Formation des enseignants encore et toujours
La réforme du lycée, de sérieuses inquiétudes
Des auditions à l'Assemblée nationale
L'EPI a été auditionnée par la Commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, à la demande de son Président Bruno Studer, dans le cadre de la Mission d'information sur l'école dans la société du numérique dont il est le président. Jacques Baudé, Luc Bougé et Christine Froidevaux ont répondu à l'invitation le 27 juin. Ils ont eu l'occasion de développer l'importance cruciale de la formation des enseignants à l'informatique et la nécessité de créer sans plus attendre un Capes et une agrégation à l'égal des autres disciplines. Nous n'entrerons pas ici dans le détail de cette audition d'une heure qui fait l'objet d'une vidéo sur le site de l'Assemblée [1].
Elle faisait suite à celle de Gérard Berry, Professeur au Collège de France, le 8 mars 2018. Gérard Berry a commencé par rappeler que « l'informatique est une science et un technologie comme d'ailleurs la physique ou la biologie. Mais elle a ses spécificités et est au cœur d'un numérique omniprésent. La France a fait le choix de ne pas développer une industrie informatique et corrélativement de ne pas enseigner cette discipline dès l'enseignement secondaire général. C'est une grave erreur. C'est également une erreur de ne pas proposer aux étudiants, formés par l'université, Capes et agrégation qui leur ouvriraient une carrière dans l'enseignement. On sait ce qu'il faut enseigner à l'école primaire, au collège et au lycée mais on n'a pas les enseignants. Le problème est politique. Il faut une prise de décision formelle et massive si l'on ne veut pas que la France soit colonisée sur le plan informatique par d'autres pays... ». Ce court résumé d'un brillant exposé d'une heure trente ne dispense pas de visionner la vidéo ! [2].
Pour un Capes et une agrégation d'informatique
Le rapport de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, déposé par sa Présidente Catherine Morin-Desailly, appelle à lancer un plan numérique axé sur la formation et à faire du numérique la grande cause nationale de 2019. Parmi 36 recommandations : « Instaurer l'enseignement des sciences du numérique comme discipline autonome et créer un CAPES informatique afin de professionnaliser la formation aux sciences du numérique dans l'enseignement secondaire » [3].
À l'Assemblée nationale, à l'occasion des questions orales sans débat, le 30 janvier 2018, Danièle Hérin s'est adressée à la ministre Frédérique Vidal et lui a demandé une discipline informatique avec Capes et agrégation [4].
Lors de son Congrès National de Rennes (26-30 mars 2018), le SNES-FSU s'est mandaté pour la création d'une agrégation d'informatique [5] : « Des enseignements visant à construire des savoirs et connaissances liés à l'informatique et au numérique sont présents à tous les niveaux du 2dnd degré, mais éclaté entre plusieurs disciplines. Le Gouvernement fait de ce type d'enseignement un enjeu de communication et organise encore leur développement, notamment en lycée. Enfin, un enseignement d'informatique est présent en CPGE dans de nombreuses filières.
À ces titres, le SNES-FSU revendique la création d'une agrégation d'informatique, qui permettrait de couvrir les besoins déjà présents et à venir en personnels qualifiés, formés et compétents, dans le cadre statutaire normal.
Un tel concours limiterait le recours à des recrutements de contractuels ou la création de postes spécifiques pour valoriser les certifications déjà détenues par les collègues
Décliné en même temps en concours interne, il offre une possibilité d'évolution de carrière à des collègues qui disposent de certifications ou issus de disciplines sans agrégation et disposant de compétences dans le domaine et d'expérience professionnelle d'enseignement de ce type de contenus. »
On l'aura compris, il est beaucoup question de la formation des enseignants, d'enseignants d'informatique en particulier, les prises de position favorables à un Capes et une agrégation se multipliant [6]. D'une manière générale aussi.
