leurs camarades des autres classes, et ainsi de reprendre progressivement goût à l'étude. », Robert Cabane, IGEN [22].
- La naissance de vocations, l'orientation en connaissance de cause
Une attirance des jeunes pour l'informatique est laissée en friche.
« Personne ne leur dit qu'on peut passer sa vie à faire de l'informatique, et y trouver un champ d'activité particulièrement riche...
Nous sommes ainsi dans une situation assez folle : beaucoup de ces jeunes qui aimeraient en savoir plus, qui, pour de nombreuses bonnes raisons, pourraient songer à faire de l'informatique plus tard, ne voient pas leur curiosité satisfaite.
On laisse en friche une attirance qui pourrait se transformer en vocation, une de ces vocations dont on déplore le manque. On peut s'interroger sur cet état de fait à nos yeux déplorable et contre productif.
Nous pensons que malheureusement bien peu de gens savent à quel point l'innovation et le progrès passent en ce moment par l'informatique... », Maurice Nivat [23].
On s'oriente vers ce que l'on connaît en partie avec l'idée de le connaître mieux. Ce qui est valable pour l'ensemble des disciplines est valable pour l'informatique. L'ex-option est là pour en témoigner.
« Une véritable discipline permettrait en outre de susciter des vocations alors même que l'innovation et les acteurs principaux de l'économie numérique sont tous Américains : Microsoft, Google, Yahoo, Amazon, eBay, Facebook mais aussi Apple, Cisco, IBM, HP, Compaq et la liste est longue. Faut-il rappeler que le seul État de Californie dépasse la France entière dans bien des domaines. », David Fayon [24].
Le lycée est également l'occasion d'enseigner sous un jour favorable les bases de la sciences informatique aux jeunes filles et à susciter des vocations pour des métiers où les garçons sont trop largement majoritaires.
« Le lycée semble également la dernière occasion pour enseigner largement l'informatique aux jeunes filles qui ont trop souvent tendance à considérer cette discipline comme un "jeu de garçons". Cette fausse impression pénalise les femmes sur le marché de l'emploi. De plus, elle participe à la faible culture générale en informatique des citoyens, dont la moitié sont des citoyennes. », Gilles Dowek [25].
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On peut de demander où sont les succès évidents de l'approche exclusive de l'informatique par les différentes disciplines ? La didactique et la pédagogie de ces disciplines ont-elles été améliorées hors de quelques réalisations pionnières ? A-t-on développé de façon significative la culture informatique du citoyen ? A-t-on suscité des vocations massives pour l'informatique et les TIC ? La population active a-t-elle un niveau global suffisant en informatique ? Avons-nous pléthore d'informaticiens compétents ?
Arrêtons-nous sur ce dernier point. Examine-t-on toujours avec suffisamment de soin les implications sociétales et économiques de nos enseignements scolaires ? Au delà de la culture générale souhaitable pour tout citoyen n'y a-t-il pas également les besoins du pays ? En se souvenant toujours que la réussite des enseignements supérieurs généraux et technologiques se joue très en amont dès les enseignements primaire et secondaire. Or, pour ce qui est de l'informatique, l'enseignement secondaire général ne fait pas son travail.
Il avait commencé à le faire dans les années 80 et 90 avec l'option informatique des lycées. Elle était incomplète mais perfectible. Je n'y reviens pas à nouveau. Mais dire cela n'est pas se pencher avec nostalgie sur le passé, c'est constater que par des décisions irresponsables nous avons tout simplement perdu une vingtaine d'années [26].
Tout se passe comme si nos responsables semblaient considérer que les informaticiens compétents (ils sont loin de l'être tous) naissaient par génération spontanée dans l'enseignement supérieur et dans les grandes écoles ! Excusez du truisme, mais les jeunes sont d'abord des élèves du primaire et du secondaire. Ils entendent parler dès leur plus jeune âge des mathématiques, de la physique, des sciences de la vie et de la Terre... Par contre, ils côtoient l'informatique non comme une science mais comme un « outil » le plus souvent comme un média. Internet est de plus en plus synonyme de jeux et de « réseaux sociaux ».
Répondre aux besoins du pays
Après les révolutions industrielles successives liées à la mécanique, à l'électricité, au moteur à explosion, nous sommes depuis environ 40 ans dans l'ère informatique.
L'industrialisation d'aujourd'hui est l'informatisation. Il nous faut absolument élever le niveau de qualification du plus grand nombre. Notre pays est trop passéiste même si l'on note un léger « frémissement » dans les esprits... C'est ainsi qu'il déploie des efforts considérables pour sauver des industries, fleurons du passé, alors que c'est dans les activités de pointe qu'il faudrait résolument investir. Au coeur de ces industries de pointe est l'informatique. C'est là qu'il faut se montrer volontariste notamment au niveau de l'éducation et de la formation, générales, technologiques et professionnelles.
« Pour tenir son rang dans le futur, la France doit faire partie des acteurs majeurs du numérique. Trois leviers doivent être actionnés sans tarder : relancer un marché national, mettre les sciences informatiques au coeur de l'enseignement et développer la recherche et l'innovation. », Philippe Baptiste, Gérard Berry, Pierre Haren [27].
La quasi totalité des domaines de la pensée et de l'action est concernée par l'informatique. Pour que notre pays joue un rôle majeur, il est fondamental que les jeunes, dès leurs études secondaires, acquièrent une connaissance solide de l'informatique, ses concepts et ses outils. Soyons lucides, les jeunes sont pour l'instant des consommateurs scotchés devant leurs écrans essentiellement pour les jeux vidéo et les réseaux sociaux. Activités chronophages, s'il en est, qui ne peuvent se faire qu'aux dépens d'activités intellectuelles plus traditionnelles qui permettraient, elles, une réelle « maîtrise » dont le pays a besoin.
