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Class'Code : des idées qui vont devenir une réalité

Colin de la Higuera [1]
 

   Je relis ce texte plus de 6 mois après l'avoir écrit. Et il me semble qu'il reste d'actualité.

   Heureusement, a-t-on envie de dire : si au bout de 6 mois les principes fondateurs venaient à être reniés, ce ne seraient pas des principes du tout. Les valeurs de Class'Code, au contraire, prennent de plus en plus de sens, résonnent chez nos interlocuteurs, convainquent. Ainsi, la liste initiale de partenaires s'agrandit de jour en jour. Parmi ceux qui ont rejoint rapidement Class'Code : l'EPI évidemment mais aussi la PEEP. Un consensus allant des sociétés savantes aux sociétés informatiques, des acteurs du primaire à ceux du supérieur, des maisons de quartiers aux grands collectifs de l'éducation populaire s'est créé et porte ce projet.

   Malheureusement aussi, peut-on ajouter. Pendant que Class'Code met en avant, simplement, ouvertement, les questions de formation au code et à la pensée informatique, on continue à voir une communication plus globale s'opérer autour d'un numérique qui n'a jamais de consistance et semble être le prétexte à un peu tout, et permet finalement de ne pas répondre aux vraies questions.

   Class'Code n'est plus un projet qui va se faire. Il se fait. Aujourd'hui, on peut s'inscrire et voir les premiers contenus. Ces contenus sont en train d'être testés, les environnements logiciels sont en phase d'expérimentation. Dès la rentrée, c'est partout que cela sera proposé. Et nous aurons alors besoin d'aide !

   Une caractéristique importante de Class'Code est de ne pas pouvoir s'appuyer sur des « formateurs de formateurs ». Quand cependant les gens vont se rencontrer pour étudier ensemble ce matériel, la présence de facilitateurs lors de ces « temps de rencontre » va s'avérer décisif. Tout membre de l'EPI ferait par définition un excellent facilitateur ! Nous enverrons bientôt une invitation plus précise.

Mai 2016, Colin de la Higuera

Prologue

   Informatique, numérique, code... Au moment d'écrire ces lignes, l'informaticien voit une réelle prise de conscience de l'importance pour l'école d'entrer dans le XXIe siècle mais sent bien que le compte n'y est pas : ambition certes affichée, mais comment y arriver ? Comment se doter des enseignants formés pour l'enseignement de l'informatique (puisque c'est bien de cela qu'il s'agit) ?

   Si la Société informatique de France, avec d'autres, n'hésite pas à participer au débat public, à rencontrer des partenaires institutionnels pour convaincre des bons choix à effectuer, elle doit également jouer un rôle d'acteur dans la transformation de la société qui est aujourd'hui nécessaire.

   C'est le but que la SIF s'est fixé en participant à la mise en place du projet Class'Code [2]. C'est le but qu'elle doit maintenant se fixer en soutenant le déploiement de ce projet.

L'identification de l'enjeu

   La question n'est hélas pas nouvelle : depuis bien longtemps, lorsque l'on suggère que l'informatique pourrait être enseignée un peu plus sérieusement, une réponse (souvent implicite) est « mais nous n'avons pas les enseignants pour le faire ». Et quand on indique qu'il serait bon d'inclure un enseignement d'informatique dans les cours dispensés dans la formation des enseignants, ou qu'un Capes (ou une agrégation) en informatique pourrait être créé pour justement avoir le corps d'enseignants capables de faire face à ces défis du XXIe siècle, la réponse fuse immédiatement : « mais ce serait une erreur : il n'y a pas assez d'enseignement à pourvoir... la personne recrutée pour enseigner l'informatique serait très malheureuse, obligée de voyager continuellement de lycée en lycée pour gérer un service compliqué. »

   Ce cercle vicieux semble éternel. Mais il peut se briser en introduisant dans le système, progressivement, les éléments pour que ça change. D'une certaine façon, le ministère de l'Éducation nationale est en train d'y contribuer en introduisant des enseignements d'initiation à l'informatique, à plusieurs niveaux, au collège et au lycée.

   Mais pour accélérer la fin de ce cercle vicieux il est souhaitable également d'ajouter des compétences informatiques aux professionnels de l'éducation qui pourront alors rassurer les pouvoirs publics sur l'existence d'éducateurs susceptibles de former les enfants et les adolescent-e-s.

