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Formation des professeurs
et recyclage en informatique

Jacques Hebenstreit
 

   L'informatique a été définie par l'Académie Française comme la science du traitement de l'information considérée comme le support de nos connaissances et de leur transmission notamment à l'aide .d'ordinateurs. Il s'agit en effet d'une science nouvelle tant par son objet que par ses méthodes, ce qui signifie que d'une certaine manière elle formalise, systématise et généralise des méthodes et des activités humaines dans un certain nombre de domaines qui relevaient jusque-là d'une pratique plus ou moins intuitive.

   Toute information comporte trois aspects étroitement interdépendants, l'aspect sémantique, l'aspect syntaxique et l'aspect pragmatique qui interviennent simultanément bien qu'à des degrés divers dans la définition, la saisie et le traitement de l'information.

1. Tentative de définition de l'information

   Une information, au sens de Shannon, c'est la suite finie de signes ou symboles permettant dans un ensemble de désigner un sous-ensemble, la quantité d'information étant définie par :

nombre d'éléments de l'ensemble
I = log2 ——————————————————————                 
nombre d'éléments du sous-ensemble

   Il est clair, dans ces conditions, que la quantité d'information, ne dépend ni de la nature des éléments du sous-ensemble désigné (aspect sémantique}, ni de la suite de signes qui désigne ce sous-ensemble (aspect pragmatique). Il en résulte, que la notion de quantité d'information ne prend en compte que l'aspect syntaxique de l'information, ce qui est suffisant pour l'étude des problèmes de transmission .de l'information ; mais introduit quelques difficultés pour ce qui concerne la saisie et le traitement de l'information. Soulignons cependant que l'aspect sémantique est Complètement absent de la théorie de l'information comme de toute théorie formalisée d'ailleurs, il n'en va pas tout à fait de même que l'aspect pragmatique.

   Le but que poursuivait le fondateur de la théorie de :l'information .était la minimisation du temps et de l'énergie à mettre en œuvre pour ˇtransmettre des messages (canal sans bruit) en minimisant le nombre d'erreurs dû à l'imperfection des moyens de transmission {canal avec bruit).

   Ceci a conduit tout naturellement à la notion de code, c'est-à-dire de représentation de l'information qui est fondamentale en informatique et à la recherche de codes minimaux ce qui est bien une notion pragmatique. Parce qu'elle est une tentative de systématisation de la notion d'information., la théorie de l'information doit faire partie de toute formation en informatique en insistant sur -les points suivants :

  • La théorie de l'information au sens de Shannon néglige délibérément l'aspect sémantique de l'information pour, ne s'attacher qu'à la suite l de .signes ou symboles qui sert à représenter cette information.

  • La notion de représentation., de l'information est identique à la notion de codage sur le plan syntaxique mais elle implique de nombreuses contraintes pragmatiques liées essentiellement aux capacités des dispositifs qui utilisent les codes en question et au but poursuivi (on aurait par exemple pu donner un nom propre à chaque automobile en circulation comme on le fait pour les bateaux, mais il s'est avéré plus commode d'utiliser ˇun codage alphanumérique), ce qui conduit dans un certain nombre de cas à attribuer plusieurs noms à un même objet (nom, n° de la carte d'identité,. n° de Sécurité sociale, etc.).

  • La notion de code minimal conduit a la notion d'efficacité d'un code et implique simultanément une absence complète de structure interne des mots du code puisqu'un code minimal est un code où tous les symboles sont équiprobables.

2. Le Traitement de l'information

   Le traitement de l'information au sens large est aussi ancien que l'homme lui-même puisque toute activité humaine est étroitement liée d'une manière ou .d'une autre traitement de l'information recueillie par nos sens sur le monde qui nous entoure et au sein duquel l'homme exerce son activité.

   À côté .de ce type de traitement qui est essentiellement sémantique et pragmatique, il existe un autre type de traitement plus évolué dont le modèle est la démarche scientifique.

   Devant un phénomène complexe, la démarche scientifique typique consiste à faire un modèle du phénomène (organigramme d'une entreprise, schéma électrique, marche des rayons lumineux, etc.) mettant en évidence les -paramètres utiles et les relations entre ceux-ci. À ce stade intervient généralement une phase de traitement purement syntaxique qui peut être de type mathématique ou non et qui permet de mettre en évidence de nouvelles propriétés inhérentes au modèle, c'est-à-dire au phénomène étudié.

