Note méthodologique sur les conditions d'accès aux TICE Mehdi Khaneboubi De nombreuses recherches ont été menées depuis plus d'une dizaine d'années sur les usages des technologies de l'information et de la communication au collège ; leurs résultats dépendent, bien entendu, de la quantité et de la qualité de l'équipement disponible. Si ce dernier ne détermine pas des usages particuliers, il est en revanche susceptible d'en empêcher certains ; il interfère en tout cas avec ce qu'il est possible d'organiser pratiquement. Il est intéressant qu'un certain nombre de collectivités territoriales ont, dès le début des années 2000 investi dans l'équipement des collèges [1], à partir de considérations principalement politiques, dont il est cependant certain qu'elles ont été informées par des enquêtes de terrain. Le cas du Conseil général des Landes est particulièrement intéressant. Dès la rentrée 2001/2002, à l'initiative de Henri Emmanuelli, le Conseil général a équipé trois collèges publics d'ordinateurs portables, de matériels périphériques et la majorité des salles de classe de bornes de connexions à internet. L'année suivante les 29 autres collèges du département des Landes furent équipés à leur tour. Tous les collégiens des classes de troisième et leurs professeurs eurent à disposition un ensemble d'instruments. On voit, au travers de l'équipement en matériel informatique des collèges des Landes par le conseil général, un exemple d'une politique d'aménagement du territoire qui tire parti d'une situation peu favorable aux zones rurales et un contre poids aux politiques nationales. D'autre part, pour les enseignants et les élèves, ce projet a créé un ensemble de situations nouvelles qui ont une influence sur une grande partie des facettes de la vie d'un collège. J'ai, dans ma thèse de doctorat en Sciences de l'Éducation dirigée par Pierre Clanché et soutenue en juillet 2007 à l'université Victor Segalen-Bordeaux 2, analysé en détail les modes de fonctionnement de ces nouvelles configurations [2]. Dans ce texte, l'intention est simplement de chercher à décrire comment les matériels étaient distribués au sein des établissements à partir d'une analyse secondaire de données publiées par le ministère en 2000 dans la revue Éducation et Formation [3]. Son intérêt principal est méthodologique. Comment estimer le nombre d'élèves par ordinateur dans les collèges des Landes Le rapport entre le nombre d'élèves et le nombre d'ordinateurs, est un indicateur que l'on rencontre fréquemment dans la littérature scientifique sur les TICE. En 2008, pour les élèves des classes de quatrième et de troisième des collèges publics du département des Landes ce ratio est de un. En 2005, en ne prenant en compte que les ordinateurs portables des élèves des classes de quatrième et de troisième, soit 8 500 ordinateurs pour un total de 14 702 élèves, le taux d'équipement est d'au plus 1,73. Cependant ce ne fut pas toujours le cas. Catherine Régnier indique que, d'après une étude portant sur 353 collèges de France à la fin des années 90, il y avait en moyenne dix-sept élèves par ordinateurs. Fin 1999, dans les zones rurales onze élèves par ordinateur, quatorze dans les zones urbaines de moins de 5 000 habitants et quinze dans celles de 5 à 10 000 habitants. Ce profil d'établissements correspond typiquement à ceux des Landes. Néanmoins, le taux d'équipement en ordinateurs dans les collèges du département des Landes fut très certainement supérieur à la moyenne puisque, depuis le début des années 80, les collèges ont été équipés de façon suffisamment importante pour que le projet « un collégien, un ordinateur portable », qui a été mis en place en 2001, soit perçu comme une continuité dans un ensemble d'actions de la part du conseil général vis-à-vis de l'informatique et des collèges. D'ailleurs, avant et au-delà de ce projet, les personnels des collèges des Landes et notamment les documentalistes, disposent grâce au Conseil général, de moyens financiers relativement plus important que les collèges des départements voisins. Si, les établissements de la fin des années 90 qui étaient moins bien situés avaient relativement peu d'ordinateurs à dispositions ceux qui avaient une taille modeste étaient plutôt mieux dotés. Catherine Régnier indique en effet que les établissements de moins de 200 élèves disposaient en moyenne de huit ordinateurs par élèves, tandis que les établissements de plus de 800 élèves de dix-neuf. L'emplacement géographique d'un établissement et le nombre d'élèves qu'il accueille étaient donc des éléments dont dépendait le ratio nombre d'élèves par ordinateurs. Pour saisir la situation de l'époque il est aussi utile d'examiner la répartition du parc informatique en fonction de l'ancienneté du matériel. C'est ce que fait C. Régnier en indiquant que la localisation et l'âge des ordinateurs présents dans les 353 collèges de son échantillon, se répartissaient ainsi (tableau 1) :
