À propos de la création d'un Capes de japonais
La rentrée 2016 verra l'extension de l'option de spécialité de Terminale S « Informatique et sciences du numérique » en 1ères ES, L et S sous forme d'une option « Informatique et création numérique » [1]. De l'informatique figure dans les nouveaux programmes des cycles 2, 3 et 4, pour ce dernier dans les cours de mathématiques et de technologie [2].
Créé en 2012 en Terminale S, l'enseignement ISN a connu une progression du nombre d'élèves l'ayant choisi et du nombre de lycées où il est proposé [3]. Et il y a également, depuis la rentrée 2015, l'enseignement d'exploration en Seconde « Informatique et création numérique » [4].
Des avancées
L'enseignement de l'informatique, science et technique majeure de notre époque omniprésente dans tous les secteurs de la société, prend ainsi sa place dans le système scolaire, en tant que composante de la culture générale de tous. Légitime et nécessaire. Fini le temps où cette place, une évidence pour qui regarde le monde tel qu'il évolue, lui était niée. Finis le « désert explicatif » qui a suivi, en 1998, la deuxième suppression de l'option informatique des lycées, le temps où l'on prétendait donner une culture informatique exclusivement à travers l'usage des outils, avec le B2i qui fut un échec, prévisible.
Les actions menées par l'EPI, la SIF et bien d'autres, le rapport de l'Académie des sciences « L'enseignement de l'informatique en France – Il est urgent de ne plus attendre », publié en mai 2013, ont porté leurs fruits [5].
Et la formation des enseignants ?
Si les avancées sont indéniables, subsiste un épineux problème de nature à compromettre la réalisation des annonces faites, celui de la formation des enseignants. Comment en effet mettre en œuvre ces décisions sans des enseignants bien formés, en nombre ?
Or, depuis des décennies, le Ministère de l'Éducation nationale se refuse à créer un Capes et une agrégation d'informatique. Pourquoi ce sort particulier réservé à une science majeure du XXIe siècle ? On nous dit et redit que ce n'est pas possible. La dernière « raison» récemment évoquée est que « cette hypothèse [la création d'un Capes et d'une agrégation] a l'inconvénient majeur de créer une discipline supplémentaire au moment où offrir aux élèves un enseignement qui ne soit plus seulement organisé en disciplines est une préoccupation du système scolaire. Cette hypothèse est donc problématique pour les inspections générales » [6]. Difficile donc de créer un Capes dans la France d'aujourd'hui... Pas si sûr...
Un Capes de japonais
À l'occasion de son déplacement au Japon le mois dernier pour le G7 Éducation, Najat Vallaud-Belkacem a annoncé à son homologue japonais Hiroshi Hase l'ouverture d'une section de japonais aux épreuves du CAPES externe [7]. Une bonne décision. Il est donc possible de créer un Capes. Un « mystère » à élucider :). Notons qu'il existe déjà une agrégation de japonais.
Il y a 5 724 élèves qui étudient le japonais dans 97 établissements privés et publics (dont 2 090 en Nouvelle-Calédonie) auxquels il convient d'ajouter 982 élèves au CNED, soit un total de 6 706 élèves. À la rentrée 2015, 1 121 lycées offraient « Informatique et sciences du numérique (ISN), soit 50,3 % et 19 243 élèves de Terminale S avaient choisi cette option de spécialité dont 4 314 filles, chiffres en progression par rapport à la rentrée 2014 [3]. Et il y a ces nouveautés de la rentrée 2016. Il faut donc créer aussi un Capes d'informatique. Et une agrégation d'informatique, pour l'enseignement secondaire et les CPGE.
Des mesures qui doivent être à la hauteur des enjeux
Si la création d'une option informatique au Capes de mathématiques est prévue pour la session 2017, ce qui constitue une avancée, pour autant elle ne suffit pas, loin de là. Le vivier des professeurs volontaires pour enseigner ISN est quasiment épuisé. Or il faut aller vers la généralisation d'ISN. En effet, à notre époque, tous les élèves de la filière scientifique sont concernés par une culture informatique. De plus, l'informatique doit être une composante de la culture générale scientifique de tous. Les ESPE se doivent donc de proposer notamment des certifications aux 300 000 professeurs du primaire. Trois jours de formation c'est un peu court.