   Il faut noter que la phase de construction du modèle relève du traitement de l'information au sens large : elle est la recherche d'une représentation structurée des informations recueillies préalablement par observation ou expérimentation, elle-même choisie en fonction du traitement qu'on a l'intention de 1ui faire subir dans une phase ultérieure. Il s'agit donc là de la mise en œuvre .d'une technique visant à extraire des aspects sémantiques .de l'information une représentation susceptible d'un traitement purement syntaxique.

   Un exemple simple fera peut-être mieux comprendre cette démarche.

   Considérons les trois problèmes suivants :

  • Il y a :3 pommes, dans un plat et j'y ajoute 2 pommes. Combien y a-t-il de pommes en tout ?

  • Dans une cage il y a 3 lions, je fais pénétrer 2 autres lion dans la cage ; combien y a-t-il de lions dans la cage ?

  • À côté d'un groupe de 3 maisons, on bâtit 2 nouvelles maisons ; combien le groupe a-il de maisons ?

   Il est clair que dans tous ˇ1esˇcas, la solution sera donnée par 3+2 = 5, bien que l'on parle respectivement de pommes, de lions,ˇde cages et enfin de maisons qui sont ˇdes objets n'ayant aucune relation ˇentre eux..

   Le choix de la représentation de l'information en vue de. son traitement présente une importance qu'on ne saurait surestimer, et, deux exemples sont bien connus à cet égard ; le premier concerne le calcul différentiel qui est attribué à Newton et accessoirement à Leibnitz tout simplement parce que c'est fa notation proposée par Newton qui est passée .à la postérité grâce à sa commodité d'emploi, et l'autre concerne le peu d'intérêt porté par les Romains aux mathématiques, qui est peut-être la conséquence ou la cause du choix malheureux adopté pour la représentation des nombres. Signalons, en ˇpassant, qu'il est très facile de mettre ceci en évidence dans l'enseignement secondaire en proposant aux élèves de faire une multiplication de deux nombres écrits en chiffres romains.

   En ce qui concerne le traitement de l'information proprement dit, une part énorme de ces traitements sont de type syntaxique. Ceci et particulièrement évident dans le domaine scientifique et tout particulièrement en mathématiques où l'on manipule des symboles selon des règles déterminées (aspect syntaxique) et dans un but déterminé {aspect pragmatique), mais sans se préoccuper de leur signification pendant toute la durée du traitement. Ceci est tellement vrai que c'est justement en vue de mécaniser les calcul, qu'on a mécanisé les premiers ordinateurs. Il en résulte que nombreux sont encore aujourd'hui ceux qui considèrent 1es ordinateurs comme des calculatrices et qui ˇen toute bonne foi restreignent l'enseignement de l'informatique à celui de l'analyse numérique.

   On s'est cependant aperçu rapidement que le calcul n'était qu'un cas particulier de ce que nous avons appelé les traitements syntaxiques et que l'ensemble des traitements que l'on pouvait confier à un ordinateur dépassait de très loin un simple calcul (gestion de comptes bancaire, de dossiers d'assurance, surveillance des malades dans les hôpitaux, commande automatique de systèmes complexes, traduction automatique, aide au diagnostic en médecine, etc.).

   Il en résulte que pour enseigner l'informatique, il faut donner aux élèves des exemp1es choisis, autant que possible en dehors du domaine des mathématiques. La grammaire, par exemple, offre d'excellents exemples de traitements syntaxiques (pluriel des mots, féminin des mots, déclinaisons dans certaines langues, etc.) tout en montrant dans certains cas particuliers les liaisons qui existent entre syntaxe et sémantique comme on peut le voir dans la phrase « le lingot d'or et la pomme que j'ai volée » dont le sens dépend du singulier ou du pluriel du participe passé.

   Une autre notion importante d'informatique est celle d'algorithme qui est étroitement liée à celle de traitement syntaxique. Nous avons vu en effet qu'un traitement syntaxique consiste en la manipulation de symboles vides de sens selon un ensemble de règles données à l'avance, mais ces règles n'étant pas appliquées dans un ordre quelconque, il en résulte que tout traitement syntaxique pourra être décrit par une liste de règles à appliquer dans l'ordre où elles sont énoncées. Cette liste forme ce que l'on appelle un algorithme.

