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Enseignement de l'informatique en France :
État des lieux

Jean-Pierre Archambault
 

   François Lasne vient de faire une utile précision sémantique : informatique et numérique désignent des choses différentes. Or le deuxième terme se substitue souvent au premier dans la vulgate pédagogique. Regrettable mais pas nouveau. En effet, une des caractéristiques des discours sur l'informatique scolaire, depuis longtemps, est d'entretenir une certaine confusion pour ne pas dire une confusion certaine.

Les statuts éducatifs de l'informatique

   Je ferai une autre précision. On m'a demandé de parler des développements de l'enseignement de l'informatique, de faire un état des lieux. Il s'agit de l'enseignement de la science et technique informatique, composante majeure de la culture générale de notre époque. Qu'il faut enseigner comme il faut enseigner l'histoire-géographie ou les mathématiques, au nom des missions de l'École, à savoir former l'homme, le travailleur et le citoyen. Et en rappelant que l'enseignement scolaire, dans ses contenus, relève essentiellement de la culture générale, même s'il présente des aspects propédeutiques aux futures professions des élèves.

   Mais il existe d'autres statuts éducatifs de l'informatique et il ne faut pas tout mélanger.

a) Statut bien connu, l'informatique est outil pédagogique, outil qui enrichit la palette des instruments utilisés par les enseignants dans l'exercice de leur métier, en classe. C'est par exemple le traitement de texte que l'on peut utiliser pour l'apprentissage de l'écriture ou un logiciel qui grossit l'allure d'une courbe en un point donné, pour faire observer la platitude locale d'une fonction dérivable et ainsi aider à comprendre ce qu'est la dérivation.

   Statut bien connu mais pas si répandu que cela. Une note d'information de la DEPP (Direction de l'Évaluation, de la Prospective et de la Performance) de janvier 2016 donne les pourcentages d'élèves qui ont déclaré utiliser le numérique régulièrement en classe en fonction des groupes de collèges et des disciplines [1] :

   EPS 1,6 % ; Éducation musicale 3,6 % ; Arts plastiques 5,3 % ; Histoire-géographie 5,3 % ; Langues vivantes 5,4 % ; Français 5,7 % ; SVT 8,0 % ; Mathématiques 8,0 % ; Technologie 54,0 %.

   Il ne faut pas confondre les statuts, informatique objet d'enseignement et l'informatique outil pédagogique. Or on a confondu avec l'approche selon laquelle les apprentissages de l'informatique pouvaient se faire d'une manière exclusive à travers les usages de l'outil informatique dans les différentes disciplines existantes. Mais cela ne fonctionne pas : le B2i est un échec, un échec prévisible.

b) Autre statut, le plus répandu mais paradoxalement celui dont on parle le moins. L'informatique est facteur d'évolution des disciplines enseignées, de leur « essence » (objets, méthodes et outils). C'est peu ou prou le cas pour toutes les disciplines (simulation en sciences expérimentales par exemple) et particulièrement vrai pour les enseignements techniques et professionnels où le traitement de texte s'est substitué à la machine à écrire, la base de données au fichier-carton, le logiciel de DAO à la planche à dessin, la machine à commandes numériques à l'étau-limeur, etc.

c) L'informatique est outil de travail personnel et collectif des élèves, des enseignants et de la communauté éducative dans son ensemble. Ce statut ne se confond pas avec l'utilisation pédagogique en classe, la meilleure preuve étant que, si la plupart des enseignants préparent leurs cours avec l'ordinateur et Internet, cela ne signifie pas pour autant qu'ils les utilisent en classe (voir note précitée de la DEEP).

L'enseignement de l'informatique

   Au fil des ans, il connaît un cheminement chaotique. Dans les années 80, il y avait dans les lycées d'enseignement général une option informatique (en Seconde, Première et Terminale). Présente dans un lycée sur deux (ce qui ne signifie pas qu'un élève sur deux la suivait), elle était en voie de généralisation... quand elle fut supprimée en 1992, rétablie en 1994 puis à nouveau supprimée en 1998.

   Il y eut alors cette traversée du désert « explicatif » avec le B2i. Et puis ce furent les actions conjuguées, qui continuent, de l'EPI, de la SIF, de l'INRIA... et de personnalités du monde informatique. En 2007 l'entrevue de l'EPI à l'Elysée enclencha une dynamique. Le groupe ITIC-EPI-ASTI (puis SIF) fut créé. Ces actions ont permis de modifier le paysage. Avec des résultats.

