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Sur la route de Louviers

Guy Dehan
 

Nous reproduisons ici le témoignage du responsable du centre informatique du lycée de Louviers, un des 58 lycées équipés entre 1973 et 1976 d'un mini-ordinateur [1]. Cet article est paru dans la rubrique « informatique au lycée » du numéro 1 (avril-mai 1980) de la revue Éducation et informatique des éditions Nathan [2]. Cette excellente revue est parue pendant plusieurs années. Son rédacteur en chef était Wladimir Mercouroff, les membres du comité de rédaction, présentés dans ce premier numéro, étaient : Ch. Lafond (rédacteur en chef-adjoint), J. Arsac, H. Bestougeff, F.-M. Blondel, J.-F. Boudinot, J. Hebenstreit, P. Muller (Président de l'EPI de 1971 à 1979), A. Poly et J.-M. Salomon.
 

   Il est paraît-il plus important de faire savoir que de savoir faire. Une expérience informatique est en cours dans l'enseignement et il faut bien reconnaître que si les enseignants engagés dans cette expérience ont su sans conteste acquérir un savoir faire ils n'ont peut-être pas toujours été de bons « propagandistes ».

   Alors que l'expérience a bientôt dix ans, une partie du public – et même la plupart des enseignants – n'en ont eu connaissance que très récemment, et ce uniquement dans la mesure où l'informatique en général a bénéficié ces derniers temps d'une large publicité dans la presse.

   Ainsi le lycée de Louviers est équipé depuis 75 et il a fallu attendre 79 pour que la presse locale s'y intéresse (par pure coïncidence, un article était paru sur le sujet dans Le Monde peu de temps auparavant). Ailleurs, il a fallu un article de la presse locale pour que les services de la vie scolaire d'un rectorat apprennent l'existence d'un lycée équipé dans leur académie !

Quelques mises au point

   Je voudrais tout d'abord répondre à une question qui m'a souvent été posée en tant que responsable de centre : « Pourquoi un ordinateur à Louviers ? ». Contrairement à ce que certains ont pu penser – et même dire – nous n'avons eu l'appui d'aucun député ni ministre, simplement trois Loveriens ayant accepté de devenir Nancéens pour un an de stage, les conditions nécessaires pour l'implantation d'un ordinateur à Louviers étaient remplies : l'installation eut donc lieu en novembre 75.

   Autre type de « question-affirmation » : « Vous enseignez donc l'informatique et c'est réservé aux classes d'élite (les sections C bien entendu !) ». Là encore double négation : nous ne sommes pas professeurs d'informatique et l'installation n'est pas prévue pour cet enseignement. L'informatique est utilisée en tant que moyen d'enseignement et l'installation est mise à la disposition de tous les collègues pour qu'ils y enseignent leur discipline. En ce qui concerne les classes, elles sont toutes « concernées » de la sixième à la terminale en passant par les classes du LEP.

   Suite de la « question » : « c'est bien sûr réservé aux mathématiques ! ». Toujours non. Il n'y a que trois disciplines (à Louviers) qui n'utilisent jamais l'informatique : la musique, l'éducation physique et le travail manuel, et s'il est vrai qu'il y a un grand nombre d'heures d'utilisation en mathématiques, ce nombre d'heures est presque aussi important en français.

Des précisions sur l'utilisation de l'ordinateur

   La salle est ouverte environ 50 h par semaine : 20 à 30 h d'utilisation dans le cadre des cours ; 10 h de fonctionnement en club ; 10 à 15 h de libre service.

   L'utilisation dans le cadre des cours correspond aux heures où la salle est occupée par un professeur avec ses élèves pour enseigner sa discipline. Le club fonctionne entre midi et une heure et le mercredi après-midi ; les élèves qui le désirent apprennent à programmer.

   Libre service : dans la journée, lorsque la salle n'est pas occupée par un cours, des élèves viennent utiliser des programmes (en général des programmes qu'ils ont déjà utilisés avec leur professeur).

Le rôle de l'équipe informatique

   Actuellement un tiers des professeurs de l'établissement fréquentent la salle de l'ordinateur. Ceci peut paraître faible mais il faut savoir qu'il n'est pas facile de convaincre les collègues que l'informatique est pluridisciplinaire et qu'elle peut les concerner ; de plus il faut bien reconnaître que l'esprit de curiosité n'est pas le lot de tous.

   Jusqu'à présent un grand nombre d'heures a été consacré à la sensibilisation des collègues, le moyen le plus efficace étant l'information directe et personnalisée du genre : « Viens voir j'ai un programme à te montrer... », méthode qu'il faut souvent répéter plusieurs fois sur le même sujet ; la tâche est lourde !

   De toute façon un responsable informatique est toujours malheureux : il va se plaindre parce qu'au même moment un professeur va lui demander des renseignements sur un programme qu'il doit utiliser bientôt, un élève passe pour savoir si la salle sera libre de 10 h à 11 h, un élève du club vient emprunter un livre, et il serait bien étonnant qu'à ce moment-là le professeur qui utilise la salle avec ses élèves n'ait pas un ennui quelconque... Inutile de dire qu'entre temps le téléphone a sonné (un professeur du CES voisin demandant quel jour il peut venir)... Le responsable court et s'affole, il est DÉBORDÉ. Oui mais... une demi-heure plus tard, seul dans le bureau, la salle n'étant plus occupée, il se morfond et se lamente suivant son humeur soit sur son inefficacité à « attirer » ses collègues, soit sur l'incompréhension totale de ceux-ci. Heureusement, peu de temps après, un littéraire qui jusqu'alors n'était venu que quelquefois – je dirais presque pour faire plaisir – arrive avec une idée de programme ou un projet d'adaptation de programme existant déjà.

