Un enseignement de la discipline informatique en Terminale scientifique Jean-Pierre Archambault Résumé Mots-clés : enseignement ; informatique ; TIC ; culture ; science ; lycée ; EPI. Introduction On entend souvent dire que, l'informatique irriguant la vie quotidienne de tout un chacun, les nouvelles générations, qui baignent dans internet depuis leur plus jeune âge, n'auraient pas besoin d'une formation spécifique de nature scientifique et technique. Leurs utilisations d'internet, dans et hors l'école, suffiraient. Qu'en est-il exactement ? Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Cédric Fluckiger a réalisé une étude dans un collège de la région parisienne [1]. Lucas, élève de troisième, pense qu'il est nécessaire d'avoir plusieurs abonnements à internet pour accéder à toutes les pages, car les moteurs de recherche proposés sur les différents portails n'indiquent pas la même liste de sites : « Wanadoo ils ont pas les mêmes pages. Si je cherche quelque chose, j'aurai pas les mêmes choses dans Wanadoo et dans quelque part d'autre (...) Ca change tout, c'est pour ça qu'on en a pris trois différents. » Cet exemple d'utilisation approximative, qui n'est pas unique loin s'en faut, traduit manifestement une représentation mentale erronée de l'environnement numérique dans lequel le collégien évolue. Des pratiques spontanées et sans recul ne suffisent pas à devenir un utilisateur averti. Une bonne appropriation de notions scientifiques fondamentales est indispensable car elle conditionne une utilisation rationnelle de l'outil conceptuel qu'est l'ordinateur et la résolution des problèmes rencontrés au fil du temps présent et à venir dans la société et l'économie numériques. Il faut relativiser fortement les compétences acquises hors de l'École, qui restent limitées aux usages quotidiens. Elles sont difficilement transférables dans un contexte scolaire plus exigeant. Les pratiques ne donnent lieu qu'à une très faible verbalisation. Les usages reposent sur des savoir-faire limités, peu explicitables et laissant peu de place à une conceptualisation. Il ne faut pas confondre « consommation » et « création » d'informatique, utilisation « intelligente » des outils. Les pratiques seules ne suffisent pas à maîtriser un outil et à donner une culture scientifique. Autre chose est, pour l'enseignant, de s'appuyer sur les expériences et l'environnement de ses élèves pour aller au-delà. En France, un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique » a été créé pour la rentrée 2012 en Terminale scientifique. Il s'agit là d'une avancée importante et significative : le chemin a été long, chaotique, depuis la suppression à la rentrée 1992 de l'option informatique des lycées d'enseignement général, suivie de son rétablissement à la rentrée 1995 puis, à nouveau, de sa suppression à la rentrée 1998 [2]. Chacun sait que mettre en place une nouvelle discipline scolaire ne va jamais de soi. Les résistances sont nombreuses. Le nouveau émerge toujours dans une certaine douleur : c'était déjà vrai du temps de Confucius ! [3] L'année scolaire 2010-2011 a d'ores et déjà vu l'élaboration du programme pour les élèves, de premières formations des professeurs qui enseigneront cette spécialité, l'édition d'un manuel à leur intention, la préparation d'une plate-forme pédagogique qui sera disponible à la rentrée 2011, l'organisation d'un séminaire national des responsables institutionnels et la création d'une Inspection générale d'informatique. Avant de présenter toutes ces initiatives, nous reviendrons sur le contexte général de ces dernières années qui a, en définitive et non sans mal, présidé à la mise en place de cet enseignement de la discipline informatique. Deux conceptions pédagogiques La création de l'option en Terminale S constitue un véritable changement de paradigme pédagogique. Quel est en effet le bilan des 15 dernières années ? Le B2i, brevet mis en place en 2001 qui incarne une approche « par les usages » est un échec. Ce résultat était d'ailleurs prévisible. En effet, un tel dispositif suppose implicitement un apport de connaissances mais ne dit pas où les trouver, dans quelles disciplines. Il n'est déjà pas évident d'organiser des apprentissages progressifs sur la durée lorsque les compétences recherchées sont formulées de manière très générale (du type « maîtriser les fonctions de base » ou « effectuer une recherche simple »), éventuellement répétitives à l'identique d'un cycle à l'autre, et que les contenus scientifiques, savoirs et savoir-faire précis permettant de les acquérir, ne sont pas explicités. Mais, quand, en plus, cela doit se faire par des contributions multiples et partielles des disciplines, à partir de leurs points de vue, sans le fil conducteur de la cohérence didactique des outils et notions informatiques, par des enseignants insuffisamment