Ignace Rak donne la parole à l'EPI

Jean Pierre Archambault, Jacques Baudé
 

Jean Pierre Archambault est président de l'association EPI (Enseignement Public et informatique) créée en 1971. Avec Jacques Baudé, président d'honneur de l'EPI, ils répondent à Ignace Rak*, IA-IPR honoraire de STI, pour l'association Pagestec sur quelques questions concernant leur engagement personnel et les actions de l'association sur la revendication d'un enseignement de l'informatique, notamment au collège. Voici, en substance, le contenu de cette interview.

I. Rak
Pour commencer notre entretien, quelques mots sur votre association et ses objectifs.

   L'association Enseignement Public et Informatique, association pionnière fondée en 1971, milite depuis sa création pour l'évolution du service public d'enseignement et de formation à la promotion duquel elle reste attachée. Elle plaide pour la complémentarité des approches : utilisation de l'informatique dans les différentes disciplines et activités et enseignement de l'informatique. Depuis sa création, elle demande que priorité absolue soit accordée à la formation des maîtres, inséparable des indispensables recherches pédagogiques et des moyens en matériels et en logiciels.

I. Rak
Votre site et votre magazine électronique EpiNet, à la fois de plain-pied dans l'actualité et mémoire de l'informatique pédagogique, sont bien connus.

   Les activités éditoriales de l'EPI se font essentiellement sous forme électronique. On pourra se référer à notre site http://www.epi.asso.fr et à notre magazine électronique gratuit EpiNet (voir page d'accueil du site et les archives : http://www.epi.asso.fr/epinet.htm).

   L'alerteur d'EpiNet est diffusé gratuitement chaque mois à ses adhérents-abonnés à plus de 3 500 exemplaires. Chaque numéro d'EpiNet comprend les rubriques suivantes :

• Éditorial
• Articles
• Rapports et documents
• ITIC (Enseignement de l'Informatique et des TIC)
• Nous avons lu et Lu sur le Net
• Sites visités
• Le libre

   À cela s'ajoute le Bloc-Notes du site EPI, qui rend compte en temps réel des événements importants.

I. Rak
Vous avez une longue histoire, accompagnant le développement de l'informatique dans le système éducatif depuis ses débuts. Vous avez donc des archives.

   Oui. L'EPI a participé au projet TémaTice d'où est issue l'archive ouverte EduTice, en mettant à disposition ses propres archives qui témoignent effectivement d'une riche expérience dans la pratique de l'informatique et des TICE au cours de ces 40 dernières années. Ces archives font l'objet de Collections EduTice : « La Revue de l'EPI », « Hypermédias et Apprentissages », « Intégration de l'Informatique dans l'enseignement », « Didactique de l'Informatique »...
http://edutice.archives-ouvertes.fr

   La rubrique « Historique » du site EPI est considérée, à juste titre, comme la « mémoire » du déploiement de l'informatique pédagogique en France. On y trouve les principaux documents ayant marqué ces décennies et évidemment l'historique de l'association :
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h11epi_jb.htm

I. Rak
Tout au long de ces années, vous vous êtes impliqués dans de nombreuses opérations. D'une manière générale, quels ont été, et sont, vos interlocuteurs et partenaires ?

   Des premières formations d'enseignants à la relance de l'action pour une discipline informatique en 2007, en passant par l'opération des 58 lycées, le plan IPT, la première option informatique des lycées dans les années 80 et 90 (nous étions représentés es qualité dans le Comité Scientifique National de son suivi)... les chantiers n'ont pas manqué ! Nos interlocuteurs naturels sont le ministère (cabinet du ministre), les corps d'inspections, l'administration centrale et les rectorats, les collectivités locales et le monde de l'entreprise. Nous nous efforçons en permanence, dans des démarches d'ouverture et de rassemblement, de susciter des synergies avec les enseignants, leurs organisations syndicales, les associations de spécialistes, les collègues de l'enseignement supérieur et de la recherche, les autorités scientifiques...

