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L'informatique dans les écoles, collèges et lycées français

Plus de 40 années de présence active de l'EPI

Jacques Baudé
 

Cet article correspond à l'intervention faite par Jacques Baudé, président d'Honneur de l'EPI, au colloque : « Vers un musée de l'Informatique et de la Société Numérique en France ? » au CNAM-Paris le 8 novembre 2012. Il est largement inspiré de « Quelques points de repère dans une histoire de 40 ans. L'association Enseignement Public et Informatique (EPI) de février 1971 à février 2011 » qu'il a eu l'occasion d'écrire, à la demande du Bureau national de l'association, en février 2011, pour le quarantième anniversaire de l'EPI.
Adhérent de la première heure, secrétaire général puis président de l'EPI de 1981 à 1995, Jacques Baudé extrait de ses souvenirs, et surtout des publications de l'EPI, les thèmes essentiels des actions de l'association depuis sa fondation. L'histoire de l'EPI et celle de l'informatique pédagogique (expression créée par l'EPI) en France, se confondent en grande partie.

La rédaction

Mots-clés : EPI, informatique pédagogique, complémentarité des approches, recherche pédagogique, formation des enseignants, matériels, maintenance, logiciels, culture générale, discipline informatique, programmation, politique globale, prospective, compétitivité, relance économique.

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   Il est clair qu'il n'est pas question pour moi de résumer une histoire de plus de quarante années en quelques pages aussi je m'en tiendrais à quelques événements essentiels qui jalonnent ces quatre décennies. Je ne suis pas historien et ayant personnellement vécu cette période – puisque je suis tombé dans le chaudron de l'informatique pédagogique en 1970 – mon propos contiendra inévitablement une part de subjectivité. Pour m'éviter au maximum de réécrire l'histoire je me suis tenu au plus près des textes et documents que chacun pourra consulter sur le présent site de l'EPI et dans la « collection EPI » de l'archive ouverte Edutice [1].

   D'abord, je tiens à remercier les organisateurs de ce Colloque d'avoir invité l'EPI. Certains peuvent se demander, pourquoi mêler une association d'enseignants à une histoire de l'informatique ? La fondation de l'EPI en donne déjà un début de réponse.

   Même s'il y a eu quelques actions, ici et là, au cours de la décennie 60 notamment au lycée de La Celle Saint Cloud, où j'enseignais la Biologie, (lycée d'enseignement général équipé d'un IRIS 10 de la CII dès 1968 [2]), il est coutume de dire que l'informatique débute dans l'enseignement scolaire avec le séminaire de Sèvres (mars 1970) [3]. Ce séminaire, intitulé « l'enseignement de l'informatique à l'école secondaire », a été organisé par l'Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) avec la collaboration de la Direction de la Coopération du Ministère français de l'Éducation nationale.

   On peut lire dans la préface des Actes : « Aujourd'hui nous prenons conscience, non sans peine – et peut-être trop tard – de la nécessité de considérer l'innovation technologique sous le double aspect de son retentissement sur la société et de sa contribution aux réalisations techniques et économiques. C'est dans ce contexte que les relations entre l'ordinateur et l'enseignement sont devenues, pour la plupart des pays membres de l'OCDE, un grave sujet de préoccupation. »

 

   Il est évident pour tous les participants à ce séminaire qu'une action importante doit être entreprise dans le domaine de la formation des enseignants à l'informatique. Il s'en suivra, pour la France, les premiers stages « lourds » d'un millier d'enseignants qui débuteront chez les trois constructeurs (IBM, CII, et Honeywell-Bull) en 1970-1971.

   Dès leurs premières réunions d'ensemble, les stagiaires ressentirent la nécessité d'une structure spécifique d'accueil, d'échange d'informations, de réflexions, qui permette, en toute occasion, leur expression collective indépendante. C'est ainsi que fut créée, par les stagiaires 1970-1971, l'association Enseignement Public et Informatique (EPI). L'association est déclarée à la Préfecture de Paris le 1er février 1971 (Journal officiel du 12 février 1971). Ses statuts, peine modifiés depuis, sont en ligne [4].