formés, on imagine aisément le caractère ardu de la tâche au plan de l'organisation concrète. Le programme « Informatique et Sciences du numérique » de Terminale S Durant l'année scolaire 2010-2011, un comité d'experts a élaboré une proposition de programme et a donné lieu à une consultation des enseignants [4]. Ce programme est construit autour des notions fondamentales (représentation de l'information, algorithme, langage et architecture) qui constituent les grands domaines de la science informatique. Il explicite des savoirs et des capacités qui leur correspondent. Il comporte des observations. Représentation de l'information : représentation binaire, opérations booléennes, numérisation, compression, structuration et organisation de l'information. Algorithmique : des algorithmes simples (rechercher un élément dans un tableau trié par une méthode dichotomique) et plus avancés (recherche d'un chemin dans un graphe par un parcours en profondeur) seront présentés. Langages de programmation : types de données, fonctions, correction d'un programme, langages de description (présentation du langage HTML). Architectures matérielles : Initiation à la robotique. La discipline informatique a ses spécificités pédagogiques et didactiques. Afin de le refléter et de développer l'appétence des élèves en faveur de cet enseignement nouveau pour eux, il convient de les mettre en situation d'activité aussi souvent que possible. L'enseignement scolaire général n'a pas pour objectif de former des spécialistes mais, entre autres, d'installer les connaissances qui permettront leur formation ultérieure en leur donnant la culture générale de leur époque dont une des composantes est l'informatique. Et une culture en informatique, comme une culture scientifique en général, c'est aussi pour mieux comprendre le monde dans lequel on vit, permettre l'épanouissement d'un individu plus complet, maître de ses choix... C'est-à-dire former l'homme, le travailleur et le citoyen, qui sont les missions traditionnelles et résolument modernes de l'École. La formation des enseignants de la spécialité « Informatique et Sciences du numérique » Des stages de formation d'enseignants de la spécialité ont été organisés dans deux régions académiques. En 2011-2012, il y en aura dans toutes les académies. Le Ministère de l'Éducation nationale a fait le choix d'une certification complémentaire avec une double évaluation, universitaire et pédagogique, par des jurys académiques. Une telle certification s'inscrira dans un cadrage national, les directives ministérielles étant de nature à consolider la dynamique enclenchée, définissant les contenus de la discipline informatique que doivent s'approprier les élèves, les contenus scientifiques universitaires que les professeurs doivent maîtriser, les modalités pédagogiques et la didactique correspondant à l'enseignement de l'informatique au lycée. Un programme national de formation a été établi [5]. La formation de l'ensemble des enseignants La formation des enseignants de la spécialité « Informatique et Sciences du numérique » leur est spécifique. Elle ne concerne d'évidence pas tous les enseignants qui, cependant, ont besoin de formations diversifiées. Il n'est pas inutile de préciser les choses tant l'expérience montre que les problématiques éducatives de l'informatique et des TIC ne sont pas exemptes d'une confusion certaine, loin s'en faut et d'une manière durable. Confusion à la base de ces fausses « bonnes idées » comme le B2i qui évacuent les savoirs et les connaissances (que les programmes doivent explicitement nommer) au profit de compétences vagues et improbables. Les quelques rappels qui suivent permettent d'apprécier à sa juste valeur le « changement de paradigme » déjà cité et l'avancée qu'il constitue. Dans son rapport remis à la Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche en 2009, le groupe mathématiques-informatique du SNRI (Stratégie Nationale Recherche et Innovation) faisait le constat d'un « niveau non optimal en informatique des ingénieurs et chercheurs non informaticiens » [6]. La situation est analogue pour les enseignants dans leur ensemble, qui ne sont pas des spécialistes de l'informatique mais en sont des utilisateurs dans le cadre de l'exercice de leur métier : outil pédagogique, évolution de leur discipline dans ses objets et ses méthodes de par l'informatique, outil de travail personnel et collectif (voir ci-après). On est donc face à un problème de formation initiale et continue des enseignants. Tout cela n'est pas nouveau. L'avancée chaotique de la discipline scolaire informatique s'accompagne donc en permanence d'un flou artistique sur les bonnes raisons d'avoir des ordinateurs à l'École. Il n'est ainsi pas inutile de préciser que se prononcer pour l'enseignement de l'Informatique et des Sciences du numérique