   Pour s'en tenir à la période actuelle, nous mentionnerons que l'EPI cogère avec la SIF (Société Informatique de France) le groupe ITIC-EPI-SIF dont la finalité est l'enseignement de l'informatique. Ce groupe comprend une centaine de collègues appartenant à tous les ordres d'enseignement, du primaire au supérieur. On trouvera sa composition à :
http://www.epi.asso.fr/revue/editic/asti-itic-groupe.htm

   Le président de l'EPI participe à une commission de l'Académie des Sciences sur l'enseignement de l'informatique de la maternelle à l'université à l'horizon 2020. Notre association comprend comme membres d'honneur deux membres de l'Académie des Sciences : Gérard Berry (Collège de France) et Maurice Nivat. Parmi ses adhérents l'EPI compte en particulier des professeurs de technologie au collège.

I. Rak
Ces dernières années vous vous êtes consacrés pour une bonne part à des actions en faveur d'un enseignement de l'informatique.

   Effectivement. Si l'EPI a toujours une approche globale de l'informatique pédagogique, depuis 2007 elle a été amenée à privilégier l'enseignement de l'informatique complémentaire de l'utilisation de l'informatique dans les différentes disciplines et activités. Il s'agit d'un enjeu majeur. En effet, l'informatique est partout. Dans la vie de tous les jours de tout un chacun. Elle est la forme contemporaine de l'industrialisation. Or, concernant l'enseignement de l'informatique, le rapport Stratégie nationale de recherche et d'innovation, SNRI, faisait en 2009 le constat que « la majorité des ingénieurs et chercheurs non informaticiens n'acquièrent pendant leur cursus qu'un bagage limité au regard de ce que l'on observe dans les autres disciplines ». La « réindustrialisation » suppose une forte compétence globale en informatique. Les débats de société sur les transformations qu'elle engendre se multiplient : Hadopi, libertés numériques, neutralité du Net... Il y a donc un triple enjeu : former l'homme, le travailleur et le citoyen, à savoir les missions traditionnelles de l'École.

   La question se pose de savoir quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent à tout un chacun d'être en phase et en prise sur la société dans laquelle il vit. Sans risque de se tromper, on peut affirmer que « cliquer sur une souris » et utiliser les fonctions simples d'un logiciel ne suffisent pas à les acquérir, loin de là.

I. Rak
Il faut donc une discipline scolaire...

   Oui. L'informatique est une science à part entière avec ses finalités, ses contenus et ses méthodes. Elle établit des liens étroits avec les autres sciences (sciences dures et sciences humaines) dont elle permet des évolutions majeures. De ce fait, il est important qu'elle participe à la culture générale scientifique et technique de tous les élèves dès le secondaire.

   En effet, si les sciences physiques sont devenues discipline scolaire c'est parce qu'elles sous-tendent les réalisations de la société industrielle. Dans les débats sur l'énergie nucléaire ou les OGM, le citoyen peut s'appuyer sur ce qu'il a appris au collège et au lycée en sciences physiques et en SVT. Lors des votes sur la transposition de la directive européenne DADVSI et de la loi Hadopi, s'il fut abondamment question de copie privée, de propriété intellectuelle, de modèles économiques..., ce fut sur fond d'interopérabilité, de DRM, de code source, de logiciels en tant que tels. Dans un cas comme dans l'autre on n'a pu que constater un sérieux déficit global de culture informatique largement partagé.

   Ce qui vaut pour les autres champs scientifiques vaut pour l'informatique.

I. Rak
Et le B2i ?

   L'approche pédagogique, qui s'est incarnée dans le B2i, selon laquelle on peut donner une culture informatique par les utilisations dans les autres disciplines enseignées, et cela d'une manière exclusive, s'est révélée être un échec. Un échec prévisible d'ailleurs : imaginons que l'on supprime le cours de mathématiques et qu'alors les entiers relatifs soient traités en histoire à l'occasion de l'étude de la période avant-après J.-C., et les coordonnées en géographie quand on parle de longitude et de latitude ! Et pourtant c'est ce que l'on a fait avec l'informatique.

I. Rak
Quelles sont les initiatives que vous avez prises pour faire progresser vos idées sur un enseignement de l'informatique ?

