Journalisme et Wikipédia Pascal Bouchard, doyen des journalistes spécialisés en éducation, lance un nouveau média, ToutEduc (www.touteduc.fr), et dit s'inspirer de Wikipédia. Quels rapports entre une encyclopédie en ligne et le journalisme ? Il répond aux questions de l'EPI. Vous créez un média sur Internet. Quelle est votre culture informatique ? Elle est extrêmement faible, pour ne pas dire nulle. Je suis un homme du papier et de la radio. La technique ne m'intéresse que parce qu'elle permet de renverser totalement la perspective, et de modifier radicalement la place du journaliste. J'ai confié toute la construction du site à Guillaume Podrovnik, l'un des fondateurs du « sous-réalisme », pour qui l'informatique est un lieu d'invention, au même titre que le dessin. Pourquoi vouloir changer la place du journaliste ? Parce qu'elle n'est plus tenable. Le journaliste qui sait ce qui est juste et vrai, et qui vous délivre une information dont il a seul le contrôle, c'est fini ! J'ai eu la chance de commencer ma carrière aux Informations dieppoises. J'étais professeur dans un collège de la côte normande, et j'ai inventé un supplément « Éducation » au journal local. Mes premiers lecteurs étaient mes informateurs, ils avaient mon numéro de téléphone, et ils n'hésitaient pas à me dire leurs désaccords. C'était une boucle courte. Paradoxalement, j'ai retrouvé la même boucle courte dans une agence de presse aux abonnements très coûteux, donc réservés aux grosses institutions, ministères, syndicats, qui étaient également les décideurs dont les actions étaient ma matière première. J'ai quitté cette entreprise au début de l'année dernière mais j'ai toujours ce souci d'asseoir la légitimité de mon travail sur la possibilité qu'a le lecteur d'intervenir. Ne décrivez-vous pas le fonctionnement de nouveaux médias, comme « Rue 89 » ? Effectivement, sur ce site, les Internautes ont la possibilité de contester une information, et d'apporter leurs connaissances dans un domaine où le journaliste n'a pas nécessairement une compétence béton. Je pense qu'on peut aller plus loin. Comme sur Wikipédia, le site devient un cadre où les internautes construisent, ensemble et par autorégulation, une information. Vous voulez dire : « Tout le monde journaliste » ? Non. Le journalisme reste un métier, avec une professionnalité spécifique. Son savoir-faire lui permet d'animer le site, et de créer les conditions qui permettront à tout un chacun d'intervenir. Donnez-nous un exemple concret. J'ai ouvert plusieurs forums, dont un, volontairement très « terre à terre », et même trivial, sur les poux à l'école. On sait que c'est un problème récurrent et qui a deux facettes, puisqu'il faut que tout le monde utilise en même temps des produits efficaces. À l'aspect pharmacologique s'ajoute l'action politique : comment faire en sorte que les familles se mobilisent ? J'attendais que tel fonctionnaire ou tel élu d'un département nous dise comment il avait convaincu les médecins de PMI de travailler avec les médecins scolaires, et qu'un autre précise les difficultés auxquelles il s'était heurté... Et vous avez obtenu ce que vous attendiez ? Non, pour deux raisons. D'abord, en France, personne ne prend au sérieux la question des poux, contrairement aux Belges qui ont un site fort bien fait sur la question. Nous avons fini par trouver une scientifique et deux municipalités, Tours et Montereau, qui ont pris le pou par les cornes. Ensuite, beaucoup plus rares que je ne le pensais sont les gens qui, en France, osent écrire. Serait-ce le résultat de notre pédagogie du français ? La peur de faire des fautes d'orthographe, et de ne pas être à la hauteur de Hugo, est telle qu'on hésite à s'exposer. Nous avons donc interviewé les personnes repérées, et elles ont corrigé nos « copies » de façon que les propos transcrits soient bien les leurs. Mais, sur d'autres sujets, notamment la pause méridienne dans les écoles ou le surcoût pour les associations des personnels qui ne sont plus détachés, nous avons des participations spontanées. Je refuse de désespérer, je sais que nous devrons continuer de « tenir la plume » de certains, mais qu'à mesure que nous élargirons notre audience, nous trouverons des contributeurs. Combien êtes-vous ? Quel est votre modèle économique ? ToutEduc compte un seul salarié, journaliste. Avec les frais de maintenance du site, j'estime notre chiffre d'affaires minimal à 50 000 euros par an. Or j'aimerais embaucher au moins un ou deux autres journalistes, et je n'ai pas de modèle économique ! Faudra-t-il que je rende payant l'abonnement à la « newsletter » ? Les mécènes, les partenaires et les annonceurs vont-ils se précipiter ? L'Internet est encore un « Far West », où les règles du jeu restent, pour une bonne part, à inventer. Pour l'instant, nous n'avons que nos dix doigts, quelques économies, et un seul objectif, accroître la notoriété du site pour qu'il devienne la référence incontournable de tous les professionnels et de tous les militants du secteur éducatif... Un site peut-il faire référence, alors que l'on voit se multiplier les blogs, plus ou moins sérieux, et les attaques d'internautes masqués, qui sous pseudo recourent à l'insulte et à la désinformation ? Nous demandons à tous nos intervenants d'accepter une charte de bonne conduite, et nous refuserons de publier des propos qui ne seront pas assumés par une personne qui nous aura donné son identité. Les tricheurs s'exposent au risque de se voir dénoncés publiquement. J'ai l'espoir qu'Internet soit l'occasion de réhabiliter une vertu antique, l'honneur. 26 janvier 2009 ___________________ |
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