« L'informatique est au coeur de l'économie contemporaine, elle est même le moteur de la troisième révolution industrielle. Il y a une science informatique, qu'il importe d'enseigner aux élèves et aux étudiants afin qu'ils soient capables de comprendre le nouveau monde, d'y trouver leur place et d'y agir... », Laurent Bloch [28].
« Une des raisons de la dette est le fait que la production de richesses en France est en régression constante depuis dix ans, la désindustrialisation de la France est une triste réalité. Il est donc nécessaire de songer à relancer une production industrielle qui produise de la richesse. Comme nous ne sommes plus seuls sur cette planète à vouloir produire et vendre il parait nécessaire de renforcer l'innovation, ce sont les produits innovants qui ont le plus de chances d'amener des bénéfices économiques substantiels. Cette innovation passe de plus en plus depuis au moins deux décennies par l'informatisation : informatisation des objets produits et vendus, informatisation des processus de fabrication, informatisation de la gestion des entreprises. Cela n'est un mystère pour personne. (...) Dans ces conditions il parait essentiel pour l'avenir de notre beau pays de mettre en place un enseignement de l'informatique à tous les niveaux en commençant très jeune. Nous retrouverons le chemin de l'innovation quand tous les jeunes sauront assez d'informatique pour s'en servir avec un maximum d'efficacité, pour la faire intervenir dans leurs projets, et seront assez familiers avec elle pour avoir envie d'en faire. On ne peut faire véritablement avancer que ce que l'on a vraiment envie de faire avancer ! », Maurice Nivat [29].
Et encore :
« Nous craignons fort qu'à persister dans cette négation de l'informatique comme science, comme l'un des domaines de la connaissance qui, en ce moment croît le plus vite et a le plus de retombées en termes d'innovation et d'applications, alors que aussi bien aux États-Unis que dans les grands pays émergents que sont la Chine et l'Inde, elle est considérée comme ce qu'elle est et, non seulement enseignée sans réticence, mais promue par tous les moyens comme une discipline d'avenir propre à susciter l'enthousiasme, la France ne se trouve reléguée à une place bien modeste dans le progrès technique et scientifique du XXIe siècle. », Maurice Nivat [30].
« L'idée dominante était naguère que l'informatique, à la différence des mathématiques , de la physique, de la chimie, de la biologie, etc., était une science réservée à un petit nombre de spécialistes qu'il convenait de former après le baccalauréat. Le commun des mortels, pouvait, quant à lui, se contenter d'une formation de base limitée à l'utilisation de quelques logiciels commerciaux. Qu'est-ce qui conduit à proposer un enseignement de la science informatique ouvert à tous, et cela dès un très jeune âge ?
La première raison est que l'industrie, pour rester compétitive, a besoin non seulement des ingénieurs informaticiens, mais aussi que tous ses ingénieurs, techniciens, commerciaux... soient formés à l'informatique. Ce qui semble évident, par exemple dans l'industrie des télécommunications, est également vrai dans l'industrie des transports , de l'agroalimentaire, de la culture ... L'informatique s'est imposée comme incontournable... », Serge Abiteboul, Colin de La Higuera et Gilles Dowek [31].
De plus en plus de déclarations (et j'en oublie) vont dans le même sens :
« En dehors de l'apport de l'informatique à la culture générale, il s'agit d'un domaine de la connaissance dont les retombées en termes d'applications innovantes sont considérables. Ce qui dans le contexte actuel est loin d'être négligeable. Si les Sciences physiques sont devenues discipline scolaire c'est parce qu'elles sous-tendent les réalisations de la société industrielle. Or le monde devient numérique... D'autres pays l'ont parfaitement compris et investissent massivement dans les formations. (...) L'innovation passe de plus en plus, depuis au moins deux décennies, par l'informatisation : informatisation des objets produits et vendus, informatisation des processus de fabrication, informatisation de la gestion des entreprises. Dans ces conditions, il paraît essentiel pour l'avenir de notre beau pays de mettre en place un enseignement de l'informatique à tous les niveaux en commençant très jeune. D'autant que les compétences des "natifs du numérique" ont leurs limites. », Jean-Pierre Archambault, Jacques Baudé [32].
« On estime notamment à 28 % la part de R&D mondiale consacrée aux sciences et technologies de l'information et de la communication (STIC). Or, que ce soit dans l'optique de créer de la valeur avec des entreprises leaders ou dans celle d'accompagner les nouveaux usages liés aux nouvelles technologies afin de garantir leur acceptation, un même pré-requis s'impose : comprendre les fondements de l'informatique, savoir quels principes régissent ce monde numérique qui nous entoure. De l'ignorance naît l'impossibilité de créer dans un cas, la dépendance voire la crainte et la méfiance vis-à-vis d'un monde inconnu dans l'autre.
...
Expliquer ce que représente la numérisation du monde, donner à nos concitoyens les clés nécessaires à une meilleure compréhension de cette nouvelle société prend dès lors tout son sens. Cela conditionne leurs facultés à appréhender leur environnement de vie, à l'accepter, à en devenir acteur, voire créateur. Nous sommes convaincus que la "fracture numérique" dépasse la seule question de l'équipement, elle relève aussi de schémas de pensée, d'une fracture dans la capacité à faire sienne une autre manière de concevoir notre univers. », Pierre Corvol, Michel Cosnard [33].
