Dans l'actualité de l'informatique éducative
de la fin 2017
La Ligue des droits de l'Homme, le Creis-Terminal, l'EPI, la Ligue de l'Enseignement, la PEEP et la SIF, la FCPE étant excusée, ont rencontré, le 27 novembre 2017, la Mission sur Les données numériques à caractère personnel au sein de l'Éducation nationale [1].
La rencontre s'est inscrite dans la continuité de la demande d'audience que nous avions faite au ministre de l'Éducation nationale suite au courrier du directeur du numérique du 12 mai 2017, courrier qui a suscité une grande et légitime émotion de la part des parents d'élèves, de syndicats d'enseignants, d'associations. Nous avons réaffirmé que l'on ne doit pas donner les clés de la maison Éducation nationale aux GAFAM et rappelé que si les GAFAM sont là, c'est aussi parce que l'institution éducative les y invite depuis de longues années [2].
La rencontre a donné lieu à des échanges riches, approfondis et constructifs. La mission a rendu un pré-rapport non publié le 15 décembre et rendra son rapport définitif à la fin janvier 2018.
Les enjeux sont multiples. Démocratiques avec cet enjeu essentiel de liberté numérique, de sécurité, de confidentialité des données, de droit à l'oubli. Pédagogiques, l'École est un bien commun et ne doit pas devenir un domaine livré à la marchandisation. Il faut développer la formation des enseignants et des élèves à l'informatique (qui ne saurait se confondre avec l'initiation et la familiarisation aux outils des GAFAM) et les sensibiliser à ses enjeux sociétaux. Il faut favoriser l'usage de moteurs de recherche variés ainsi que l'utilisation des logiciels et des ressources libres. Les enjeux sont économiques aussi avec une nécessaire régulation du secteur. Et ils ont à voir fortement avec l'indépendance nationale, la souveraineté et la sécurité.
Il faut :
à court terme, localiser les données scolaires sur le territoire national, pratiquer l'anonymat des données, en interdire les utilisations commerciales et les études non demandées et contrôlées par l'Éducation nationale, interdire la diffusion des données scolaires aux entreprises et autres organismes sauf sous formes agrégées, ainsi que leur communication à des États étrangers et à leurs services de renseignement ;
à moyen terme, développer des applications autres que vie scolaire pour les ENT et lancer un chantier de « Cloud » éducatif sécurisé propre à l'Éducation nationale ;
et, à long terme, agir pour des Clouds souverains aux plans national et/ou européen, avec des applications distinctes de type Google ou Facebook qu'il faut développer. Des exemples de par le monde montrent que c'est possible [3].
Autre rencontre, le 5 décembre 2017, celle de l'EPI et de la SIF avec Pierre Mathiot, qui pilote la mission de réforme du baccalauréat [4]. Nous avons dit que l'informatique devait être une composante de la culture générale scolaire de tous les élèves, avec des déclinaisons selon les parcours. Nous avons présenté notre approche globale de la question, partagée par nos interlocuteurs. Le cap, enseignement de l'informatique pour tous les élèves, doit être explicitement fixé avec des échéances précises à long, moyen et court termes. Une montée en charge progressive ne prend tout son sens que si l'objectif final est clairement exprimé. Il faut impérativement former des enseignants comme le système éducatif les forme dans les autres disciplines. Cela signifie qu'il faut créer sans attendre un Capes et une agrégation d'informatique, en coexistence avec des mesures transitoires s'appuyant sur la formation continue.
Un certain nombre de mesures sont envisagées par la mission de réforme du baccalauréat :
un parcours mathématiques-informatique avec deux « majeures » dont l'informatique en tant que telle ; ce qui signifie 3 heures d'enseignement hebdomadaires en première et 6 heures en terminale ;
une « mineure » informatique dans les autres parcours scientifiques ;
l'informatique doit figurer dans les parcours de tous les élèves, pour la formation du citoyen et l'évolution de tous les métiers : en seconde dans le tronc commun puis sous la forme d'une « mineure » adaptée à chacun des parcours.
Nous avons adressé à P.Mathiot, le 18 décembre dernier, « La contribution de l'association Enseignement Public et Informatique (EPI) à la mission de concertation sur la réforme du baccalauréat et du lycée » [5].