   Le besoin qui est apparu récemment de façon quasi consensuelle en France est celui de la formation au code. Nous analyserons dans ce qui suit les raisons de l'apparition de ce besoin, et ce en quoi l'informatique est une réponse adéquate au besoin exprimé. Puis comment on peut espérer former les dizaines de milliers d'éducateurs, de formateurs, d'animateurs du périscolaire ou de l'éducation populaire, d'enseignants qui pourront alors transmettre des connaissances en informatique aux enfants et aux jeunes adolescent-e-s.

Mais au fond, que veut-on enseigner ?

   Numérique, code, informatique, programmation... les mots changent... mais les idées aussi.

L'informatique et le numérique

   Depuis plusieurs années déjà, l'Éducation nationale nous explique qu'il convient de former (les enfants) au numérique et par le numérique. L'usage du substantif « numérique » interroge, d'emblée : dans les autres langues, c'est plutôt un adjectif qualificatif. Son statut de substantif impliquerait l'existence d'une réalité à elle seule, pas la qualification supplémentaire d'autre chose (le monde numérique, les arts numériques, les humanités numériques, l'économie numérique).

   Milad Doueihi analyse de façon très pertinente les liens entre numérique et informatique [3] : « Si l'informatique a commencé comme branche des mathématiques, elle a rapidement trouvé son autonomie et son statut de science à part entière. Puis, chose relativement rare dans l'histoire des sciences, elle s'est transformée en industrie [...]. Fait unique, elle est également devenue, depuis au moins une vingtaine d'années, une culture. Et c'est bien cette spécificité culturelle, cette orientation sociale qui caractérise et en fin de compte définit en quelque sorte le numérique. » L'informatique, selon Milad Doueihi, est plutôt science et industrie. La Société informatique de France est dans cette ligne quand elle propose la définition suivante :
« L'informatique est la science et la technique de la représentation de l'information d'origine artificielle ou naturelle, ainsi que des processus algorithmiques de collecte, stockage, analyse, transformation, communication et exploitation de cette information, exprimés dans des langages formels ou des langues naturelles et effectués par des machines ou des êtres humains, seuls ou collectivement. » [4].

Le code, comme vecteur

   Si le mot d'ordre était il y a encore deux ans celui de la formation au numérique, un nouvel acteur s'est introduit dans le débat : le code.

   Le « code » est devenu un acteur majeur des débats, en France, en février 2013, avec l'irruption d'une vidéo de Barak Obama [5]. En un peu plus d'une minute, le Président des États-Unis mettait à mal toute la construction intellectuelle selon laquelle le citoyen numérique pouvait se contenter d'une formation aux usages. Cette position, jusque-là dominante en France, a explosé en quelques minutes.

   Que disait exactement Barak Obama ?

- il rappelait que le leadership mondial de son pays devait aujourd'hui beaucoup à son industrie informatique qui transformait complètement la société ;

- il exhortait à apprendre à créer avec l'informatique : don't play, build your app ;

- il liait la capacité de créer avec les sciences, le besoin d'étudier la computer science en lui donnant une connotation forte en mathématiques et en sciences. Obama emploie de façon variable les mots code et computer science : s'ils ne sont pas synonymes, il est clair (et c'est le cas de façon générale dans le monde anglo-saxon) que ces deux éléments sont liés : le code comme moyen de créer, l'informatique comme moyen de savoir ce que l'on fait.

   En France également, le président de la République s'est emparé du phénomène code et a rapidement proposé que cela soit enseigné dans les écoles de France. On notera cependant que la liaison avec la science informatique n'a pas, elle, été faite.

Le code, pour quoi faire ?

   Si politiques et médias semblent s'enthousiasmer devant l'idée de faire enseigner le code, il nous appartient, en tant qu'informaticiens, de rappeler qu'apprendre à programmer n'a jamais été une fin en soi. Cela peut sembler clair quand on écoute Obama, c'est malheureusement moins clair quand on entend certaines déclarations [6]. Si l'on devait aujourd'hui résumer les raisons pour lesquelles il faut l'enseigner, mettons en avant les deux suivantes :

- le code pour la création numérique : oui, on peut créer ses jeux, ses applications pour portable, ses expérimentations, ses œuvres numériques,

- le code pour mettre en œuvre la pensée informatique : la résolution de problèmes, au XXIe siècle, cela s'enseigne. Et cet enseignement peut reposer en grande partie sur le traitement informatique.