« Quant à l'informatique, l'éducation à la science ne peut plus ignorer cette nouvelle science, d'autant que celle-ci est source de développements industriels majeurs, de nombreuses créations d'emplois et d'un autre regard sur le monde. », Pierre Léna, in Partager la science. L'illettrisme scientifique en question, Ouvrage collectif Actes/Sud IHEST, 2013 (page 172), cf. note [49].
« Il est impossible, pour une nation, de continuer à maîtriser l'informatique et la faire progresser sans maîtriser collectivement ses savoirs. Les ordinateurs ne marcheraient pas sans cette science nouvelle et ils ne progresseront pas sans elle. Une nation qui néglige de former ses ingénieurs à cette science barre son avenir technologique et se condamne à être vassal des nations qui ont compris cet enjeu (dans bien des pays émergents il va de soi que l'informatique soit enseignée en priorité). », Thierry Viéville [34].
Il ne s'agit pas de former seulement des ingénieurs et des techniciens compétents, mais aussi l'ensemble de la population active facilitant ainsi un dialogue fructueux au sein des entreprises.
« Sans doute l'industrie a-t-elle besoin de davantage d'informaticiens, toujours mieux formés, toujours plus professionnels, à l'affût des nouvelles technologies, des nouvelles méthodes de conception et de développement, à l'écoute de leurs clients. Mais l'industrie n'a pas moins besoin d'employés ayant acquis et assimilé une culture générale en informatique leur permettant non seulement de dialoguer efficacement avec leurs collègues informaticiens, mais aussi de prendre le recul nécessaire face à leur outil de travail afin d'être des vecteurs actifs de son amélioration et de sa performance.
...
L'enseignement de l'informatique étant pratiquement absent de l'enseignement primaire ou secondaire, la grande majorité de la population active n'a pas de culture générale en informatique qui lui permettrait de mieux appréhender les enjeux de l'entreprise moderne.
...
L'entreprise emploie en son sein une population de 95 % d'illettrés numériques qui, chaque jour, chaque instant, ont devant les yeux un livre ouvert aux mots indéchiffrables... », Louis Becq [35].
Il n'est plus possible de persister dans l'idée que l'Informatique n'est pas une science à part entière devant être présente dans l'enseignement secondaire général au même titre que la Biologie ou la Physique.
« ... Quand les citoyens s'intéressent au nucléaire ils peuvent se référer à ce qu'ils ont appris à l'École en cours de sciences physiques (atome, courant électrique...). Quand ils s'intéressent aux OGM ils peuvent se référer à leurs cours de SVT. Or le monde devient numérique... À quoi peuvent-ils se référer en termes de notions et de concepts informatiques acquis à l'École ? En dehors de son apport à la culture générale, il s'agit d'un domaine de la connaissance dont les retombées en termes d'applications innovantes sont considérables. Ce qui dans le contexte actuel est loin d'être négligeable. Si les Sciences physiques sont devenues discipline scolaire c'est parce qu'elles sous-tendent les réalisations de la société industrielle. Or le monde devient numérique... D'autres pays l'ont parfaitement compris et investissent massivement dans les formations. », Jean-Pierre Archambault, Jacques Baudé [36].
La croissance d'un pays est liée à l'innovation, les brevets, la parfaite maîtrise des sciences et des technologies de pointe. S'il faut parler « croissance » même modérée et non laisser le concept aux autres (ou plus grave, ne pas lui donner de contenu) alors parlons de celle permise par l'informatique et les TIC. Nous sommes alors cohérents avec ce que l'EPI déclare puis bien longtemps.
Il y a presque 20 ans l'assemblée générale de l'EPI déclarait :
« ... nous restons persuadés qu'un pays comme le nôtre, et l'Europe toute entière, ne pourront garder leur identité, résister à la concurrence internationale, créer des emplois et dégager des ressources pour la collectivité que s'ils développent des secteurs de haute technologie nécessitant une main d'oeuvre hautement qualifiée. Les entreprises, petites et moyennes, doivent également se moderniser et ne peuvent le faire qu'en disposant d'une main d'oeuvre compétente en matière de technologies modernes, issue d'une société dont la culture globale aura intégré, grâce au système éducatif, ces technologies. Existe-t-il d'autres choix ? » [37].
Dans les autres pays
La concurrence internationale est très rude sur le terrain informatique.
Comme le dit Gérard Berry dans un interview parue dans le bulletin SPECIF (devenue SIF) d'avril 2009 :
« Le terrain est occupé en grande partie par les pays asiatiques qui ont bien détecté les enjeux. La création à terme d'un vrai enseignement de science informatique au lycée est indispensable pour que notre pays tienne son rang dans le monde. »
Ou Maurice Nivat :
« Ne nous y trompons pas : des pays émergents comme la Chine, l'Inde, le Brésil ont compris eux l'intérêt de l'informatique dans la compétition industrielle. Nous devons réagir, nous devons agir, il n'est que temps de réfléchir à cet enseignement généralisé de l'informatique et d'ouvrir un grand chantier national à ce sujet », Maurice Nivat [38].
La Chine forme 700 000 informaticiens par an et inutile de nous rassurer en invoquant le fait que les Chinois sont 1,3 milliards. C'est à la population employée dans l'industrie qu'il faut comparer ce nombre.
Le précédent président de la Chine, Hu Jintao, avait déclaré qu'en 2050 la Chine sera « le leader de la révolution scientifique et technologique dans les domaines de l'informatique, des nouveaux matériaux et des biotechnologies ». Dont acte.
Outre la Chine, l'Inde forme actuellement 500 000 ingénieurs informaticiens par an !
Dans un article « L'informatique comme partie intégrante de la culture générale de l'homme moderne » (EpiNet n° 123) Laurent Bardy, un collègue Suisse, évoque un voyage en Inde en 2005. Ce passage est particulièrement instructif !