Il est beaucoup question à juste titre des enjeux de l'intelligence artificielle [6]. Cédric Villani, chargé d'une mission sur l'IA, a déclaré qu'il fallait « axer l'éducation sur l'acquisition de compétences numériques, de compétences cognitives générales (capacités de résolution de problèmes et de compréhension du langage) » [7]. La formation de spécialistes de haut niveau mais aussi la compréhension et l'acceptation de l'IA par les citoyens supposent une bonne culture générale informatique de tous.
Et rappelons que l'EPI a été auditionnée par les Inspecteurs généraux chargés de rendre un rapport au ministre sur l'enseignement de l'informatique [8].
Un conseil scientifique a été créé à l'Éducation nationale. Gérard Berry, Professeur au Collège de France, Chaire Informatique et Sciences numériques, en est membre [9].
Dans La Recherche de décembre 2017, page 29, Gérard Berry rend hommage à Maurice Nivat, pionnier de l'informatique théorique : « (...) L'UN DE SES COMBATS, que j'ai beaucoup partagé, était celui de l'enseignement général de la vraie informatique, du primaire jusqu'au baccalauréat. Apprendre aux enfants comment se servir des ordinateurs et logiciels sans comprendre ce qu'est leur cœur scientifique ne les prépare absolument pas au monde de demain ; un véritable enseignement scientifique et technique est indispensable. (...) Le combat continue. »
En 1983, Maurice Nivat et Gérard Berry avaient publié un rapport [10]. Il posait des questions. « Il faut former au meilleur niveau possible... Notre pays a besoin d'informaticiens de haut niveau... L'informatique est une véritable discipline, une science qui ne s'apprend pas en un jour... beaucoup de décisions liées à l'informatique sont prises par des gens qui ignorent ce qu'elle est [11]... Il faut favoriser par tous les moyens l'enseignement de l'informatique dans les universités, les écoles (grandes écoles), dans les IUT, dans l'enseignement secondaire... ». Des questions qui, pour une bonne part, restent d'actualité.
Bonne année 2018 à tous.
Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
NOTES
[1] Ont participé à la rencontre :
- Pour la mission : les Inspecteurs généraux Jean-Marc Merriaux, Gilles Braun, Jean-Aristide Cavaillès, Jean-Marc Moullet.
- Pour la délégation :
Jean-Pierre Archambault, président de l'association Enseignement Public et Informatique
Maryse Artiguelong, vice-présidente de la Ligue des droits de l'Homme
Christine Froidevaux, vice-présidente de la Société Informatique de France
Hélène Grimbelle, secrétaire générale adjointe de la Ligue de l'Enseignement
François Lasne, vice-président de la Fédération des Parents d'Élèves de l'Enseignement Public
Daniel Naulleau, Creis-Terminal
[2] http://www.epi.fr/revue/docu/d1801b.htm
[3] voir « Pour un écosystème numérique indépendant des GAFAM » :
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1709a.htm
[4] Ont participé à la rencontre, pour l'EPI et la SIF, Jean-Pierre Archambault, Christine Froidevaux et Philippe Marquet.
Voir le compte rendu de la rencontre :
http://www.enseignerlinformatique.org/2017/12/10/mission-mathiot-sur-la-reforme-du-baccalaureat/
et
http://www.epi.fr/revue/docu/d1801a.htm
[5] http://www.epi.fr/revue/docu/d1801c.htm
[6] voir dans ce numéro d'EpiNet le texte de Michel Volle « L'"intelligence artificielle" : option métaphysique, réalité pratique, projet politique » :
http://www.epi.fr/revue/articles/a1801c.htm
[7] https://www.latribune.fr/technos-medias/intelligence-artificielle-quelles-pistes-pour-placer-la-france-dans-la-competition-mondiale-759819.html
[8] https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1711a.htm
[9] http://www.lemonde.fr/education/article/2018/01/09/un-conseil-scientifique-pluridisciplinaire-pour-l-ecole_5239234_1473685.html
[10] http://www.epi.asso.fr/blocnote/Rapport-Nivat-Berry-1983.pdf
[11] Rappelons qu'en 1983 l'option informatique était déjà en expérimentation (Jacques Arsac en était le responsable) dans une douzaine d'établissements de la région parisienne. Elle sera généralisée en 1985. L'EPI y jouera un rôle important au sein du CSN (Conseil scientifique national). Puis l'option sera supprimée une première fois en 1992, rétablie en 1995 et à nouveau supprimée en 1998. Que de temps perdu. Effectivement, des décisions prises par des gens qui ignorent ce qu'elle est, et sera !
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