Le statut de la Fonction publique pour la qualité et la pérennité de l'enseignement
Ainsi apprend-on que, dans un entretien donné à l'hebdomadaire L'Obs publié le 30 août 2018, Jean-Michel Blanquer veut donner « un peu d'air au système ». Le ministre de l'Éducation nationale veut développer le recrutement ciblé des professeurs afin de « dynamiser » leur carrière [7]. « Pour mettre en place ce nouveau mécanisme qui pourrait concerner jusqu'à 10 % des recrutements, le gouvernement « entend développer des systèmes de ressources humaines « de proximité », déployés au sein même des établissements. » Se dirigerait-on vers une Éducation qui ne serait plus nationale ? S'agit-il d'une nouvelle attaque, bien dans l'air du temps, contre la Fonction publique, son statut et son recrutement sur concours nationaux de professeurs titulaires ? La question mérite d'être posée. Le statut de fonctionnaire doit rester la règle. Il y va de la qualité et de la pérennité locale et nationale. Le recours à des contractuels est une façon éprouvée de contourner le statut de fonctionnaire. Par exemple, selon le SNES-FSU, l'académie de Versailles fait appel à Pôle emploi pour 600 contractuels ; elle en compte déjà 4 700.
Des besoins en enseignants
Concernant l'informatique, dans le dossier de presse du 21 août 2018 Le numérique au service de l'École de la confiance, Jean-Michel Blanquer revient sur les créations précédemment annoncées [8] : « L'enseignement du numérique et de l'informatique proprement dits est également considérablement renouvelé et renforcé avec l'introduction de nouveaux enseignements. » [9]. Mais, à la rentrée 2019, la mise en place de « Sciences numériques et technologie » (1h30) pour tous les élèves de Seconde signifie 2 500 professeurs pour assurer cet enseignement, Qui sont-ils, où sont-ils ? En Première et Terminale, « Enseignement scientifique », dont les contours sont flous et dont on ne sait pas qui l'assurera, c'est, globalement sur une année scolaire, 36 fois 2h puis 36 fois 2h. L'enseignement de spécialité « Numérique et sciences informatiques » représente 4 heures en Première (2019) et 6 heures en Terminale (2020). Rappelons que l'horaire de l'actuelle option de Terminale « Informatique et sciences du numérique » est de 2h. Une augmentation de 400 % ! Pour mettre en œuvre ces enseignements, il faut avoir en nombre des professeurs compétents en informatique [10]. Or, dans ce dossier très détaillé, rien sur des mesures transitoires dans le cadre de la formation continue à mettre en œuvre dès cette rentrée ! Ces mesures sont indispensables car on ne pourra pas satisfaire les besoins affichés sans recourir aux professeurs en poste, notamment de lycée, mais peut-être aussi de collège. En premier lieu, les professeurs des actuelles options ISN et ICN. Il faut lancer sans attendre des formations analogues aux formations « lourdes » des années 70 et 80. Il faut des décharges, des garanties et des reconnaissances de carrière (rémunérations, mutations...). Une simple « habilitation » ne suffit pas.
Rien non plus dans le Dossier de rentrée Ensemble pour l'école de la confiance (103 pages pdf) [11]. On attend donc des mesures de formation continue.
Mais il faut aussi sans attendre préparer l'avenir, à court, moyen et longs termes. Un Capes informatique est indispensable. On en entend parler çà et là. Mais rien du côté du ministère, rien d'officiel. Et la création d'une agrégation d'informatique est tout autant indispensable.
On nous dit parfois qu'il serait difficile de recruter des professeurs d'informatique. Soit, mais la crise de recrutement de professeurs touche beaucoup de disciplines. Elle s'approfondit et devient franchement inquiétante pour l'avenir du pays. Le métier est difficile et la France est en 27e position en Europe pour la rémunération des enseignants : la revalorisation du métier d'enseignant s'impose. Il y a donc des solutions au problème.
La réforme du lycée : de sérieuses inquiétudes
Et rappelons que le cadre général de la réforme du lycée n'est pas sans susciter des interrogations et de sérieuses inquiétudes quant à sa faisabilité, son organisation concrète dans les établissements. Une note de service adressée aux recteurs organise la mise en place des enseignements de spécialité en cycle terminal au lycée général et technologique et les modalités de choix des élèves [12].
