L'enseignement de l'informatique et des TIC Jean-Pierre Archambault L'informatique et les technologies de l'information et de la communication sont omniprésentes dans nos sociétés, dans lesquelles elles contribuent à faire évoluer de nombreux métiers. Elles modifient en profondeur notre perception des machines, du langage et de la complexité. Elles constituent, par ailleurs, un vaste corpus de connaissances et elles contribuent à faire évoluer de nombreuses disciplines enseignées au lycée, non seulement dans leurs méthodes, mais aussi dans leurs objets. Elles sont présentes dans la vie quotidienne de tout un chacun. Pour ces raisons, pour former l'homme, le travailleur et le citoyen, elles doivent faire l'objet d'un enseignement scientifique et technique en tant que tel au lycée. Enseignement qui prolonge celui de l'école primaire et du cours de technologie du collège et qui prépare celui de l'université. Il s'agit d'un objectif incontournable de culture générale scolaire dans l'École du XXIe siècle, d'un besoin fondamental de la société. L'économie numérique Tous les domaines de la vie économique, tous les métiers sont profondément transformés par l'Informatique et les TIC, que ce soit dans les processus de production des richesses ou avec les objets fabriqués, matériels et immatériels. L'Informatique et les TIC sont au coeur de la société de la connaissance (La France dans l'économie du savoir : pour une dynamique collective, rapport Commissariat général du Plan, La Documentation Française, 2003). Elles favorisent l'accélération de l'innovation des procédés et des produits car elles sont des technologies génériques. Elles sont le support d'une production plus collective et plus interactive des savoirs et des compétences. Elles permettent des pratiques innovantes en réseau. Elles systématisent l'accumulation du savoir dans des bases de données, l'intégration des connaissances et leur mobilisation, les externalités de connaissance. L'Informatique et les TIC sont un facteur majeur de croissance. La R&D informatique représente 135 milliards de dollars soit 28 % de la recherche industrielle mondiale (R&D : 492 milliards de dollars), sans compter ce qui se fait dans des domaines voisins mais non directement informatiques. Mais les entreprises ont du mal à recruter les spécialistes de haut niveau qui pilotent les projets et sont à la pointe de l'innovation (voir notamment les « campagnes » du Syntec). Si des activités peuvent être délocalisées, la maîtrise et le contrôle des actions stratégiques ne s'externalisent et ne se délocalisent pas. Il y va de l'indépendance et en définitive de la croissance de notre pays. Dans leur rapport sur l'économie de l'immatériel, Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet soulignent que, dans l'économie de l'immatériel, « l'incapacité à maîtriser les TIC constituera (...) une nouvelle forme d'illettrisme, aussi dommageable que le fait de ne pas savoir lire et écrire ». Ils mettent en évidence les obstacles qui freinent l'adaptation de notre pays à l'économie de l'immatériel, notamment « notre manière de penser », invitant à changer un certain nombre de « nos réflexes collectifs fondés sur une économie essentiellement industrielle ». Ils citent l'édition de logiciels parmi quatre technologies représentatives des enjeux de la croissance des années à venir. Ils insistent « sur le risque qu'induit également la capacité trop faible de notre système d'enseignement secondaire à répondre aux exigences de l'économie de l'immatériel dans le contenu même des formations dispensées... ». D'ailleurs, la liste s'allonge des pays qui se préoccupent d'enseigner l'informatique et les TIC dès les enseignements scolaires, Il n'y a pas qu'en France que se pose la question de l'informatique élément de la culture générale sous la forme d'une discipline en tant que telle. L'Association for Computing Machinery, la plus grosse association d'informatique scientifique au monde, vient de demander au Président Obama d'inclure l'informatique en tant que discipline dans l'enseignement secondaire au même rang que les sciences et les mathématiques [1]. Elle souligne le rôle clef que joue l'informatique dans le développement des compétences pour le 21e siècle. Elle souligne qu'il faut étoffer les rangs des travailleurs formés pour l'économie de l'information, ajoutant que l'enseignement de l'informatique est profitable à tous les élèves, pas seulement à ceux qui voudraient faire carrière dans la