Je prends connaissance de votre article intitulé « L'informatique élevée au rang d'une discipline scolaire et en tant que telle ».
Une fois de plus dans ce type de débat, le rapport SNRI indique que « Absentes au niveau primaire et secondaire... »
Outre le fait que l'on ne sait à quoi se réfère l'adjectif « absentes », puisque le groupe nominal qui précède (« l'enseignement de l'informatique ») est au masculin singulier, on ne peut qu'une fois de plus regretter que les milieux que vous fréquentez, sans doute mal informés, ignorent encore entièrement qu'il existe un brevet informatique et internet, créé il y a sept ans. Chaque fois que j'interviens à ce sujet, je conseille aux intervenants de lire réellement le programme et les documents d'accompagnement du B2i (je doute vraiment que un seul l'ait fait) et de critiquer ce programme. On ne peut faire évoluer la réalité en la niant. Critiquer le B2i est utile, le nier est absurde. Que n'informez-vous davantage les milieux que vous fréquentez ?
Je suis aussi fort contrarié par la conception purement corporatiste du système éducatif qui apparaît dans ces textes comme un empilement de disciplines défendant chacune leur boutique.
Introduire des notions nouvelles au primaire, pourquoi pas ? Mais on doit constater que les programmes du primaire tels qu'ils sont largement inapplicables par les enseignants, car trop complexes. On vient d'y rajouter hier l'enseignement de l'histoire des arts. Pourquoi pas. Mais un jour faudrait-il peut-être se dire : comment articuler tout cela ?
La position corporatiste que prennent vos interlocuteurs élude complètement ce débat, tant pour le primaire que pour le secondaire. Comment définir les priorités du système éducatif ? Informatique ? Histoire des arts ? Il faudrait sincèrement mettre la question à plat. Il faudrait aussi clairement poser la question de la formation et de la compétence des enseignants.
Je suis par ailleurs stupéfait que la Commission Économie numérique demande « d'élever » l'enseignement du numérique au rang de discipline scientifique à part entière. Quel manque de rigueur, sinon dans la réflexion, au moins dans la formulation. L'informatique est déjà une discipline scientifique, avec ses professeurs d'université, ses thèses et son champ conceptuel. Quant au terme « élever », doit-on comprendre que l'histoire ou la sociologie sont plus basses car non scientifiques ? Il me semble que les auteurs ont voulu dire « discipline scientifique scolaire ». Franchement, un tel niveau d'imprécision étonne de la part d'une telle commission.
Vous connaissez ma position personnelle, purement personnelle :
- l'argument économique selon lequel il faut enseigner l'informatique au lycée pour faire face à la concurrence mondiale ne me parait pas pertinent. D'une part, le lycée et un lieu de culture générale, pas de formation professionnelle. Pourquoi l'informatique et pas l'histoire des arts ? D'autre part, je doute de l'argument selon lequel il suffirait d'introduire une discipline pour motiver les étudiants. La physique et la chimie sont enseignées depuis l'école primaire, en principe, et en tout cas fortement au lycée. Il demeure que l'université manque cruellement d'étudiants en sciences, et en particulier d'étudiantes ;
- je considère personnellement que l'informatique est une discipline scientifique à part entière ;
- je considère que le débat de fond sur les objectifs du système éducatif n'a hélas jamais lieu. Pour le primaire, le ministre Darcos souhaitait « revenir aux fondamentaux », et l'on rajoute l'histoire des arts... Je ne partage pas les positions de M. Darcos, mais je constate l'incohérence ;
- il me semble que l'informatique a sa place au lycée dans des cursus spécifiques en tant que matière au choix de l'élève. Pourquoi enseigner l'informatique : parce que, comme le grec ancien, c'est beau et cela fait fonctionner les petites cellules grises. Je veux dire : cela contribue à la culture générale.
18 septembre 2009
Jean-Michel Bérard,
IGEN honoraire
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