Spécialité NSI : mise en œuvre ;
conséquences à venir pour l'enseignement supérieur ;
courrier à l'EPI d'Édouard Geffray,
directeur des ressources humaines au MEN ;
création de l'AEIF
Suite aux actions menées les décennies passées, la création d'enseignements de l'informatique au lycée, en particulier la spécialité NSI (Numérique et Sciences Informatiques) en Première et Terminale, constitue une avancée nécessaire, donc bienvenue, dans une société où l'informatique et le numérique sont omniprésents et où, à ce titre, l'informatique est une composante de la culture générale de tous. À partir de là, deux importantes questions sont posées. La première concerne les conditions de la mise en œuvre de ces nouveaux enseignements dans le cadre de la discutable et discutée réforme du lycée. La deuxième porte sur les conséquences de cette mise en œuvre pour l'enseignement supérieur, « enseigner l'informatique dès le lycée allant forcément changer la façon de l'enseigner après le bac ». Telle était la raison du colloque organisé par la SIF le 17 avril dernier, avec le soutien notamment de l'EPI : « La spécialité informatique au bac : une immense opportunité pour l'enseignement supérieur ! » [1].
Une mise en œuvre délicate
Lors de ce colloque, les collègues enseignants, s'ils se réjouissent globalement de la création de la spécialité NSI, ont pointé les difficultés que nous avons déjà largement traitées dans les précédents numéros d'EpiNet [2].
D'abord la formation des enseignants. Rappelons que de sérieuses inquiétudes pèsent sur la formation (quasi absence plutôt) des enseignants devant assurer SNT. Pour NSI, heureusement il y a les professeurs en poste qui actuellement enseignent ISN. Ils ont permis l'introduction de l'enseignement de l'informatique ces dernières années et il faut saluer leurs efforts. Des formations continues sont prévues. Il faut ouvrir et pérenniser largement les DIU en cours d'élaboration. Des décharges, des garanties et des reconnaissances de carrière (rémunérations, mutations, concours internes et listes d'aptitude à venir...) doivent accompagner les formations. Une simple « habilitation » ne suffit pas. Nous avons salué la création d'un Capes d'informatique (en attendant celle d'une agrégation d'informatique). Mais le nombre réduit de postes annoncés pour ce Capes en 2020 a de quoi laisser quelque peu songeur.
Dans le « nouveau lycée », les élèves sont, sur le papier, libres de choisir leurs spécialités et ainsi de composer leur parcours scolaire. Quid de leur souhaits quand les spécialités de leur choix ne sont pas proposées dans leur établissement ? Ce qui sera souvent le cas car peu nombreux seront les lycées proposant les 11 spécialités. Ils pourront alors suivre des cours dans le lycée voisin, sans que cela leur soit garanti. Mais si le plus proche est à 20 km sans être desservi par un bus ? Et faire un emploi du temps concret sera un véritable casse-tête. Ces inégalités géographiques induiront des choix contraints. Ainsi, selon des remontées partielles, la part des élèves qui demandent NSI varie du simple au quintuple en fonction de sa présence ou de son absence. Toujours selon des échantillons observés, les trois spécialités scientifiques (mathématiques, sciences physiques et SVT) sont choisies par les meilleurs élèves (qui sont aussi ceux venant des familles les plus favorisées statistiquement) : 78 % des meilleurs élèves ont choisi mathématiques contre 23 % des élèves qui ont les moins bonnes notes. Il y a donc des inégalités sociales face aux matières. Sans parler de la capacité à se construire un parcours cohérent qui n'est pas nécessairement la chose au monde la mieux partagée. Jusqu'ici, les garçons étaient sur-représentés en S, les filles l'étaient en séries ES et L. Le lycée nouvelle formule ne va pas changer la donne.
Et il y a les DHG trop souvent insuffisantes pour permettre les dédoublements, les problèmes de matériels et de salles. Ces difficultés sont dénoncées massivement par les enseignants, les élèves et les parents d'élèves. La Fédération des conseils de parents d'élèves a rappelé que le Conseil supérieur de l'éducation a émis un avis défavorable sur la réforme et elle demande un moratoire d'au moins un an.
Il reste donc des obstacles de taille à lever absolument car, à notre époque, il faut absolument réussir l'incontournable enseignement de l'informatique.
Les implications pour l'enseignement supérieur
Le colloque du 17 avril a réuni de nombreux acteurs concernés par l'informatique au lycée et ses implications post-bac, accueillant près de 140 participants [3].
Pour permettre le choix des spécialités par les élèves, la communauté universitaire des enseignants d'informatique se doit de préciser ses attentes. L'université va voir arriver des étudiants ayant suivi NSI et d'autres qui n'auront pas pu ou pas choisi de suivre la spécialité. Comment gérer l'hétérogénéité qui en découlera ? Démarrer de zéro pour tout le monde ne sera plus possible. Il faudra proposer des remises à niveau en début de cursus avec des parcours adaptés, donner des heures d'enseignement supplémentaires à ceux qui en auront besoin. Mais la question est posée de comment faire pour accueillir un double public dans un contexte de moyens limités, ne permettant pas de généraliser une 4e année.
