Pour une discipline informatique au lycée Françoise Gaydier Je suis enseignante de mathématiques en lycée. J'ai par ailleurs une formation universitaire en informatique. J'utilise depuis longtemps les TICE dans mon enseignement : certains vieux « imagiciels » il y a bien longtemps, les calculatrices, les logiciels de constructions géométriques, les tableurs. Je fais plusieurs constats. 1. La diffusion des diverses utilisations raisonnées de l'informatique qui serait prise en charge par les disciplines, est une vue de l'esprit. C'est une belle construction théorique, c'est un échec dans la pratique. Mon propos n'est pas d'en trouver les raisons. Mon expérience d'enseignante m'amène à émettre les hypothèses :
Il me semble qu'il n'est pas très compliqué d'infirmer ou confirmer ces hypothèses par des enquêtes sur le terrain. Peut-être cela a-t-il été fait ? Si oui, où peut-on trouver les résultats ? Si non, pourquoi ? Mes élèves de Terminale scientifique, malgré le B2I des collèges, malgré une option MPI suivie par certains d'entre eux en seconde, malgré certaines utilisations de l'outil informatique en classe de mathématiques ou sciences expérimentales les années précédentes, malgré donc des utilisations variées de l'outil informatique dans les diverses disciplines, y compris au labo de langues,
2. J'ai parcouru les diverses contributions sur cette question du numérique dans l'enseignement. Il me semble qu'il faut cesser de croire que l'utilisation de l'outil informatique peut flatter l'appétit des élèves devant telle ou telle discipline réputée rébarbative. Les élèves passent plusieurs heures par jour devant un écran, ils sont blasés. Il faudrait d'ailleurs aussi peut-être revenir sur cette affirmation que les élèves se détourneraient des études scientifiques parce que notre enseignement ne les intéresserait pas, qu'il faudrait donc mettre de la confiture (les TICE) pour faire passer les épinards. Je crois que des études statistiques ont montré qu'il est inexact de dire qu'il y a moins d'étudiants en sciences si l'on intègre dans les statistiques les études à caractère scientifique ou technique à bac + 2. N'y aurait-il pas plutôt une certaine difficulté à se projeter sur l'avenir dans un contexte économique plus ou moins difficile ? Il peut être rassurant de commencer par un bac + 2. Je suis d'ailleurs frappée de voir tant d'élèves s'orienter vers une classe préparatoire aux Grandes Écoles sans autre projet d'avenir que celui de devenir ingénieur. Chacun sait qu'ingénieur n'est pas un métier, mais un titre, qui renvoie à une certaine image de la situation sociale de celui qui le possède, plus qu'à telle ou telle activité professionnelle : nos jeunes (et leurs familles) semblent là aussi avoir besoin d'être rassurés. Les enseignants qui sont sur le terrain savent que leur public est varié. • Des élèves choisissent de faire une série S parce qu'une légende a la vie tenace : la voie S mènerait à tout, ce qui est maintenant faux. Le bac S peut ne mener à rien du tout, je ne développe pas ici. • Il y a aussi des élèves qui choisissent de faire S par motivation pour les sciences ou par curiosité, pour voir, et la motivation leur vient chemin faisant. Il n'y a peut-être pas assez d'élèves dans ce cas ? Y a-t-il eu une étude sérieuse sur cette question de la motivation des élèves pour (ou contre !) cette orientation ? 3. Je reviens à ma pratique d'enseignante de mathématiques. J'ai la vanité de croire qu'un nombre non négligeable de mes élèves s'intéresse à ce que nous faisons en classe. Et pourtant ! Et pourtant nous avons des programmes en première et terminale S ambitieux (ce que je ne regrette pas), à traiter dans un horaire insuffisant : il est bien difficile d'arriver à caser des activités « ouvertes » où les élèves doivent construire une solution à un problème de leur niveau qui les « accroche ». De tels problèmes, il y en a, et les élèves sont capables de se passionner, et de s'y investir, y compris s'il n'y a pas de note « récompense » à la clef. Je pense cependant que mes activités avec les élèves en classe de mathématiques devraient, et pourraient s'appuyer plus sur des problématiques mathématiques contemporaines. Ces problématiques, je peux difficilement les aborder, parce que les élèves n'ont pas les compétences informatiques pour cela. • Ainsi les élèves ont du mal à accepter une démonstration mathématique qui consiste à étudier la liste de tous les cas possibles : « oui, mais on ne peut pas faire cela si on prend un nombre plus grand ». Peut-être, peut-être pas, on arrive vite à des questions mathématiques profondes et très actuelles. On me dira que rien ne m'empêche de mener des activités de ce côté. Si ! L'incapacité de mes élèves à programmer un algorithme. Je peux certes raconter depuis mon bureau des choses sur la difficulté de décomposer un produit de grands nombres premiers. La