   Il y a également un effet de bord envisageable : l'acquisition des compétences numériques mises en avant régulièrement.

   Nous renvoyons le lecteur sur d'autres analyses, publiées dans 1024 ou ailleurs, pour retrouver les raisons pour lesquelles un enseignement de l'informatique (et donc du code) s'avère aujourd'hui indispensable !

   Nous illustrerons cependant le chemin à parcourir en citant cet extrait du programme national d'informatique d'un pays voisin [7] :

Le programme national pour l'informatique a pour but de s'assurer que tous les élèves :

- peuvent comprendre et appliquer les principes fondamentaux et concepts de l'informatique, ce qui inclue l'abstraction, la logique, l'algorithmique et la représentation des données ;

- peuvent analyser les problèmes de façon informatique et ont une expérience pratique répétée de l'écriture de programmes informatiques permettant de résoudre de tels problèmes ;

- peuvent évaluer et appliquer les technologies de l'information incluant des technologies nouvelles et non familières afin de résoudre de façon analytique des problèmes ;

- sont des utilisateurs créatifs responsables, compétents, en confiance des technologies de l'information et de la communication.

Qu'est-ce que Class'Code ?

Le cahier des charges

   En janvier 2015, l'État a lancé, par le Fonds national d'innovation, l'action « Culture de l'innovation et de l'entrepreneuriat » [8]. Celle-ci contenait un volet « code », dont le but était de fournir des solutions permettant de former la jeunesse de France au code.

   Un consortium s'est réuni, a demandé à Inria de porter le projet, l'a soumis. Le projet [9] a été retenu en juin 2015.

   D'autres projets ont également été retenus par le jury. Un objectif de Class'Code est de travailler avec ces autres projets. Certains sont plus généralistes, d'autres s'attachent à former une classe particulière de la population. L'originalité de Class'Code réside dans le couplage fort entre informatique et code, la mise en avant de certaines valeurs, et le choix de se concentrer sur la formation des éducateurs.

Class'Code en 20 lignes

   Ce projet a pour ambition de mettre en place et de déployer sur tout le territoire une formation hybride à destination des professionnels de l'éducation et de toutes les personnes désirant initier les jeunes à la pensée informatique. Il s'agit de former sur 5 ans, en ligne et sur environ 1 500 lieux, les 300 000 formateurs dont le pays a besoin, y compris dans les milieux géographiquement et socialement écartés.

   Pour répondre à cet enjeu, nous nous engageons à :

- créer une formation de formateurs ouverte et accessible à toutes et tous,

- inciter les professionnels du numérique à soutenir cet effort de formation en accompagnant cette démarche au fil du temps,

- populariser l'informatique ludique et créative dans la littératie numérique, pour les jeunes qui débutent en sciences informatiques.

   En construisant une formation hybride, associant une formation en ligne à un maillage du territoire, nous permettrons ainsi aux éducateurs, animateurs et enseignants désireux d'ajouter la compétence informatique de se former, aux professionnels de l'informatique d'apprendre à transmettre leurs compétences aux enfants, aux mairies et collectivités locales d'identifier les bonnes compétences.

   Class'Code doit permettre à quelqu'un de transmettre les aspects tant techniques que sociétaux liés au code, en s'appuyant sur une vision scientifique de celui-ci. La transmission sera adaptée au public visé, reposant sur ses aspects ludiques et créatifs sans masquer le caractère scientifique et technique.

Et l'Éducation nationale ?

   Une question qui revient systématiquement est celle du choix du périscolaire : pourquoi est-ce là que nous portons nos efforts ? Pourquoi ne pas directement nous adresser à l'École de la République ?

