Pourquoi le collège est-il en recul depuis 2008 sur les apprentissages de base en TIC ?

Ignace Rak
 

   Ma contribution s'appuie sur mon expérience professionnelle personnelle de 1987 à 1999 d'Inspecteur de l'Éducation nationale, puis comme Inspecteur d'Académie, Inspecteur Pédagogique Régional (IA IPR) en sciences et techniques industrielles, donc d'acteur en 4e et 3e technologiques en collège et lycée professionnel, puis en technologie au collège pour la mise en place des formations des professeurs concernant les TIC puis des nouveaux programmes (1985, 1990, 1996). À partir de 1999, date de ma retraite, jusqu'en 2009, c'est en qualité de témoin actif que j'observe et que j'interviens dans les débats universitaires et associatifs (en particulier sur la liste privée de l'association des professeurs de technologie PAGESTEC [1]), sur l'évolution de l'éducation technologique, notamment sur les TIC.

   Cette implication personnelle s'appuie sur quelques faits officiels et chiffres résultant de l'analyse de programme ou de sondages. Ceci alimente ma contribution pour faire réfléchir sur des solutions possibles d'avenir.

Une histoire vécue et datée : 1985-1996-2000-2008

   Dès la parution du nouveau programme de technologie collège en 1985 totalement axé sur les savoirs et savoir-faire sélectionnés dans les pratiques sociales du monde de l'entreprise, les professeurs de technologie ont été formés et ont enseigné la dactylographie sur des machines à écrire, puis rapidement sur les premiers ordinateurs avec les logiciels de traitement de texte et de tableur-grapheur utilisés dans les entreprises. D'autre part, ils ont été contraints d'apprendre la programmation de petits systèmes automatisés et petites machines à commande numérique pour usiner des pièces en métal ou en matière plastique. Ces deux champs, bureautique et informatique industrielle, sont à cette époque, un peu marginales dans leur enseignement faute notamment de matériels et de logiciels attribués pour une politique volontariste. Ces professeurs contribuaient aux apprentissages de base, mais essentiellement au sein et pour les besoins de leur discipline.

   À la rentrée 1996 lors de la révision de l'ensemble des programmes de collège, le ministère de l'éducation nationale décide de confier à la seule discipline technologie l'ensemble des apprentissages de base aux TIC bureautique, ceci pour tous les élèves du collège pour être utilisés dans des applications dans toutes les autres disciplines. C'était donc très clair. Étant en poste d'IA IPR dans l'académie de Paris en 1996, la quasi-totalité des crédits de formation continue pour les 400 professeurs de technologie en poste durant quatre années (1996-2000) ont été dépensés pour une solide formation en TIC. Ceci leur a permis de maîtriser les 66 notions informatiques de traitement de l'information en bureautique et de traitement de l'information pour le pilotage de systèmes automatisés industriels, de programmation de machines à commande numériques pour les dessins assistés par ordinateur et/ou la conception de pièces mécaniques ou électriques (DAO et CAO). Dans toutes les académies de France il en sera ainsi de 1996 à 2000 dans les priorités et les dépenses de formation des 18 000 professeurs de technologie dans l'enseignement public et privé. Le résultat a été la construction de solides connaissances et de maîtrise d'outils capables d'assumer les apprentissages de base aux notions et outils utilisables par les autres disciplines sous la forme d'outils. Un effort financier sans précédant du ministère et des rectorats a été consenti, sans oublier que beaucoup de professeurs se sont auto-formés (autodidaxie) sur leur temps de loisirs.

   Dans les années 2000 apparaît un référentiel des TIC pour l'école et le collège afin d'obtenir une certification officielle intitulée Brevet Informatique et Internet (B2i), d'abord expérimental, puis obligatoire au collège à la session 2008 et intégré au collège dans le Diplôme National du Brevet (DNB). Curieusement cette certification ne concerne que les usages courants de bureautiques et de communication usuels au niveau « domestique ». Ne sont donc pas retenues les connaissances informatiques dispensées pour les applications industrielles du programme de technologie enseignées depuis 1996.

   Entre 2000 et 2008 le ministère et l'une de ses directions, la DGESCO, révise plusieurs fois le référentiel des compétences en supprimant, dans sa dernière version, les quelques connaissances informatiques existantes et en ne gardant que les « compétences », donc des savoir-faire dans leur seule dimension d'outil. Cette même direction ministérielle instaure ainsi le principe selon lequel toutes les disciplines du collège sont désormais responsables des apprentissages et des validations de la certification B2i, c'est-à-dire tout le monde, donc plus personne. La technologie est donc de fait révoquée de l'une de ses missions principales sans peu de modification de son programme, ni entre les autres disciplines pour une répartition nouvelle et officielle des connaissances TIC.

Quelques faits et chiffres pour éclairer les enjeux et décisions

   Deux faits importants sont à signaler. Le premier c'est le fait que seulement 23 % des élèves arrivent en 6e avec le B2i école dans un sondage récent de septembre 2009 sur 63 collèges [2]. Le second fait, c'est qu'à l'issue de la scolarité du collège 24 % des validations du B2i collège sont directement prononcées par le jury départemental, ceci malgré un avis défavorable du conseil des professeurs.

