Un rapport qui fera date mais des débats manqués
Le rapport de l'Académie des Sciences « L'enseignement de l'informatique en France – Il est urgent de ne plus attendre » n'est pas passé inaperçu [1]. Il a donné lieu à de nombreux commentaires et réactions [2].
Le 24 mai 2013, ce fut la question d'éducation sur France Info « Sciences informatiques à l'école : l'urgence ». L'invité d'Emmanuel Davidenkoff était Gérard Berry, membre de l'Académie des sciences et Professeur au Collège de France, l'un des auteurs du rapport [3]. Le 27 mai , ce fut la question du jour sur France Inter [4].
Dans l'Écho Républicain puis sur le site Huffpost, Emmanuel Davidenkoff signe un article « Informatique à l'école : veut-on un pays de consommateurs ou de citoyens concepteurs ? » [5]. Il voit « en filigrane, une question qui nous concerne tous : nos enfants sont-ils condamnés à n'être que des consommateurs passifs, ignorants, et aisément manipulables de l'ère numérique, ou saura-t-on en faire à la fois des acteurs de la révolution en cours et des citoyens éclairés, capables de dominer la machine et non d'en devenir les esclaves ? (...) Rien d'irrémédiable donc, mais chaque année de retard se paiera cher au plan économique et en termes d'innovation : peu de professions, dans le public comme dans le privé, échappent à l'impact de l'informatique. La capacité des non-informaticiens à dialoguer avec les informaticiens constitue un atout-maître pour les organisations, raison pour laquelle l'informatique devrait faire partie du bagage de l'honnête homme du XXIe siècle – y compris du philosophe ou du juriste chargés de penser et de codifier usages et enjeux des outils numériques ».
En conclusion il fait un constat : « la mollesse de la réponse publique à ces enjeux suggérerait également une rapide et résolue formation des politiques... Puisse les académiciens des sciences y avoir contribué. » Regardons donc du côté de l'examen de la loi sur la refondation de l'École.
À l'Assemblée nationale, en première lecture, s'adressant à M.-G. Buffet qui avait déposé un amendement en faveur d'un enseignement de l'informatique pour tous les élèves, Vincent Peillon lui répondait : « Madame Buffet, notre objectif est de faire intervenir le numérique dans l'ensemble des disciplines, sans en faire une discipline à part, ce qui ne traduirait pas notre ambition d'en faire un véhicule qui sert à tous les apprentissages.
Nous avons retenu, à l'alinéa 179, une option “informatique et sciences du numérique” ouverte en terminales, pour chacune des séries du baccalauréat général et technologique. L'identifier comme une discipline spécifique, au-delà du fait que cela créerait une nouvelle discipline, ne nous semble pas concourir à notre objectif, qui est de l'intégrer dans tous les enseignements. » [6]
Au Sénat, toujours en première lecture, le groupe CRC a de nouveau déposé un amendement en faveur de l'informatique discipline scolaire pour tous [7]. Il n'a pas été voté. En commission Mme Françoise Cartron, rapporteur, l'a trouvé « utopique ». En séance plénière elle a déclaré que « cette proposition, pour intéressante qu'elle soit, nous paraît cependant peu réaliste au regard du temps qui pourra y être consacré dans les programmes, surtout lorsqu'on réfléchit parallèlement à un allègement de ces derniers. C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable » [8].
L'EPI s'était adressée à tous les groupes parlementaires à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Compte tenu de l'omniprésence de l'informatique (qui est au coeur du numérique) et de son poids de plus en plus grand dans l'économie, nous regrettons que l'Assemblée nationale et le Sénat n'aient pas retenu notre demande d'une intégration de la science informatique dans la culture scientifique dès l'enseignement secondaire. Une occasion a été manquée de débattre du fond des choses, d'une question d'intérêt général pour l'avenir du pays. La science informatique doit être enseignée au même titre que la physique ou la biologie par des enseignants aussi bien formés. La culture générale scolaire évolue. Le latin et le grec n'ont plus la place qu'ils avaient antan. En mathématiques, les probabilités et les statistiques ont remplacé les coniques et la géométrie descriptive. Il y a une quarantaine d'années, on a créé la discipline sciences économiques et sociales. Et puis rappelons qu'usage du numérique et science et technique informatique, loin d'être sans rapport voire antagoniques, sont au contraire complémentaires et se renforcent mutuellement. Ce sont simplement deux questions distinctes.