- La première raison est positive : nous sommes très heureux de travailler aujourd'hui avec les acteurs de l'éducation populaire ! L'éducation populaire est aujourd'hui l'acteur principal du périscolaire. Associations et fédérations sont présentes un peu partout en France : leurs animateurs interviennent du secteur sportif à celui du périscolaire dont l'importance est grandissante avec la réforme des rythmes scolaires. Il y a une énergie phénoménale qui se dégage quand on discute avec ces partenaires. Mieux, ils sont ceux grâce à qui le maillage du territoire, ingrédient essentiel de Class'Code, va pouvoir avoir lieu.

- La seconde est plus politique : l'initiation à l'informatique a été confiée au périscolaire. Le précédent ministre de l'Éducation nationale l'a indiqué clairement durant l'été 2014, la SIF et l'EPI se sont vu confirmer cela lors de différents entretiens au MEN en 2014 et 2015, les programmes des cycles 2 et 3 [10] ne laissent pas penser que l'enseignement de l'informatique soit un objectif clair du système scolaire dans le primaire.

   Les différents choix de Class'Code rendront cependant possible dans les formations de l'Éducation nationale l'intégration du matériel pédagogique préparé : des partenaires déjà dans Class'Code ont l'habitude de travailler à la formation des enseignants, plusieurs ESPE [11] seront prochainement partenaires de Class'Code et, surtout, l'ensemble du matériel sera distribué sous une licence Creative Commons rendant facile sa réappropriation par l'Éducation nationale.

   Finalement, seuls manquent les cadres politique, institutionnel et financier permettant le déploiement des ressources et méthodes Class'Code dans la formation initiale et/ou continue des enseignants. C'est la prérogative des pouvoirs publics de proposer ces cadres.

Qui est Class'Code ?

   Class'Code a été créé suite à la rencontre d'un certain nombre de personnes, d'entreprises et d'organisations.

- La Société informatique de France milite en faveur d'un enseignement de l'informatique pour tous depuis sa création en 2012.

- Inria, parmi les différents rôles qu'il a aujourd'hui vis-à-vis de l'informatique en France, joue un rôle essentiel en ce qui concerne la médiation scientifique : les sites Interstices (https://interstices.info/) et Pixees (https://pixees.fr/) sont bien connus des informaticiens, même s'ils sont gérés en partenariat avec d'autres acteurs (dont la SIF).

- Magic Makers (http://magicmakers.fr/) est une petite (par sa taille) entreprise qui très vite, avec l'introduction du langage Scratch (https:// scratch.mit.edu/), a cherché à monter des ateliers en direction des enfants et des adolescents. Leur expérience est vite devenue une référence en France.

- OpenClassrooms (https://openclassrooms.com/) est une entreprise dont le but est de monter des MOOCs. Depuis plusieurs années, leur savoirfaire s'est développé au point d'en faire un opérateur de MOOCs de référence. D'autres partenaires ont vite rejoint cette aventure : des organisations professionnelles de l'informatique ont vite adhéré à cette idée, des associations reconnues de l'éducation populaire ont également choisi de partager notre chemin et ce projet. Enfin, deux régions ont accepté, dès l'écriture du projet, de piloter avec nous celui-ci, d'investir leur énergie, de mettre à la disposition de Class'Code personnels et salles : la région Pays de la Loire, et la région Provence-Côte d'Azur. Avec elles, deux universités (Nice et Nantes) sont venues renforcer le premier cercle. Il convient de remercier en particulier la région Pays de la Loire qui a soutenu le projet dès le début. Mieux, l'amorçage financier qu'ils ont consenti a permis au projet de démarrer avant sa signature par la Caisse des dépôts. Ce sont ainsi 6 mois qui ont été gagnés !

   Enfin, rappelons que le projet est soutenu par le deuxième programme Investissements d'avenir (PIA 2), avec pour opérateur la Caisse des dépôts.

Class'Code : les valeurs

   Au-delà du gigantisme de la tâche, il est intéressant de préciser quels sont les défis réels auxquels Class'Code s'attaque. Ces défis, nous les avons transformés en principes, c'est-à-dire en éléments sur lesquels nous serons en continuelle vigilance.

   Trois principes gouvernent notre action :
- le code comme point d'entrée vers la science (informatique), la technique et la société,
- l'équité territoriale,
- une démarche prenant en compte les enjeux de genre.

   Trois choix sont au service de ces principes :
- le soutien des informaticiens (étudiants, élèves, techniciens, ingénieurs),
- la création de ressources éducatives libres,
- la recherche.