   Dès le premier éditorial [5] du Bulletin EPI (décembre 1971) se manifeste le souci de complémentarité des approches qui sera le fil d'Ariane de l'EPI tout au long de ces 40 années : « ... Notre attitude doit rester accueillante à l'égard des diverses expériences pédagogiques. L'introduction de l'informatique se présente actuellement, semble-t-il, sous trois aspects :

  • comme l'enseignement d'une matière nouvelle (sections et établissements spécialisés, cours pour volontaires, enseignement intensif de quelques jours pour tous les élèves d'un même niveau)  ;

  • comme l'enseignement d'une méthode de pensée à l'intérieur des matières existantes, chaque professeur retrouvant dans sa discipline les notions fondamentales de modèle, d'algorithme, d'information  ;

  • comme l'utilisation d'un moyen nouveau, comparable à ce que fut le premier livre imprimé, aidant le professeur dans la partie répétitive de son travail.

   Si la politique du ministère consiste à favoriser la deuxième solution, et malgré l'intérêt d'un tel choix qui facilite les rapports entre les différentes spécialités, nous pensons que nous devons nous intéresser à ces trois types d'expériences. L'avenir nous dira quelle est la voie la plus sûre. Mais peut-être s'agit-il de trois aspects complémentaires qui devraient coexister. En tout cas, nous ne pouvons ni ne devons choisir dès maintenant... »

   Se manifeste également la volonté de peser, dans une démarche éducative et citoyenne, sur le déploiement de l'informatique dans le système éducatif et d'être de toutes les concertations :

« Membres de l'enseignement public, nous ne devons pas nous laisser déposséder de nos responsabilités. C'est à nous qu'il appartient de dire comment nous utiliserons et comment nous n'utiliserons pas l'informatique. »

   Pour ce qui concerne la France, une conséquence importante de ce séminaire, fut la création au ministère de l'Éducation nationale d'une « mission informatique » dont le responsable sera Wladimir Mercouroff.

   De 1972 à 1976, les adhérents de l'EPI joueront un rôle très actif dans l'expérience des « 58 lycées » (Mitra 15 et T 1600). Je ne reviendrais pas ici sur cette opération, qui marquera fortement les années suivantes, et renvoie au rapport Dix ans d'informatique dans l'enseignement secondaire, 1970-1980 [6]. Je dirais seulement qu'à cette époque tout était à inventer sur les mini-ordinateurs Mitra15 et T1600.

   Depuis la création, en 1971, d'une section « Informatique et Enseignement » au sein de l'INRDP, l'INRP tient un rôle majeur pour le développement de l'informatique pédagogique en France. L'Institut National de Recherche Pédagogique met en place des groupes disciplinaires (Informatique et Lettres, Informatique et Sciences naturelles, etc.), expérimente et produit les premiers logiciels éducatifs. Je me revois encore traduisant de petits programmes de simulation anglais (Linkover, Pop...) de Basic en LSE ! C'était une époque pionnière intense à laquelle il m'est difficile de repenser sans nostalgie. Nombre de membres de l'EPI participent et animent ces groupes.

   Ils conçoivent et programment les premiers logiciels pédagogiques qui fonctionneront pendant des années, adaptés par la suite aux micro-ordinateurs.

   L'EPI fit la promotion du système LSE [7] qui assurait une compatibilité et une portabilité bien supérieures à ce qu'aurait permis alors toute autre combinaison. Le premier manuel LSE fut un numéro spécial du Bulletin de liaison de l'INRP – celui d'avril 1973, réédité et complété en janvier 1975 – avant le numéro spécial EPI en 1981 et les coéditions EPI-CRDP. Sous la direction scientifique de Supélec, plusieurs membres de l'EPI participent à la mise au point du LSE sur le MITRA 15 au lycée de La Celle Saint Cloud.

   Les logiciels (et leurs sources) ainsi que le LSE sont diffusés gratuitement dans le système éducatif. L'esprit du « libre » s'enracine profondément dans la démarche de l'informatique pédagogique française...

   Nous parlons donc là d'informatique « outil » pour les différentes disciplines traditionnelles. Parallèlement, se développèrent les clubs informatiques. En effet, si l'accord se fit très tôt entre l'administration, les syndicats et l'EPI pour ne pas envisager, pour l'informatique, la création d'une discipline nouvelle d'enseignement général et une catégorie particulière d'enseignants, l'initiation des élèves à la programmation informatique fut encouragée par l'EPI dont les adhérents animèrent très tôt de nombreux et actifs clubs informatiques. Dans les lycées et dans les collèges.

   Un nombre non négligeable d'élèves a réalisé, dans le cadre de ces clubs, des travaux remarquables comme en témoigne le concours de programmes AFCET-EPI. Les 103 dossiers retenus (émanant de collégiens mais surtout de lycéens) correspondaient à des travaux réalisés avant le 1er décembre 1980 pour la grande majorité dans l'ambiance intellectuelle des clubs informatiques en liaison avec les différentes disciplines. L'EPI a publié, en juin 1982, un numéro spécial de son Bulletin consacré aux travaux des 16 premiers lauréats [8].

