L'ordinateur : quel outil pour l'enseignant UN ORDINATEUR PEUT-IL AIDER UN ENSEIGNANT ? Jean-Louis Malandain UN MÉTIER DIFFICILE À la différence de beaucoup d'autres professions et à la manière des artistes, l'enseignant ne reçoit pas de tâche en arrivant sur son lieu de travail ; il prépare et conçoit à l'avance sa prestation, puis se produit seul devant un public dont il doit capter l'attention pendant des centaines de séances ; à la différence des artistes, son objectif n'est pas de toucher ou de distraire une assistance éphémère ; à chaque séance, l'enseignant retrouve les mêmes têtes et doit susciter l'adhésion de tous, proposer des activités, gérer les apprentissages jusqu'à transformer des savoirs en acquisitions pour toujours. Sans en faire une liste exhaustive, voici quelques-unes des tâches les plus courantes :
Ainsi, l'enseignant vit au coeur d'une contradiction entre l'exigence institutionnelle de la prestation publique et le besoin fonctionnel de solitude. Ce personnage, dont on dit souvent qu'il est individualiste, autonome, indépendant, isolé, alors qu'il a un métier de nature « collectiviste », est, en fait, un solitaire solidaire... Au vu des servitudes et des contraintes d'un métier qui nous honore, la question posée est donc de savoir si l'ordinateur peut aider un enseignant dans les différentes phases de son activité : avant, pendant et après la classe. UN OUTIL VERSATILE Il se trouve que dans le vaste domaine des oeuvres de l'esprit (les sciences et les techniques, les arts et les lettres, la pédagogie...), le grand mérite de la microinformatique est de rapprocher des termes jusque là antinomiques comme :
C'est une piste intéressante car il apparaît que l'ordinateur apporte à l'individu des aides pour une action collective. Pour mieux cerner ces apports et décrire les services qu'on peut en attendre (dans l'enseignement), il faut rechercher des analogies avec d'autres outils et d'autres moyens de production. Dans le domaine de l'édition traditionnelle, ce qui apparaît clairement est l'autonomie des étapes de la réalisation, la spécificité des outils et la spécialisation des acteurs : l'auteur avec sa plume et son papier, le typographe, le maquettiste, l'imprimeur, le relieur... vaste chaîne d'où sort un objet LIVRE. Dans le cas d'une création audiovisuelle, on retrouve des étapes nettement différenciées : l'auteur du scénario, le réalisateur (tournage, montage, etc.) jusqu'à la diffusion de l'objet CASSETTE qui requiert l'emploi d'au moins deux appareils pour être visionnée : un magnétoscope et un moniteur. Il est tout à fait exceptionnel qu'un individu dispose à lui seul du savoir-faire et de tous les supports matériels pour produire puis diffuser un livre ou une cassette. Seuls certains arts comme la peinture, la sculpture et la musique permettent à un individu isolé de créer et de diffuser son oeuvre en gardant la maîtrise des outils : le pinceau, le burin ou l'archet. La grande révolution de l'informatique est de mettre à la disposition de l'individu un instrument polyvalent qui rassemble les différents outils et processus de l'édition, les particularités de l'audiovisuel et les ressources des beaux-arts. Ce même instrument peut servir à la création solitaire et à la diffusion collective, à la façon d'un violon. Si on ajoute à ces capacités les fonctions de base qui concernent le calcul, la cogitation, la gestion et le stockage des informations, on comprend que les usages de l'ordinateur sont particulièrement bien adaptés aux besoins du pédagogue. Le seul handicap dont souffre ce remarquable appareil est l'étroitesse de sa lucarne qui le cantonne encore trop souvent à un usage individuel. Mais dès qu'on dispose des périphériques pour assurer une diffusion de proximité, comme un violon se fait entendre dans un salon de musique ou comme un tableau s'expose dans une galerie de peinture, alors on s'approche de l'auxiliaire didactique idéal. Il faut imaginer ce que serait un magnétoscope capable « d'avaler » une cassette, bien sûr, mais