« New Delhi, 23 décembre 2005. Shampa et Raja nous emmènent par le tout nouveau métro de la capitale au coeur de la cité moderne, à Connaught Place. Dîner dans un petit restaurant indien des environs et échanges nourris sur nos différentes cultures. Raja est architecte, Shampa, son épouse, informaticienne. Elle enseigne dans une école d'informatique en banlieue. Tous deux ont la quarantaine et un enfant étudiant au collège. Il sera ingénieur en informatique. Le couple ne veut pas d'un second enfant, l'explosion démographique étant à ses yeux l'une des principales causes de la pauvreté dans leur pays.
Lorsque j'apprends à Shampa qu'avec des collègues nous devons batailler en Suisse afin de réintroduire des cours d'informatique dans les collèges, qu'en dix ans cette discipline a quasiment disparu des cursus d'enseignement des gymnases helvétiques, celle-ci ne peut tout simplement pas me croire. Une telle lacune dans le système de formation d'une nation industrialisée apparaît comme inconcevable vue d'un pays en voie de développement investissant fortement dans la formation de ses jeunes aux technologies numériques. Les Indiens de la classe moyenne ont la modernité occidentale en référence. Comment serait-ce possible que leur pays soit en avance en matière de formation technologique par rapport à des nations tenues en exemple ? Que la jeune démocratie indienne venant à peine de fêter ses 50 ans d'indépendance soit un modèle en matière de formation à l'informatique ? C'est tout simplement inconcevable. Et pourtant. Sous nos latitudes, nous peinons à cerner les enjeux d'une question de fond en matière de formation aux nouvelles technologies de l'information. », Laurent Bardy [39].
De même que l'Éducation nationale a intégré, dès le 19e siècle, les sciences physiques et chimiques dans la culture générale au lycée, le moment est venu de développer la même démarche volontariste pour l'informatique. Pour ces deux disciplines, il y a longtemps qu'on a franchi le pas non sans oppositions qui rappellent à certains égards ce que l'on vit actuellement pour la science informatique !
On peut se poser la question : quelles disciplines doit-on enseigner à une époque donnée !
D'autres pays le font ainsi plus près de nous, pour ne prendre que deux exemples, la Grande Bretagne :
« Il y a à peu près un mois (le 11 janvier 2012) le Secrétaire d'État britannique à l'éducation Michael Gove déclarait qu'il fallait en finir avec l'exclusivité de l'approche de l'informatique par les usages (du type B2i), vue comme une impasse stérile. ... Monsieur Gove a véritablement insisté sur l'urgence de la mise en route d'un programme d'enseignement de l'informatique ambitieux pour répondre efficacement aux enjeux économiques du 21e siècle.
... Le Secrétaire d'état recommande de se débarrasser de l'attitude "les usages et rien que les usages", ce d'autant plus qu'il a été constaté que les enfants, aussi bien que les enseignants, trouvent l'apprentissage des applications véritablement ennuyeux. On sait depuis longtemps que des élèves de 11 ans sont capables de programmer (des choses simples, bien entendu) et qu'à l'âge de 18 ans ils peuvent être capables d'écrire, non seulement des programmes, mais aussi de concevoir des langages de programmation (fonctionnant, même si rudimentaires). » [40].
Et en Suisse (déjà évoquée) on note la sortie récente de Informatique@gymnase. Un projet pour la Suisse [41] qui explique les liens entre l'informatique, la formation aux médias et les applications des technologies de l'information et de la communication. Il présente également le concept, le contenu et les objectifs d'un cours d'informatique au gymnase ou au lycée. Cet ouvrage accompagne un retour de ce pays vers un enseignement de l'informatique dans le secondaire. Comme la France, il aura perdu deux décennies.
Un groupe de travail Informatics-Europe et ACM-Europe vient de rédiger un rapport commun sur l'enseignement de l'informatique dans le primaire et le secondaire : Informatics education: Europe cannot afford to miss the boat [42].
Parmi les membres du groupe de travail : Gérard Berry, Antoine Petit et Michèle Dreschler.
Ce rapport de 21 pages (en anglais) identifie les problèmes et propose des recommandations opérationnelles (schéma directeur) pour les décideurs politiques. Il établit une distinction claire entre la « culture numérique » (digital literacy) et la science informatique (computer science). Tous les citoyens devant être formés aux deux. On reconnaît là, la « complémentarité des approches » prônée par l'EPI depuis des décennies !
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Des voix de plus en plus nombreuses se font entendre dans ce sens. Les actions convergentes de l'EPI, de la Société Informatique de France et de plusieurs informaticiens éminents ont permis la création d'un enseignement de spécialité ISN à la rentrée 2012.
Après les découvertes en Physique au cours du 19e siècle, leurs bases scientifiques ont été rapidement enseignées dès l'enseignement secondaire. Pourquoi n'en est-il pas de même pour l'informatique omniprésente. Ce n'est plus acceptable au vu de l'importance grandissante des activités liées à l'informatique et des gisements considérables d'emplois qui y sont liés. Le terrain est actuellement occupé en grande partie par les USA et les pays asiatiques qui ont parfaitement identifié les enjeux et agissent – eux – en conséquence.
Si l'on veut que notre pays occupe une place d'excellence dans un domaine aussi important que l'informatique actuelle, il faut s'en donner les moyens dès les enseignements scolaires. Les cadres et techniciens compétents en informatique, dont notre pays a tant besoin, ne naissent pas par génération spontanée après le bac, les vocations s'enracinent en amont.
