Pour un Grenelle de l'enseignement des TIC David Fayon Réflexion pour le groupe « enseignement de l'informatique et des TIC » (ITIC) de l'ASTI, novembre 2007. Voir le compte-rendu de la première réunion. En préambule, je n'enseigne pas au lycée mais travaille en entreprise et interviens ponctuellement pour des cours en écoles de commerce, d'ingénieurs et pour des conférences sur les NTIC. La question de l'enseignement m'intéresse vivement car elle est stratégique tant pour nos enfants et l'avenir de notre société que pour l'adéquation entre les savoirs dispensés et les besoins de l'entreprise dans une vision à long terme. Vous trouverez, ci-après, mes réflexions. 1. Pourquoi enseigner les TIC au lycée ? La réponse de Dany Hamon qui se réfère à des études récentes sur la « génération Internet » est intéressante [1]. Le jeune aujourd'hui est effectivement, d'après certains sociologues, un hédoniste indépendant. Il est multitâche (écoute son baladeur MP3 en même temps qu'il chatte par exemple) et a un comportement zapping. Ces informations sociologiques sont à avoir présentes à l'esprit des professeurs, la compréhension intergénérationnelle devant permettre de définir la valeur ajoutée qu'un professeur peut et doit apporter à l'élève par rapport à une « utilisation aveugle » des TIC. La révolution informationnelle (informatique et internet ou TIC à travers toutes ses dimensions) constitue le plus important phénomène de société du XXIe siècle. C'est un incontournable auquel les jeunes doivent être préparés pour mieux appréhender l'entrée dans leur vie professionnelle même si le lycée ne constitue qu'une étape. Enseigner les TIC au lycée répond à ce besoin fondamental. Dans ce contexte, et en ayant présent à l'esprit les missions de l'école [2], il est évident que l'école doit permettre l'égalité des chances. Celle-ci doit se traduire par l'accès pour les élèves aux ordinateurs y compris en dehors des heures de cours (avec des surveillants qui pourraient également endosser le rôle de « guide TIC » dans les salles prévues à cet effet) tout en restant dans les horaires d'ouverture des lycées. L'école doit oeuvrer pour la lutte contre la fracture numérique, chaque élève n'ayant pas accès à Internet à la maison, même si le pourcentage de non connectés à domicile va en diminuant. Au-delà de l'accès, la question est celle de l'intelligence informationnelle. Même si la recherche d'information sera plus facile dans un Web 3.0, sémantique, la capacité à recueillir, analyser objectivement et traiter de l'information en effectuant des liens logiques restera cruciale. C'est là que réside la valeur ajoutée humaine. C'est à la fois une technique et un regard critique que l'adulte – qui possède un recul et une culture – peut transmettre via l'enseignement. Il ne s'agit pas simplement d'une simple lutte contre l'alphanetisation [3] mais aussi de dispenser un enseignement qui permettent d'acquérir des fondements utilisés par la suite au-delà du lycée (poursuite d'étude et préparation de l'entrée sur le marché du travail avec des compétences TIC) et d'apprendre à apprendre grâce aux nouvelles technologies (e-learning [4] et formation par soi-même tout au long de la vie via une curiosité intellectuelle éveillée). La récompense du mérite et du talent sera à imaginer dans le cadre de l'évaluation de l'enseignement. Enfin, l'enseignement ne doit pas se limiter au lycée mais devrait commencer au collège et même avant sous une forme plus édulcorée et d'initiation. Au même titre que l'introduction de l'anglais a été avancée de la 6ème au primaire. 2. Quels contenus enseigner au lycée ? Pour définir la portée de l'enseignement, on pourrait se référer au double sens du mot informatique en anglais, à la fois « data processing » et « computer science » et imaginer un contenu qui tienne compte de cette duosémie. D'une part lié au traitement des données (là où la recherche d'information et l'esprit d'analyse critique prennent tout leur sens) mais aussi associé à la science de l'ordinateur. Dans cette signification, les aspects d'algorithmique ou d'architecture des ordinateurs ont leur intérêt. Si l'on désire dompter la machine, la programmation de macros peut être utile et savoir ce qu'est la complexité d'un algorithme de tri aussi, voir le paramétrage de son environnement de travail. Mais ceci ne peut être pertinent que si l'aspect transversalité des TIC (dans ses dimensions historique, économique et sociologique notamment) est assuré dans la formation. C'est ce que Jean-Pierre Archambault écrit en réponse à Gérard Puimatto, c'est-à-dire les savoirs, savoir-faire, savoir être, représentations mentales opérationnelles pour un élève qui endossera les 3 casquettes dans sa vie, celle d'homme, de travailleur et de citoyen. Cette profondeur et cette nécessaire transversalité ne sont pas forcément acquises par les élèves, du moins la majorité d'entre eux, laquelle a un vernis étendu alors que jadis les élèves d'une même classe d'âge avaient des connaissances approfondies dans des domaines plus étroits. Dans mes ouvrages [5], j'aborde l'informatique et Internet en 4 parties :