   Je tiens à faire remarquer que si l'histoire française de l'introduction de l'informatique dans l'enseignement a privilégié les lycées, dès les origines, la place tenue par les professeurs puis par les élèves des collèges, notamment dans l'expérience des 58 lycées, a été importante  ; elle est le plus souvent ignorée. L'appellation trompeuse « d'expérience des 58 lycées » fut donnée après que collèges et lycées aient été séparés. Je renvoie au dossier EPI n° 4, L'informatique au collège, supplément au Bulletin de mars 1984 [9].

   On voit là la complémentarité des approches se dessiner peu à peu, évidemment à échelle encore très réduite : l'informatique « outil » et l'informatique « objet » matérialisée dans les clubs informatiques. Les choses ne s'annoncent pas trop mal. Il est à noter que le ministère de l'éducation nationale a mis les boeufs devant la charrue... Je veux dire, que la formation des enseignants (formations « lourdes ») précède ou accompagne leurs interventions dans les classes. Ça mérite d'être souligné.

   Ainsi de 1970 à 1976, 528 collègues furent formés (140 « mathématiciens », environ 200 « littéraires », plus de quarante « économistes »...). Le souci de former des équipes en rapport avec les établissements équipés prévalut sur celui d'une répartition géographiquement satisfaisante, cela n'alla pas sans problème, compte tenu du grand nombre de candidatures.

   Dans le même temps, le CNTE de Vanves diffuse un cours par correspondance rédigé par un groupe d'enseignants, souvent membres de l'EPI, et complété par deux fois deux jours d'applications sur ordinateur. Cette formation dite « légère » concerna plus de 5 000 collègues. Enfin, nombreux furent ceux qui se formèrent « sur le tas » et/ou en dehors de l'expérience.

   Malheureusement, l'élan va être stoppé en 1976. À la suite d'un « plan d'austérité », l'expérience des 58 lycées est mise en attente, avec interruption des formations « lourdes ». Suivront cinq années sans nouveaux équipements, sans véritable formation. Le « vivier » des formés « lourds » va s'appauvrir ce qui va compromettre gravement les opérations ultérieures.

   On voit apparaître les premières dents de scie d'une politique de déploiement de l'informatique dans le système éducatif et on commence à se rendre compte que ce déploiement sera plus chaotique que linéaire. Les changements de ministres de l'Éducation nationale (l'EPI en a connu 19 depuis sa fondation) ne rajoutant rien.

   En 1978, le rapport Nora-Minc, L'informatisation de la société est remis en janvier 1978 au Président Giscard d'Estaing qui, en novembre, demande au gouvernement d'élaborer un nouveau plan informatique pour accroître l'efficacité et la compétitivité du système économique. En février 1979, le Ministère de l'Industrie et la mission informatique proposent au MEN le financement du début d'un plan d'équipement visant à la généralisation des équipements des lycées en micro-ordinateurs. 10 000 micro-ordinateurs sont annoncés. Mais toujours pas de reprise des formations « lourdes »... et cette fois, les matériels précèdent les formations. On voit apparaître l'argument de « l'intérêt supérieur de la nation » [10] qui était déjà en filigrane dans les conclusions du séminaire de Sèvres. Il fait quelque peu bouger les lignes.

   En 1979-1980, Jacques Arsac, qui avait probablement constaté une certaine stagnation dans le développement de l'informatique « outil », propose au Directeur des lycées et collèges, Jean Saurel, une expérimentation dans quelques lycées de la région parisienne d'un enseignement optionnel de l'informatique. L'EPI suit les choses de près et rencontre le Directeur des lycées. Un débat s'instaure dans et hors de l'association. Faut-il ou non une discipline d'enseignement général en informatique ? Le souci de pluralité des approches tend à faire pencher pour l'affirmative. Discipline optionnelle ou pas ? Ce débat aura la vie dure tant notre pays aime débattre pendant que d'autres agissent.

   Dans son premier Manifeste [11] (assemblée générale de 1979), l'EPI plaide une fois de plus pour la complémentarité des approches : « L'informatique, en tant qu'outil pédagogique, peut s'appliquer à tous les niveaux d'enseignement. Mais elle ne doit pas se limiter à cela. Elle doit aussi devenir un élément de culture générale dont tous les élèves puissent bénéficier. (...) »

   Se fondant sur ce manifeste, le Bureau de l'EPI multiplie les interventions auprès des autorités administratives (Direction des Lycées, Direction des Collèges, Direction des Écoles) et contacte les syndicats d'enseignants et les associations de spécialistes. L'utilisation de l'outil informatique et l'enseignement de l'informatique sont loin d'avoir pénétré les esprits !