Les grandes réalisations « lourdes » de la France et de l'Europe (Ariane, TGV, Airbus...) reposent sur une formation solide de nos ingénieurs (qui ont fait de la Physique et des Mathématiques depuis leur plus jeune âge). Nous sommes beaucoup moins à l'aise dans les TIC et pour cause. Mais il n'y a pas que les ingénieurs à former, il y a les techniciens et toute une nébuleuse importante qui gravite autour des réalisations concrètes matérielles et logicielles.
Que faut-il faire ?
Il faut tout répondre aux attentes des élèves et de leurs familles tout en étant très attentif aux besoins du pays en informaticiens compétents et créatifs.
« Internet et les objets informatisés sont familiers aux enfants bien plus qu'aux adultes. Pour que, dans leur vie d'adulte, ils transforment cette familiarité en utilisation habile et créative plutôt qu'en consommation servile de ce qui se fait ailleurs, il faut qu'ils comprennent tôt les fondements et les formes de pensées nouvelles de l'informatique. Il est donc indispensable que son enseignement débute dès le plus jeune âge, en primaire et au collège. », Gérard Berry [43].
Comme on enseigne la physique ou la biologie, il faut mettre en place un enseignement de l'informatique structuré autour de quatre concepts fondamentaux, ceux d'algorithme, de langage, d'information et de machine. Les cours magistraux étant toujours complétés de travaux dirigés en salle machine. La formule fonctionne depuis longtemps dans le supérieur, il n'y a aucune raison pour qu'elle ne puisse s'appliquer au lycée si nous ne partons pas d'un a priori conduisant à la baisse des exigences pour tous. Nous préférons revendiquer comme Antoine Vitez un élitisme pour tous ! J'ajouterais que l'expérience de l'option informatique des années 80 et 90 a montré [44] que ce type d'enseignement de la seconde à la terminale, fait de cours magistraux, de travaux pratiques et de projets était tout a fait réalisable et parfaitement perçu par les élèves et les familles.
Cet enseignement aura des objectifs et des contenus différents selon les séries mais aucun ne doit confondre l'enseignement de la discipline (informatique « objet ») avec l'apprentissage des « outils ».
Il conviendra évidemment d'assurer la continuité et la progression école-collège-lycée-enseignement supérieur.
« L'enseignement d'informatique au collège a sa place dans le cours de technologie. La création d'une option informatique en quatrième ou en troisième serait bienvenue. Par ailleurs, des concepts de base de l'informatique se rencontrant partout, tous les enseignants étant amenés à enseigner des méthodes qui de fait sont des algorithmes ou programmes d'actions plus ou moins explicites, il est souhaitable qu'ils puissent le faire en s'appuyant sur une discipline scolaire existant en tant que telle. », Maurice Nivat [45].
Et dans un communiqué de février 2012, l'EPI demande :
« ... Qu'au collège, un enseignement de l'informatique soit assuré pour tous, par exemple selon une modalité où l'informatique représenterait de l'ordre de 40 % des contenus de la discipline Technologie. Une formation complémentaire en informatique devant être donnée aux enseignants de cette discipline. Qu'à l'école primaire, une initiation à l'informatique, science et technique, soit faite pour tous. Que pour les formations initiale et continue des enseignants, soient créés un Capes et une agrégation. » [46].
Former les enseignants, évidemment
On peut reprocher certaines choses aux enseignants, et beaucoup ne s'en privent pas, mais pas leur incompétence dans la discipline qu'ils enseignent. C'est leur compétence disciplinaire qui fonde leur légitimité. Ils assurent dans des conditions souvent difficiles la transmission des savoirs et savoir-faire. C'est, pour l'instant, ce qu'on a inventé de plus efficace.
On se demande pourquoi l'informatique et les TIC échapperaient à ce scénario. Pourquoi faut-il que des enseignants soient placés dans la situation impossible d'enseigner ce pour quoi ils n'ont pas été formés et que les élèves, sous certains aspects, pratiquent mieux qu'eux. Est-ce ainsi que l'on veut renforcer leur autorité dans un monde de plus en plus informatisé ?
La formation des enseignants est une impérieuse nécessité. L'EPI répète cela depuis sa création (au sein des premiers stages « lourds »). À terme, il est bien évident qu'une politique de formation du plus grand nombre à la science informatique devra s'accompagner d'une formation initiale et continue des enseignants entraînant la création de concours spécifiques, notamment Capes et agrégation.
« L'introduction sérieuse de l'informatique dans notre système éducatif, cela veut dire au minimum un CAPES et une agrégation d'informatique (raisonnons à organisation de l'Éducation nationale constante), et trois heures par semaine de vraie informatique (programmation, système d'exploitation, réseau) pour tout le monde à partir de la seconde », Laurent Bloch [47].
De plus en plus de déclarations vont dans ce sens, comme par exemple celle de Gilles Dowek et Jean-Pierre Archambault : « L'absence de véritables professeurs d'informatique est un lourd handicap pour notre pays... »
Et François Bourdoncle, fondateur d'Exalead, ajoute sur 01net à propos de la spécialité ISN enseignée par des physiciens, biologistes ou mathématiciens qu'il est difficile de ne pas penser que « l'inconscient collectif national considère l'informatique comme une technique ou une technologie, et non comme une science à part entière, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, par exemple, où l'on parle de Computer Science ».
Tout le monde a compris (même le ministre, semble-t-il, cf. note [3]) que la formation et la validation d'enseignants spécifiques est la condition impérative de la réussite d'un enseignement généralisé de l'informatique et que des choix politiques au plus haut niveau s'imposent.