ne signifie aucunement les évacuer des autres disciplines : une précaution qui relève de l'évidence mais qu'il faut prendre tant il peut arriver que les débats sur l'informatique soient empreints d'une « approximation » dommageable concernant ses statuts éducatifs, divers et distincts. Outil pédagogique, l'ordinateur enrichit la panoplie des outils de l'enseignant. Il se prête à la création de situations de communication « réelles » ayant du sens, notamment pour des élèves en difficulté. Il constitue un outil pour la motivation. Il favorise l'activité, l'initiative, la créativité, etc. L'informatique s'immisce dans les objets, les méthodes et les outils des savoirs constitués, transformant leur « essence », et leur enseignement doit en tenir compte. C'est particulièrement vrai pour les enseignements techniques et professionnels. Et pour les mathématiques, notamment de par l'impact des outils de calcul (dans le cadre de la pérenne et intrinsèque dialectique démonstration/calcul), les sciences expérimentales avec l'EXAO et la simulation, la géographie avec les SIG... Mais, peu ou prou, toutes les disciplines sont concernées. L'ordinateur est également outil de travail personnel et collectif des enseignants, des élèves et de la communauté éducative, notamment dans le cadre des ENT. Il existe une complémentarité entre l'outil pour enseigner et l'objet d'enseignement qui se renforcent mutuellement. Cette confusion sur les statuts éducatifs de l'informatique a pour corollaire – sous-tend – une confusion sur les formations à l'informatique et aux TIC de l'ensemble des enseignants qui sont nécessairement diverses elles aussi. Il faut donc distinguer les publics suivants :
Pour tous, un enseignement de l'informatique, au lycée et au collège, donnant les fondamentaux de culture générale, serait le bienvenu et ferait gagner du temps ultérieurement. Les problématiques de la formation des élèves rejoignent ici celles des (futurs) enseignants. Un manuel « Introduction à la science informatique » Un manuel, Introduction à la science informatique, dirigé par Gilles Dowek, directeur de recherches à l'INRIA, édité par le CRDP de Paris, pour la formation des professeurs de l'enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique », est paru en juillet 2011, sous licence Creative Commons (paternité, pas d'utilisation commerciale, pas de modification). Gérard Berry en a écrit la préface. Il y a 17 auteurs. Le livre comporte une introduction et 7 chapitres : Représentation numérique de l'information ; Langages et programmation ; Algorithmique ; Architecture ; Réseaux ; Structuration et contrôle de l'information ; Bases de données relationnelles et Web [7]. Il est prévu qu'un plate-forme Web soit mise en place pour les enseignants, avec des retours pédagogiques écrits par des chercheurs, un entrepôt de documents pédagogiques rédigés par des enseignants et un forum permettant de poser des questions aux chercheurs. Rappelons par ailleurs la rubrique « Enseignement de l'Informatique et des Technologies de l'Information et de la Communication » du site de l'EPI, régulièrement mise à jour et enrichie [8]. Un séminaire national Du 14 au 17 mars 2011, la Direction générale de l'enseignement scolaire et l'Inspection générale de l'Éducation nationale a organisé un séminaire national de formation de formateurs, pour accompagner la mise en oeuvre du nouvel enseignement de spécialité en terminale S « Informatique et sciences du numérique » [9]. Son programme a été élaboré avec l'INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique). L'École normale supérieure de Lyon a accueilli les participants, une quarantaine d'inspecteurs d'académie – inspecteurs pédagogiques régionaux et chargés de mission. Ils seront responsables de la création d'un réseau de personnes relais dans les académies pour organiser la formation des enseignants et la mise en place de l'enseignement. Les futurs enseignants de cette discipline pourront être choisis parmi ceux de Mathématiques, de Sciences physiques ou de Sciences et Technologies Industrielles. Le programme du séminaire était articulé autour des quatre concepts qui structurent la science informatique : information numérique ; langage ; algorithme ; machine. Last but not least, signalons la création d'une Inspection générale d'informatique. En attendant la création d'un CAPES et d'une agrégation... Conclusion Une discipline informatique a donc été (re)créée. Une évidente bonne chose qui a donné lieu à de vifs débats. Les enseignements de la période qui vient de s'écouler ont été tirés, à savoir que le choix fait de la formation au numérique et à l'informatique par la simple utilisation des outils ne suffit pas, loin de là, et ne permet pas de répondre aux enjeux et défis de notre époque. La culture générale scolaire, les matières enseignées