   Rentrons maintenant dans les détails.

Les principes

L'informatique au cœur du numérique

   La confusion générale (voir le paragraphe « Mais au fond, que veut-on enseigner ? », page 16) concernant les liens (ou non) entre l'informatique et le numérique, l'emploi d'un mot (code) qui n'a pas de définition académique stabilisée, permet d'envisager la formation au code de multiples façons.

   Comprendre que son enseignement pouvait être très ludique est également de nature à laisser penser qu'une approche reposant simplement sur le savoir reproduire pourrait être suffisante.

   Le projet Class'Code propose une autre vision du code. Celle-ci est également celle défendue dans le rapport de l'Académie des sciences [12].

L'équité territoriale

   Une difficulté identifiée est la taille et la complexité du territoire à atteindre :
Paris et province, villes et campagnes, quartiers de très différentes natures, lieux sur lesquels on peut compter sur des acteurs de terrain très expérimentés et motivés ou pas encore...

   L'utilisation dans la formation de FLOTs ou MOOCs (massive open online courses) créés spécifiquement dans Class'Code est un premier élément permettant de passer à l'échelle. Mais cette solution réclame un accompagnement pour permettre aux éducateurs et animateurs en formation d'avoir les meilleures chances de suivre complètement celle-ci.

   Les MOOCs hybrides semblent être la solution à retenir pour être présents partout et permettre au plus grand nombre de voir aboutir leurs efforts. En anglais, « hybride » se traduit par blended ; un enseignement est dit hybride s'il s'appuie sur une ressource externe et sur une part de présentiel. Typiquement, des ressources sont accédées à l'avance par les apprenants d'une classe (ou formation) donnée : ceux-ci ont ensuite un enseignant face à eux qui utilise le matériel pour des activités en présentiel.

   C'est le principe de la classe inversée. Pour l'enseignant universitaire d'hier (et d'aujourd'hui), un point de comparaison est un cours magistral suivi par des travaux dirigés. Simplement, le cours n'est pas fait pas l'enseignant [13].

   Le modèle est discutable et perfectible, mais ce qui est complètement différent dans Class'Code est le fait que deux des prérequis principaux seront absents : l'enseignant et la classe. En effet, il n'est pas prévu de formateurs de formateurs, et il est essentiel qu'aux regroupements organisés par les associations puissent s'ajouter ceux proposés librement et spontanément par les personnes inscrites au MOOC.

   Cela conduit à gérer deux enjeux séparés pour réussir ce MOOC hybride :

- le premier est de nature logistique : à la différence d'une formation continue d'une entreprise (ou de l'Éducation nationale), ici le candidat l'est à un MOOC : il va donc s'inscrire et doit se voir proposé l'accès non seulement aux ressources en ligne, mais aussi aux points de rassemblement. Il faut donc proposer, à l'échelle de la France, des lieux de rassemblement, des horaires, des outils informatiques permettant aux membres de celui-ci d'entrer en contact, de discuter ensemble, de garder le contact après la formation.

- l'autre est pédagogique : il ne s'agit pas de réunir les gens pour que ceux-ci se contentent de discuter des activités vues online les jours précédents. L'absence d'enseignant présent pourra être palliée par la présence de facilitateurs, d'apprenants dont les profils font qu'ils savent expliquer les concepts informatiques.

Le genre

   Tout enseignant d'informatique, tout cadre de l'industrie, sait qu'aujourd'hui le nombre de filles choisissant d'étudier l'informatique ou d'occuper un emploi dans le secteur numérique est très faible. La bonne foi des uns et des autres n'est pas à mettre en cause : aucun enseignant n'utilise sciemment de critère sexiste dans ses recrutements ou dans ses notations, les entreprises mettent les bouchées doubles pour attirer des candidates. Et malgré les prises de conscience [14], malgré les initiatives, on peine à voir le changement. Néanmoins, d'autres ont montré qu'avec des efforts, la situation pouvait être corrigée [15]. Class'Code doit affronter exactement les mêmes questions. Le projet les aborde de la façon suivante :
- l'équipe de Class'Code est volontairement très mixte ;
- nous proposons une démarche proactive : tous les contenus produits sont systématiquement examinés à la loupe de l'égalité des genres ;
- nous maintenons une activité de veille et discutons avec différent-e-s expert-e-s de ces questions.