Les classes préparatoires aux grandes écoles représentent un enjeu important ayant une incidence réelle sur le choix de NSI par les lycéens. Faudra-t-il avoir fait NSI pour entrer dans une classe préparatoire ? Il est essentiel d'offrir aux bacheliers ayant suivi NSI une « vraie » formation informatique en CPGE en créant une filière « mathématiques informatique ».
Les enjeux économiques sont de la plus haute importance. Le marché de l'emploi est en demande : il manque au bas mot 10 000 informaticiens par an. Les entreprises ont besoin de docteurs en informatique. Mais avoir des docteurs qui s'engagent implique d'offrir une voie technique aussi intéressante que la voie managériale en termes de carrières, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui dans les entreprises. Peu ou prou tous les métiers sont touchés par l'informatique. De nouveaux métiers apparaissent et apparaîtront. Les fondements de l'informatique sont donc à consolider pour tous. Et, d'une manière générale, les sciences, notamment les mathématiques, n'ont pas dans le tronc commun des nouveaux programmes de la réforme du lycée la place correspondant aux nécessités de l'époque : un vrai problème.
Courrier à l'EPI d'Édouard Geffray, directeur des ressources humaines au Ministère de l'Éducation nationale
Dans son courrier [4], Édouard Geffray, concernant le dispositif de formation accompagnant les professeurs qui assureront NSI, précise qu'il répond à trois exigences. « La première est d'assurer aux professeurs volontaires le même niveau de qualité de formation sur l'ensemble du territoire. C'est pourquoi cette formation est valorisée par l'obtention d'un diplôme inter-universitaire (DIU). La deuxième est de proposer des méthodes adaptées... La troisième tient au niveau d'exigence de la formation elle-même. Elle se traduit par la définition de pré-requis visant à s'assurer que les professeurs disposent de la connaissance et ont une pratique pédagogique leur permettant de s'approprier la nouvelle formation... ».
Il indique également : « ... Cependant, j'ai pu constater l'implication et l'intérêt réels de (...) nombreux professeurs (...) mes services étudient la possibilité de mettre en œuvre un dispositif de formation adapté qui permettrait d'assurer la montée en compétence de ces professeurs volontaires et d'enrichir ainsi le vivier des professeurs susceptibles d'assurer cet enseignement. Par ailleurs, le DIU sera maintenu au-delà de cette première promotion, dans des conditions à déterminer et de nature à répondre aux demandes à venir. »
Mais, concernant la demande sur les supports de cours exprimée par des enseignants, il écrit : « ... autoriser l'accès à des supports de cours aux professeurs n'ayant pas pu suivre cette formation ne me paraît ni possible ni souhaitable alors que les universités délivrant ces formations ont atteint leur capacité maximale devant le succès du dispositif. » Or, on peut penser que ces documents seraient aussi utiles à la préparation de leurs cours pour les enseignants de NSI dispensés du DIU et à ceux qui, non retenus cette année, en bénéficieront ultérieurement puisque le « DIU sera maintenu au-delà de cette première promotion ».
Et des références au Capes informatique (dont le nombre de places mises au concours aurait significativement augmenté...) seraient les bienvenues.
Création de l'AEIF
L'enseignement de spécialité NSI va donc être mis en place à la rentrée de septembre 2019. Dans ce contexte, l'AEIF(Association des Enseignantes et Enseignants en Informatique de France) vient d'être créée [5]. Elle prend pour principe de départ que l'informatique est une discipline à part entière. L'AEIF « a déjà reçu le soutien d'associations connues et reconnues comme la SIF (Société Informatique de France) et l'EPI (Enseignement Public & Informatique) ». Pour l'AEIF, il est important d'être affiliée à ces associations afin de bénéficier de leur expérience et de leur expertise.
15 mai 2019
Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
NOTES
[1] https://www.societe-informatique-de-france.fr/2019/03/la-specialite-informatique-au-bac-nsi-une-immense-opportunite-pour-lenseignement-superieur/
[2] Quels professeurs pour SNT en 2019 ?
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1903a.htm
Enseignement de l'informatique : avancées réelles et problèmes qui le sont tout autant
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1902a.htm
Enfin un Capes d'informatique !
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1901a.htm
Enseignement de l'informatique et réforme du lycée
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1812a.htm
La réforme du lycée : des avancées mais des questions
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1810a.htm
Formation des enseignants encore et toujours La réforme du lycée, de sérieuses inquiétudes
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1809a.htm
[3] De nombreux acteurs étaient réunis, des membres des ministères (IG du MENJ, DGESIP du MESRI), des professeurs (APMEP, UPS), des parents d'élèves (APEL, FCPE, PEEP), des étudiants et lycéens, mais aussi des acteurs de l'enseignement supérieur (DUT, Licence, Master, Doctorat) et école d'ingénieurs (Centrale-Supelec, Cnam, EPITA) ainsi que des organisations représentatives (ACDI-IUT, CDEFI, CDUS et CPU). Sans oublier les acteurs du monde économique : le Cigref, le Syntec Numérique et Talents du Numérique.
La Société informatique de France a tenu à remercier les sponsors (le Cigref, le Cnam, le Syntec Numérique et Talents du Numérique) pour leurs soutiens importants à l'organisation de cette journée ainsi que ses partenaires (APMEP, Class'Code, CDEFI, Cinovv-IT, EPI, UPS et Specif Campus).
[4] https://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1905a.pdf
[5] http://aeif.fr/
|