1980... 2016 : un long cheminement chaotique
En 1980, Jean Claude Simon [1], dans l'éditorial du n° 3 (septembre-octobre 1980) de la Revue Éducation et Informatique des éditions Nathan, écrivait : « Le nombre de chômeurs augmente de façon inquiétante, mais en même temps de nombreux emplois ne sont pas ou sont mal remplis par manque de qualification. Ce dernier problème est particulièrement grave en informatique, et d'une façon générale dans tout ce qui touche un domaine en expansion permanente, le traitement et la transmission de l'information. » [2] Il en concluait qu'il existait notamment une inadaptation entre le marché de l'emploi et la qualification des Français.
Il rappelait le climat dans lequel, vers 1965, étaient arrivés sur le marché les ordinateurs dits de la troisième génération : « Enthousiasmés par les possibilités de ces nouvelles machines, les entreprises, poussées par les constructeurs, se lançaient dans l'informatisation de leur gestion. Mais hélas il fallut déchanter : le manque de préparation du personnel, l'absence de programmeurs compétents causaient de nombreuses déconvenues ». Et, malgré de nombreuses mises en garde, les efforts de formation avaient été insuffisants. Certains restaient persuadés que « l'informatique est une chose facile » et que « le FORTRAN s'apprend en huit jours ». Une petite musique que l'on n'aura pas fini d'entendre. Les erreurs de programmation ont coûté des sommes gigantesques, dues à l'impréparation des programmeurs, à l'absence d'informaticiens compétents.
La société française connaissait de profonds changements et cela ne s'est pas arrêté, bien au contraire. Il s'agissait et il s'agit « d'une évolution comparable à celle due à l'introduction de machines productrices d'énergie. L'homme a été remplacé dans son rôle de travailleur de force, ou plutôt ses capacités se sont trouvées infiniment multipliées. Les nouvelles machines à traiter l'information augmentent aussi dans de grandes proportions le rendement et l'efficacité des travailleurs de l'information ». Mais pour qu'il en soit ainsi, Jean-Claude Simon indiquait le chemin à suivre : « Nous devons envisager une formation de masse à deux niveaux :
- l'emploi des machines informatiques comme outils,
- la compréhension et l'acceptation de la société informatisée. »
Loin d'opposer l'informatique objet et l'informatique outil, il lui semblait que « l'acceptation des changements passait par la compréhension de l'outil lui-même, et des conséquences de son emploi ». Pour cela, il lui paraissait nécessaire et important « d'initier l'utilisateur au mouvement des idées qui accompagnent le phénomène informatique... d'introduire dès le second degré un enseignement des concepts relatifs au traitement automatique de l'information. » Lors des débats qui s'étaient déroulés dans le cadre de la mission que lui avait confiée le Président de la République, « deux grandes lignes majoritaires bien distinctes s'étaient dégagées :
- l'utilisation de l'informatique comme moyen pédagogique,
- l'introduction dans le 2e degré d'une formation à l'informatique. »
Une option informatique des lycées d'enseignement général allait être créée et fonctionner dès les années quatre-vingts pour concerner, en 1992, un lycée sur deux. Mais, en 1991, dans sa synthèse de la 2e rencontre de l'AFDI (Association francophone de didactique de l'informatique), à Namur [3], Charles Duchateau, président du colloque, livrait, dans sa conclusion, son inquiétude sur l'avenir de l'enseignement de la programmation dans le secondaire : « L'attrait des outils logiciels, tout auréolés de leur utilité, risque bien de réduire à la portion congrue la découverte de l'algorithmique. » En 1992, l'option informatique des lycées était supprimée. Dans les actes de la 3e rencontre de l'AFDI, tenue à Sion en 1992, on pouvait lire : « Si l'informatique poursuit une carrière de discipline d'enseignement supérieur en continuant à s'intéresser aux grands paradigmes de programmation, au niveau scolaire l'intérêt institutionnel s'est focalisé sur l'intégration de logiciels dans des disciplines existantes. » Rétablie en 1995, l'option informatique des lycées sera à nouveau supprimée en 1998. Commença alors un « désert explicatif ».
On connaît la suite. En 2007 l'EPI relance les actions pour un enseignement de l'informatique pour tous les élèves. Elles porteront leurs fruits. L'option de spécialité « Informatique et sciences du numérique » (ISN) de Terminale S est créée en 2012, l'enseignement de l'informatique pour tous les élèves de classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques introduit en 2013 et l'enseignement d'exploration « Informatique et création numérique » mis en place en classe de Seconde en 2015. La rentrée 2016 a vu l'extension de l'option de spécialité ISN de Terminale S en 1res ES, L et S sous forme d'un enseignement facultatif « Informatique et création numérique ». De l'informatique figure dans les nouveaux programmes des cycles 2, 3 et 4, pour le cycle 4 dans les cours de mathématiques et de technologie.
Mais que de temps perdu. Tout un patrimoine pédagogique et didactique est quelque peu tombé dans l'oubli de par l'absence d'un contexte institutionnel, c'est-à-dire d'une discipline informatique en tant que telle avec ses professeurs d'informatique titulaires d'un Capes et/ou d'une agrégation d'informatique qu'il faut créer sans attendre. Et nous terminerons ce bref rappel historique avec les recommandations faites dans l'avant-propos des actes de la 5ème rencontre de l'AFDI, à Tunis en 1996, parmi lesquelles figurent :
« - L'école assure une « alphabétisation » à l'informatique le plus tôt possible qui permette, entre autres, l'usage raisonné des moyens informatiques.
- Au même titre que le "lire", "écrire", "compter", l'école est amenée à assurer une formation de base en informatique. »
Un beau programme pour 2017.
Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
NOTES
[1] Professeur à l'Université Pierre et Marie Curie, Jean-Claude Simon a remis en 1980 au Président de la République le rapport L'éducation et l'informatisation de la société, La Documentation française, 1981.
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h80simon2.htm
[2] http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h80simon3.htm
[3] http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2016/11/1024-no9-AFDI.pdf
http://www.epi.asso.fr/association/dossiers/epi-afdi.htm
http://www.societe-informatique-de-france.fr/bulletin/
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