À partir du tableau précédent, on peut facilement reconstituer le tableau de contingence aux erreurs d'approximations près [4]. En effectuant un test de khi2 de contingence, on obtient un khi2 égal à 636,85 qui, avec un degré de liberté égal à quinze, nous permet de rejeter l'hypothèse d'indépendance entre les lignes et les colonnes du tableau, avec moins d'une chance pour mille de se tromper. Mais ce résultat est finalement d'une portée limitée. Il est nécessaire d'aller plus loin. L'idée est alors, d'effectuer une analyse factorielle des correspondances de ce tableau. Correspondance entre l'emplacement et l'ancienneté du matériel En se limitant à l'extraction de deux facteurs, on retient 95 % de l'inertie du nuage de points considéré. La création d'un graphique permet alors aisément de constater, grâce au premier facteur, que les modalités caractérisant les salles d'enseignements techniques et professionnels et les ordinateurs de plus de cinq ans sont opposées aux modalités caractérisant les ordinateurs multimédias de moins de trois ans et aux CDI (annexe B, tableau b). Grâce au second facteur, on voit que les modalités caractérisant les salles des classes ordinaires sont opposées aux modalités caractérisant les salles informatiques et aux modalités caractérisant les ordinateurs âgés de trois à cinq ans (annexe B, tableau c). Pour représenter l'AFC graphiquement (graphique 1), j'ai codé les modalités de façon à ce que tous les points soient lisibles sur le graphique, le codage est le suivant :
Le graphique permet donc de percevoir qu'à la fin des années 90, dans les 353 collèges de l'échantillon de C. Régnier, les ordinateurs récents (i.e. multimédia) étaient plutôt situés dans les CDI et les salles des classes ordinaires et que les ordinateurs de plus de cinq ans dans les salles d'enseignement technique et professionnel. On peut expliquer cette situation d'abord en considérant le fait que les politiques d'enseignement du début des années 90 ont été faites dans le cadre de la loi d'orientation de 1989 qui affirmait mettre l'élève au centre du système éducatif. Une des concrétisations de cette ambition fut la création du CAPES documentation. Les CDI ont dès lors joué un rôle dans des réalisations dont les modalités d'enseignements s'éloignent du modèle d'enseignement traditionnel. Les apprentissages transversaux, dont les nouveaux dispositifs pédagogiques (IDD, TPE et PPCP) en sont une concrétisation, débutèrent dans les années 90 et ce que l'on n'appelait pas encore les TICE y avaient une place essentielle au moins pour effectuer des recherches documentaires. C'est pourquoi on constate, d'après les données de C. Régnier, que les CDI étaient équipés en ordinateurs plus récents que les salles d'enseignements techniques et professionnels. Globalement les collèges étaient équipés de façon partielle et l'accès aux ordinateurs, bien que plus aisé que dans les années 80, était peu propice à des usages innovants ou à leurs tentatives. Discussion À la fin des années 90, en ce qui concerne les 353 collèges de l'échantillon de C. Régnier, l'âge du parc et le nombre d'élèves par ordinateur étaient peu propices à une utilisation massive, en particulier dans les zones rurales. Lorsqu'en 2001, le Conseil Général du département des Landes équipe tous les collégiens des classes de troisième et leurs professeurs d'ordinateurs portables et de matériels périphériques, les critères d'accessibilité et d'ancienneté du parc informatique ne sont plus un frein aux utilisations. La situation antérieure de vétusté relative pour les collèges ruraux fut l'occasion pour la collectivité territoriale de mettre en place un projet dont la visibilité est grande et qui concerne la quasi-totalité d'une classe d'âge puisque les classes de troisième font partie de l'enseignement obligatoire. Pour le Conseil général des Landes cela a permis d'élargir les