Mais on ne franchit pas le pas. Le non-dit du MEN est depuis longtemps déjà : « l'informatique est certes importante pour le pays, l'École ne peut y échapper mais nous n'avons pas les moyens de l'enseigner car cela implique de nouveaux enseignants à former. » Donc, rebaptisons-la « numérique » et mobilisons les disciplines existantes. Les arguments « pédagogiques » sont faciles à trouver, on les trouve toujours en positif et en négatif. Sur le papier, ça marche. Las, sur le papier seulement sauf heureuses exceptions dont il faut évidemment se réjouir.
Conclusion
On pouvait entendre au cabinet du MEN, au début des années 90, que la France n'avait plus besoin d'informaticiens (et qu'il était donc légitime de supprimer l'option informatique des lycées !). On connaît la suite. Une vingtaine d'années sont passées, le contexte est encore plus informatisé et l'on manque d'informaticiens compétents. Chacun a des anecdotes plus ou moins cruelles à ce sujet. Cela ne doit plus se reproduire. L'enseignement de spécialité ISN en terminale S doit être un début pas une fin.
Malheureusement, on n'en prend guère le chemin. La décision d'étendre cet enseignement de spécialité en terminale, pour chacune des séries du baccalauréat général et technologique, s'est transformée en ouverture d'options (amendement n° 1296 à la loi d'orientation sur l'École, voir notes [3] et [48]). Quand on connaît le statut fragile des options et quand on a vécu, comme beaucoup d'entre nous, la double suppression de l'option informatique en 1992 et 1998 pour cause de manque d'enseignants qualifiés, il y a matière à s'inquiéter.
Le ministre est certainement mal conseillé. Il reste cependant un espoir qu'il entende nos arguments. Pour l'instant, le discours « politiquement correct » et le déploiement des matériels (avec l'argent de plus en plus rare des collectivités) se portent bien.
Malheureusement, ce déploiement à grands frais des matériels informatiques dans le système éducatif est loin d'obtenir les résultats que l'on pourrait attendre et l'on peut se demander si des investissements plus modestes mais mieux ciblés ne donneraient pas de meilleurs résultats. On peut se poser la question au moment où des restructurations budgétaires imposent des choix et des redéploiements. On peut précisément se demander si des redéploiements disciplinaires ne seraient pas nécessaires en ce début de 21e siècle. Voilà les questions iconoclastes posées !
J'affirme que le traitement réservé par le MEN à l'informatique depuis de longues années, même si l'on note quelques avancées récentes, est loin d'être à la hauteur des défis que le pays doit relever sous peine de décadence intellectuelle et économique dans l'immense domaine des TIC. La France, qui ne représente que 1 % de la population mondiale, se doit de mettre la barre haute en matière d'éducation et de formation.
Quitte à me répéter, l'approche exclusive par les différentes disciplines fonctionne très mal, quand elle n'est pas simplement une fiction. Or c'est au collège puis au lycée que se forge une compréhension des notions fondamentales et c'est là où naissent les vocations dans l'ambiance d'enseignements structurés et progressifs délivrés par des enseignants compétents.
Hors d'un noyau militant actif qu'on peut estimer à 20 % des enseignants, et qui sert de vitrine à un magasin mal achalandé, il ne se passe pas grand chose dans l'enseignement général. Et cela depuis des années. On peut légitimement se demander si la politique menée par le MEN est la bonne. Car pendant se temps, la France creuse son écart dans le domaine informatique avec les pays étrangers.
Soyons clair.
L'informatique dans l'enseignement ce devrait être à la fois : un outil pédagogique auquel l'enseignant recourt dans l'exercice de son métier et dont les nombreuses facettes constituent des apports significatifs pour améliorer la qualité de l'enseignement ; un instrument de travail personnel et collectif des enseignants et des élèves ; un facteur d'évolution des disciplines enseignées, de leurs objets et méthodes, de leur « essence » ; enfin, un objet d'enseignement, élément de la culture générale scolaire car composante de la culture générale de l'« honnête homme » du XXIe siècle. Ces statuts complémentaires se renforçant mutuellement.
L'EPI n'a cessé depuis des décennies de promouvoir les différentes approches, comme en témoigne l'ensemble de ses publications. Le fait que le MEN persiste dans l'erreur consistant à ne pas intégrer un enseignement de l'informatique dans la culture générale scientifique a conduit l'association, depuis quelques années, à concentrer ses actions sur la promotion d'un tel enseignement.
Dans une interview au Monde (16 avril 2009) Gérard Berry déclarait : « on a fait le choix d'enseigner les usages. C'est très insuffisant. »
Et que l'on ne nous dise pas que l'enseignement général n'a pas vocation à former à des professions. La grande majorité de nos cadres sont issus de cet enseignement. Sauf qu'ils n'y ont pas rencontré l'informatique ! Par contre, c'est là qu'ils ont acquis une certaine culture de base dans les différentes disciplines et qu'ils ont pu ainsi décider en connaissance de cause de leur avenir professionnel.
Je laisserais l'avant-dernier mot à Étienne Klein : « Il nous faut donc bien admettre que nous de vivons pas vraiment dans une "société de la connaissance", comme on se plait à le répéter, mais plutôt dans une société de l'usage de technologies : nous utilisons avec aisance les appareils issus des nouvelles technologies mais sans presque rien savoir des principes scientifiques dont ils découlent. (...) Par leur facilité d'usage, les nouvelles technologies sont devenues les produits à la fois dérivés et masquants de la science. On peut même se demander si ce ne serait pas notre besoin compulsif de produits innovants qui viendrait sournoisement ronger notre appétit de savoir, par un effet quasi mécanique : plutôt que de prêter attention aux savoirs fondamentaux et aux percées décisives de la recherche, nous préférerions consommer leurs innombrables retombées prosaïques. Quoi qu'il en soit, cette évolution n'est pas sans incidence politique. Il est en effet difficile de nier qu'une certaine inculture scientifique est devenue intellectuellement et socialement dangereuse. », É. Klein [49].