La décennie 80

   Le 25 novembre 1980, au cours du colloque « Le mariage du siècle : éducation et informatique » (excusez du peu), Jean Saurel, Directeur des Lycées et collèges, que l'EPI a eu l'occasion de rencontrer à plusieurs reprises, se prononce pour une complémentarité des approches : « ... Nous continuerons dans la voie qui a été ouverte depuis 1970, par l'utilisation de l'informatique comme outil pédagogique dans les disciplines ; mais en même temps, à partir de la rentrée 1981-82, nous allons faire un certain nombre d'expériences dans les lycées sous la forme d'enseignement optionnel, et peut-être dans les collèges, en ce qui concerne l'enseignement de l'informatique. Nous ouvrons 10 ou 15 expériences pour essayer d'y voir clair. »

   En 1980 est amorcé également un plan informatique pour les écoles normales et les écoles. (Une circulaire de la Direction des Écoles, définira en mars 1983, les trois directions dans lesquelles s'engage l'informatique à l'école.) Cf. « Informatique à l'école : introduction et éléments d'histoire » [12].

   Mais reprenons le fil. En 1981, élection de François Mitterrand. À la suite du « gel » du plan informatique demandé par le SGEN-CFDT, le nouveau ministre de l'Éducation nationale, Alain Savary, confie une mission à Claude Pair et Yves Le Corre. Ceux-ci remettent le 15 octobre un rapport (pour lequel l'EPI a été largement auditionnée) dans lequel tout est dit : recherche, formation, équipements, logiciels, structures...) [13].

   Le nouveau gouvernement donne la priorité aux « technologies nouvelles ». C'est le retour à l'impératif industriel, l'affirmation d'une informatique française. Les décisions politiques sont prises au plus haut niveau. Ce ne sera pas toujours le cas !

   Claude Pair, devenu Directeur des lycées, met en place un Comité Scientifique National (CSN) chargé du suivi et du pilotage de l'option informatique des lycées. J'y représenterai l'EPI pendant plus de dix ans.

   L'expression « informatique pédagogique » couramment utilisée par l'association et largement reprise, a été lancée par l'EPI dès les années 80. Elle englobe à la fois – dans l'esprit de ses créateurs – l'informatique « outil » pour les différentes disciplines et l'informatique « objet » d'enseignement. Nous avons vu que l'idée de complémentarité des approches remonte à la fondation de l'EPI (1971). Une mise au point sera faite par le président de l'EPI dans l'éditorial du numéro de décembre 1987 [14]. Beaucoup n'ont pas compris, ou n'ont pas voulu comprendre, le sens de cette expression qui prend tout son sens à la création expérimentale de l'option des lycées des lycées.

   En 1982, l'EPI rencontre Alain Savary. De cette rencontre naîtra l'idée d'un grand colloque national Informatique et enseignement », co-organisé par le MEN et l'EPI, qui mobilisera les plus hauts responsables du pays (Président de la République, Premier Ministre, Ministres, Recteurs, etc.). On relira avec intérêt le discours de François Mitterrand qui commence par « L'informatique, l'homme pressé de la science... » [15].

   En janvier 1985, Laurent Fabius, Premier Ministre, présente le plan « Informatique Pour Tous » (IPT) [16]. Cette opération souvent décriée, surtout par celles et ceux qui ne l'ont pas connue, a eu le mérite de faire prendre conscience de l'importance de l'informatique pour le système éducatif et au-delà pour l'ensemble de la société. Elle s'est largement appuyée sur les enseignants issus des formations « lourdes » dont un grand nombre était des membres de l'EPI. Ce plan conçu pour la durée a été malheureusement interrompu pour l'essentiel par le changement de gouvernement (législatives de 1986).

   Les publications EPI se multiplient, ce sont des milliers de pages publiées et diffusées qui témoignent des expériences et pratiques d'enseignants novateurs (voir la note 1).