science informatique ou les technologies de l'information. La société numérique Le citoyen éclairé participe aux débats de société sur le nucléaire ou les OGM. Pour cela il dispose d'un appareillage conceptuel que les enseignements des sciences de la vie et de la terre et des sciences physiques lui ont donné. Dans la société numérique, il doit pouvoir intervenir pleinement dans des problématiques comme les « droits d'auteurs et droits voisins dans la société de l'information » (on se souvient des débats qui ont accompagné la transposition de la directive européenne DADVSI par le Parlement en 2006) ou droits et libertés. Ce sont des domaines compliqués (interopérabilité, DRM, code source, adresse IP...), inaccessibles si l'on ne s'est pas approprié le noyau de connaissances stables et transmissibles qui sous-tendent la société numérique, si l'on ne s'en ait pas fabriqué une représentation mentale opérationnelle. Un enjeu fort de culture générale Il y a donc pour l'École un enjeu fort de culture générale, scientifique et technique, faisant toute sa place à l'ITIC. Sans connaissance pas de croissance. Or beaucoup s'accordent à trouver la situation actuelle non satisfaisante. En 2007, L'EPI avait interrogé les candidats à l'élection présidentielle sur l'opportunité d'un enseignement spécifique de l'informatique, complémentaire de l'approche par les différentes disciplines et activités. Nicolas Sarkozy avait répondu qu'il « considère que l'enseignement informatique prévu au socle commun des connaissances et des compétences doit être renforcé, et inclure notamment l'enseignement des bases essentielles à l'écriture de programmes informatiques ». Il proposait alors une « refonte des programmes éducatifs consacrés à l'informatique, trop centrés sur la pratique, et le renforcement des moyens consacrés à ces formations informatiques ». Pour Nicolas Sarkozy, « en se concentrant sur la pratique, on crée une génération dépendante de la technique ; en se concentrant sur la technique, on crée une génération autonome et capable d'inventer toutes sortes d'usages ». Notre association EPI se reconnaît dans de pareils propos. Un enseignement de l'informatique en tant que tel L'année 2008 a vu l'EPI et le groupe ITIC de l'ASTI prendre de nombreuses et diverses initiatives en faveur d'un enseignement disciplinaire de l'informatique au lycée [2]. Le 21 octobre 2008 le Ministre de l'Éducation nationale, Xavier Darcos, a annoncé la création à la rentrée 2009, dans le cadre de la réforme du lycée (reportée depuis lors à la rentrée 2010-2011), d'un module « informatique et société numérique » en classe de seconde [3]. L'EPI et le groupe ITIC de l'ASTI ont exprimé leur satisfaction de cette création qui correspond aux exigences de la société dans laquelle nous vivons. L'approche exclusive actuelle des TIC par le biais des disciplines traditionnelles est notoirement insuffisante. L'Informatique et les TIC doivent faire l'objet d'un enseignement spécifique. Aux compétences attendues doivent correspondre une explicitation des contenus disciplinaires précis et progressifs permettant de les acquérir, dans une approche globale, cohérente, structurée et progressive couvrant l'ensemble de la scolarité. Ce n'est pas le cas actuellement. Au lycée, une discipline scientifique et technique « informatique et TIC » en tant que telle est incontournable. « Objet » et « outil » d'enseignement, loin de s'opposer, sont complémentaires et se renforcent mutuellement. Nous prônons l'informatique et les TIC dans la didactique et la pédagogie des disciplines traditionnelles, mais aussi l'informatique et les TIC comme discipline spécifique. 1) À l'école maternelle et à l'école élémentaire, une première initiation se fait à travers la découverte et les usages des outils informatiques. On sait l'importance des apprentissages précoces. Dans le cadre de la pédagogie pratiquée à ces niveaux, l'Informatique et les TIC, de par leurs vertus pédagogiques spécifiques, se prêtent bien à des activités favorisant la créativité et l'inventivité des enfants ainsi que le « travailler ensemble ». À la faveur d'activités signifiantes, on introduit, toutes les fois que nécessaire, les notions élémentaires de nature à faciliter la compréhension (structure de la machine, périphériques, informations, fichiers...). Celles-ci ne sont pas introduites pour elles-mêmes mais pour faciliter la maîtrise des pratiques. Dans les années quatre-vingts, l'utilisation du langage Logo s'intégrait bien dans des démarches de construction du savoir par les élèves et l'on peut regretter que cette pratique ait été abandonnée. 