Une discipline informatique en tant que telle est indispensable Gilles Dowek, Jean-Pierre Archambault Cette interview est parue dans le numéro 47 de Nouveaux Regards, la revue de l'Institut de recherches de la FSU [1]. Elle a été donnée avant l'annonce par Luc Chatel, le 10 décembre 2009, de la création d'un enseignement de spécialité optionnel « informatique et sciences du numérique » en Terminale S dans le cadre de la réforme du lycée. Gilles Dowek est professeur d'informatique à l'École polytechnique [2]. Avec l'EPI et le groupe ITIC de l'ASTI, il oeuvre pour que soit créée une discipline informatique d'enseignement général au lycée [3]. Jean-Pierre Archambault, professeur agrégé de mathématiques, est président de l'EPI et membre du bureau national de l'ASTI. * Gilles Dowek, l'Académie française vous a décerné son Grand Prix de Philosophie en 2007 pour votre ouvrage Les métamorphoses du calcul [4], quels sont vos problématiques et thèmes de recherches ? GD : Mon travail porte sur les liens entre la notion de calcul et celle de raisonnement, la convergence du langage mathématique et des langages de programmation. Une convergence qui semble profiter à chacun de ces domaines. Les langages de programmation gagnent en expressivité – il leur devient possible d'exprimer non seulement des programmes mais aussi des propriétés des programmes – et les mathématiques redonnent à la notion de calcul une place que la méthode axiomatique lui avait quelque peu contestée. Derrière ces questions théoriques se cachent des enjeux énormes relatifs à la sûreté des systèmes informatiques dans des domaines – les transports, l'énergie, la santé... – où un bug peut être fatal. Enseignant d'informatique à l'École polytechnique, vous êtes très impliqué dans les actions en faveur d'un enseignement de l'informatique au lycée en tant que tel. GD : J'ai été amené à m'intéresser à ce problème quand j'ai constaté le faible bagage informatique de mes élèves quand ils entraient à l'École polytechnique. Ils ont une culture très vaste en mathématique et dans les sciences de la matière. Mais leur bagage en informatique est souvent le même que s'ils avaient vécu au XXe siècle. Et je me suis alors intéressé à leur formation antérieure, notamment ce qu'ils avaient pu apprendre au lycée. L'absence de véritables professeurs d'informatique est un lourd handicap pour notre pays, qui nous empêche de former des ingénieurs en phase avec la technique de notre siècle, où l'informatique représente 30 % de la R&D. Le rapport du SNRI publié en juillet va en ce sens [5]. JPA : Effectivement, il dit notamment que « la majorité des ingénieurs et chercheurs non informaticiens n'acquièrent pendant leur cursus qu'un bagage limité au regard de ce que l'on observe dans les autres disciplines. Pourtant, ils utiliseront ou pourront avoir à décider de l'utilisation d'outils informatiques sophistiqués. Il est à craindre qu'ils ne le feront pas avec un rendement optimal ou que, en position de responsabilité, ils sous-estimeront l'importance du secteur ». Et ce rapport préconise une discipline scolaire en tant que telle au lycée. Mais il n'est pas le seul à aller dans ce sens. Par exemple, le Syntec pointe également un manque d'attractivité chez les jeunes pour les métiers de l'informatique. Une discipline pour les sections scientifiques... JPA : ... et pour tous les élèves également ! Tous les citoyens sont concernés, car tous vivent dans un monde dans lequel il y a des ordinateurs partout. Que l'on pense aux récents débats sur les lois Hadopi et DADVSI. On parle d'interopérabilité, de code source, de DRM, d'adresse IP (et on devrait d'ailleurs expliquer davantage que ces lois sont techniquement inapplicables [6])... Qu'est-ce que ces mots évoquent pour les citoyens et pour les élus ? C'est au lycée que l'on doit apprendre les concepts fondamentaux – mais pas plus compliqués que ceux de vitesse ou d'acide désoxyribonucléique – qui permettent de comprendre ces débats, de même que ce que nous avons appris en physique et en biologie au lycée nous permet de comprendre les débats sur le nucléaire, la lutte contre le réchauffement climatique, ou les OGM. Une discipline informatique en tant que telle est indispensable, la simple utilisation ne l'outil ne suffisant pas. Les informatiques « objet d'enseignement » et « outil pédagogique » sont complémentaires et se renforcent mutuellement. Que faut-il enseigner ? GD : Cela fait des années que nous enseignons l'informatique dans les universités. Cet enseignement est toujours structuré autour de quatre concepts fondamentaux, ceux d'algorithme, de langage, d'information et de machine. Et les cours magistraux sont toujours complétés de travaux dirigés en salle machine. Il n'y a pas de raison de faire autre chose au lycée. Il faut bien entendu adapter ces contenus et ces méthodes au public lycéen – on pourra, par exemple, se référer à la proposition de programme élaborée par le groupe ITIC-ASTI [7] – mais c'est le même geste pédagogique qui se déroule de la maternelle à l'université. NOTES [1] http://institut.fsu.fr/nvxregards/NR-presentation.htm. [2] http://www.lix.polytechnique.fr/~dowek/. [3] http://www.epi.asso.fr/blocnote/blocsom.htm#itic. [4] Les métamorphoses du calcul, 2007, éds Le Pommier, 224 pages. [5] Rapport du groupe « Numérique, calcul intensif et mathématiques ». [6] Jean-Pierre Verjus, Claude Kirchner. « Non, la suspension d'accès à Internet n'est pas la solution » sur La Tribune.fr, 21/04/2009. [7] « La formation à l'informatique et aux TIC au lycée », Proposition de programme Seconde Première Terminale, 04-03-2008. ___________________ |
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