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Enseignement de l'informatique :
des avancées mais dans le contexte de
la discutable et discutée réforme du lycée

Jean-Pierre Archambault
 

Cet article paraît dans le numéro d'EpiNet d'avril 2020. Le confinement n'est pas terminé. Les questions abordées dans le texte ont déjà évolué pour l'année scolaire en cours. Ainsi les épreuves écrites d'admissibilité du Capes NSI n'ont-elles pas eu lieu aux dates prévues. La deuxième session des E3C n'aura pas lieu. L'ensemble des épreuves du bac 2020 sera validé par les notes obtenues pendant les trois trimestres de Terminale, à l'exception des notes obtenues pendant la période de confinement. Mais, sur le fond, les questions abordées demeurent posées pour l'année scolaire 2020-2021. Concernant « la continuité pédagogique au temps du confinement », temps ô combien difficile, on pourra se reporter à l'éditorial de ce numéro d'avril d'EpiNet.

   2019 a vu des créations d'enseignements de l'informatique plus que bienvenues. Créations de l'enseignement de spécialité NSI (Numérique et sciences informatiques) en Première (en Terminale à la rentrée 2020) et de SNT (Sciences numériques et technologie) pour tous les élèves de Seconde à la rentrée de septembre. Création d'un Capes informatique, dénommé NSI, dont la première session aura lieu en 2020. Incontestablement, cette année 2019 aura vu, après la création en 2012 d'ISN (Informatique et sciences du numérique) en Terminale S, une importante nouvelle étape dans la reconnaissance de l'informatique en tant que discipline scolaire de culture générale pour tous les élèves.

   Il s'agit d'avancées significatives, et dont la nécessité a un caractère d'évidence dans une société où l'informatique et le numérique sont omniprésents. L'EPI a contribué à ces avancées par ses actions depuis des décennies, avec d'autres associations et personnalités. Les actions menées pendant des décennies ont donc porté leurs fruits. Rappelons qu'il y avait eu les suppressions de l'option informatique des lycées d'enseignement général dans les années 90 suivies d'un long « désert explicatif » avec le B2i. Et, en 2007, l'action avait été relancée avec l'entrevue de l'EPI à l'Élysée.

   Mais ces nouveaux enseignements s'inscrivent dans le cadre de la discutable et discutée réforme du lycée, de sa philosophie générale et des modalités et conditions de sa mise en oeuvre. Réforme qui suscite des interrogations et des actions nombreuses de la communauté éducative dans son ensemble. Parmi les griefs figurent « un financement des options menacé par une dotation insuffisante », « des choix de spécialités genrées jusqu'à la caricature », « la réduction des spécialités en Terminale », la disparition du groupe classe, « la notion de classe pouvant être vue comme un outil de "sécurisation" pour les élèves les plus fragiles, en prenant l'exemple de la voie technologique ». En conclusion, « les réformes impulsées appauvrissent l'offre éducative ». Ce que dénoncent les syndicats qui alertent le ministère depuis plusieurs mois. On pourra se référer aux éditoriaux de l'EPI de la dernière période.

   Quelques nouvelles illustrations de la situation. Notamment une note de l'Inspection générale de l'Éducation, du Sport et de la Recherche qui est venue confirmer le bien-fondé des nombreuses critiques de la réforme du lycée que formulent sans cesse depuis des mois les différents acteurs de l'éducation.

Le Capes NSI

   Isabelle Guérin-Lassous, présidente du jury du Capes NSI, est intervenue au congrès de la SIF [1]. L'on sait que la création de ce Capes a elle aussi constitué un changement qualitatif dans le long cheminement vers une nécessaire pleine reconnaissance de l'informatique comme composante de la culture générale scolaire de tous les élèves.

   Dans son intervention, Isabelle Guérin-Lassous a exposé clairement l'essentiel du contenu d'un site dédié (très complet) [2]. On trouve sur ce site les programmes de la spécialité NSI, ainsi que des documents ressources (également des documents ressources pour SNT). Dans la page Ressources figure un document présentant les différentes épreuves plus en détail, ainsi que les recommandations du jury et un sujet 0 concernant l'épreuve 2 d'admissibilité. La page Manuels et environnement détaille la liste des logiciels disponibles, ainsi que les manuels numériques et documents proposés lors de l'oral.

   Les épreuves écrites d'admissibilité devaient avoir lieu les 24 et 25 mars 2020. Et les oraux devaient se dérouler du 27 juin au 03 juillet 2020, à l'Université Claude Bernard, Lyon 1. Les nouvelles dates ne sont pas encore connues. 2 003 candidats se sont inscrits. Avec un taux d' « évaporation » estimé à 40%, cela fera quand même de l'ordre de 1 200 copies ! Le nombre de postes ouverts aux concours est le suivant :
Capes externe NSI
- 30 postes (public)
- 10 postes (privé) (le Cafep)
3e concours du Capes NSI
- 7 postes (public)
- 7 postes (privé)

   Soit pour l'enseignement public 37 postes et 17 postes pour l'enseignement privé. Le 3 décembre 2019, dans un communiqué « À propos du Capes "Numérique et Sciences Informatiques" (NSI) » [3], l'EPI indiquait : « Avec la création d'un Capes informatique, dénommé NSI, dont la première session aura lieu en 2020, cette année 2019 aura vu une importante nouvelle étape dans la reconnaissance de l'informatique en tant que discipline scolaire de culture générale... Malheureusement le compte n'y est pas... Bien peu de postes pour une science omniprésente au XXIe siècle et un déséquilibre public-privé qui ne correspond pas aux effectifs d'élèves, au bénéfice de l'enseignement privé et au détriment de l'enseignement public. Nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux pour le pays ». Et toujours pas d'agrégation d'informatique.