   À la suite des élections législatives de 1986, Jean-Pierre Chevènement est remplacé par René Monory. L'EPI, reçue au cabinet du ministre, a quelques motifs de s'inquiéter. On assistera bientôt à la disparition de la Mission des technologies nouvelles qui a suivi de peu celle de la « Délégation Trigano » privant le plan IPT de ses organes nationaux de pilotage. Ceux qui critiquent l'opération IPT seraient bien inspirés de tenir compte de cette nouvelle donne. Objet d'appréciations brutales, souvent péjoratives, le CNDP est menacé d'amputation sévère particulièrement dans sa production de logiciels d'enseignement. « Les logiciels sont l'affaire de professionnels » entend-on rue de Grenelle.

   Par contre le Conseil Scientifique National pilotant l'option informatique est maintenu. L'EPI continue de participer à ses travaux.

   1988 : réélection de François Mitterrand à la Présidence de la République. Dissolution de l'Assemblée nationale. Gouvernement de Gauche. Ministre de l'Éducation nationale : Lionel Jospin. Les choses ne repartent pas et l'EPI s'impatiente. « la relance de l'informatique s'impose d'urgence » peut-on lire dans l'éditorial du Bulletin n° 51 de septembre 1988.

   Déplorant l'absence d'une politique globale, l'EPI dans son rôle de « poil à gratter » multiplie audiences et rencontres (Élysée, Matignon, cabinet de Lionel Jospin, députés, sénateurs, syndicats, associations de parents, etc.).

   Pour l'anecdote, le Directeur adjoint du cabinet, lors d'une audience, a eu ce mot : « L'EPI est la mémoire de l'informatique pédagogique dans notre pays ! » Bien vu, Monsieur le Directeur. Et Lionel Jospin, Ministre d'État a bien voulu reconnaître qu'en donnant régulièrement son point de vue l'EPI était conforme à sa mission (cf. Bulletin n° 56 page 32). Effectivement, depuis sa création, l'EPI se veut force de proposition  ; c'est dans cet esprit qu'elle fait fonctionner des commissions de réflexion faisant largement appel à l'ensemble des adhérents par l'intermédiaire des Régionales.

   L'EPI obtient que l'informatique ne soit pas oubliée par le projet de loi d'orientation sur l'éducation. On peut y lire, mais en annexe, « L'informatique est une technique et une science autonome. Mais c'est également un outil d'enseignement permettant une meilleure individualisation de l'apprentissage, des situations pédagogiques nouvelles et le développement de capacités logiques et organisatrices ». Il était temps !

La décennie 90

   Une décennie sous le signe de l'alternance et de la cohabitation, qui connaîtra cinq ministres de l'Éducation nationale (L. Jospin, J. Lang, F. Bayrou, C. Allègre et à nouveau J. Lang) ce qui ne facilite pas la continuité d'une politique éducative. Un exemple caricatural sera donné par l'option informatique supprimée par L. Jospin (ou plutôt par ses conseillers) rétablie par F. Bayrou et supprimée à nouveau par C. Allègre (ex-conseiller spécial de L. Jospin) ! Et tout cela sur fond de déclarations sur l'importance de l'informatique dans la société.

   En ce début d'année 90, force est de constater que l'informatique pédagogique et les Nouvelles Techniques de l'Information et de la Communication en général, restent quasi absentes des débats.

   Voici l'intégralité des propositions de l'assemblée générale EPI du 20 octobre 1990 très largement diffusées. Elles ont servi de bases aux démarches de l'association au cours des années suivantes.
« Pour un développement cohérent et efficace de l'informatique dans le système éducatif, il faut :
*
créer une mission permanente placée directement sous la responsabilité du Ministre d'État, rassemblant des compétences réelles et qui aurait à faire des propositions pour le moyen et le long termes  ; cette mission étant l'interlocutrice privilégiée des responsables académiques,
*
définir une politique globale, cohérente, se développant dans la continuité et la durée, et s'appuyant résolument sur la concertation,
*
définir pour chaque étape du cursus scolaire des objectifs globaux à atteindre, des compétences à acquérir, qui nécessiteront les actions conjointes des différentes disciplines, du CDI, du travail indépendant...,
*
donner la priorité, dans l'enseignement général comme dans les enseignements technologiques et professionnels, à l'intégration de l'informatique dans les différentes disciplines  ; ce qui n'exclut pas la possibilité d'enseignements spécifiques de l'informatique,
*
prévoir explicitement l'utilisation de l'outil informatique dans les programmes d'enseignement et dans les recommandations pédagogiques, réexaminer les contenus et les méthodes d'enseignement,
*
reconnaître et amplifier, conformément à la loi d'orientation sur l'Éducation (rapport annexé), l'importance de la recherche pédagogique dans le développement de l'informatique à l'École. En utilisant les compétences existantes, faire le point sur les acquis tout en poursuivant la recherche de voies nouvelles,
*
intégrer l'informatique pédagogique dans les formations initiales et continues de tous les enseignants  ; les compétences actuelles des Écoles Normales et des Centres de formation à l'informatique pédagogique devant être intégrées aux IUFM,
*
créer un Atelier National Logiciel chargé de la production et de la diffusion de logiciels répondant aux besoins exprimés des enseignants. Les activités de cet atelier seraient complémentaires de celles du secteur privé, une collaboration devant s'établir entre eux,
*
créer une commission nationale des matériels, où les enseignants utilisateurs seraient représentés, qui serait l'interlocutrice privilégiée des responsables académiques,
*
prévoir des moyens d'animation dans les écoles et les établissements scolaires et universitaires sans lesquels matériels et logiciels ne seront que très insuffisamment utilisés,
*
équiper chaque salle de réunion d'enseignants d'au moins un ordinateur et une imprimante,
*
prévoir de très larges facilités pour l'achat de matériels et de logiciels par les enseignants et la possibilité de prêts gratuits de moyenne ou longue durée pour les enseignants et les futurs enseignants (IUFM),
*
lancer, dans la concertation, une large réflexion prospective : de puissants moyens technologiques seront progressivement accessibles au grand public, il y a là un risque d'inégalité que l'école se doit de compense ».