Les moyens au service de ces principes

   L'engagement des partenaires, le professionnalisme des différents acteurs, les relations tissées par les uns et les autres avec des initiatives parallèles en France ou dans d'autres pays... Tout cela concourt au succès de Class'Code mais aussi au respect de nos engagements.

   Mais certains aspects spécifiques du projet sont de véritables piliers sur lesquels il nous est possible de défendre les principes que nous venons d'énoncer.

Le soutien des informaticiens

   Une analyse d'expériences dans d'autres pays a montré l'importance d'associer les professionnels de l'informatique et du numérique à des initiatives ambitieuses visant à éduquer toute une classe d'âge à l'informatique, en particulier dans des situations dans lesquelles le corps enseignant n'a pas au préalable suivi une formation suffisante. Cela a été le cas, par exemple, aux Pays-Bas, en Israël, au Royaume-Uni.

   Dès le début, les professionnels de l'informatique et du numérique ont donc été associés à Class'Code. Leur rôle peut être :
- d'accompagner des non informaticiens qui apprennent (notion de personnes ressources),
- de recruter des informaticien-ne-s qui ont envie d'accompagner les non informaticiens,
- d'accompagner des non informaticiens qui se retrouveront face aux enfants,
- de convaincre les décisionnaires locaux,
- de contribuer à recruter ces personnes,
- de communiquer et aider à communiquer,
- d'aider à valoriser l'investissement dans Class'Code : comment les entreprises, les universités, les écoles d'ingénieurs peuvent-elles soutenir les gens qui s'investissent ?

   Le chantier est encore ouvert : des discussions avec les collectifs représentant les professionnels de l'informatique et du numérique (dont la SIF) doivent émerger des idées...

Les ressources éducatives libres

   Les ressources éducatives libres (REL) sont des communs : l'idée est tout simplement que les ressources éducatives préparées par un enseignant ou un groupe d'enseignants puissent resservir au plus grand nombre. Au-delà d'un principe de gratuité, pour qu'une ressource soit libre, on demande qu'elle respecte la règle des 5 « R » [16] :

- Retain : le droit de prendre la ressource, la stocker, la dupliquer,

- Reuse : le droit d'utiliser ces ressources en particulier dans ses cours, mais aussi sur un site web, à l'intérieur d'une vidéo,

- Revise : le droit d'adapter la ressource ou le contenu (en particulier le droit de traduction),

- Remix : le droit de créer une nouvelle ressource en mélangeant des morceaux de ressources existantes,

- Redistribute : le droit de distribuer des copies du matériel original, le matériel modifié, le matériel remixé.

   Ces droits se traduisent le plus souvent par une licence Creative Commons, sous une forme ou une autre, la plus libre étant la « CC BY » demandant essentiellement que soit respecté le droit de citation : la nouvelle ressource doit citer l'auteur de la première ressource.

   Le choix effectué clairement par Class'Code dès l'initiation du projet de mettre à disposition de cette façon les ressources créées n'obéit pas simplement à un affichage politique. Il est motivé par le soutien que différentes organisations apportent à ce type de démarche et à l'ambition du projet de jouer un rôle important :

- L'OCDE soutient la création de REL : on retrouve son argumentaire dans différents rapports [17] qui expliquent que les systèmes d'éducation ont vraiment besoin de beaucoup plus s'appuyer sur les expériences, les idées innovantes des enseignants eux-mêmes. Les REL offrent cette possibilité.

- La « déclaration de Paris » [18] marque l'importance accordée par l'Unesco aux REL.

   Le choix effectué, au-delà de se justifier dans un contexte international, permettent d'envisager un succès de Class'Code au-delà de notre capacité de maillage : même dans des endroits où aucune association partenaire n'est présente, il est simple de se rassembler et d'utiliser directement les ressources Class'code pour se former. Enfin, ce choix est consistant avec la volonté dans Class'Code de réutiliser des ressources produites par d'autres, par exemple Pixees ou Interstices.

La recherche

   Plusieurs des problèmes à régler dans Class'Code n'ont pas de réponse immédiate.