NSI, ses programmes et une nécessaire troisième spécialité en Terminale

   Autre dimension importante de cette nouvelle étape dans la reconnaissance de l'informatique en tant que discipline scolaire de culture générale, « la création de la spécialité "Numérique et Sciences Informatiques" et de l'enseignement "Sciences numériques et Technologie", il s'agit d'une nouvelle avancée significative à laquelle l'EPI a contribué par ses actions depuis des décennies, avec d'autres organisations  et personnalités. » [3]. Cela étant des problèmes existent.

   Il se confirme que l'expérience amène beaucoup d'enseignants à juger le programme de NSI trop ambitieux. Il est trop vaste. Il comporte des notions parfois complexes, surtout pour des élèves n'ayant, dans la réalité, pas fait d'informatique au collège et en Seconde. L'on sait que le temps de la pédagogie est le temps long, nécessaire pour l'assimilation des connaissances. « Boucler » le programme est mission impossible (sauf pour quelques élèves dans une classe). D'où la demande d'un certain nombre de collègues d'alléger les programmes.

   Cette difficulté des programmes, les situations d'échec qu'elle engendre, combinées au fait qu'il n'y a que deux spécialités en Terminale, vont déboucher sur des choix et des effectifs réduits. Il faut vraiment instaurer la possibilité d'une troisième spécialité en Terminale, en faveur de laquelle la Commission des Affaires culturelles et de l'Éducation de l'Assemblée nationale s'est prononcée [4].

Une note de l'Inspection générale de l'Éducation, du Sport et de la Recherche qui dépend du ministère de l'Éducation (IGÉSR) [5]

   Préoccupation d'importance qui subsiste donc, le contexte général de la réforme du lycée, notamment les E3C, les épreuves communes de contrôle continu qui suscitent des critiques récurrentes de la part des enseignants, des élèves, des proviseurs et des parents, critiques à chaque fois jugées infondées par le ministre Jean-Michel Blanquer.

   Or la note des inspecteurs généraux est très critique, dressant un constat accablant et sans appel sur les E3C. « Des élèves et des parents constamment sous la pression de l'évaluation », ce que dénoncent les professeurs lorsqu'ils disent qu'ils passent leur temps à évaluer les élèves de Première au lieu d'enseigner, ce qui est pourtant leur mission principale. Pour les inspecteurs, « il semble que se soit instituée une confusion entre la logique de la certification (par l'examen) et la logique de la formation qui devrait être au cœur de la réforme : le poids des E3C déséquilibre l'ensemble au détriment de la formation ». Les EC3 sont « d'une complexité excessive pour les parents », « un surcoût énorme pour un rendement faible » pour les proviseurs... Et « les tests de seconde sont sans intérêt ».

   Les doutes demeurent, qui tempèrent l'espoir des avancées conquises.

   La deuxième session des E3C n'aura donc pas lieu cette année. Cela étant, concernant les E3C, l'action avait porté des fruits. En effet, Jean-Michel Blanquer avait « rétropédalé ». Il avait annoncé un calendrier plus souple pour la deuxième session du contrôle continu du baccalauréat. Dans un communiqué [6], le ministère parlait de « l'ouverture de la banque nationale de sujets à tous les professeurs », de « la simplification des modalités de passation », de « l'assouplissement du calendrier qui permettra notamment de maintenir une durée d'apprentissage suffisante entre les deux séries d'épreuves », « d'un temps de concertation pour les professeurs ». Des reculs ministériels donc, des acquis pour l'avenir, mais que d'énergie n'avait-il pas fallu dépenser pour obtenir d'évidentes mesures de bon sens comme assurer aux élèves une durée d'apprentissage suffisante.

   En définitive, des avancées mais aussi des interrogations légitimes.

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

NOTES

[1] L'intervention sur Youtube d'Isabelle Guérin-Lassous au congrès de la SIF:
https://www.youtube.com/watch?v=pn0s1cw4JJM

Pour la « petite Histoire », nous ne pouvons qu'être sensibles au fait que, dans son bref historique liminaire, Isabelle Guérin-Lassous fait référence au site de l'EPI dont elle s'est inspirée. C'est la première fois que nous voyons citées les dates correctes pour l'option informatique : suppression en 1992, rétablissement en 1995, nouvelle suppression en 1998... avec allusion à la valse hésitation du MEN. Option que la présidente du jury du Capes a suivie « le samedi matin » quand elle était lycéenne. Elle en remercie ses parents, et nous la remercions pour cette confidence. Finalement l'option informatique des années 80-90 n'était pas si inutile que ça ! Dommage qu'elle ait été supprimée par deux fois sous prétexte que la France n'avait plus besoin d'informaticiens... Mais c'est une autre histoire !

[2] https://capes-nsi.org/

[3] Communiqué de l'EPI du 3 décembre 2019
https://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1912a.htm

[4] https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a2002a.htm

[5] https://www.snes.edu/IMG/pdf/igesr_mission_suivi_reforme_legt_synthese.pdf
https://www.snes.edu/Reforme-du-lycee-et-du-bac.html

[6] https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/2020-03/t-l-chargez-ici-la-lettre-sign-e-de-jean-michel-blanquer-au-format-pdf-51870.pdf

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