Réforme du Lycée et enseignement de l'informatique
 

   Mardi dernier 13 octobre, le Président de la République a dévoilé les grandes lignes de la réforme des lycées [1]. L'ensemble des mesures annoncées va faire, d'ici la fin de l'année, l'objet d'une concertation entre le Ministre de l'Éducation nationale et les partenaires sociaux. Nicolas Sarkozy a insisté sur le fait que le lycée doit évoluer, qu'il n'est pas question d'en abaisser le niveau mais de l'adapter au niveau de connaissances du 21e siècle, qu'il doit être conçu comme une étape vers l'enseignement supérieur. Le président a déclaré « La classe de première doit devenir plus générale. Celle de terminale, au contraire, doit être davantage connectée au parcours projeté dans le supérieur. Une telle évolution suppose une refonte des grilles horaires du cycle terminal, à laquelle Luc Chatel va désormais s'atteler ». Une dépêche AEF du 5 octobre 2009 rapportait les propos tenus par le Président de la République devant la CGPME : « ... il est absolument capital que nous ayons les meilleurs lycées d'Europe comme nous devons avoir les meilleures universités d'Europe. » [2].

   Il a également déclaré que le système d'orientation « allait connaître une véritable révolution », avec « correction de trajectoire à tous les niveaux », les élèves « se déterminant en fonction de leurs goûts et de leurs compétences » [1]. L'orientation « choisie » plutôt que « subie » sera au coeur de la future réforme, assurait Luc Chatel (AEF du 5 octobre). Le lycée est effectivement l'espace et le moment où naissent les vocations, les élèves construisant leur autonomie intellectuelle. L'on sait les besoins d'informaticiens qualifiés, de personnels dans les métiers des TIC [3]. Le rapport Stratégie nationale de recherche et d'innovation fait le constat que « la majorité des ingénieurs et chercheurs non informaticiens n'acquièrent pendant leur cursus qu'un bagage limité au regard de ce que l'on observe dans les autres disciplines » [4]. Jean-Marie Fourgous écrit que « demain, l'économie numérique représentera ainsi plus de 50 % de la croissance mondiale. Entreprises, médecine, éducation, collectivités... toute la société arrive à l'ère numérique ». Pour l'EPI, un enseignement de l'informatique pour tous les élèves (dans le cadre d'une « spécialisation plus progressive » [1]) et avant que les choix d'orientation ne soient faits, éventuellement optionnel dans le cadre d'une montée en charge, ne peut que favoriser les indispensables vocations dont la société a un besoin urgent [5].

   L'informatique représente 30 % de la R&D au plan mondial. Les sciences contemporaines peuvent s'organiser en trois grandes familles : les mathématiques, les sciences expérimentales, et les sciences de l'information (l'informatique au sens large). Or, aujourd'hui, l'enseignement des sciences au lycée reflète deux de ces familles mais la troisième en est absente dans les enseignements généraux d'où sont issus l'essentiel de nos cadres. Cela transmet aux lycéens une image faussée de ce que sont les sciences aujourd'hui. Cela handicape tous ceux qui ne feront pas d'informatique dans leurs études supérieures, alors que les outils et les concepts de l'informatique sont présents dans tous les domaines scientifiques et dans un très grand nombre de métiers. Et qu'elle est très présente dans les débats de société (loi Hadopi par exemple) qui concernent par définition tous les citoyens.

   Une égale dignité des voies et des séries (cette « hiérarchie à casser une bonne fois pour toutes ») implique « une revalorisation de la filière littéraire et des filières technologiques, notamment la série sciences et technologies industrielles, de manière à ce qu'elle débouche sur les métiers d'ingénieurs » [1]. Dans le même mouvement, ces objectifs doivent avoir des conséquences sur la série S. En effet, dans son rapport remis en juin dernier, Richard Descoings soulignait « l'excessive généralité de la série S qui porte atteinte aux besoins d'élèves puis d'étudiants dotés d'une véritable maîtrise scientifique ». Un enseignement de l'informatique en tant que tel dans les séries scientifiques, en Première et Terminale, contribuerait au renforcement du caractère scientifique de ces séries, avec par exemple une diversification de la série S en trois sous-séries (mathématiques-physique, physique-biologie, mathématiques-informatique). Pour les autres séries, on proposerait un enseignement optionnel. Ces mesures contribueraient à ce que le lycée joue bien son rôle de préparation à l'enseignement supérieur.