Nous pensons que cette intégration de l'enseignement de l'informatique que d'autres pays pratiquent déjà - est inéluctable et que tout retard pris se paiera cher aux plans économique et culturel. Il est vraiment urgent de ne plus attendre.
Si, suite aux actions menées ces dernières années, des premiers pas ont été faits (création à la rentrée 2012 de l'enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » (ISN) ; expérimentation lancée à la rentrée 2013 dans l'académie de Montpellier pour proposer à tous les élèves de terminale l'option « Informatique et sciences du numérique » ; généralisation à toutes les options de classe de terminale de l'enseignement « général et technologique à la rentrée 2014 » [9] ; enseignement d'informatique à la rentrée 2013 pour les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques), ils en appellent d'autres, sans attendre. Et la formation des enseignants nous préoccupe particulièrement. Au collège et au lycée, les réponses ne peuvent être que celles ayant cours pour les autres disciplines, à savoir Capes et agrégation d'informatique qu'il faut créer sans attendre : l'informatique est une discipline à part entière [10].
15 juin 2013
Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
NOTES
[1] Rapport de l'Académie des Sciences (mai 2013) : « L'enseignement de l'informatique en France. Il est urgent de ne plus attendre ».
http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf
[2] Signalons entre autres la position de la SIF sur le rapport de l'Académie :
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1306b.htm
et le communiqué de l'EPI :
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1306a.htm
[3] Sur France Info le 24 mai 2013, « Sciences informatiques à l'école : l'urgence »
http://www.franceinfo.fr/education-jeunesse/question-d-education/sciences-informatiques-a-l-ecole-l-urgence-999233-2013-05-24
[4] France Inter dans La question du jour du lundi 27 mai 2013 : « Faut-il créer une nouvelle discipline pour les élèves avec des cours spécifiques d'informatique ? »
http://www.franceinter.fr/emission-la-question-du-jour-faut-il-creer-une-nouvelle-discipline-pour-les-eleves-avec-des-cours-sp
[5] Emmanuel Davidenkoff, « Informatique à l'école : veut-on un pays de consommateurs ou de citoyens concepteurs ? »
http://www.huffingtonpost.fr/emmanuel-davidenkoff/informatique-a-l-ecole_b_3345508.html?utm_hp_ref=france
[6] Éditorial d'EpiNet de mars 2013, « Histoire d'un amendement retiré ».
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1303a.htm
[7] Amendement du groupe CRC (communiste républicain et citoyen) à l'article 26.
« Séance du 23 mai 2013 (compte rendu intégral des débats) »
http://www.senat.fr/seances/s201305/s20130523/s20130523019.html#Niv3_art_Article_26
[8] À l'adresse précédente, « Séance du 23 mai 2013 (compte rendu intégral des débats) », on peut notamment lire : « M. Vincent Peillon, ministre. Le Gouvernement est très admiratif et va suivre la position de Mme la rapporteur sur l'ensemble des amendements, y compris sur celui du Gouvernement.
Je trouve décidément que la commission a fait un très bon choix en vous choisissant comme rapporteur, madame Cartron ! (Sourires.) »
[9] « Point d'étape de l'entrée de l'École dans l'ère du numérique », lundi 10 juin 2013.
http://www.education.gouv.fr/cid72307/point-d-etape-de-l-entree-de-l-ecole-dans-l-ere-du-numerique.html
« Le numérique dans la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République »
http://cache.media.education.gouv.fr/file/06_Juin/46/3/Le_numerique_dans_la_loi_de_refondation_de_l_ecole_255463.pdf
[10] Éditorial d'EpiNet de mai 2013, « Un rapport de l'Académie des Sciences et un débat au Sénat »
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1305a.htm
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