   Ce dernier point m'amène à définir une autre tâche de l'équipe informatique : le « sur mesure » et la retouche. Enseignants, nous sommes pour la plupart individualistes et pointilleux.

   L'individualiste : on lui montre un programme, le sujet l'intéresse mais... il y a tellement de mais qu'il vaut mieux refaire un programme « sur mesure ».

   Le pointilleux (se recrute souvent chez les physiciens, tout au moins à Louviers) : trois, quatre heures de discussion (à noter que le nombre d'heures de discussion est une fonction croissante du nombre de participants) permettront de trouver la VRAIE définition du calibre... Il n'y aura donc que l'affichage à revoir.

   Ce travail de programmation à la demande est souvent pris en charge par l'équipe informatique (Mademoiselle Vavasseur, Monsieur Boudier et moi-même), mais il arrive aussi parfois que des élèves du club soient mis à contribution, ainsi qu'un collègue de mathématiques qui a eu le malheur d'apprendre sérieusement à programmer (je tiens ici à l'en remercier).

   Une salle ouverte 50 h par semaine ; une information, ou formation des collègues à toute heure, l'encadrement d'un club, le travail de secrétariat, la programmation... Quoiqu'on pensent (et même disent) certains, les heures de présence (je ne dis pas travail) correspondent souvent à plus de trois fois le nombre d'heures de décharges. Qu'on ne se méprenne pas, je n'entame pas ici une revendication personnelle ; les « vieux routiers » de l'informatique que sont certains sont des volontaires, prédicateurs apportant la bonne parole. Beaucoup sont au-dessus de ces contingences matérielles, mais au moment où on parle du développement de l'informatique dans l'enseignement, il faudrait peut-être en tenir compte.

L'intense conviction d'un « vieux routiers »

   II n'est pas facile d'amener les collègues à utiliser un nouveau moyen d'enseignement ; dans le cas de l'informatique, c'est peut-être encore plus difficile compte tenu de tous les a priori et de tous les préjugés. Pour y parvenir les conditions qui me semblent nécessaires sont les suivantes :

  • L'équipe informatique devrait comprendre un spécialiste de chaque discipline.

  • La salle informatique doit être ouverte en permanence et pouvoir être un lieu de rencontre entre tous (élèves, professeurs de toutes disciplines).

  • Il doit exister une bibliothèque de programmes importante, non pas tellement pour une utilisation systématique sous leur forme initiale, mais pour fournir un point de départ à l'imagination des collègues.

  • Dernier point, le plus important peut-être dans la phase actuelle de l'expérience, l'informatique a su rester pluridisciplinaire, elle n'est pas réservée aux scientifiques, elle n'est pas affaire de spécialistes et à mon avis il serait bien dommage que dans l'extension qui en est prévue ce point essentiel ne soit pas sauvegardé. À ce point de l'exposé, en dehors de toute polémique de spécialistes, gardons donc aussi le LSE qui a fait ses preuves !

Les faiblesses de cet article

   La nécessité, l'utilité, l'aide... de l'informatique dans l'enseignement, le fonctionnement et l'intérêt du club (son apport dans la formation de l'élève) sont sans aucun doute les points les plus importants, mais je me garderai bien de les développer ayant sur ces sujets une vue à la fois trop partielle et trop partiale ; d'autre part chacun de ces sujets mérite à lui seul un article complet, je laisse donc à d'autres le soin de les développer et de leur donner toute la place qu'ils méritent.

   De même, si je n'ai pas donné une description très détaillée en ce qui concerne le fonctionnement de la salle, c'est qu'à mon avis la meilleure façon de se rendre compte, c'est de visiter un lycée équipé. (Les fonctionnements sont parfois assez différents d'un lycée à l'autre). Je me permettrais donc de conseiller aux personnes qui sont intéressées de prendre contact avec le responsable du centre le plus proche. Dans la plupart des cas (pour ne pas dire tous) c'est une personne charmante et accueillante, j'espère qu'ils ne me contrediront pas. Sinon, venez à Louviers !

Une dernière remarque

   Pour des raisons de facilité, l'article a été rédigé à la forme personnelle, mais qu'on sache bien que le fonctionnement d'un centre repose sur une équipe. L'auteur tient à remercier tous ceux qui l'aident dans sa tâche.

Guy Dehan
Professeur de Sciences physiques
Responsable du centre de calcul du lycée de Louviers depuis 1975

NOTES

[1] https://www.epi.asso.fr/revue/histo/h7058lycees_jb.htm
https://www.societeinformatiquedefrance.fr/wpcontent/uploads/2014/10/10244baude.pdf

[2] Plusieurs anciens numéros de Éducation et informatique sont en ligne ici :
https://www.abandonwaremagazines.org/affiche_mag.php?mag=214&page=1

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Novembre 2019

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