évoluent au fil du temps au rythme des « ardentes » obligations que lui imposent les transformations de la société. Ainsi les sciences physiques sont-elles devenues matière scolaire parce qu'elles sous-tendaient les réalisations de la société industrielle. Or, aujourd'hui, l'informatique est partout et le monde devient numérique : la conclusion coulait de source. L'informatique et les sciences du numérique sont au coeur des trois missions de l'École (former l'homme, le travailleur et le citoyen). Les ordinateurs et les réseaux font partie du paysage quotidien de chacun d'entre nous qui doit en être un utilisateur averti. Il y a des tensions sur le marché de l'emploi de l'informatique et des TIC, en développement incessant,. L'enjeu est grand pour le pays en matière de compétences professionnelles et de qualifications, pour les informaticiens mais aussi pour l'ensemble des travailleurs. Lors des débats de société concernant le nucléaire ou les OGM, les citoyens peuvent se référer à leurs connaissances acquises au cours de leur scolarité en sciences physiques et en SVT. Mais lorsqu'il s'agit de la transposition de la directive européenne DADVSI, de la loi Hadopi ou de la neutralité du Net ? Une discipline scientifique et technique informatique est une condition nécessaire de l'exercice de la citoyenneté. Les futurs scientifiques et ingénieurs ne sont donc pas les seuls concernés. Or l'on sait l'importance de la précocité des apprentissages. La question est posée d'un enseignement pour tous au lycée (espace et moment où les élèves construisent leur autonomie intellectuelle et où naissent les vocations), au collège dans le cadre du cours de technologie et dans l'enseignement primaire selon des modalités spécifiques de découverte et d'initiation. La création de l'enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique » en Terminale S est une avancée, un premier pas dans le bon sens qui sera suivi d'autres, à n'en point douter. Jean-Pierre Archambault Contribution au colloque Didapro4-Dida&Stic qui c'est tenu en Grèce à l'Université de Patras, les 24, 25 et 26 octobre 2011. Bibliographie [1] Cédric Fluckiger (2007). L'appropriation des tic par les collégiens dans les sphères familières et scolaires, Thèse présentée et soutenue à Cachan le 29 octobre 2007, Laboratoire : UMR Sciences Techniques Education Formation (ENS Cachan/INRP). Cédric Fluckiger (mars 2009). « Internet et ses pratiques juvéniles », Édric Fluckiger, Médialog n° 69. [2] Jean-Pierre Archambault (2010). « L'informatique discipline scolaire. Un long cheminement », Symposium de Corinthe sur l'enseignement de l'informatique et les perspectives dans la Francophonie, préparatoire à Didapro4, Epinet n° 128, oct. 2010. Jacques Baudé (2011). « L'option informatique des lycées dans les années 80 et 90. Troisième partie : Suppression, rétablissement et nouvelle suppression de l'option. Une politique en dents de scie », Epinet n° 139, nov. 2011. [3] « Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi ceux qui voulaient faire la même chose, ceux qui voulaient faire le contraire et l'immense majorité de ceux qui ne voulaient rien faire. » Les Entretiens (Lùn Yǔ) de Confucius, in Philosophes confucianistes, Paris : Gallimard, 2009, coll. Bibliothèque de la Pléiade, n° 557. [4] En 2008, suite à une commande du Cabinet du Ministre de l'Éducation nationale, l'EPI et le groupe ITIC-EPI-'ASTI avaient élaboré un document décrivant les grandes lignes des contenus de la discipline informatique au lycée. Projet de programme de la classe terminale de la voie générale « Informatique et sciences du numérique » série scientifique (S), 14 mars 2011. « Consultation sur le projet de programme ISN de terminale scientifique », Communiqué EPI du 19 mars 2011, Epinet n° 134, avril 2011. [5] Groupes ITIC de l'ASTI et de l'EPI, (2010). « Proposition de programme de formation pour les enseignants chargés de la spécialité « Informatique et sciences du numérique » en terminale S », Epinet n° 125, mai 2010. Proposition de référentiel de formation des enseignants en Informatique et Sciences du Numérique, par un Groupe d'experts, 13 avril 2011 [6] Stratégie Nationale de Recherche et d'Innovation (SNRI) [7] EPI, Jean-Pierre Archambault (2011). « Un manuel pour la formation des professeurs d'informatique », éditorial d'Epinet n° 136, juin 2011. aKa, Gilles Dowek et Jean-Pierre Archambault (2011). « Sortie du manuel Introduction à la science informatique », Epinet n° 138, oct. 2011. [8] ITIC : « Enseignement de l'Informatique et des Technologies de l'Information et de la Communication ». La rubrique du groupe « Enseignement de l'Informatique et des TIC » de l'EPI [9] « Informatique et sciences du numérique : séminaire national », Plan national de formation. ___________________ |
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