recelant toutes les capacités du tournage, du montage et de la duplication pour qui souhaiterait créer ses propres productions. Ayant ainsi rappelé les limitations qui tiennent à son origine (« Personal Computer » est son nom de baptême), on s'en trouve plus à l'aise pour détourner l'ordinateur vers un usage collectif, ou plutôt dans une collectivité restreinte qu'on appelle la classe, unité de mesure consacrée dans le cadre scolaire et lieu de travail par excellence du pédagogue. Si ce détournement est réalisable, et seulement dans ce cas, les réticences ou la désaffection de nombreux enseignants (et on les comprend !) devraient non seulement tomber, mais se transformer en engouement, car on n'a jamais vu un être humain refuser un outil qui lui simplifie la vie. Supposons résolus les problèmes d'affichage collectif, et ils le sont par des moyens qu'il serait relativement facile de généraliser dans l'Éducation nationale liaison RVB-Péritel vers un téléviseur ou plaquette de rétroprojection (cf. Éducation & Pédagogies, n° 5 p. 10, 11 et 13 - CIEP mars 1990). Quels usages pourrait-on en attendre dans une salle de classe ?
Il s'agit de quelques exemples, presque des évidences. Pour peu qu'un tel dispositif soit d'un usage banal dans les classes, on peut compter que les enseignants en découvriront très vite les multiples avantages et mettront à jour de nouvelles applications, en même temps que se transformera leur relation aux élèves. Si le multimédia devient un standard pour les nouvelles machines, l'association du texte, du son et de l'image animée ainsi que les procédés de navigation « hyper » mettront à la disposition des enseignants un auxiliaire didactique universel qu'on pourra appeler un « ordiscope » ! QUELLES IMPLICATIONS POUR LA FORMATION ? Les réunions préparatoires et la contribution de J.-M. Bérard ont fait clairement apparaître les implications dans la formation des enseignants de l'usage de l'informatique dans une perspective généraliste ou transversale. C'est une dimension qui aboutit naturellement à la définition des éléments d'une « culture » commune à toutes les disciplines [1]. Pour y parvenir pleinement, il semble important de ne pas estomper certains aspects qui devraient intervenir très tôt dans les formations afin de prendre en compte l'apport spécifique de l'informatique dans chaque discipline ou groupe de disciplines. À part pour le traitement de texte, aussi banalement commun que l'écriture ou le stylo, la divergence apparaît très vite entre les disciplines. Le fait d'ironiser sur le « saucissonnage » ne change rien à l'affaire, à moins de décloisonner le système... Pour le moment, il vaut mieux assumer ces différences pour éviter la désaffection, quitte à revenir ultérieurement sur le fait que c'est la même machine qui écrit, calcule, classe, dessine, chante, etc. On a trop longtemps pris le parti, dans les stages, de n'aborder que les points communs ; cela a abouti, le plus souvent, à des activités réductrices autour du DOS, de l'organisation interne des machines ou des fonctions arithmétiques et logiques. Le point d'entrée et le passage obligé pour les formations pourrait donc être la reconnaissance et l'usage banalisé, quotidien, du traitement de texte et des fonctionnalités qui modifient profondément le rapport à l'écriture : compilation, correction, déplacement, recherche/remplacement, aides à la rédaction, etc. pour l'enseignant mais aussi pour l'élève (devoirs et corrigés sur disquettes). Même à ce niveau, les besoins peuvent varier en lettres et en sciences (pour le moment, textes, schémas, dessins, formules, figures ne requièrent pas les mêmes logiciels). La manipulation des fichiers (texte, dessin, son) et des outils pour les gérer et les « montrer » pourrait être l'aboutissement du tronc commun et conduire assez naturellement à jeter un premier coup d'oeil dans la machine. Ensuite, chaque groupe de disciplines explorerait les fonctionnalités de l'informatique en relation avec ses préoccupations didactiques : ce qu'on peut en