L'inculture informatique est un des volets de l'inculture scientifique dont souffrent paradoxalement les pays dits développés. Elle est préoccupante d'autant qu'elle concerne trop de dirigeants et responsables, issus majoritairement de l'enseignement général, mal préparés à prendre conscience des enjeux. Et quand il s'agit des responsables du système éducatif, définir une politique volontariste d'envergure visant à une acculturation informatique du plus grand nombre ne va pas de soi. C'est peut-être par la formation informatique des « responsables » qu'il faudrait commencer...
Avril 2013
Jacques Baudé
jacquesbaude@free.fr
Références bibliographiques
[1] « Pour une culture générale intégrant l'Informatique », Jacques Baudé (Asti-2003). http://www.epi.asso.fr/revue/editic/jb-asti.htm
[2] « Le mythe de l'inutilité d'une discipline informatique dans l'enseignement général » Contribution de J.-P. Archambault au livre collectif de forum ATENA, Mythes et légendes des TIC, sous la direction de Gérard Peliks, diffusé sur le Web sous licence Creative Commons.
http://www.forumatena.org/?q=livres#TelechargLivresBlancs
EpiNet n° 133, mars 2011 : http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1103d.htm
[3] « Histoire d'un amendement retiré », éditorial d'EpiNet n° 153, mars 2013.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1303a.htm
[4] « Peut-on définir un ensemble minimal de connaissances et de compétences en informatique permettant une utilisation rationnelle de l'ordinateur ? », Jean-Michel Bérard in G.-L. Baron, J. Baudé (éds), L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants, INRP-EPI, 1992.
http://www.epi.asso.fr/revue/dossiers/d12p215.htm
[5] « Qui a peur du numérique ? », Philippe Baptiste, Gérard Berry, Pierre Haren (juillet 2012).
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/24/qui-a-peur-du-numerique_1737228_3232.html
[6] « Quelle formation intellectuelle pour la troisième révolution industrielle ? », Laurent Bloch (février 2012).
http://www.laurentbloch.org/fr/spip.php?article217#inter3
[7] « La pensée informatique » par Jeannette Wing.
http://interstices.info/jcms/c_43267/la-pensee-informatique
[8] « Enseigner l'Informatique à l'école : un enjeu majeur, ne tardons plus ! », Roberto Di Cosmo, EpiNet de mars 2009.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0904c.htm
[9] « Exercice de la citoyenneté et culture informatique » Jean-Pierre Archambault, EpiNet de décembre 2011.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1112d.htm
[10] « Objet car outil » Jean-Pierre Archambault, EpiNet de novembre 2011. http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1111f.htm
[11] « Pour une histoire de l'informatique dans l'enseignement français », Émilien Pélisset, dans Système éducatif et révolution informatique, Collection Recherches, Les cahiers de la FEN, 1985.
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h85ep.htm
« Points de repère dans une histoire de 40 an. L'EPI 1971-2011 », Jacques Baudé, EpiNet de février 2011.
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h11epi_jb.htm
[12] « L'option informatique des lycées dans les années 80 et 90 (Première partie : La naissance d'une option) » Jacques Baudé, EpiNet d'octobre 2010.
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb1.htm
[13] « Enseigner l'informatique », Maurice Nivat, Bulletin SPECIF n° 60, décembre 2008.
http://www.societe-informatique-de-france.fr/bulletins/specif060.pdf
[14] « Le débat : demain, tous codeurs ? », sur RSLN (Regards sur le numérique).
Nous avons lu en décembre 2012 : http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1205d.htm
http://www.rslnmag.fr/post/2012/04/25/Le-debat-demain-tous-codeurs-.aspx
[15] « Les quatre concepts de l'informatique », Gilles Dowek, EpiNet d'avril 2012.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1204g.htm
[16] « Et si la voie suivie n'était pas la bonne ? », Jacques Baudé, EpiNet de mai 2007.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0705a.htm
[17] « Les logiciels libres et l'enseignement de l'informatique au lycée » Jean-Pierre Archambault, Jacques Baudé, EpiNet d'octobre 2012.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1210c.htm
[18] « Quels savoir-faire faut-il cultiver pour des candidats aux métiers de l'informatique ? », Bernard Morand, Groupe de recherche en informatique, image, automatique et instrumentation de Caen (GREYC), Université de Caen, dans Informatique et progiciels en éducation et en formation, sous la direction de Georges-Louis Baron, Éric Bruillard et Luc-Olivier Pochon, 2009, coédition ENS de Cachan, IRDP et INRP.