   Encore faut-il qu'une liste de règles (ou d'opérateurs au sens large) remplisse deux conditions pour qu'elle forme un algorithme :

  1. il faut que chacune des règles (ou opéra .lions) puisse être exécutée par le dispositif chargé d'exécuter l'algorithme (compétence du processeur) ;

  2. il faut que la liste des règles permette d'aboutir au résultat cherché en un nombre fini d'étapes.

   La première restriction implique l'existence d'un langage approprié aux capacités de traitement du processeur, c'est-à-dire dans le cas des ordinateurs, l'existence de langages de programmation, tandis que la deuxième restriction conduit aux difficiles problèmes de décidabilité de la logique mathématique.

   D'une manière générale, il est important de mettre clairement en évidence pour les élèves la notion d'algorithme, et l'on peut ajouter que les exemples ne manquent pas, même aux niveaux les plus élémentaires, à commencer par ce qu'on appelle c les quatre opérations. On peut par exemple, pour l'adition, donner l'algorithme suivant :

  1. compter à partir de 1 les éléments d premier ensemble jusqu'à épuisement de celui-ci.

  2. continuer le comptage par les éléments du deuxième ensemble jusqu'à épuisement de ce1ui-ci.

  3. le nombre obtenu est le nombre total d'éléments contenus dans les deux ensemb1es.

   Si l'on utilise une notation pondérée, par exemple en base 10, alors l'algorithme pourrait être formulé de la manière suivante :

  1. former une table d'addition pour les chiffres de 0 à 9 ;

  2. prendre les chiffres de plus faible poids de chacun des nombres et chercher le résultat dans la table ;

  3. le chiffre de plus faible poids du résultat dorme le chiffre de plus faible poids de la somme ;

  4. prendre les chiffres de poids immédiatement supérieur de chacun des nombres et chercher le résultat dans la table ; si le résultat précédent est supérieur à 9 ajouter 1 au nombre trouvé dans la table ;

  5. le chiffre de plus faible poids du résultat donne le chiffre de poids immédiatement supérieur au précédent dans la somme ;

  6. si les deux chiffres de poids immédiatement supérieurs des deux nombres sont différents de zéro, .aller en ˇ4 ;

  7. si les deux chiffres de .poids immédiatement supérieurs des deux nombres sont nuls et si le résultat précédent est supérieur à 9 ajouter 1 à gauche de la somme obtenue.

   On voit sur cet exemple simple que l'algorithme dépend du mode de représentation des don nées et que le second algorithme, grâce à un choix judicieux de la représentation des nombres s'avère beaucoup plus rapide en pratique que le premier.

3. La formation des professeurs

   Il résulte de ce qui précède que les points importants à enseigner en informatique sont les suivants :

  • distinction entre les aspects sémantiques, syntaxiques et pragmatiques de l'information ;

  • théorie de l'information essentiellement au sens de sa représentation et de sa structure en vue du traitement syntaxique ;

  • traitement de l'information au sens de l'algorithme.

Il est difficilement possible, compte tenu du degré d'abstraction des concepts ci-dessus, d'enseigner ceci au niveau du secondaire, du moins sous cette forme, et l'on peut se demander, dans ces conditions, s'il y a lieu d'introduire des cours d'informatique au sens où nous !'avons définie.

   D'un autre côté, l'introduction de quelques notions d'algèbre de Boole et de programmation dans le cadre des cours de mathématiques risque d'accentuer l'aspect « machine à calculer » et « gadget » des ordinateurs au détriment du caractère fondamental et universel de la démarche informatique. Il nous semble, dans ces conditions, que la meilleure solution consisterait non pas à former des professeurs d'informatique mais à recycler ou à former à l'informatique tous les professeurs du secondaire. Cette formation serait organisée de telle sorte que chaque professeur ait une connaissance de l'informatique et de ses applications dans le cadre de sa propre spécialité. Il est évident que cette manière de voir les choses pose de très difficiles problèmes pratiques car le nombre de personnes mises en cause est énorme et que l'on ne voit pas actuellement comment on pourrait à bref délai mettre en place une structure d'accueil efficace. L'énormité de la tâche ne doit cependant pas empêcher l'organisation d'actions partielles partout où cela est possible, en comptant sur le caractère plus ou moins exponentiel de ces actions ainsi que l'a montré le succès de l'activité des IREM en mathématiques modernes.