   Certaines propositions verront progressivement le jour, d'autres pas.

   Les choses avancent mais trop lentement à nos yeux. L'essentiel repose sur une minorité très motivée et donc très active dont les réalisations souvent remarquables servent de vitrine à un magasin peu achalandé. L'utilisation dans les disciplines stagne et stagnera encore longtemps [17] tant que des formations initiales et continues efficaces ne seront pas mises en place et généralisées.

   Le ministère pourrait se poser des questions. Se demander, par exemple, s'il ne faudrait pas développer en complément de l'utilisation de l'informatique dans les disciplines, qui a du mal à décoller, un enseignement de l'informatique en tant que tel.

   Au lieu de cela, on assiste en 1992 à la première suppression de l'option informatique des lycées au motif, non dit, de récupération de postes d'enseignants scientifiques [18]. Ce mauvais coup qui nous fera perdre des années n'empêche pas l'EPI de continuer ses actions diversifiées : informatique dans les disciplines, logiciels, recherche pédagogique, formation des enseignants...

   Je parlai au début de cet exposé de politique en dents de scie. Cette option sera rétablie en 1995 par François Bayrou (proposition n° 58 du « nouveau contrat pour l'École »), puis supprimée à nouveau en 1998 par Claude Allègre. On assiste à la rentrée 2012 à sa résurrection (après mise à jour évidemment) en Terminale scientifique. J'y reviendrai.

   Et l'on attend toujours une politique globale de développement de l'informatique dans le système éducatif. Une politique basée sur la prise de conscience de l'importance considérable de l'informatique dans le monde d'aujourd'hui. Trop de responsables sous-évaluent ce dossier et l'impact qu'il doit avoir sur le système éducatif.

   Ainsi, au fil des années, l'EPI, contrainte à se répéter, soulève l'ensemble des problèmes accompagnant le déploiement de l'informatique et des TIC dans le système éducatif. Les déclarations de ses Assemblées Générales [19] servent notamment à demander et obtenir des audiences auprès des plus hauts responsables (Élysée, Matignon, Ministère de l'Éducation nationale...) des syndicats, des associations de parents, etc. C'est ainsi que l'EPI jouera, et continue de jouer, un rôle important dans l'intégration de l'informatique (au sens large du terme) au sein du service public d'Éducation nationale.

   L'EPI n'est pas seule. L'EPI, SPECIF, SNESUP et SNES adressent le 26 juin 1997, à Claude Allègre ministre de l'Éducation nationale, une lettre signée par les quatre présidents de ces organisations. Ils font part de leur préoccupation concernant la place de l'informatique et des des TIC dans le système éducatif : « ... Nous considérons qu'une politique d'ensemble est nécessaire. Elle concerne la formation, les équipements, les contenus disciplinaires, le développement de produits éducatifs... »
 

La première décennie du XXIe siècle : le prolongement des actions de l'EPI pour un enseignement de culture générale informatique au lycée.

