L'EPI auditionnée par l'Inspection générale
Le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a chargé un groupe d'inspecteurs généraux de travailler sur l'enseignement de l'informatique. Ce groupe est composé de trois IGEN : Samuel Viollin, qui le pilote, Laurent Chéno et Christine Gaubert-Macon. Il a commencé à rencontrer des acteurs universitaires spécialistes de l'enseignement de l'informatique, des acteurs institutionnels ou du monde économique impliqués dans le secteur du numérique, des acteurs de la formation en informatique. La note de synthèse des inspecteurs généraux doit être remise avant la fin de l'année 2017.
En tant que président de l'EPI, j'ai été auditionné le 3 novembre dernier [1]. La rencontre a donné lieu à des échanges approfondis de qualité dans une atmosphère studieuse, constructive et sympathique.
J'ai d'abord mis l'accent sur l'enjeu fort de donner à tous les élèves la culture générale de leur époque qui comporte la science et technique informatique car elle sous-tend tous les aspects et réalisations de la société numérique. Cet objectif s'inscrit dans les missions traditionnelles de l'École, à savoir former l'homme et la femme, le travailleur et le citoyen. La question de l'enseignement de l'informatique est d'abord un enjeu de culture générale pour tous.
Pour exercer sa citoyenneté dans la société numérique, par exemple sur des questions comme la loi Hadopi ou la neutralité du Net, il faut avoir des représentations mentales opérationnelles que donne l'informatique [2]. Il faut savoir de « quoi il retourne ». Même si l'on n'est pas un spécialiste pointu, on doit pouvoir se forger une opinion dans le cadre d'un débat pluraliste. L'informatique en particulier, les sciences et techniques en général ont une contribution spécifique, en tant que telles, à la formation du citoyen. C'est ainsi le cas des sciences physiques qui éclairent les débats sur l'énergie et des SVT ceux sur les OGM (les sciences physiques et les SVT sont pour ce faire disciplines scolaires enseignées). Cette singularité des sciences et techniques a tendance à être quelque peu oubliée.
Toutes les disciplines sont peu ou prou transformées par l'informatique dans leur « essence », à savoir leurs objets, leurs méthodes et leurs outils (SIG en géographie, démonstration par ordinateur en mathématiques, simulation en sciences expérimentales, algorithmique en biologie, bases de données en STMG et dans les sciences humaines, machines à commandes numériques en STI2D...). Tous les métiers sont peu ou prou impactés, voire profondément transformés par l'introduction des outils numériques, sans parler des métiers dont le cœur est l'informatique. L'informatique s'immisce de plus en plus dans la vie quotidienne : pour communiquer avec ses amis, pour réserver ses billets de train, pour remplir sa feuille d'impôts... avoir un ordinateur devient incontournable. Oui, l'informatique est bien une composante scientifique de la culture générale de l'« honnête homme » au 21e siècle.
Il y a quatre grands domaines dans l'informatique : algorithmique, langages et programmation, théorie de l'information, matériel et réseaux. Ils constituent la substance de cursus scolaires de l'école primaire (on sait l'importance des apprentissages précoces) au lycée (avec des déclinaisons selon les filières comme dans les autres disciplines) en passant par le collège. C'est le cas des programmes actuels mais ceux-ci, pas toujours mis en œuvre en raison de la non formation des enseignants, ou optionnels, ne concernent qu'une minorité d'élèves. Les actions menées ces dernières années ont permis des avancées mais le compte n'y est toujours pas [3].
L'objectif de culture générale pour tous doit se traduire dans une discipline scolaire en tant que telle, composante de la culture générale scolaire. Si les sciences physiques sont devenues matière scolaire il y a plus d'un siècle, c'est parce qu'elles sous-tendent les réalisations de la société industrielle. Or de nos jours le numérique est omniprésent...
Cette discipline doit avoir au collège et au lycée ses professeurs spécialisés titulaires d'un Capes ou d'une agrégation de la science et technique informatique. Ce que l'EPI demande depuis des décennies. Cette question de la formation des enseignants est décisive car elle est une condition nécessaire pour que notre pays puisse faire face aux défis de notre époque. Il est en effet illusoire de penser pouvoir donner une culture informatique à tous les élèves sans professeurs spécialistes, capésiens ou agrégés d'informatique. C'est ce que vient de rappeler Gérard Berry dans le livre L'hyper-puissance de l'informatique qu'il vient de publier [4]. Il n'y a aucune raison d'être moins exigeant pour la formation des professeurs d'informatique que dans celle des professeurs des autres disciplines.
Cette création sans tarder d'un Capes et d'une agrégation d'informatique (concours externes et internes, listes d'aptitude) constituerait un signal fort au plan politique traduisant la prise de conscience, l'engagement, la volonté d'aller résolument vers un enseignement pérenne de culture générale informatique pour tous les élèves. Il faut fixer le cap, ambitieux. Pendant une période transitoire de montée en charge progressive, la formation continue dans les ESPE, à renforcer, doit aussi, de manière complémentaire, faire office de formation initiale avec des habilitations du type de celles prévues pour les enseignants d'ISN, des certifications (certifications aussi pour les professeurs des écoles). Il faut que ces formations aient des retombées positives pour la carrière des enseignants. Une reconnaissance claire d'un bénéfice pour les enseignants suivant ces formations sera indispensable pour construire leur motivation. Une organisation institutionnelle serait, par ailleurs, de nature à favoriser la reconversion dans l'enseignement des professionnels de l'informatique qui le désirent.
Un enseignement d'informatique de culture générale pour tous les élèves constitue un enjeu éducatif majeur pour le pays. Il est un enjeu sociétal de premier plan : au politique de prendre les responsabilités qui sont les siennes.
Sur la formation des enseignants toujours, dans une interview au journal Les échos [5], à une question sur les différents enseignements mis en place Gérard Berry répond : « Et c'est une excellente chose, même si cette "mise en place" reste pour l'instant largement théorique. On sait quoi enseigner et comment l'enseigner, les ressources pédagogiques existent - je vous renvoie par exemple aux excellents manuels « 1,2,3... Codez ! » de la fondation La Main à la pâte [6], mais on se heurte encore au problème crucial de la formation des enseignants. Il n'y aura pas de véritable enseignement de l'informatique tant qu'il n'y aura pas de professeurs d'informatique. Un pays comme le Maroc l'a bien compris, qui a décidé de créer une agrégation d'informatique. »
15 novembre 2017
Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
NOTES
[1] Gilles Dowek, président du Conseil scientifique de la SIF a également été reçu le 3 novembre.
[2] Tous les citoyens ne sont pas ingénieurs réseaux, pour autant le modèle OSI en 7 couches est un bon outil pédagogique pour se représenter Internet, réseau complexe. À ce titre, illustration parmi beaucoup d'autres, il a sa place dans la culture générale informatique de tous.
[3] L'audience de l'EPI à l'Élysée en 2007 a enclenché une dynamique.
[4] http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1711d.htm
[5] https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/030746483740-gerard-berry-informatique-il-faut-changer-nos-schemas-mentaux-2127276.php
[6] http://www.fondation-lamap.org/
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