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Libres Savoirs : les biens communs de la connaissance

Coordonné par l'association Vecam, C&F éditions, mai 2010, 352 pages, 29 €.
(Commande en librairie ou directement sur le site de l'éditeur : http://cfeditions.com)

   Libres Savoirs : les biens communs de la connaissance, un ouvrage attendu, coordonné par l'association Vecam et édité chez C&F éditions par Hervé Le Crosnier, est paru (http://cfeditions.com/libresSavoirs). Ce livre de référence problématise la réalité et les enjeux afférents à la connaissance, au domaine public, aux biens communs, les « communs », à l'heure du numérique.

   Ce travail d'édition (25 articles) a réuni 30 auteurs issus de quatre continents. Il traduit la volonté de proposer une réflexion pluraliste ne se limitant pas à des points de vue géographiquement localisés dans le Nord.

   La question des communs est ancienne. Elle remonte au Moyen Âge. Leur « tragédie », suivant l'expression contestée de Garett Hardin, est bien connue qui réduit la complexité des relations dans les communautés au seul libre usage, par exemple des prés communaux qui s'épuiseraient parce que les éleveurs pourraient y mener leur bêtes sans retenue. Comment éviter les phénomènes de « passager clandestin » ? Certains répondent propriété publique, étatisation. D'autres privatisation. La théorie des communs a fait émerger, au delà de la « propriété », la question primordiale de leur gouvernance. Il s'agit d'assurer la maintenance, le développement, la pérennité des ressources qui servent à des usages communs (pêcheries, forêts...).

   Libres Savoirs propose un panorama complet des communs en ce début du 21e siècle, dans le contexte du numérique. On va des logiciels libres à la connaissance scientifique en passant par les semences, les médicaments et la santé, les ressources pédagogiques libres et l'éducation, les savoirs ancestraux, l'eau, l'énergie, le vivant, la création artistique, les données publiques... Il existe une transférabilité, partielle et circonstanciée, de l'approche du libre (méthodes de production et réponses juridiques) à l'immatériel en général. Si la nature de l'immatériel fait que ses biens sont non rivaux et non excluables (comme un phare), il n'en faut pas moins les créer et les communautés qui les produisent doivent continuer à exister, être pérennes. De ce point de vue, les réponses du libre (GPL, Creative Commons...) constituent de remarquables outils conceptuels.

   La « république des sciences » n'est plus ce qu'elle était. Le principal fil conducteur de la recherche scientifique devient la création de monopoles privés au détriment de la production de connaissances. Jean-Claude Guédon plaide pour l'accès libre aux résultats de la recherche afin de rétablir la « grande conversation ». Il faut payer les chercheurs. En multipliant les brevets ? Les auteurs du livre répondent unanimement non. Le partage valorise le chercheur, permet l'accès du Sud (et du Nord !) à la connaissance et le développement d'applications au bénéfice de tous. Le statut public de l'enseignant-chercheur a gardé toute sa pertinence : rémunération pour des activités pédagogiques (cours...) et résultats de la recherche, partie intégrante du patrimoine de l'humanité, mis à la disposition de tous.

   Les connaissances, d'essence immatérielle, doivent être inscrites quelque part pour pouvoir être transmises. Les connaissances des paysans se retrouvent ainsi dans les semences dont les paysans ont toujours assuré l'indispensable diversité, tout en les vendant ou les échangeant. C'est ce commun de la connaissance entre communautés rurales que des firmes comme Monsanto, dans leur volonté de contrôler et de dominer l'alimentation de l'ensemble des humains, tendent à leur interdire de plus en plus en déposant des brevets sur les OGM.

   Le domaine public comprend une composante structurelle (oeuvres dont la protection est expirée, biens communs informationnels non couverts par le droit d'auteur, biens non originaux, idées, concepts), à laquelle il convient, suivant le manifeste de l'association Communia, d'ajouter les oeuvres mises volontairement à la disposition de tous par leurs auteurs (par exemple avec la GPL) et celles bénéficiant de dispositions comme le fair use (usage loyal). Libres Savoirs met en garde contre une vision « romantique » du domaine public dans laquelle le savoir des pauvres mis à la disposition de « tous » serait dans la pratique capté principalement par les plus riches. Un cas édifiant, celui du passage des savoirs ancestraux d'une communauté paysanne d'Amérique latine dans le domaine public. Qui en profite ? Les sociétés occidentales qui ont les moyens économiques, financiers, juridiques, scientifiques, marketing pour en faire des produits dérivés qu'elles brevètent !

   D'abord à la demande du gouvernement américain, puis de la plupart des pays industrialisés, la protection des droits de propriété intellectuelle est devenue partie intégrante des négociations de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). C'est ainsi qu'a été négocié puis adopté l'accord sur les ADPIC (Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce). Des normes sont imposées dans le cadre du commerce international. Des accords bilatéraux ou régionaux les renforcent. Ainsi ceux qui interdisent aux agences nationales du médicament de s'appuyer sur les résultats d'essais cliniques attestant de l'efficacité et de l'innocuité de molécules déjà commercialisées pour autoriser la mise sur le marché de génériques.

   Libres Savoirs participe du large mouvement qui s'oppose à cette marchandisation insensée des sociétés et renouvelle les questions démocratiques. Les communs forment une « Utopie pragmatique », comme le dit Valérie Peugeot, Présidente de l'association Vecam qui a coordonné l'ouvrage, dans son article introductif. Il s'agit de chercher des solutions sujet par sujet, type d'usages par type d'usages. Le droit joue un rôle important dans les affrontements en cours, et nous assistons à un conflit dans la hiérarchie des normes juridiques. À l'inverse des demandes des trusts pharmaceutiques, une approche collective voudrait que les normes de santé publique soient supérieures à celles de la propriété intellectuelle, notion fourre-tout qui regroupe artificiellement droit d'auteur, brevet, droit des marques, secret professionnel... avec l'objectif d'étendre la portée de chacune de ces législations.

   Une remarque pour terminer. On sait que la société civile peut aussi être une jungle où règne la loi du plus fort. L'État doit être le rempart contre les effets des « asymétries » entre les forts et les faibles. Il doit être l'expression et le garant de l'intérêt général. Il doit favoriser le vivre ensemble en réduisant les inégalités et en s'opposant aux égoïsmes. Libres Savoirs aurait pu, aurait dû, souligner l'alliance nécessaire entre, d'un côté, l'État et la sphère publique et, de l'autre, les communs. La stratégie de conquête de l'hégémonie culturelle pour les valeurs qu'ils portent, et pour trouver des chemins visant à leur institutionnalisation, devrait inciter les tenants des communs à s'inscrire dans une telle perspective. Car s'il existe des contradictions entre l'État et les communs, elles ne sont pas antagoniques. Le primat de l'intérêt général est d'ailleurs le bien commun de l'un et des autres.

Note de lecture de
Jean-Pierre Archambault
Le 24 juin 2011

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Association EPI
Septembre 2011

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