NOUS AVONS LU La pensée informatique doit devenir une discipline à part entière Sophie Pène, entretien avec Céline Authemayou, publié le 20 octobre 2016 (extrait).
Quelle place réserver à l'enseignement du code et plus généralement à la pensée informatique dans les classes ? À l'occasion de la Code Week, Sophie Pène, professeure en sciences de l'information à l'université Paris-Descartes et vice-présidente du Conseil national du numérique, revient sur ce qu'elle juge être une nécessité. C.A. Pour vous, l'informatique ne doit donc pas être cantonnée à une option ou spécialité ? S.P. C'est certain : il s'agit bien plus que d'une option. Nous parlons tout de même de sciences et techniques qui réorganisent l'État, notre façon de consommer, nos rapports sociaux. C'est la pensée de notre époque. Pour faire un parallèle historique, dans les années 1960, on n'aurait jamais imaginé ne pas enseigner la physique... L'introduction de toute nouvelle matière est une bataille. De plus, nous ne pouvons pas nier le fait qu'il y a un véritable intérêt stratégique national autour de la discipline informatique. La dernière étude Mc Kinsey le dit très clairement : il y a une véritable attente des entreprises autour des profils numériques. En France, nos ingénieurs informaticiens sont très reconnus dans la Silicon Valley, très courtisés. Mais ils sont très peu nombreux. C.A. Pour faire de la culture informatique une véritable discipline, encore faut-il que les enseignants soient formés... S.P. C'est en effet l'un des obstacles pointés du doigt par le ministère. Il y a un manque de compétences, au sens où on ne va pas demander aux professeurs d'enseigner des disciplines qu'ils ne maîtrisent pas. C'est pourquoi nous plaidons en faveur de l'arrivée de nouveaux profils venus du monde de l'ingénierie, de l'éducation populaire, d'associations... C'est pour nous l'une des voies de transformation des métiers de l'enseignement. C.A. Aujourd'hui, l'offre de formation dédiée aux enseignants ne vient pas de l'Éducation nationale mais d'organismes tiers. Est-ce un problème ? S.P. Beaucoup d'initiatives se sont en effet mises en place, notamment dans le cadre de l'appel à projets « Culture de l'innovation et de l'entrepreneuriat » porté par le PIA 2. Je pense par exemple à l'INRIA qui produit un Mooc, Class'Code, à destination des professeurs. Simplon propose aussi des formations. Il faut absolument soutenir ces projets. C.A. Certaines voies s'élèvent tout de même contre l'enseignement de cette « pensée informatique » parlant parfois de lobbying. Comment réagissez-vous à cela ? S.P. Ces critiques me laissent de marbre. Il ne s'agit pas de promouvoir l'informatique mais de réfléchir à des formations critiques et lucides, qui permettront aux jeunes de ne pas subir l'informatique. C.A. D'où l'adage « programmez, pour ne pas être programmé » ? Une phrase qui prend tout son sens dans le dossier APB, par exemple... S.P. L'exemple d'APB** est emblématique ! Il faut ouvrir les données, pour que les citoyens puissent s'en emparer. C'est la seule solution si nous ne voulons pas que ce soit les informaticiens qui reconfigurent le monde de demain... ** APB (Admission Post Bac) ___________________ |