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L'informatique condition nécessaire du numérique
 

   Selon une communication de Najat Vallaud-Belkacem, le jeudi 19 mars 2015 en conseil des ministres, les orientations définitives du « grand plan numérique » pour l'école seront annoncées en mai prochain. « ... Parallèlement, l'informatique et le numérique sont introduits dans les programmes de l'école, du collège et du lycée », précise le compte-rendu. « Ils seront intégrés, à partir de la rentrée prochaine, dans la formation initiale et continue des enseignants. » [1].

   Ces derniers mois, les annonces concernant le numérique et l'informatique se multiplient (le Président de la République qui annonce la création d'« une grande école du numérique », le Premier Ministre qui confie au Recteur Monteil une mission afin de « contribuer à la définition d'une nouvelle politique numérique pour l'Éducation nationale » [2], la Ministre de l'Éducation nationale, le Conseil Supérieur des Programmes, des directions du MEN... [3]. La programmation à l'École est devenue un sujet de débat grand public dans les médias et ailleurs.

   Un consensus se forme pour dire que, le numérique et l'informatique étant omniprésents dans la société et, à ce titre, une composante incontournable de la culture générale de tous, cela a des conséquences et des obligations fortes en termes d'enseignement et de culture générale scolaire pour tous les élèves, de formation de leurs professeurs. Quelles conséquences ? Si d'évidence les choses avancent, pour autant, comme toujours car c'est la loi du genre, le « nouveau » continue à rencontrer des résistances sous des formes renouvelées dans des périodes non dénuées de faux-semblants. Par exemple, la question essentielle de la formation reste à régler. Rappelons qu'une discipline informatique pour tous les élèves suppose, à un terme à fixer, des professeurs d'informatique avec un Capes et une agrégation d'informatique (comme c'est le cas pour les autres disciplines). Et des certifications pour les professeurs des écoles dans les ESPE. D'autres mesures ont leur place : des Capes et agrégations bivalents, externes et internes, des listes d'aptitude, des habilitations du type de celles prévues pour les enseignants d'ISN et un renforcement de la formation continue.

   Une approche oppose numérique et informatique. Nous pensons qu'il faut au contraire y voir complémentarité et condition nécessaire. Mais de quoi parle-t-on exactement ?

   On parle beaucoup de numérique, de société et d'économie numériques car de plus en plus d'activités et de réalisations reposent sur la numérisation de l'information. On caractérise ainsi la société en référence à sa production dominante, comme on parle de société industrielle ou de société agraire. Le numérique est créé grâce aux développements de la science et technique informatique. Au coeur du numérique il y a donc la science informatique, la science du traitement et de la représentation de l'information numérisée. L'informatique sous-tend le numérique comme les sciences physiques sous-tendent l'industrie de l'énergie et la biologie celle du vivant. Si la science et technique informatique joue un rôle fondamental dans le numérique, bien sûr d'autres sciences et techniques interviennent, toutes alors sciences et techniques du numérique et/ou numériques. C'est par exemple le cas avec un appareil photo numérique (optique, électronique, chimie, mathématiques appliquées, physique).

   Cette place de plus en plus grande du numérique et de l'informatique concerne tout le monde, à des degrés divers et selon des modalités différentes. Ainsi, dans Le Guardian du 17 novembre 2014, on peut lire que Sir Berners-Lee, inventeur du World Wide Web en 1989, s'est exprimé sans ambages : « Nous avons besoin de plus de députés qui sachent programmer (...) Il est essentiel que les responsables politiques apprécient les capacités techniques des ordinateurs et la connaissance de la programmation en est la clé. » [4]. Prenant la parole au « Every Second Counts Forum », il a déclaré : « Le fait de pouvoir programmer signifie que vous comprenez ce que les gens peuvent faire avec un ordinateur. Vous devez être en mesure de comprendre ce que les gens peuvent faire avec un ordinateur pour faire des lois à ce sujet. »