portée d'un tel exposé ne dépassera pas celle d'un exposé sur les différentes perspectives où l'on ne présenterait pas de tableaux illustrant telle ou telle technique. Il me semble qu'on ne peut comprendre certaines questions que si on a conçu et vu un programme « mouliner » avant de fournir un résultat. Présenter cette évolution des mathématiques, et je pense que c'est maintenant une nécessité dans l'enseignement des mathématiques, n'a de sens que si les élèves sont capables de programmer eux-mêmes des algorithmes, d'observer les résultats et les temps de calcul. Et ceux qui disent qu'il n'y a rien de plus facile pour un élève que programmer un algorithme voudront bien me donner la recette. Je sais programmer. Enseigner l'algorithmique programmation, c'est autre chose. J'ai vu d'anciens élèves, excellents élèves de prépa, venir me solliciter parce qu'ils n'arrivaient pas à programmer l'exercice qu'on leur avait donné. Je savais faire leurs exercices, mais me suis trouvée bien démunie pour leur transmettre mon savoir-faire. • Ainsi également, je suis persuadée qu'on peut faire de très belles choses avec des simulations d'expériences aléatoires lorsque l'on mène le cours de probabilité. Là encore, je trouve bien dommage (et assez tristounet) de devoir limiter les activités des élèves au seul tableur, faute de pouvoir m'appuyer sur les compétences des élèves en algorithmique programmation. 4. Attention, je ne revendique pas du tout que les enseignants de mathématiques assument un enseignement de l'algorithmique programmation, bien au contraire ! D'abord parce que les enseignants de mathématiques n'ont pas, sauf exception, compétence pour le faire, même pour l'algorithmique, quand les algorithmes doivent être programmés. On sait que dans ces conditions on irait à l'échec et à une régression pour la société. Mais aussi parce que nous avons besoin d'un solide enseignement des mathématiques, y compris pour assumer le numérique et toutes ses facettes : logique, représentations de l'espace, itérations, temps de calcul et complexité d'un algorithme, codages, pour n'évoquer que ce qui me vient spontanément à l'esprit en lien avec les mathématiques, plus précisément qui demande des connaissances mathématiques. Il serait socialement dommageable de détourner les enseignants de mathématiques de ce pour quoi ils ont été formés : enseigner les mathématiques. Je souhaite donc que l'informatique soit enseignée en lycée comme une discipline à part entière, par des enseignants formés et recrutés pour cela, discipline qui ne peut pas se limiter à un enseignement de l'algorithmique programmation. Mes élèves de terminales dont j'évoquais plus haut les carences variées autour de l'informatique, seraient peut-être alors plus aptes à interpréter les résultats produits par une machine en classe de mathématiques : différence entre un zéro « mathématique », un zéro « machine » et un zéro simplement lié à un format d'affichage mal choisi ; plus généralement, sachant comment fonctionne un ordinateur, ils seraient peut-être capables de savoir si des résultats observés, calculés avec une machine peuvent guider leur intuition, ou au contraire sont à considérer avec la plus grande prudence. Ils pourraient aussi, par exemple, essayer de programmer la décomposition d'un entier en produit de facteurs premiers, se poser alors des questions sur la géographie de ces nombres. Ils iraient peut-être chercher des informations sur la question, ou imagineraient un algorithme naïf, et constateraient sa vanité. Je me trouverais alors dans une situation très riche pour faire de l'arithmétique. Tout de même, l'informatique, même en période de crise, offre des débouchés variés, et n'est même pas présente dans l'enseignement autrement que sous son aspect outil de la vie quotidienne. Comprend qui peut. Je me dis souvent que tel ou tel élève a peut-être raté une orientation de ce côté là, faute de savoir de quoi il s'agit. Et particulièrement les jeunes filles. Je réside à côté d'une école d'informatique dont on pourrait croire que le règlement exige la non mixité ! J'ai lu sur un site qu'enseigner l'informatique en lycée allait aggraver les réticences des jeunes filles à s'orienter de ce côté-là. Je préfère faire semblant ne pas comprendre les sous-entendus qui se cachent là derrière... De toute façon, ça ne saurait être pire que la situation actuelle ! Alors, au delà de mon intérêt égoïste de professeur de mathématiques évoqué plus haut, je dis, chiche : on crée un enseignement d'une discipline informatique en lycée pour pousser les jeunes filles à s'orienter vers des études scientifiques. Françoise Gaydier Ce texte est la contribution du 4 octobre 2009 de F. Gaydier à la réflexion « Oui ou non à une matière TIC à l'École ? » organisée par la mission Fourgous pour les TICE. ___________________ |
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