L'enjeu est d'importance et de taille : donner à tous les élèves, des millions, citoyens de demain, la culture générale de leur époque. Les besoins des métiers du numériques sont énormes [6]. Il y a une pénurie de cadres en informatique. La création des « grandes écoles » du numérique est l'illustration des manques (on peut par ailleurs s'interroger sur la pérennité des compétences acquises en quelques mois de formation là où il faut des années pour former des techniciens et des ingénieurs). On constate une absence de volonté politique chez certains décideurs, comme s'ils n'étaient pas convaincus.
La campagne présidentielle à venir va être l'occasion de débattre de ces défis posés par la place de l'informatique et du numérique dans la société. Pour des propositions et des mesures éducatives à la hauteur des enjeux [8].
14 juin 2016
Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
NOTES
[1] Projet de programme du CSP « Informatique et création numérique »
http://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/67/6/ Enseignement_facultatif_ICN_adopte_ le_08-04-16_563676.pdf
http://www.education.gouv.fr/cid100901/projet-de-programme-pour-un-enseignement-facultatif-d-informatique-et-de-creation-numerique.html
Éditorial d'EpiNet d'avril 2016 sur le Projet de programme du CSP « Informatique et création numérique » : http://epi.asso.fr/revue/articles/a1604a.htm
[2] Programmes des cycles 2, 3 et 4 entrant en vigueur à la rentrée 2016 :
http://www.education.gouv.fr/cid95812/au-bo-special-du-26-novembre-2015-programmes-d-enseignement-de-l-ecole-elementaire-et-du-college.html
Notes de l'EPI sur les éléments d'informatique de ces programmes :
http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1512j.htm
[3] Des chiffres sur ISN : http://www.epi.asso.fr/revue/editic/isn-chiffres_2012-2015.htm
[4] http://cache.media.education.gouv.fr/file/31/94/3/ensel7386_annexe_455943.pdf
Éditorial d'EpiNet de septembre 2015 : http://epi.asso.fr/revue/articles/a1509a.htm
[5] http://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rads_0513.pdf
[6] http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid101306/les-besoins-et-l-offre-de-formation-aux-metiers-du-numerique.html
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/66/9/2015-097_metiers_du_numerique_ 568307_568669.pdf
http://epi.asso.fr/revue/articles/a1605a.htm
[7] http://www.education.gouv.fr/pid146/toute-l-actualite.html
[8] Sur les enjeux économiques, Martin Vetterli, futur président de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), déclare « Il faut être très attentif à la domination nord-américaine sur le numérique ».
À la question « En Europe, nous sommes encore trop conservateurs quant à notre manière d'aborder les TIC? », il répond : « Oui, en particulier dans la formation. Nous n'enseignons pas l'informatique dans les écoles. Nous enseignons l'utilisation de l'informatique, ce qui n'est pas la même chose. Je ne veux pas critiquer le système éducatif, mais ce conservatisme est délétère. Il ne rend pas service à nos jeunes. En 2016, faut-il leur apprendre à remplir un tableau Excel – pur produit Microsoft – ou leur donner les clés pour comprendre ce qu'est un algorithme? Je plaide pour que l'approche éducative de l'informatique à l'école soit la même que pour les maths ou l'histoire. Les élèves savent plein de choses sur la bataille de Marignan de 1515, mais ils ne connaissent rien aux algorithmes. L'une n'est pas plus importante que l'autre. L'histoire et l'informatique doivent être enseignées sur un pied d'égalité. »
http://www.hebdo.ch/hebdo/cadrages/detail/martin-vetterli-"il-faut-être-très-attentif-à-la-domination-nord-américaine
http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1606m.htm
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