NOUS AVONS LU
Faut-il enseigner le code aux enfants ?
Anne Cagan dans 01net n° 798, 28 mai-11 juin 2014, pages 12-13.
Les annonces de François Hollande ont redonné de l'espoir aux partisans des cours d'informatique obligatoires au collège et au lycée. Mais la création d'une matière comprenant de la programmation divise la société.
« On va mettre du codage dès le collège ! » C'est un véritable pavé dans la mare que François Hollande lançait en février dernier devant une assemblée d'entrepreneurs médusée, lors de l'inauguration d'un incubateur de start-up français à San Francisco. Faire « bouffer du code » à nos collégiens alors qu'ils ne sont même pas sortis de l'enfance, quelle drôle d'idée ! Pourtant, plusieurs initiatives privées essaiment déjà à travers l'Hexagone, à l'instar des Coding Goûters, lors desquels les enfants s'initient aux joies du code. Ou encore, en région parisienne, dans ces ateliers hebdomadaires de programmation créative intitulés Magic Makers, complets jusqu'à la rentrée 2014.
Dès 5 ans. Et nous sommes loin d'être les plus en avance. Nos voisins britanniques, eux, ont carrément décidé de donner des cours de programmation à tous les enfants du Royaume-Uni dès l'âge de... 5 ans ! Barack Obama, quant à lui, a appelé en décembre dernier les jeunes Américains à aller voir ce qui se passe sous le capot lors d'une allocution filmée : « Ne vous contentez pas d'acheter un nouveau jeu vidéo, créez-en un ! » On l'aura compris, l'écolier de demain sera connecté ou ne sera pas. Faut-il pour autant que l'informatique devienne une matière à part entière – et obligatoire –, englobant l'apprentissage de la programmation ? Sur ce point, les avis divergent. Nous avons donc demandé à deux spécialistes reconnus du secteur de nous expliquer leur position.
Pour : Il faut initier les élèves dès le primaire
Jean-Pierre Archambault, président de l'association Enseignement Public et Informatique.
Selon moi, il est urgent de ne plus attendre ! Car l'enjeu économique est très fort. L'industrie automobile, à titre d'exemple, recrute aujourd'hui plus d'informaticiens que de mécaniciens.
Et cela devrait encore s'accélérer, car cette discipline sera au coeur de l'innovation de demain. Lorsque le président des États-Unis demande aux jeunes d'apprendre à programmer, il explique très clairement qu'il s'agit d'une absolue nécessité pour que ce pays reste la première nation du monde. De plus, qu'ils soient spécialisés en ce domaine ou non, tous les travailleurs utilisent l'informatique au quotidien. Rien que pour cette raison, l'école se doit de former les élèves à cet outil. En outre, cette maîtrise est nécessaire pour comprendre les débats qui agitent notre société (la loi Hadopi contre le piratage, la protection des données personnelles...). C'est la mission de l'école que de dispenser les connaissances scientifiques et techniques qui permettront aux futurs citoyens d'être en phase avec la société dans laquelle ils vivent. Car même s'ils baignent dans Internet depuis leur enfance, beaucoup de jeunes le comprennent mal. Vu l'importance des enjeux, disperser l'enseignement de l'informatique au sein de matières existantes, comme le suggèrent certains, paraît impensable.
Imaginez que l'apprentissage des maths soit décidé par les professeurs d'autres matières au gré de leurs besoins : les entiers relatifs lorsqu'en histoire on aborde la chronologie ; les coordonnées lorsque le professeur de géographie a besoin d'expliquer ce que sont la latitude et la longitude... C'est parce qu'on la trouve partout que l'informatique doit à un moment donné être quelque part en particulier, sous la forme d'une discipline scolaire unique. De la même façon qu'on ne se contente pas de demander aux élèves d'allumer et d'éteindre une ampoule pour leur expliquer ce qu'est l'électricité, l'enseignement informatique ne doit pas se limiter à expérimenter les divers usages de ces outils.
On pourrait initier les élèves dès le primaire sans utiliser d'ordinateur mais en leur proposant de programmer de petits jeux. Et après la classe de seconde, l'enseignement serait personnalisé en fonction des filières. Mais pour cela, nous avons besoin de professeurs d'informatique compétents et de diplômes (Capes, agrégation...) spécifiques. Et qu'on ne vienne pas nous dire que les programmes sont trop chargés : il est parfaitement normal qu'ils évoluent avec le temps. Avec de tels raisonnements, nous n'aurions jamais créé de cours de physique, ni de biologie. Et nous apprendrions encore aux enfants la rhétorique et l'astronomie au programme, comme dans écoles médiévales.
Contre : Il est inutile de leur imposer cette matière
Frédéric Bardeau, cofondateur de Simplon.co, centre de formation à la programmation gratuit.
Cela n'aurait pas de sens de forcer les élèves à apprendre à programmer. D'abord, parce que tous ne deviendront pas développeurs. Ensuite, parce que leur imposer cet apprentissage dès le plus jeune âge risque de les décourager. Élève à l'époque du Plan informatique pour tous (présenté en 1985 par Laurent Fabius, alors Premier ministre), j'ai ainsi appris à coder en Logo et en Basic. Ce qui ne m'a pas spécialement incité à me tourner vers le développement. L'école doit donner envie aux enfants, et les enseignants semer des graines pour l'avenir. Pour cela, le format de cours obligatoire ne me semble pas être le plus adapté. L'informatique a révolutionné toutes les disciplines. Elle devrait donc modifier la façon dont on travaille l'ensemble des autres matières !
Comment ? En utilisant des logiciels de cartographie en géographie, ou des outils permettant de représenter de façon graphique des données statistiques en histoire, par exemple. En imaginant des stages d'impression 3D et des concours de code ouverts aux volontaires. Ou encore, en proposant des ateliers pour initier les enfants à la pensée computationnelle, c'est-à-dire pour leur apprendre comment les machines et les algorithmes pensent. Et, bien sûr, des cours d'informatique optionnels.
Ainsi, on éveillerait des vocations. Et les élèves pourraient alors choisir (ou non) de se lancer dans l'apprentissage de la programmation pure.
http://www.01net.com/front_office/static/magazines/01net/pdf/feuilleter_798.pdf
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