   Ajoutons qu'à notre sens, ce genre de problème, à savoir le recyclage des professeurs, ne sera résolu de façon satisfaisante que le jour où, cessant de parler de formation permanente, on commencera à mettre en place dans tous les centres d'enseignement des structures capables de jouer effectivement ce rôle et ceci dans tous les domaines.

   Il faut ajouter que l'informatique pose un problème supplémentaire de taille car cet enseignement ne peut que difficilement se concevoir sans un certain nombre de travaux pratiques sur ordinateur et que, par conséquent, au problème d'hommes, il faut encore ajouter un problème d'équipement au coût élevé.

   En conclusion, je. conviendrais que cet exposé pose plus de problèmes qu'il n'en résout en essayant de montrer que la démarche informatique s'applique à tous les domaines de l'activité humaine et par conséquent doit trouver sa place dans tous les ordres d'enseignement, mais il a aussi pour but d'éviter cette solution de facilité : croire le problème résolu par l'introduction de quelques cours de programmation et qu'on aura mis à la disposition des élèves un terminal qui leur permettra de trouver les racines de l'équation du second degré.

Jacques Hebenstreit
Maître de Conférence à l'institut de Programmation de Paris

Regard sur un texte de 1970 concernant la formation des enseignants à l'informatique par Georges-Louis Baron.

En France, s'agissant d'informatique dans l'enseignement, l'évènement fondateur est le colloque CERI-OCDE de Sèvres en 1970, cinquante ans avant la création de la discipline de second degré informatique.

Au colloque de Sèvre, des orientations en avance sur leur temps

Les lecteurs du site de l'EPI savent déjà que cet événement organisé par le CERI-OCDE a conclu sur l'importance d'introduire l'informatique dans l'enseignement non pas comme discipline mais comme « démarche », idée ensuite réintroduite par Janet Wing dans les années 2000-2010 sous le nom de « pensée informatique » (computational thinking).
« L'accord a été général parmi les participants au Séminaire pour affirmer que ce qui était important dans cette introduction était, non pas l'ordinateur, mais bien la démarche informatique que l'on peut caractériser comme algorithmique, opérationnelle, organisationnelle. A ce titre, on peut affirmer que l'informatique et son enseignement à ce niveau est un moyen et non une fin en soi. Elle est un langage permettant de décrire et de comprendre certains des aspects du monde qui nous entoure » [1].
À ma connaissance, les actes de ce séminaire n'ont pas fait l'objet d'une numérisation complète. On y trouve des points de vue très intéressants sur la manière de considérer ce qui était encore un phénomène émergent pour le grand public. Parmi ces points de vue, celui de Jacques Hebenstreit, traite de la formation continue des enseignants (à l'époque on parlait de
recyclage, ce qui ne serait plus possible aujourd'hui).

Présentation de la contribution de J. Hebenstreit

Jacques Hebenstreit, ancien élève de l'École supérieure d'électricité a accompli dans cette école la plus grande partie de sa carrière professionnelle et a inspiré les promoteurs de l'expérience des 58 lycées. Son rôle dans cette expérience a été très important et deux des entreprises qu'il a impulsées ont connu un grand succès. La première est la supervision, à l'École supérieure d'électricité, de la création du Langage Symbolique d'Enseignement (LSE) [2], qui a été un vecteur fondamental de l'écriture de logiciels éducatifs par des enseignants. La seconde est l'animation de groupes de recherche-action sur la modélisation et la simulation en sciences [3]. Il a aussi joué un grand rôle dans la diffusion à l'international des idées issues de l'expérience française, notamment au sein de l'International Federation for Information processing (IFIP).
Il convient de se souvenir que si en 1970 des visionnaires comme Alan Kay avaient déjà rêvé le « dynabook », les ordinateurs étaient des machines chères et inaccessibles dans la vie courante, les outils informatiques n'existaient pas et l'informatique n'était pas encore une discipline universitaire reconnue.
L'enjeu était d'amorcer un mouvement qui puisse être durable. Dans ce texte numérisé par l'EPI qui porte sur la question de la formation des enseignants, on trouve des idées qui plus de 50 ans plus tard ont toujours une actualité.

Cet article est sous licence Creative Commons Attribution 4.0 International. https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr

NOTES

[1] https://www.epi.asso.fr/revue/histo/h70ocde.htm

[2] Par exemple https://www.epi.asso.fr/revue/06/b06p010.htm

[3] https://edutice.hal.science/file/index/docid/277797/filename/h73hebenst.htm

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