   Ces problèmes auront besoin de solutions technologiques qui pourront donner lieu à une recherche-action spécifique.

- Une sorte de classe inversée sans professeur et sans classe... tel est le défi pédagogique qu'il s'agit de relever.

- Si l'inscription à un MOOC est une chose connue, la capacité de proposer des outils semi-automatiques de création de regroupements à la demande ne l'est pas. Proposer des solutions pour cela est un véritable challenge.

- Le MOOC va générer quantité de données, de traces d'apprentissage ; celles-ci viendront des activités en ligne et des regroupements : une observation de ces traces, une analyse poussée, doivent permettre l'amélioration de la formation, mais aussi plus largement une observation fine du modèle de MOOC hybride que nous proposons.

- Dans le domaine des Sciences de l'éducation également, des questions se posent : Class'Code est un chantier éducatif qui mérite d'être observé et analysé. De façon plus prospective et générale, nous espérons que dans et autour de Class'Code la recherche trouve toute sa place.

Class'Code, pratiquement

   Le projet Class'Code a été lancé officiellement le 15 septembre 2015. Depuis s'organisent tous les aspects du projet :

- La construction pédagogique réunit, sous la direction de Magic Makers, des spécialistes de la formation au code, des informaticiens, des ingénieurs pédagogiques : leur but est de construire les cinq MOOCs qui seront l'armature de la formation. Chaque MOOC est indépendant, deux ont un rôle spécial. Le premier concerne l'activité de codage à proprement parler : ne pas le suivre hypothèque tout de même sérieusement l'intérêt des autres. Un autre MOOC concerne les aspects projet dans le code : comment transmettre cette approche de gestion de projet aux jeunes ? Les trois autres MOOCs porteront sur les questions de données-information, de robotique, de réseau-web. Comment construire ses propres éléments d'enseignement avec cette approche ? La construction pédagogique concerne également les activités effectuées lors des rassemblements : quels « kits » proposer ? Comment permettre leur appropriation même (et surtout) quand il n'y a pas de formateur avancé présent ? Tels sont quelques-uns des défis à relever.

- Le maillage du territoire consiste à permettre d'identifier tous les acteurs motivés par cette question : il y a en France de nombreux autres collectifs dont le but est de former au code. Class'Code n'a pas vocation à fédérer directement cette communauté, mais on peut espérer que les objets partagés conçus par Class'Code le permettront.

- Le projet soulève des questions non triviales : peut-on réussir un MOOC hybride ? Peut-on fonctionner en ressources éducatives libres ? Peut-on tenir un discours ne réclamant pas des moyens technologiques toujours plus gourmands ? Ces questions tiennent de la politique et se résolvent par le dialogue, par la discussion entre partenaires du projet mais aussi avec tous les autres acteurs de la société concernés. Ces questions se résolvent également par l'invention de nouveaux processus, par la création de nouvelles technologies, par la recherche.

   Concrètement, les équipes de Class'Code entendent proposer à tous le premier MOOC à l'automne 2016. Avant cela, des expérimentations « pilotes » auront lieu, permettant de vérifier le dispositif. D'ores et déjà, la préinscription est possible sur https://classcode.fr/.

La SIF, Class'Code a besoin de vous

   Le succès de Class'Code reposera sur de nombreux facteurs : la qualité du matériel préparé, l'importance de l'enjeu pour les collectivités locales (en particulier les mairies qui auront à financer le périscolaire), l'envie d'apprendre l'informatique des animateurs et éducateurs. Mais aussi l'investissement des professionnels du numérique et de l'informatique.

   Il existe de nombreuses façons pour ceux-ci d'aider Class'Code (et bien entendu les membres de la Société informatique de France sont en première ligne !) :

- Les MOOCs en préparation sont hybrides et seront accompagnés de regroupements ; lors de ceux-ci des questions seront posées, des non informaticiens pourront avoir des difficultés avec la mise en pratique, les concepts, l'envie d'aller plus loin. Le grand espoir (et choix) de Class'Code est que des informaticiens pourront être présents durant ces regroupements pour faciliter l'accès au matériel, accompagner l'apprentissage des non informaticiens.