   Sans abandonner ses dossiers traditionnels (formation des enseignants, utilisation de l'informatique et des TIC dans l'ensemble des disciplines, équipements en matériels et leur maintenance, personnes-ressources, logiciels adaptés, recherche pédagogique, etc.) comme en témoignent les nombreux articles publiés et les démarches de l'association, l'EPI consacre une grande partie de son énergie à la promotion d'un enseignement de culture générale informatique. Ce dossier a encore besoin de son militantisme. Elle a la satisfaction de recevoir des soutiens de plus en plus nombreux, notamment du monde universitaire.

   Sans entrer dans les détails d'une Histoire qui est en train de se faire, je dirais qu'après bien des péripéties, est décidée par le Ministère de l'Éducation nationale, la création à la rentrée 2012 d'un enseignement optionnel de spécialité « Informatique et sciences du numérique » pour les élèves de terminale S.

   Il s'agit d'un premier pas car il n'y a pas de raison de réserver un tel enseignement aux seuls scientifiques et à la seule terminale. Les autres séries des lycées généraux et technologiques sont également concernées. J'ajouterais que l'enseignement de l'informatique au collège fait également partie des demandes de l'association et de ses partenaires [20].

Ouvrage pour la formation des enseignants,
avec la participation et le soutien de l'EPI.

Manuel pour les élèves de terminale S,
avec la participation et le soutien de l'EPI.

   Le devoir impérieux du système éducatif est de préparer les jeunes au monde dans lequel ils vivront leur vie de citoyen et leur activité professionnelle. Ce monde est, et sera de plus en plus « numérique » Ils devront être en capacité de le comprendre, sinon de le dominer. Et pour le comprendre, il ne suffit pas de cliquer et d'utiliser l'ordinateur simplement comme un nouveau média. Des savoir-faire mais aussi des connaissances solides sont indispensables. Le pays a besoin de créateurs pas de simples utilisateurs passifs.

   Il nous semble que peu à peu cette idée de complémentarité et de diversité des approches fait sont chemin dans les esprits. Ces démarches multiples, utilisation de l'informatique dans les disciplines, évolution de celles-ci dans leurs contenus et leur méthodes, pratique des outils de travail individuels et collectifs, enseignement d'une discipline autonome... [21] auront été celles pratiquées et diffusées par l'EPI tout au long de ces 40 années d'Histoire du déploiement de l'informatique et des TIC dans le système éducatif.

   Peut-être est-ce le rêve des membres de l'EPI que de faire l'Histoire et pas seulement de chercher à la comprendre ?

Jacques Baudé
Président d'honneur de l'EPI

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://fr.creativecommons.org/contrats.htm

Publié, sans les illustrations, dans les actes (électroniques) du colloque « Vers un musée de l'Informatique et de la Société Numérique en France ? »
http://minf.cnam.fr/programme-1.html
http://minf.cnam.fr/Papiers-Verifies/5.5_informatique_pedagogique_ Baudé.pdf

 

Tous les articles et les documents de l'EPI, depuis 1985, sont en ligne sur le site EPI.

Ceux parus dans la Revue de l'EPI jusqu'en 2001 (édition papier) sont téléchargeables au format pdf, ainsi qu'en html pour certains, dans les sommaires de la Revue de l'EPI.
Pour une vue d'ensemble est proposée une bibliographie complète ainsi qu'un index des auteurs.

Les autres articles, publiés depuis 2002 dans le cadre de la revue électronique EpiNet, sont regroupés par volumes annuels et accessibles depuis les archives d'EpiNet.

L'ensemble de ce fonds fait l'objet de la collection « Revue de l'EPI » sur l'archive ouverte EduTice. En outre, plusieurs centaines d'articles, intéressant spécifiquement la recherche pédagogique, y ont été indexés (titre, auteur(s), institution(s), résumé...), leurs fiches sont donc directement accessibles avec les outils de recherche documentaire disponibles sur l'archive. http://edutice.archives-ouvertes.fr/EPI/fr/

 
NOTES

[1] Archive ouverte Edutice, la collection « Revue de l'EPI » :
http://edutice.archives-ouvertes.fr/EPI/fr/

[2] Informatique dans le système éducatif, étude effectuée par MM Pitié et Scherer en 1971-1972. http://ensmp.net/pdf/1971/etude_pitie-scherer.pdf

[3] Actes du Séminaire pour « l'enseignement de l'informatique à l'école secondaire » organisé par l'OCDE (OCDE/Centre pour la Recherche et l'Innovation dans l'enseignement ) avec la collaboration de la Direction de la coopération du MEN. Centre International d'Études Pédagogiques de Sèvres, 9 au 14 mars 1970 (extraits).
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h70ocde.htm