attendre (par exemple, en lettres, la génération de textes, la lexicographie, la carte vocale, l'incrustation...) et ce qui existe en matière de didacticiels. Sur ces usages diversifiés, on pourra consulter le Bulletin de l'EPI, n° 61 de mars 1991 (Répertoire des articles, également disponible sur disquette). En plus de l'apport collectif disciplinaire, il conviendrait de dégager l'usage collectif de l'ordinateur comme auxiliaire didactique dans la classe et instrument puissant pour aider l'enseignant dans ses tâches quotidiennes. C'est sans doute ce qui peut le mieux convaincre l'enseignant de l'utilité de cette machine (comme cela a été immédiatement compris pour le magnétophone ou le magnétoscope qui diffusent des documents reçus par tous les élèves en même temps). C'est aussi sûrement ce qui réunit les enseignants de toutes les disciplines dans une préoccupation commune : quels outils sont disponibles pour faire la classe et animer le groupe plus confortablement ? En effet, quelles que soient les évolutions technologiques, le lieu par excellence de l'enseignement restera la classe. Même s'il faut absolument développer les activités périphériques (et les NTIC y contribuent fortement), le recentrage autour d'un enseignant et les échanges dans le groupe sont le coeur du processus éducatif. Il convient donc d'explorer l'apport de l'ordinateur comme diffuseur collectif d'informations textuelles, iconiques ou sonores et comme machine à illustrer les fonctionnalités des NTIC (des Imagiciels à la rédaction collective avec un traitement de texte en passant par la consultation de banques de données ou les hypertextes/médias) : tout cela est désormais accessible grâce au renvoi sur un grand écran de télévision (qui réconcilie enfin l'audiovisuel et l'informatique) ou en passant par une plaquette de rétroprojection. La classe, espace clos, n'est pas un lieu confiné car il suffit d'une antenne, d'un câble ou d'une prise téléphonique pour l'ouvrir vers l'extérieur. Ce ne sont pas là des gadgets, mais les instruments incontournables pour faire entrer dans la classe les moyens nouveaux de la communication sociale et pour appréhender collectivement des fonctionnalités qu'aucun autre support ne possède. Enfin, il importe de présenter l'ordinateur comme outil de création et pas seulement machine à consommer des produits logiciels. Assez tôt dans les formations, mais à petites doses, il faut pouvoir montrer qu'un enseignant est capable de créer des objets didactiques avec cette machine dont la vertu principale, aux yeux des pédagogues, est l'interactivité. De ce point de vue, le premier stade pourrait être l'élaboration de textes ou de schémas à afficher en classe (citations, exemples, traduction, définitions, illustrations etc.) avec des logiciels adéquats (traitement de texte, grapheur) et de préparer le « scénario » qui permettra l'affichage au bon moment pour toute la classe. Des utilitaires pour récupérer des fichiers Ascii et quelques éléments de programmation seront d'autant mieux admis qu'ils seront proposés comme les moyens simples de réaliser une intention. Cette approche fera sûrement plus pour introduire aux contraintes de la programmation qu'un long discours sur les microprocesseurs... au moins chez les « littéraires » et les « artistiques » ! L'important est de ménager des voies d'accès à la maîtrise de la machine : montrer que c'est possible, même si l'entreprise, coûteuse en temps et en énergie, reste de ce fait affaire de choix personnel. Il serait dommage, en tout cas, que les futurs enseignants passent à côté d'un ordinateur en ignorant que c'est la station de travail pour créer en toute liberté ce dont ils ont besoin pour faire leur métier. Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, NOTES [1] Voir texte EPI, Pour une culture en informatique, à l'École, au Collège et au Lycée. Le Bulletin de l'EPI n° 68 de décembre 1992, p. 39-51. http://www.epi.asso.fr/revue/68/b68p039.htm. ___________________ |
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