- Pour ces informaticiens, il y a sans doute aussi des choses à apprendre, à redécouvrir, à explorer : les langages de programmation comme Scratch, des manipulations de robots, l'histoire de l'informatique. Mais aussi, et surtout, comment enseigner cela à des enfants de 8 à 12 ans ?

- On le voit régulièrement dans les médias : le code serait facile à enseigner et ne demanderait aucune compétence, aucune formation... les raisons de l'enseigner sont elles aussi insuffisamment expliquées... Il faut donc intervenir dans le débat public pour expliquer, faire comprendre l'intérêt dans ce contexte de Class'Code. Pour que, demain, les équipes municipales proposent Class'Code à leurs employés, choisissent des animateurs ayant suivi Class'Code, il est nécessaire de relayer les messages.

- Des collègues, des étudiants, des élèves vont choisir de suivre Class'Code, de faciliter l'accès à l'informatique, peut-être aussi d'aller dans les écoles et s'adresser directement aux enfants. Pour cela, ils seront allés s'inscrire sur https://classcode.fr. En tant que membres de la SIF, soyons tous réactifs à notre niveau. Nous pouvons aussi être des facilitateurs... en trouvant des moyens pour que nos étudiants intègrent ces activités dans leur cursus, en mettant en avant les bons exemples, en offrant la parole à celles et ceux qui promeuvent ces activités.

   La SIF est, avec d'autres, à l'origine de Class'Code. Elle a de ce fait une responsabilité particulière : celle de contribuer à son succès.

Colin de la Higuera,
Professeur à l'Université de Nantes,
Président des comités d'organisation et de pilotage de Class'Code.

L'EPI est partenaire de Class'Code. http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1603r.htm

Paru dans 1024, Bulletin de la société informatique de France, numéro 7, novembre 2015.
http://www.societe-informatique-de-france.fr/bulletin/1024-numero-7/
http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2015/12/1024-no7-ClassCode.pdf

Les articles de 1024 sont mis à disposition sous licence Attribution – Pas de Modification 4.0 France : http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/deed.fr

NOTES

[1] J'en profite pour remercier toutes les personnes qui s'investissent sans compter dans le projet Class'Code, et en particulier Sophie de Quatrebarbes, chef de projet, et Thierry Viéville dont l'investissement est inversement proportionnel à la majesté des titres qu'il porte.

[2] Son site : https://classcode.fr/ ; une présentation grand public :
http://binaire.blog.lemonde.fr/2015/10/05/classcode-cest-parti/

[3] Qu'est-ce que le numérique ?, Milad Doueihi, Hermès, 2013.

[4] Définition du Conseil scientifique de la SIF :
http://binaire.blog.lemonde.fr/files/2014/01/14.Informatique.pdf

[5] https://www.youtube.com/watch?v=6XvmhE1J9PY

[6] En particulier, si l'on suppose qu'une formation courte de trois jours peut suffire.

[7] http://www.computingatschool.org.uk/data/uploads/primary_national_curriculum_-_computing.pdf

[8] http://www.education.gouv.fr/cid91267/investissements-d-avenir-culture-del-innovation-et-de-l-entrepreneuriat.html

[9] Initialement, le projet devait s'appeler MAAISON : Maîtriser et Accompagner l'Apprentissage de l'Informatique pour notre Société Numérique.

[10] http://www.education.gouv.fr/cid95812/au-bo-special-du-26-novembre-2015-programmes-d-enseignement-de-l-ecole-elementaire-et-du-college.html

[11] Les Écoles Supérieures du Professorat et de l'Éducation sont les lieux de la formation des enseignants.

[12] http://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rads_0513.pdf

[13] Bien entendu, c'est quand même plus compliqué que ça.

[14] Le lecteur de 1024 attend avec impatience le numéro spécial qui suit le congrès de la SIF de 2015 dont le sujet était justement les femmes et l'informatique.

[15] On lira par exemple le récent billet  :
http://techcrunch.com/2015/11/24/diversifying-technology-education/.

[16] http://www.opencontent.org/definition/

[17] Report Open Educational resources : a Catalyst for Innovation :
http://www.œcd-ilibrary.org/education/open-educational-resources_9789264247543-en

[18] http://fr.unesco.org/news/la-mise-en-œuvre-de-la-déclaration-de-paris-sur-les-ressources-éducatives-libres-lancement-du

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Mai 2016

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