Epinet n° 125, mai 2010 : http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1005e.htm
[19] « Passe ton code d'abord ! », reportage de Yves Gerber.
http://www.nouvo.ch/2012/04/passe-ton-code-dabord
[20] « L'apprentissage de l'algorithmique pour tous » Loïc Février, Mathias Hiron, Arthur Charguéraud (France-IOI), EpiNet d'avril 2012.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1204e.htm
[21] « Inutile d'enseigner l'informatique au lycée ! », Pascal Guitton, Thierry Viéville.
http://interstices.info/jcms/c_39304/inutile-denseigner-linformatique-au-lycee
[22] « Bilan des expérimentations pédagogiques menées en 2009-2010 », Robert Cabane.
http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2011/08r-cabane/sticef_2011_cabane_08r.htm
[23] « Quand se décidera-t-on à enseigner l'informatique à nos enfants ? », Maurice Nivat, EpiNet de mai 2008.
http://www.rue89.com/2008/05/03/quand-se-decidera-t-on-a-enseigner-l-informatique-a-nos-enfants
[24] « Vers l'enseignement d'une discipline "Informatique et sciences du numérique" dans les programmes du lycée... Et au-delà ! », David Fayon, EpiNet de janvier 2010.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1001c.htm
[25] « Quelle informatique enseigner au lycée ? », Gilles Dowek, Bulletin de l'APMEP n° 480, février 2011.
http://www.apmep.asso.fr/Quelle-informatique-enseigner-au
[26] « L'option informatique des lycées dans les années 80 et 90 » (en 3 parties), Jacques Baudé, EpiNet oct.-nov. 2010.
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb1.htm
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb2.htm
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb3.htm
[27] « Qui a peur du numérique ? », Philippe Baptiste, Gérard Berry, Pierre Haren (juillet 2012).
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/24/qui-a-peur-du-numerique_1737228_3232.html
[28] « Quand enseigner informatique et Système d'information ? », Laurent Bloch (2 décembre 2012).
http://www.laurentbloch.org/spip.php?article252
[29] « La dette et l'informatique », Maurice Nivat, EpiNet de janvier 2012.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1201e.htm
[30] « Quand se décidera-t-on à enseigner l'informatique à nos enfants ? », Maurice Nivat (mai 2008).
http://www.rue89.com/2008/05/03/quand-se-decidera-t-on-a-enseigner-l-informatique-a-nos-enfants
[31] « L'informatique est une science bien trop sérieuse pour être laissée aux informaticiens », Serge Abiteboul, Colin de La Higuera et Gilles Dowek (Le Monde, juin 2012).
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/06/22/l-informatique-est-une-science-bien-trop-serieuse-pour-etre-laissee-aux-informaticiens_1722939_3232.html?xtmc=science_trop_serieuse&xtcr=1
[32] « Les logiciels libres et l'enseignement de l'informatique au lycée », Jean-Pierre Archambault, Jacques Baudé, EpiNet n° 48, octobre 2012.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1210c.htm
[33] « Élargir l'enseignement de l'informatique : un enjeu national », Pierre Corvol, Michel Cosnard (2009).
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/11/12/elargir-l-enseignement-de-l-informatique-un-enjeu-national-par-pierre-corvol-et-michel-cosnard_1266160_3232.html
[34] « L'informatique, une discipline à part entière ! », Thierry Viéville, EpiNet de septembre 2008.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0809d.htm
[35] « Contre l'illettrisme numérique en entreprise », Louis Becq, EpiNet de janvier 2013.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1301e.htm
[36] « Les logiciels libres et l'enseignement de l'informatique au lycée », Jean-Pierre Archambault, Jacques Baudé, EpiNet d'octobre 2012.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1210c.htm
[37] « Pour une évolution du système éducatif à l'aube du XXIe siècle », Déclaration de l'Assemblée générale de l'EPI réunie à Paris le 19 novembre 1994, la Revue de l'EPI n° 76.
http://www.epi.asso.fr/revue/76/b76p003.htm
[38] « La dette et l'informatique », Maurice Nivat (voir note [29] ci-dessus).
[39] « L'informatique, partie intégrante de la culture générale de l'homme moderne ? », Laurent Bardy, EpiNet de février 2010.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1002g.htm
[40] « Michael Gove speech at the BETT Show 2012 »
http://www.education.gov.uk/inthenews/speeches/a00201868/michael-gove-speech-at-the-bett-show-2012
Traduction commentée par Jacques Souillot, « Les Britanniques pour un enseignement de la science informatique dès l'école ! ».
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1202f.htm
[41] Informatique@gymnase. Un projet pour la Suisse, Jürg Kohlas, Jürg Schmid, Carl A. Zehnder (éds), 2013, éditions Neue Zürcher Zeitung.
http://www.fit-in-it.ch/sites/default/files/small_box/Kohlas_informatik%40gymnasium_flyer_F.pdf
Nous avons lu en avril 2013 : http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1304f.htm
[42] Informatics education: Europe cannot afford to miss the boat, rapport d'un groupe de travail Informatics-Europe et ACM-Europe, publié en avril 2013.
http://informatics-europe.org/services/reports.html
Présentation de l'EPI : « L'Europe ne peut se permettre de louper le coche », EpiNet n° 154, avril 2013.
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1304a.htm
[43] « L'informatique, cela s'apprend ! », Gérard Berry (novembre 2012).
http://www.lesechos.fr/opinions/chroniques/0202389538819-l-informatique-cela-s-apprend-511989.php
[44] « Quels enseignements retenir de l'ex-option informatique des lycées ? », Jacques Baudé, la Revue de l'EPI n° 81, mars 1996.
http://www.epi.asso.fr/revue/81/b81p143.htm
[45] « L'informatique au collège », Maurice Nivat, EpiNet n° 138, octobre 2011.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1110d.htm
[46] Communiqué de l'association EPI du 8 février 2012, EpiNet n° 142.
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1202b.htm
[47] « Quelle formation intellectuelle pour la troisième révolution industrielle ? », Laurent Bloch (février 2012).
http://www.laurentbloch.org/fr/spip.php?article217#inter3
[48] Amendement n° 1296 présenté par le Gouvernement.
http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1303n.htm#1296
[49] Partager la science. L'illettrisme scientifique en question, ouvrage collectif, ACTES SUD/IHEST, 2013, page 102.
Nous avons lu en avril 2013 : http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1304c.htm
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