« Un périmètre raisonnable » ! Sept des enseignements de spécialité (humanités, littérature et philosophie ; langues, littératures et cultures étrangères ; histoire géographie, géopolitique et sciences politiques ; sciences économiques et sociales ; mathématiques ; physique-chimie ; sciences de la vie et de la Terre) « doivent pouvoir être accessibles dans un périmètre raisonnable », et non dans chaque lycée. Les lycées seront donc mis en réseaux. Un élève d'un lycée pourra suivre une spécialité dans un autre établissement voire même au CNED si nécessaire (« Dans le cas d'un établissement isolé, l'enseignement de spécialité non présent dans l'établissement est assuré par le biais du Cned. »).
« Les enseignements de spécialité plus spécifiques (arts, littérature et LCA, ainsi que numérique et sciences informatiques, et sciences de l'ingénieur, dont l'offre sera amenée à progresser dans les prochaines années) feront l'objet d'une carte académique, voire nationale pour les plus rares d'entre eux. La spécialité biologie-écologie est offerte uniquement dans les établissements agricoles. »
Redisons que le numérique et l'informatique sont omniprésents dans la société. À ce titre, la science et technique informatique doit faire partie de la culture générale de tous et donc de la culture générale scolaire de tous les élèves.
À la lecture de cette note de service du ministère, on peut donc légitimement se demander si les réels objectifs de la réforme du lycée ne sont pas de réduire l'offre scolaire, de faire des économies et ainsi d'aggraver les inégalités entre les établissements et les élèves.
Sans parler de la place des sciences dans la formation des élèves qui laisse à désirer [13].
Des enjeux forts pour tous
Quand le refus persistant depuis des décennies de créer un Capes et une agrégation d'informatique, une évidence pourtant, prendra-t-il fin ? Le plus tôt sera le mieux. Il s'inscrit dans ce contexte général. Il est emblématique d'enjeux forts pour tous les enseignants. Informatique et autres disciplines même combat !
Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
NOTES
[1] Vidéo de l'audition de Jacques Baudé, Luc Bougé et Christine Froidevaux, le 17 juin 2018. Se positionner à 01-36, durée 1h.
http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6313732_5b339d1f0485a.l-ecole-dans-la-societe-du-numerique--table-ronde-d-editeurs-scolaires-27-juin-2018#%C2%A0%E2%80%A6-
[2] Vidéo de l'audition de Gérard Berry le 8 mars 2018.
http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5652256_5aa0f287bd55b.l-ecole-dans-la-societe-du-numerique--m-gerard-berry-professeur-au-college-de-france-8-mars-2018
[3] https://www.senat.fr/rapports-senateur/morin_desailly_catherine04070g.html
Synthèse en 8 pages : https://www.senat.fr/rap/r17-607/r17-607-syn.pdf
[4] http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1803g.htm
[5] https://www.snes.edu/Le-SNES-FSU-pour-la-creation-d-une-agregation-d-informatique.html
[6] Voir entres autres le Mémorandum SIF : https://www.societe-informatique-de-france.fr/ wp-content/uploads/2018/04/2018-04-10-Memorandum-version-publique.pdf
[7] https://www.nouvelobs.com/education/20180828.OBS1470/rentree-scolaire-comment-jean-michel-blanquer-veut-changer-la-vie-des-profs.html
[8] L'EPI, qui mène la bataille en faveur d'un enseignement de l'informatique pour tous les élèves, s'était félicitée de ces créations.
[9] http://www.education.gouv.fr/cid133192/le-numerique-au-service-de-l-ecole-de-la-confiance.html
http://cache.media.education.gouv.fr/file/08_-_Aout/36/1/DP-LUDOVIA_987361.pdf
[10] La mère de toutes les batailles :
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1806a.htm
Qui pour enseigner l'informatique ? Et l'IA dans tout cela ? :
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1804a.htm
[11] http://cache.media.education.gouv.fr/file/Rentree_2018-2019/82/9/2018_DPrentree_989829.pdf
[12] http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=133602
[13] Des programmes scolaires et des formations de professeurs d'informatique pour la science informatique :
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1803a.htm
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