   D'autres chiffres sont à examiner. En novembre 2007 dans un sondage sur 135 collèges, 96 % des apprentissages de base en TIC sont assurées par les professeurs de technologie et se sont encore eux qui valident 78 % des compétences du B2i à la session 2008 du Diplôme National du Brevet (DNB) [3]. Une étude que j'ai aussi faite sur la place de l'apprentissage des connaissances TIC dans les nouveaux programmes de collège lors de la consultation des enseignants de d'avril-juin 2008, indique que 58 connaissances en TIC se trouvaient dans la discipline technologie avec 0 heure fléchée pour cela et 3 connaissances en mathématiques sans aucune heure fléchée non plus [4].

Enjeux et décisions

   Je suis spécialiste de l'élaboration des curriculums et programmes mais pas spécialiste des contenus informatiques et des technologies de l'information et de la communication. Or je constate une dérive depuis les années 2000 vers ce que j'appelle « tout le monde est responsable des apprentissages informatiques de base et donc personne n'est responsable d'une faute répartition précise des connaissances ». Par ailleurs comment comprendre que la discipline technologie au collège soit responsable de 98 % des apprentissages de base dans les nouveaux programmes de collège 2008 et que dans le même temps on ramène le temps à y consacrer du programme 1996 (1/3 du temps), au programme de 2005 (1/4 du temps), à 0 heure en 2008 ?

   Quant aux contenus, les connaissances en TIC, ne peut-on pas se poser la question de savoir pourquoi depuis 1996 ceux-ci ne se sont pas ouverts aux connaissances relatives aux logiciels libres, à l'interopérabilité, etc.

   Nul doute que la commission présidée par M. Fourgous devrait examiner, ou réexaminer, les contenus et orientations des programmes actuels de 2008 en collège, en particulier ceux du programme de technologie pour leur donner, redonner, les moyens horaires et contenus pour installer une véritable culture informatique de base responsable de 98 % des connaissances de base en collège ?

   Faute de réponse, alors ne faut-il pas se résoudre à ne rien installer en France de solide, contrairement à d'autres pays comme par exemple le Maroc qui a installé depuis 2007 une nouvelle discipline informatique au collège et au lycée ? La décision, au collège, se trouve, selon moi, entre la désignation d'une discipline existante comme responsable de l'ensemble des apprentissages TIC, et une discipline à créer (avec toutes les contraintes : contenus informatiques, création d'un corps de professeurs informatique, un corps d'inspection spécifique, des salles équipées et attribuées à cette discipline, des budgets conséquents pour l'achat et renouvellement de matériels, ainsi que pour les achats de fournitures consommables). La solution ministérielle actuelle (DGESCO) décidée en 2000 d'un flou dans la répartition des responsabilités des apprentissages de base entre toutes les disciplines à gérer dans chaque établissement, est une orientation suicidaire vis-à-vis d'une égalité claire entre tous les collégiens sur le territoire national d'accession à une culture de base en Informatique et Technologie de l'Information et de la Communication (ITIC).

Ignace Rak
Inspecteur d'Académie,
Inspecteur Pédagogique régional en Sciences et Techniques Industrielles honoraire de l'Académie de Paris.

Contribution rédigée par Ignace Rak le 20 octobre 2009 sur le forum « Thème 2 : La réussite scolaire » de la Mission Fourgous pour les Tice.
http://missionfourgous-tice.fr/theme-2#forum91.

Pour ne pas encombrer ce texte de différentes adresses URL sur les documents cités, vous pouvez consulter le portail :
http://pagesperso-orange.fr/techno-hadf/index.html
et en particulier « Sondage 2009 sur : B2i et TIC technologie 2009-2010, quel avenir ? »
ainsi que la version Word de cette contribution.

NOTES

[1] http://www.pagestec.org/.

[2] Ignace Rak (2009). « Sondage 2009 sur : B2i et TIC technologie 2009-2010, quel avenir ? »
Des résultats et des commentaires à lire de la part de 17 académies, 63 collèges et 154 réponses aux questions ouvertes et commentaires spontanés. À comparer avec les autres sondages et documents rédigés pour l'association PAGESTEC.
http://pagesperso-orange.fr/techno-hadf/edu/ 15-college_fr_2005-2010-8/ HADF_15-3_Sondage_B2i_et_TIC_en_technologie.doc.

[3] Ignace Rak (2008). « Sondage sur les conditions de validation obligatoire du B2i collège pour le diplôme national du brevet, année 2007-2008 »
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d0801b.htm.

[4] Ignace Rak (2008). « La place des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans la consultation des projets de programmes des collèges 2008 en France »
http://www.epi.asso.fr/revue/editic/asti-itic-college_i-rak_0806.htm.

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Association EPI
Novembre 2009

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