2) Au collège, le cours de technologie constitue le cadre institutionnel pour l'Informatique et les TIC. Comment imaginer, dans la société de l'immatériel, la technologie sans l'ITIC ? Or un projet de réforme en cours d'élaboration laisse craindre que l'Informatique et les TIC se voient réduites à la portion congrue, alors qu'au contraire il faudrait en consolider l'enseignement. 3) Au lycée, une discipline scolaire en tant que telle est une nécessité, pour organiser et installer durablement les savoirs et savoir-faire fondamentaux, donner les représentations mentales opérationnelles indispensables à « l'honnête homme du XXIe siècle ». Dans ses grandes lignes, un programme devrait comporter les chapitres suivants : 1. Matériels : architecture de l'ordinateur et périphériques. On trouvera sur les sites de l'ASTI [4] et de l'EPI [5] la proposition de programme pour un module « Informatique et société numérique » adressée au Ministère de l'Éducation nationale le 7 novembre 2008, ainsi qu'une proposition de programme pour l'ensemble du lycée [6]. D'une manière générale, les disciplines scolaires traditionnelles (Mathématiques, Sciences expérimentales, Lettres, Langues, disciplines Techniques et Professionnelles...) évoluent dans leur « essence » (objets, méthodes) de par l'« irruption » de l'informatique et des ordinateurs, qu'elles utilisent des moyens informatiques ou des concepts issus de l'informatique. Elles ne peuvent que bénéficier de l'acquisition des fondamentaux informatiques acquis dans une discipline « Informatique et TIC » spécifique. Il va de soi que la création d'une discipline « ITIC » va de pair à (moyen) terme avec celle d'un CAPES et d'une agrégation. Cette solution peut coexister avec des options « ITIC » dans les concours de recrutement des autres disciplines et la reconnaissance des compétences acquises, selon des modalités variées, par les enseignants ; ce qui présenterait l'intérêt de favoriser l'interdisciplinarité et l'intégration solide de l'Informatique et des TIC dans les autres disciplines. 4) Concernant les classes préparatoires, une cinquantaine d'enseignants d'informatique d'une vingtaine de Grandes Écoles scientifiques et technologiques se sont adressés récemment à la Conférence des Grandes Écoles, en souhaitant attirer l'attention sur « l'urgence qu'il y a à introduire un enseignement en informatique de qualité pour tous les élèves des classes préparatoires scientifiques ». Ils pointent « un retard français et européen en recherche & développement en informatique ». Pour eux, « ce retard s'explique en grande partie par l'insuffisance de la formation en informatique des jeunes Européens et en particulier des jeunes Français ». Et cette insuffisance « handicape nos futurs ingénieurs en les privant des outils qui permettent de concevoir les systèmes industriels modernes ». Elle handicape également « nos futurs scientifiques, toutes disciplines confondues, en les privant d'outils pour comprendre le monde » [7]. Les enseignants mentionnés ci-dessus constatent que, « si les classes préparatoires donnent aujourd'hui des bases solides en mathématiques et dans les sciences expérimentales, elles négligent l'informatique, discipline dans laquelle la plupart de leurs élèves (à l'exception, bien entendu, de nos élèves étrangers) sont analphabètes ». Et ils ajoutent qu'« un enseignement moderne et ambitieux ne peut pas se mettre en place sans la constitution progressive de corps d'enseignants spécialistes ». Paris, 4 février 2009 Jean-Pierre Archambault Ce texte est une contribution de l'EPI et de l'ASTI à la réflexion sur l'enseignement engagée par Secrétariat d'État chargé de la Prospective, de l'Évaluation des politiques publiques et du Développement de l'économie numérique dans le cadre du projet France 2025, NOTES [1] ACM demande à Obama d'inclure l'informatique en tant que discipline dans l'enseignement... [2] http://www.epi.asso.fr/blocnote/blocsom.htm#itic. [3] http://www.education.gouv.fr/cid22768/reforme-du-lycee-point-d-etape.html. [4] http://asti.ibisc.fr/groupe-itic. [5] Un module « informatique et société numérique » en classe de seconde [6] La formation à l'informatique et aux TIC au lycée. Proposition de programme [7] http://www.lix.polytechnique.fr/~dowek/enseignement.html. ___________________ |
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