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Les enjeux éducatifs de l'informatique et du numérique

Jean-Pierre Archambault
 

   Les enjeux éducatifs du numérique, et de la science informatique qui le sous-tend comme la biologie sous-tend la médecine et les sciences physiques l'industrie de l'énergie, sont nombreux. Il y a les enjeux pour l'institution éducative elle-même, en tant qu'administration, qui utilise le numérique pour son propre fonctionnement et pour ses métiers, principalement bien sûr la pédagogie son coeur de métier. Et les enjeux pour la société de par les missions traditionnelles de l'École, à savoir former l'homme, le travailleur et le citoyen.

   À ces enjeux correspondent quatre statuts éducatifs de l'informatique distincts qu'il ne faut pas confondre.

   L'informatique est outil de travail personnel et collectif des enseignants, des élèves et de la communauté scolaire dans son ensemble. Cela va de la gestion de la paye des personnels et de la préparation de la rentrée scolaire à l'utilisation d'un traitement de texte pour préparer ses cours en passant par celle d'internet pour faire un exposé.

   Elle est outil pédagogique, l'objectif étant de développer des usages raisonnés, pertinents et efficaces. Si beaucoup a été fait, il reste beaucoup à faire. Ainsi le ministère de l'Éducation nationale indiquait-il récemment que 21 % des enseignants utilisaient l'informatique au moins une fois par semaine. Et les 79 % restants ? Nous sommes en 2012 et les débuts de l'informatique pédagogique remontent à la décennie 70.

   L'informatique est facteur d'évolution des disciplines enseignées, modifiant leurs objets, méthodes et outils, leur « essence ». Cela se traduit dans leur enseignement. C'est particulièrement vrai pour les enseignements techniques et professionnels où l'informatique s'est banalisée depuis plus de vingt ans déjà. Mais, peu ou prou, toutes les disciplines sont concernées.

   L'informatique, science et technique, est objet d'enseignement, connaissance, composante de la culture générale. La rentrée 2012 a vu la création en Terminale S d'un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique ». Cet enseignement a ouvert dans 727 lycées et plus de 10 000 lycéens l'ont choisi. Cette création est un premier pas qui en appelle d'autres. Vincent Peillon a annoncé son extension aux Terminales ES et L. Nous sommes en présence d'un enjeu fort : donner à tous la culture générale de notre époque. Et d'une question : comment la donner ? [1].

   L'époque, concernant notre propos, c'est l'informatique et les sciences du numérique qui représentent 30 % de la R&D de par le monde (18 % seulement en Europe). L'informatisation est la forme contemporaine de l'industrialisation. L'informatique est omniprésente dans la vie de tous les jours et on ne compte plus les débats de société qu'elle suscite : transposition de la directive européenne DADVSI, loi Hadopi, neutralité du Net, libertés numériques... Il s'agit de débats complexes où exercice de la citoyenneté rime avec technicité et culture scientifique. En effet, il est à la fois question de copie privée, de propriété intellectuelle, de modèles économiques... mais sur fond d'interopérabilité, de DRM, de code source, de logiciels en tant que tels. Et l'on constate un sérieux déficit global de culture du numérique, largement partagé. La question se pose bien de savoir quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent à tout un chacun d'exercer pleinement sa citoyenneté. Rappelons que pour les débats sur l'énergie, le citoyen peut se référer à ce qu'il a appris en sciences physiques et pour ceux sur les OGM à ses cours de SVT.

   Jusqu'à cette rentrée, nous étions donc face à un paradoxe : le numérique est partout dans la société et l'informatique, qui le sous-tend, nulle part dans l'enseignement général ! De plus en plus, il se dit que ce paradoxe doit cesser car il constitue un handicap.

   Khalil Rouhana (directeur, Direction générale des Réseaux de communication, du contenu et des technologies, Commission Européenne) a donné les chiffres suivants à l'occasion de la rencontre internationale Sillages 2012 qui s'est tenue le 25 octobre 2012 à l'ENS Ulm [2]. Il y a 500 000 postes de travail non pourvus dans le secteur du numérique (ingénieurs, cadres, techniciens) pour l'ensemble de l'Union Européenne. Et il en est prévu 750 000 à l'horizon 2015. Khalil Rouhana a indiqué qu'un effort devait être fait pour que le numérique devienne une discipline de base, et cela dès le plus jeune âge. Des objectifs doivent être fixés à court, moyen et long termes.

   L'Académie des Sciences a publié un rapport le 25 septembre 2012 [3]. Elle rappelle qu'elle « s'est réjouie de la création d'une nouvelle spécialité de science informatique en Terminale S en 2012 ». Mais elle ajoute : « Néanmoins, observant l'immense révolution liée au monde numérique et ses conséquences sur l'emploi comme sur la vie sociale, l'Académie considère que la pratique actuelle des TICE (usages) dès l'école primaire est loin de fournir une véritable introduction à la science informatique. L'Académie considère qu'une introduction à cette dernière est indispensable dans tous les lycées, possible dès le collège, et sans doute dès le primaire. »

   Dans un rapport remis par l'Inspection Générale des Finances (IGF) en janvier 2012 [4], on peut lire qu'il existe un « manque d'attractivité pour les formations informatiques lié à l'absence d'enseignement de l'informatique comme une matière à part entière dès le secondaire, à l'inverse d'autres matières scientifiques comme les mathématiques ou la biologie ».

   Depuis longtemps, nous savons qu'il est indispensable que tous les jeunes soient initiés aux notions fondamentales de nombre et d'opération, de vitesse et de force, d'atome et de molécule, de microbe et de virus, de chronologie et d'événement, de genre et de nombre, etc. Ces initiations se font dans un cadre disciplinaire. Aujourd'hui, le monde devenant numérique, Il est incontournable d'initier les jeunes de la même façon aux notions centrales de l'informatique, devenues tout aussi indispensables : celles d'algorithme, de langage et de programme, de machine et d'architecture, de réseau et de protocole, d'information et de communication, de données et de formats, etc. Cela ne peut se faire qu'au sein d'une discipline informatique. L'expérience de ces dernières années a montré que « cliquer sur une souris » et utiliser les fonctions simples d'un logiciel sont loin de suffire [5]. Elle a montré que l'approche prétendant donner une culture informatique à travers les utilisations dans les autres disciplines, traduite dans le B2i, était un échec, un échec prévisible. Pour tous les élèves, il faut une discipline informatique.

Jean-Pierre Archambault
Président de l'association EPI

NOTES

[1] « L'informatique discipline scolaire, un long et tortueux cheminement », Jean-Pierre Archambault, revue Terminal n° 110, printemps 2012.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1205f.htm

[2] Rencontre internationale SILLAGES 2012.
http://sillages2012.eventbrite.fr/

[3] Avis de l'Académie des sciences sur la refondation de l'enseignement :
http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/avis250912.pdf

[4] Le soutien à l'activité économique et à l'innovation, janvier 2012, page 28 et annexe 3.
http://www.igf.finances.gouv.fr/webdav/site/igf/shared/Nos_Rapports/documents/2012/2011-M-060-02.pdf

[5] « L'informatique à l'école : il ne suffit pas de savoir cliquer sur une souris », Jean-Pierre Archambault, Gérard Berry, Maurice Nivat, Rue89, Tribune du 28 juin 2012.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1209e.htm

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Mars 2013

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