   Elles sont multiples et variées. Pour plaider la cause de l'enseignement de l'informatique, depuis 2007, nous avons été reçus à l'Élysée, à Matignon, plusieurs fois au Ministère de l'Éducation nationale où les conseillers du ministre nous ont demandé ce que pouvaient être les grandes lignes d'un programme d'une discipline informatique au lycée (voir « Un programme informatique pour le lycée ») et une proposition de programme pour la formation des enseignants chargés de la spécialité « Informatique et sciences du numérique ». Nous avons organisé des tables rondes au salon Educatice, aux Rencontres de l'Orme, au Forum Mondial du Libre, aux Rencontres Mondiales du logiciel libre... Nous avons participé à de nombreux débats, écrit et édité de nombreux articles que l'on peut consulter sur notre site (rubriques Articles et Enseignement de l'informatique et des TIC). Nous avons soutenu la publication de l'ouvrage Introduction à la science informatique, piloté par Gilles Dowek et édité par le CRDP de Paris à l'intention des professeurs d'ISN :
http://www.framablog.org/index.php/post/2011/09/06/manuel-informatique-sciences-numeriques
http://www.framablog.org/index.php/post/2011/09/18/manuel-science-informatique-commentaires

   Nous avons participé à la réalisation d'un manuel scolaire pour les élèves de Terminale S qui choisissent l'enseignement de spécialité « Informatique et Sciences du Numérique ». Nous proposons des journées pédagogiques aux enseignants alliant un approfondissement d'une notion informatique et ses implications didactiques.

I. Rak
Car toutes vos actions ont abouti...

   ... à la création d'un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique » en Terminale S entré en vigueur à la rentrée 2012. Cette création est une première réponse, qui en appelle d'autres, à la question de la culture générale scientifique et technique au 21^e siècle. Et mentionnons l'enseignement de l'informatique de la filière STI2D qui a démarré l'année dernière en classe de Première.

I. Rak
Un premier pas.

   Oui. Car il s'agit de la culture générale de tous.

   Nous demandons :

I. Rak
Vous pouvez nous en dire plus sur la discipline technologie.

   La technologie présente la particularité d'être concernée par tous les statuts de l'informatique éducative. Comme pour tous leurs collègues, l'informatique est un outil pédagogique pour les professeurs de technologie. Elle leur est aussi un outil de travail personnel et collectif. L'informatique fait évoluer les objets et les méthodes des autres disciplines. Cela vaut peu ou prou pour toutes les disciplines, par exemple les sciences expérimentales avec l'EXAO et la simulation. Mais, de par les mutations profondes de l'entreprise, des métiers et des qualifications, les enseignements techniques et professionnels, la technologie se sont particulièrement transformés. Enfin, l'informatique étant une science et une technique, au collège, le cours de technologie a vocation à être la réponse institutionnelle à l'exigence d'un enseignement de l'informatique.

   On peut donc dire que le cours de technologie et l'enseignement de l'informatique entretiennent au collège une relation privilégiée.

I. Rak
Un mot pour conclure.

   Dans les années 80, il y avait une option informatique dans les lycées d'enseignement général. Supprimée en 1992, elle fut rétablie en 1995, puis à nouveau supprimée en 1998. Mais les faits sont têtus, les nécessités de la société du 21^e siècle impérieuses. Même s'il est long, chaotique et tortueux, il existe bien le chemin qui mène à une discipline informatique pour tous les élèves, condition pour leur donner l'indispensable culture générale scientifique et technique correspondant à notre époque.

   Répétons-nous une fois de plus : l'utilisation des outils informatiques dans les différentes disciplines et l'enseignement de l'informatique sont des démarches non exclusives mais complémentaires. C'est pour ces deux démarches et les conditions de leur réalisation (formation des enseignants, matériels, logiciels...) que nous militons tous.

Novembre 2012

Jean Pierre Archambault
président de l'association EPI
Jacques Baudé,
président d'honneur de l'EPI

Propos recueillis par Ignace Rak
pour l'association PAGESTEC
http://www.pagestec.org/

* Ignace Rak est Inspecteur Pédagogique Régional en Sciences et Techniques Industrielles Honoraire de l'Académie de Paris, Docteur en sciences de l'éducation de l'École Normale Supérieure de Cachan, Didactique des Sciences et de la Technologie, Membre militant de l'AEET, de PAGESTEC et ancien membre invité du laboratoire de recherche UMR STEF de l'ENS de Cachan.
Il participe à une liste de diffusion adressée essentiellement aux enseignants de technologie du collège. Son site est particulièrement riche de documents pour « Rédiger des textes d'évaluation » et la « Préparation d'un cours », libres de droits d'auteurs pour une utilisation en classe.
http://techno-hadf.pagesperso-orange.fr/index.html