   Avec Gilles Dowek, au nom de l'EPI et du groupe ITIC de l'ASTI, nous avons été reçus le 24 septembre 2009 par Érick Roser, Conseiller du Ministre de l'Éducation nationale Luc Chatel, pour les affaires pédagogiques [6]. Le 6 octobre 2009, nous avons été auditionnés, au nom de l'EPI et du groupe ITIC de l'ASTI, par Jean-Michel Fourgous, député maire (UMP) d'Élancourt, chargé d'une mission parlementaire auprès du ministre de l'Éducation nationale afin de mener à bien une mission de réflexion et de propositions pour la promotion des technologies de l'information et de la communication (Tice) à l'École [7]. Les deux rencontres ont donné lieu à des échanges riches et approfondis sur la question d'un enseignement de l'informatique au lycée.

   Au 21e siècle, une discipline informatique au lycée, dans les sections scientifiques et technologiques en particulier, est une nécessaire marque d'excellence car elle correspond aux défis, enjeux et besoins économiques et culturels de la société numérique.

Le 15 octobre 2009

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] Discours de M. le Président de la République sur la réforme du lycée, au Palais de l'Élysée, mardi 13 octobre 2009.
http://www.elysee.fr/webtv/
http://www.elysee.fr/webtv/discours-france/discours-sur-la-reforme-du-lycee-devant-des-lyceens-et-des-responsables-de-l-ducation-nationale-video-3-1367.html
http://www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=091013_Discours_PR_reforme_du_lycee.pdf.

[2] Ce contexte est l'occasion de rappeler qu'en 2007 l'EPI avait interrogé les candidats à l'élection présidentielle sur l'opportunité d'un enseignement spécifique de l'informatique, complémentaire de l'approche par les différentes disciplines et activités. Nicolas Sarkozy avait répondu qu'il « considère que l'enseignement informatique prévu au socle commun des connaissances et des compétences doit être renforcé, et inclure notamment l'enseignement des bases essentielles à l'écriture de programmes informatiques ». Il proposait alors une « refonte des programmes éducatifs consacrés à l'informatique, trop centrés sur la pratique, et le renforcement des moyens consacrés à ces formations informatiques ». Pour Nicolas Sarkozy, « en se concentrant sur la pratique, on crée une génération dépendante de la technique ; en se concentrant sur la technique, on crée une génération autonome et capable d'inventer toutes sortes d'usages ». L'EPI avait souligné qu'elle se reconnaissait dans de pareils propos.
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d0704f.htm#Sarkozy.

[3] Viviane Reding, membre de la Commission européenne, responsable des télécommunications, soulignait en octobre 2008 au « Forum des femmes pour l'économie et la société », la pénurie de main-d'oeuvre qui menace le secteur européen des TIC dans lequel, faute de personnel qualifié, ce sont 300 000 emplois qui risquent de rester vacants en 2010.
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/08/631&format=PDF&aged=0&language=FR&guiLanguage=fr

[4] http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid28982/snri-les-rapports-des-groupes-de-travail.html

[5] On peut distinguer les catégories professionnelles suivantes : ingénieurs et chercheurs non informaticiens ; métiers des Technologies de l'information et de la communication ; peu ou prou l'immense majorité des travailleurs qui utilisent l'ordinateur dans l'entreprise ; ingénieurs et chercheurs en informatique.
http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid28982/snri-les-rapports-des-groupes-de-travail.html

[6] http://www.epi.asso.fr/blocnote/blocsom.htm#090928.

[7] http://www.epi.asso.fr/blocnote/blocsom.htm#091007.

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Association EPI
Octobre 2009

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