moyens qu'il accordait déjà aux collèges publics mais d'une façon qui laissait entendre qu'il y avait une forte probabilité de modifier les modes d'enseignement. Les collèges du département des Landes sont dès lors, au moins pour les communautés éducatives et les chercheurs, un environnement dans lequel les usages qui sont faits des ordinateurs par les professeurs et les élèves ne sont plus contraints par un accès au matériel. Mais cela a-t-il pour autant permis de bouleverser la pédagogie ? Notre thèse, bien entendu, n'a pas permis de conclure en ce sens. Elle a confirmé les résultats obtenus par d'autres chercheurs auparavant, qui confirment que seules les usages compatibles avec le système tel qu'il est se développent vraiment. Elle a aussi permis de mettre en évidence des utilisations bien maîtrisées par des enseignants innovants sachant tirer parti des nouveaux instruments à leur disposition. Elle a enfin montré l'importance du rôle joué par les chefs d'établissements et les inspecteurs pédagogiques. Mais ceci est une autre histoire... Mehdi Khaneboubi Ce texte à été conçu avec le concours de Georges-Louis Baron qu'il en soit ici remercié. Références bibliographiques Baron G.-L., « Autorités territoriales et TICE au collège », Blog professionnel de Georges-Louis Baron, [en ligne], 2007, [01.06.2008] <http://blogs.univ-paris5.fr/glbaron/weblog/2478.html>. Bellocq G., « Gabriel Bellocq Vice-Président du Conseil Général des Landes », p. 2-3 in Landes interactives 2004 un collégien, un ordinateur portable : vers un nouvel espace numérique éducatif, Mont-de-Marsan : Conseil Général des Landes, 2004, 44 p. Cibois P., L'analyse des données en sociologie, deuxième édition, Paris : PUF, 1992, coll : le sociologue, 220 p. Cibois P., L'analyse factorielle, cinquième édition, Paris : PUF, 2000, coll : Que sais-je ?, 127 p. Cibois P., Les méthodes d'analyse d'enquêtes, Paris : PUF, 2007, coll : Que sais-je ?, 127 p. Conseil Général des Landes, Landes interactives, Bilan et évaluation de l'opération un collégien, un ordinateur portable, [en ligne], 2005, [05.07.2006] <http://www.landesinteractives.net/default.asp? page=pageEdito.asp&args=?IDPAGE=41&cnf=1|IDANSMHF>. Khaneboubi M., Usages de l'informatique au collège et habitus professionnels des enseignants : exemple de l'opération « un collégien, un ordinateur portable » dans le département des Landes. Thèse de doctorat, Université Bordeaux 2, Bordeaux, 2007, 282 p. Lebart L., Morineau A., Piron M., Statistique exploratoire multidimensionnelle, troisième édition, Paris : Dunod, 2004, coll : Sciences sup, 439 p. R DEVELOPMENT CORE TEAM, R : A language and environment for statistical computing, 2006, [2008] <http://www.R-project.org> Régnier C., « Les TICE dans les établissements scolaires : degré d'équipement et conditions d'accès », Éducation et formation, 2000, n° 56. http://media.education.gouv.fr/file/56/67/9/10_25679.pdf. Tableau a : Effectifs observés, effectifs théoriques et contribution au khi2 de la répartition du matériel TICE selon le type et la localisation au 4e trimestre 1998 dans les établissements du second degré public d'après C. Régnier « Les TICE dans les établissements scolaires : degré d'équipement et conditions d'accès », Éducation et formation, 2000, n° 56.
Les effectifs observés sont en gras, les contributions au khi2 sont soulignées, les effectifs théoriques sont en italique et sont arrondis à l'entier le plus proche. Khi2 = 636,85.
Annexe B Tableaux b et c : Récapitulatifs de l'AFC sur deux axes des vecteurs propres, des contributions aux axes et des contributions relatives des modalités du tableau a.
NOTES [1] G.-L. Baron, « Autorités territoriales et TICE au collège », Blog professionnel de Georges-Louis Baron, [en ligne], mai 2007, [01.06.2008], consultable sur internet : <http://blogs.univ-paris5.fr/glbaron/weblog/2478.html>. [2] M. Khaneboubi, Usages de l'informatique au collège et habitus professionnels des enseignants : exemple de l'opération « un collégien, un ordinateur portable » dans le département des Landes, Thèse de doctorat, Université Bordeaux 2, Bordeaux, 2007, 282 p. [3] C. Régnier, « Les TICE dans les établissement scolaires : degré d'équipement et conditions d'accès », Éducation et formation, 2000, n° 56, [4] On trouvera la reconstitution du tableau de contingence en annexe A. ___________________ |
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