[4] Statuts de l'EPI : http://www.epi.asso.fr/association/statuts.htm

[5] éditorial du premier Bulletin de l'EPI, déc. 1971 :
http://www.epi.asso.fr/revue/01/b01p001.htm

[6] Dix ans d'informatique dans l'enseignement secondaire, INRP, 1981.
http://lara.inist.fr/handle/2332/1250

[7] « La Saga du LSE et de sa famille (LSD/LSG/LST) », Yves Noyel, Revue de l'EPI n° 54, juin 1989. http://www.epi.asso.fr/revue/54/b54p216.htm

[8] À propos du concours AFCET « L'informatique à l'école », Bulletin de l'EPI n° 22, juin 1981. http://www.epi.asso.fr/revue/22/b22p059.htm

[9] « Introduction et éléments pour un historique », Informatique au collège, dossier EPI n° 4, supplément au Bulletin de mars 1984.
http://www.epi.asso.fr/revue/dossiers/d04p005.htm

[10] Intervention de Monsieur Christian Beullac, Ministre de l'Éducation au colloque « Le mariage du siècle, Éducation et informatique » le mardi 25 novembre 1980.
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h80beullac.htm

[11] Premier Manifeste EPI : « Pour étendre et diversifier l'introduction de l'informatique dans l'enseignement », Bulletin de l'EPI n° 18, mars 1979.
http://www.epi.asso.fr/revue/18/b18p055.htm

[12] « Introduction et éléments d'histoire », Informatique à l'école, dossier EPI n° 6, supplément au Bulletin de sept. 1984.
http://www.epi.asso.fr/revue/dossiers/d06p005.htm

[13] De larges extraits du rapport de MM. Pair et Le Corre, L'introduction de l'informatique dans l'Éducation nationale. http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h81pair.htm
Analyse détaillée du rapport de MM. Pair et Le Corre, dans le Bulletin de l'EPI n° 25, mars 1982. http://www.epi.asso.fr/revue/25/b25p028.htm

[14] « Informatique pédagogique », d'Émilen Pélisset, éditorial du Bulletin de l'EPI n° 48 de déc. 1987. http://www.epi.asso.fr/revue/48/b48p003.htm

[15] Allocution prononcée par M. François Mitterrand, Président de la République Française au colloque « Informatique et enseignement » le 22 novembre 1983, Bulletin de l'EPI n° 32, déc. 1983. http://www.epi.asso.fr/revue/32/b32p026.htm

[16] Informatique pour tous, CNDP-MEN, 1985, 140 pages. Préface de Laurent Fabius, Premier Ministre, et chapitre « Mise en oeuvre et développement ».
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h85ipt.htm

[17] Ne lit-on pas, en ce moment, sur le site de Refondons l'École (dans « Une grande ambition pour le numérique ») : « 21 % c'est la proportion des enseignants qui utilisent les technologies de l'information et de la communication au moins une fois par semaine avec leurs élèves. » Après plus de 40 ans d'histoire dernière nous, le pourcentage n'est pas particulièrement glorieux. Et ceci malgré les efforts financiers considérables des collectivités locales sur lesquelles repose le poids des équipements.
http://www.refondonslecole.gouv.fr/sujet/une-grande-ambition-pour-le-numerique/

[18] « L'option informatique des lycées dans les années 80 et 90. Troisième partie : Suppression, rétablissement et nouvelle suppression de l'option. Une politique en dents de scie », de Jacques Baudé dans EpiNet n° 129, nov. 2010.
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb3.htm#Appel_Note12

[19] Textes des Assemblées générales de l'EPI : http://www.epi.asso.fr/association/txt_epi.htm

[20] Communiqué EPI du 16 juin 2012 : http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1207a.htm

[21] « L'informatique a différents statuts éducatifs complémentaires. Elle est outil pédagogique, facteur d'évolution des objets et méthodes des autres disciplines enseignées (c'est par exemple le cas des enseignements techniques et professionnels qu'elle a contribué à profondément transformer). Elle est outil de travail personnel et collectif de la communauté scolaire. Mais tous ces usages ne peuvent pas suffire à donner la culture générale scientifique et technique dont les élèves ont besoin, comme l'a montré l'échec, prévisible, du B2i. Il faut une contribution spécifique de la science informatique en tant que discipline scolaire. »
« L'informatique en campagne », éditorial du numéro 144 d'EpiNet, avril 2012, signé Jean-Pierre Archambault : http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1204a.htm.

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Décembre 2012

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