Tribune libre

Logiciel libre et développement durable : un qui-vive permanent

Jacques Souillot
 

   Le Développement durable (DD) n'est pas une fin en soi. C'est un faisceau d'outils, de méthodes et de valeurs devant permettre à nos sociétés et à tous leurs membres de vivre avec le moins de souffrances possible, à un premier niveau d'exigence. On pourrait, pour être plus clair et plus explicite, renommer le DD et l'appeler « Économie de l'écologie pour la survie de l'espèce (humaine) ». Bien sûr cela n'est pas très vendeur, d'autant plus que cela revêt une dimension catastrophiste...

   Néanmoins l'expression « développement durable » est devenue un tel fourre-tout qu'on a l'impression que l'on serait capable de lui associer des choses aussi loufoques que « déchets nucléaires durables » ou « déforestation systématique durable ».

   Jusqu'à ces dernières années, le Logiciel libre (LL) (qui, en fait, n'est pas si « ancien », son succès ne remonte qu'à une dizaine d'années – merci Monsieur Stallman) a réussi à ne pas se faire noyer dans des messages de détournement, de récupération, de floutage par la communication publicitaire, bien que les mousquetaires de l'« Open Source » aient tout de même semé le doute ou la confusion dans certains esprits.

   Quelque part il est nécessaire d'être très vigilant et veiller à respecter les principes fondateurs des causes que l'on soutient, il faut garder le cap, ne pas laisser ses repères glisser sans cesse, et surtout pas en dehors des limites que l'on s'est fixées.

   LL et DD ont en commun des fondamentaux qui sont parfois en contradiction avec les us et coutumes des modèles sociétaux et économiques dominants en ce début du 21e siècle. Raison de plus pour les mettre constamment en avant et montrer que la boussole fonctionne « sans compromis ».

   Les acteurs du LL et du DD sont des gens convaincus que l'on peut vivre mieux si l'on veut bien respecter les autres, refuser la compétition élitiste, éviter les fractures de tout type (économique, culturelle, sociale, géographique). Ils ne peuvent cautionner une économie aux mains d'une oligarchie au service des pouvoirs financiers internationaux, ils refusent la course aux bénéfices extravagants, rejettent les monopoles, désavouent les dirigeants politiques, industriels et financiers quand des marchés opaques contreviennent à toutes les règles établies.

   En ce qui concerne certains détracteurs du LL et du DD, il est des mots qu'ils utilisent avec une belle condescendance pour désigner ces nobles causes, par exemple « fadaises », « utopies ». Or aujourd'hui, les modèles culturel, industriel, financier, éthique, etc. du 20e siècle s'écroulent dans des crises de plus en plus insupportables. La crédibilité des systèmes en place, de leurs décideurs et experts est pour le moins remise en question ; leurs capacités à apporter « un jour » des améliorations sont de moins en moins affirmées. Vers qui, vers quoi se tourner ?

   Si les modèles dominants nous ont conduits « dans le mur », il va bien falloir changer notre vision du monde. Le changement ne pourra être un simple bricolage, ce sera un changement de « rupture(s) ». Pour repeupler notre imaginaire, il est nécessaire d'y travailler sans tarder, il y a urgence, car l'éducation des jeunes doit les éloigner le plus possible d'un formatage élitiste, hyper individualiste et consumériste, et les guider vers l'entraide, le partage, le savoir vivre ensemble.

   Ces dernières valeurs, ils les vivent déjà à l'école avec tout ce que met en évidence l'Éducation à l'Environnement et au Développement Durable (EEDD) [1], dès leurs plus tendres années grâce aux projets « Agendas 21 scolaires ». La philosophie humaniste de l'École de la République s'infuse ainsi plus concrètement dans leurs esprits. S'y ajoute, avec l'EEDD, le renforcement de compétences, concepts et méthodes qui seront essentiels leur vie entière : esprit critique, vision systémique, approche de la complexité, travail collectif, apprentissage avec les pairs, partage des connaissances, organisation de projet.

   On remarquera que ces compétences, concepts et méthodes sont, en fin de compte, les clefs qui ont toujours présidé au développement du LL. Les acteurs du LL sont aux avant-gardes des mouvances qui veulent changer nos horizons et qui s'inscrivent dans les cadres en définition que sont « les biens communs », « l'économie sociale et solidaire » [2]. Le LL est en quelque sorte partie prenante du DD. On ne s'étonnera pas de leur rapprochement de plus en plus fréquent sur nombre de projets. D'un côté, les projets DD font appel au LL et, de l'autre, le LL bénéficie de la notoriété grandissante des réalisations DD.

   De fait, il est capital que LL et DD partagent leurs expériences et agissent de façon concertée. Le modèle qu'ils représentent étant un obstacle pour les tenants de la croissance sans fin et de l'enrichissement de quelques-uns, il y a danger qu'on essaie de réduire leur influence et leur efficacité. Afin d'éviter cet écueil, il est besoin de mener une veille stratégique permanente. Celle-ci est évidemment déjà très active grâce aux diverses technologies numériques, largement disponibles sur toute la planète, avec les messageries électroniques, les forums, les réseaux sociaux, etc., et, de plus en plus, les réseaux éthiques et solidaires [3]. Les mouvements associatifs y jouent un rôle primordial.

   L'individu-consommateur est en passe de retrouver son identité, sa citoyenneté, sa dimension et ses responsabilités sociales. Après 4-5 décennies d'érosion et de perte des repères et valeurs d'un humanisme universel, les cohortes de l'homo economicus vont laisser place à des sociétés d'utopistes éclairés. LL et DD progressent sans cesse dans ce sens, toujours plus vite et plus fort, en apportant quotidiennement des solutions pratiques réalistes qui renforcent nos convictions et nos espoirs.

Jacques Souillot,
membre de l'EPI

Cette tribune s'inscrit dans le prolongement de « Logiciel libre et Développement durable : des gènes communs ! », publié par l'auteur dans EpiNet n° 133 de mars 2011.
De même, elle est sous licence
Creative Commons - Paternité - Partage ŕ l'Identique.
http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/fr/deed.fr

NOTES

[1] EEDD : voir le site eduscol.education.fr.
http://eduscol.education.fr/cid47659/education-au-developpement-durable.html

[2] Le jeudi 9 juin 2011 : « Conférence sur les logiciels libres et les états généraux de l'économie sociale et solidaire » Ai2L, Adullact, April et Framasoft seront de la partie.
http://www.liesse.info/

[3] Réseaux éthiques et solidaires : voir l'article d'avril 2011 sur le site de developpementdurable.com.
http://www.developpementdurable.com/economie/2011/04/A5920/la-nouvelle-vague-des-reseaux-sociaux-ethiques-et-solidaires.html

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Association EPI
Juin 2011

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