   Au lycée, s'installèrent et s'installent ainsi progressivement :

  • un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » (ISN) en Terminale S (rentrée 2012),
  • un enseignement d'informatique pour tous les élèves des CPGE scientifiques (rentrée 2013)
  • un enseignement d'exploration « Informatique et création numérique » (ICN) en classe de Seconde (rentrée 2015),
  • un enseignement optionnel ISN en Premières ES, L et S (rentrée 2016),
  • un enseignement optionnel en Terminales ES et L (rentrée 2017 peut-on penser).

   On mentionnera la saisine du Conseil Supérieur des Programmes par la ministre, qui demande pour le 15 mars 2016 une proposition de programme pour les classes de Première et Terminale. Pour cela, le CSP doit prendre l'attache pour la conduite du travail de l'Académie des Sciences, de la SIF et de la mission Monteil.

Au collège

   À la rentrée 2016, un enseignement d'informatique sera confié aux professeurs de mathématiques et de technologie : algorithmique, programmation, machines, réseaux. Mais quid de la cohérence des deux enseignements ?

En primaire

   À partir de la rentrée 2016, au CE1, les élèves seront initiés au codage (informatique) et à la culture digitale.

   On pourra se référer aux programmes [2]. On trouve 236 occurrences de « numérique » en 255 pages (version odt).

   Au cycle 2, le « numérique » est omniprésent dans les différentes disciplines et activités. Il faut « comprendre, s'exprimer en utilisant les langages mathématiques, scientifiques et informatique »... « mettre en œuvre un algorithme de calcul posé pour l'addition, la soustraction, la multiplication »... « Dès le CE1, les élèves peuvent coder des déplacements à l'aide d'un logiciel de programmation adapté, ce qui les amènera au CE2 à la compréhension, et la production d'algorithmes simples ».

   Au cycle 3, le numérique est toujours aussi omniprésent dans les matières enseignées. « Les élèves sont progressivement mis en activité au sein d'une structure informatique en réseau sollicitant le stockage des données partagées ». Il y a de « l'algorithmique (nombres et calculs), de l'initiation à la programmation à l'occasion notamment d'activités de repérage ou de déplacement (programmer les déplacements d'un robot ou ceux d'un personnage sur un écran), ou d'activités géométriques (construction de figures simples ou de figures composées de figures simples) ».

Quid de la formation des enseignants ?

   Reste un obstacle de taille, un problème majeur non encore résolu, la formation des enseignants. Les décisions prises rendent en effet la formation des enseignants de plus en plus urgente ! Quid de celle des professeurs de mathématiques et de technologie en collège ? Combien ? 3 jours ? La rentrée 2016 se rapproche.

   On notera une avancée pour 2017 : la création d'une option informatique dans le Capes de mathématiques (50 % de mathématiques et 50 % d'informatique).

   Mais l'enjeu est de donner une culture générale à tous les élèves. Pour le moment on n'y est pas encore. Ce cap doit être clairement fixé, d'un enseignement d'informatique pour tous, d'une discipline informatique au collège et au lycée, après une sensibilisation à l'école primaire, comme le préconise le rapport de l'Académie des Sciences L'enseignement de l'informatique en France – Il est urgent de ne plus attendre [3].

   Il faut donc former des enseignants spécialisés comme on le fait pour les autres disciplines, c'est-à-dire avec un Capes et une agrégation. À quand un Capes et une agrégation d'informatique ? [4].

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

Les « journées de la PEEP » – Fédération des Parents d'Élèves de l'Enseignement Public – L'informatique et l'École.
http://peep.asso.fr/peep/assets/File/info-peep/conf-2016-02-06/présentation%20JP Archambault 6_02.pdf

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

NOTES

[1] http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/20/8/depp-ni-2016-02-CoCon-2014-2015_527208.pdf

[2] http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1512j.htm

[3] http://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rads_0513.pdf

[4] S'il faut créer sans tarder ce Capes et cette agrégation, d'autres mesures ont leur place, de manière plus ou moins transitoire : des Capes et agrégations bivalents, externes et internes, des listes d'aptitude, des habilitations du type de celles prévues pour les enseignants d'ISN et un renforcement de la formation continue. Et des certifications pour les professeurs des écoles dans les ESPE.

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Association EPI
Mars 2016

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