   Tous les secteurs d'activité sont touchés : aéronautique, médecine, automobile, système judiciaire, etc. « Sans aucun doute l'industrie a besoin de davantage d'informaticiens, toujours mieux formés, toujours plus professionnels, à l'affût des nouvelles technologies, des nouvelles méthodes de conception et de développement, à l'écoute de leurs clients. Mais l'industrie n'a pas moins besoin d'employés ayant acquis et assimilé une culture générale en informatique leur permettant non seulement de dialoguer efficacement avec leurs collègues informaticiens, mais aussi de prendre le recul nécessaire face à leur outil de travail afin d'être des vecteurs actifs de son amélioration et de sa performance.
Il y a besoin d'une culture générale qui fait par exemple comprendre à chacun, confronté à des lenteurs de son poste de travail, que de l'autre côté du miroir de son écran, il y a un processeur, de la mémoire, un disque dur, et puis des réseaux, des serveurs, des applicatifs et des bases de données, et que la lenteur qui l'empêche d'accomplir ses tâches quotidiennes, n'est pas forcément intimement liée au clic sur le bouton bleu, en bas, à droite, qu'il suffirait qu'il soit rouge pour que tout soit changé. »
 [5].

   Un enjeu important du numérique est tout ce qui touche à la sécurité (phishing, phreaking, spamming, pharming...). Une question particulièrement sensible concerne les mots de passe qu'il faut changer, tester. Il est impossible d'expliquer les mots de passe à une personne qui n'a pas étudié l'algorithmique, les machines et leur fonctionnement, les langages et donc les protocoles, les données et, en particulier, ici, les codages. Le citoyen doit pouvoir faire des choix éclairés en connaissance de cause (savoir par exemple que, lorsqu'il confie ses données personnelles à une entreprise qui dispense un service « gratuitement », en fait elle se rémunère sur l'exploitation de ces données personnelles). Il faut enseigner l'informatique pour comprendre le numérique [6], initier tous les élèves aux notions centrales de l'informatique, devenues tout aussi indispensables : celles d'algorithme, de langage et de programme, de machine et d'architecture, de réseau et de protocole, d'information et de communication, de données et de formats, etc. Et cela ne peut se faire qu'au sein d'une vraie discipline informatique.

   L'École ne procède pas autrement pour les autres domaines de la vie et de la connaissance. Elle initie les élèves aux notions fondamentales de nombre et d'opération, de chronologie et d'événement, de vitesse et de force, de genre et de nombre, d'atome et de molécule, de bactérie et de virus, etc. Elle donne ainsi la culture générale, les notions cachées que l'humanité a mis des siècles à découvrir et à élaborer, et qui permettent la compréhension, le recul, la créativité, les adaptations à venir... Elle le fait dans le cadre institutionnel des disciplines scolaires.

   Elle le fait pour des considérations analogues à celles qui justifient un enseignement de l'informatique. « L'usage des voitures a rendu nécessaire une certaine culture mécanique : pour conduire il faut avoir quelques notions de vitesse, d'accélération, de puissance, de force (au moins centrifuge) de distance de freinage. Les dangers de l'électricité sont présents à l'esprit de tout le monde et on y sensibilise les enfants dès leur plus jeune âge. Le désir et la nécessité de comprendre ce que disent les médecins demande une culture biologique » [7]. Le citoyen doit savoir lire un graphique (ainsi celui de l'évolution du chômage, de la décélération de son accélération si c'est le cas) et pour cela savoir qu'une grandeur peut dépendre d'une autre grandeur. Il étudiera donc les fonctions en cours de mathématiques. Il apprendra des choses comme la continuité, la dérivation...

   D'une manière générale il faut donner un sens aux mots de la science et de la technique, en particulier à ceux qui apparaissent fréquemment dans le discours ambiant. La culture informatique permet d'utiliser les mots justes pour nommer les concepts identifiés et d'avoir une compréhension opérationnelle des dits concepts. Elle permet de se mouvoir dans le monde numérique.

15 avril 2015

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] Numérique à l'école : les orientations définitives du plan seront annoncées en mai.
http://www.vousnousils.fr/2015/03/20/numerique-a-lecole-les-orientations-definitives-du-plan-seront-annoncees-en-mai-565519

[2] Éditorial d'EpiNet 173, « Informatique : formation, emploi... et choix » :
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1503a.htm

[3] Quelques extraits de déclarations de responsables et de textes officiels :
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1504a.htm
http://www.epi.asso.fr/revue/editic/groupe-itic-cr_15-03.htm

[4] Tim Berners-Lee: we need more MPs who know how to code :
http://www.theguardian.com/technology/media-network-blog/2014/nov/17/sir-tim-berners-lee-we-need-more-mps-who-know-how-to-code

[5] « Contre l'illettrisme numérique en entreprise », Louis Becq :
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1301e.htm

[6] Colin De La Higuera : http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1411b.pdf

[7] « Informatique dans le primaire », Maurice Nivat :
htth://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1504b.htm

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