Il serait pertinent d'enseigner selon ces 4 dimensions de façon à ce que la portée des TIC soit bien appréhendée. Une base de départ pourrait être l'option informatique au lycée dispensée jadis en la rénovant avec les aspects réseaux, bases de données et culture générale associée aux TIC. Une différence entre le lycée général et le lycée technique, dans la mesure où les études sont terminales ou plus courtes au terme du lycée technique et pour des diplômes différents, devrait amener à 2 types d'enseignement distincts, la première avec davantage de concepts. L'objectif n'est pas simplement de connaître des outils. Il s'agit, au-delà d'une simple utilisation, d'appréhender les concepts pour être ouvert aux évolutions de la société de l'information de demain. Passer d'une logique académique d'apprentissage en mode « professeur vers élèves uniquement » à une logique pluridimensionnelle. Passer d'une logique où l'on reçoit de l'information à une logique où l'on réagit de façon interactive (voir les solutions d'e-learning développées, cf. infra) et passer d'un apprentissage basique à « apprendre à apprendre » pour ne pas être prisonnier d'une solution propriétaire, ce qui serait réducteur, mais ouvert vers une course à la connaissance. Dans Une brève histoire de l'avenir, Jacques Attali affirme que le savoir disponible sur Terre va doubler tous les 10 ans. Et chacun devra s'y préparer selon une logique de plus grande maîtrise du temps. Parmi les projets, la notion de projet collaboratif avec des élèves d'autres établissements pourra être mené (les outils Web 2.0 notamment wiki pour l'enseignement y aideront), y compris avec d'autres villes ou pays. L'aspect ludique ne doit pas cependant occulter le goût à l'effort. 3. Comment organiser la montée en puissance ? Un enseignement des TIC devrait être obligatoire pour tous de la seconde à la terminale à raison de 2 heures par semaine. C'est ma position et elle pourrait être mise en place à la rentrée 2008 ou 2009, libre à chacun d'avoir une autre vision. La décision est politique, l'organisation et le plan de formation pour le corps enseignant suivra. Dans un premier temps, l'Éducation nationale pourrait recenser les enseignants qui seraient partants pour dispenser cette nouvelle matière TIC (ce pourrait être des professeurs de mathématiques, d'histoire-géographie ou d'autres disciplines). Il serait profitable que l'Éducation nationale ne dresse pas de barrière mais que chaque professeur identifié et volontaire suive un certificat de type B2I + C2I rénové pour attester sa connaissance et son intérêt pour la discipline TIC. Deux questions sont à ne pas occulter dans le dispositif. Celle du budget alloué (et des moyens pour le contenir, achat groupé de micros (sans tomber dans les travers des plans 10 000 puis 100 000 micros et Informatique pour tous et l'achat de matériels en distorsion par rapport à l'utilisation en entreprise ou en administration), recours à des solutions libres pour certains logiciels) et des 2 heures adjointes (vont-elles l'être en rognant sur d'autres disciplines, vont-elles s'ajouter ou allons-nous avoir une matière amputée d'une heure contre ces 2 heures TIC supplémentaires). 4. Des professeurs spécialisés ou non ? Je déplorai voici 10 ans l'absence d'un Capes ou d'une agrégation en informatique. Désormais nous avons l'opportunité d'oeuvrer à la création d'un Capes d'ITIC et même d'une agrégation d'ITIC. Dans un premier temps, la montée en puissance (cf. question 3) pourrait s'opérer avec des professeurs suivant un certificat (B2I + C2I rénové). Le nouveau dispositif (Capes et agrégation ITIC) concernerait les nouveaux entrants dans le professorat et le personnel voulant se réorienter à temps plein vers l'ITIC. À côté des professeurs généralistes qui dispenseraient les enseignements TIC au lycée, on pourrait imaginer des professeurs experts. Ceux-ci auraient deux missions :
5. L'Europe et le monde La réflexion doit s'inscrire dans un cadre communautaire. Les équivalences Bac +3 / +5 / +8 doivent aussi trouver une harmonisation au niveau du secondaire. L'enjeu est important, notamment par exemple pour les enfants de salariés allant s'installer dans d'autres pays sans forcément opter pour un lycée français à l'étranger et les équivalences de formation liées à la plus grande mobilité des parents – même si elle ne concerne pour l'heure qu'une infime minorité. Pour sortir d'une réflexion réductrice franco-française, il serait intéressant (via des professeurs d'établissements à l'étranger et sur la veille faite sur Internet) de connaître les pratiques faites et de s'inspirer de ce qui est bon et transposable à notre modèle. Voici quelques réflexions qui peuvent être débattues pour faire avancer le débat sur l'enseignement d'une discipline TIC au lycée. David Fayon NOTES [1] Cf. http://www.epi.asso.fr/revue/a0711c.htm. [2] http://www.debatnational.education.fr/index.php?rid=18. [3] Terme créé par Louis Naugès, père de la bureautique. Voir à ce sujet : [4] Clés pour Internet, David Fayon, Economica, 2006, pages 119-120. [5] L'informatique, David Fayon, Vuibert, 1999, 127 pages. ___________________ |
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