LES MODÉLISATIONS GÉOMÉTRIQUES UTILISÉES
DANS LES LOGICIELS DE DAO/CAO

Philippe Vanackère
Professeur de construction mécanique
Lycée technique d'Armentières
 

1. INTRODUCTION

1.1. Le contexte

     Les logiciels de DAO/CAO (dessin/conception assistés par ordinateur) sont des outils de plus en plus présents dans l'enseignement technique. Intégrés comme outils dans les référentiels d'enseignement, ils apparaissent aussi dans certains examens tels que le bac ou le B.T.S. C'est pour cette raison qu'il nous a paru nécessaire et important de préciser certaines notions les concernant.

     Nous aborderons, ici, les différentes modélisations utilisées dans ce type de logiciel.

1.2. Distinction entre DAO et CAO

     Pour l'instant, nous considérerons un logiciel de DAO comme un logiciel à part entière ou comme un module, intégré dans un ensemble, appelé logiciel de CAO.
     Il est quand même important de noter que les appellations les plus courantes actuellement sont : DAO pour les modèles bi-dimensionnels et CAO pour les tri-dimensionnels.

1.3. Le modèle géométrique

     Le terme de modèle géométrique est entendu au sens d'un ensemble d'outils mathématiques (en particulier géométrie analytique) permettant de définir (géométriquement et topologiquement), dans la machine, la forme de ce qui sera un objet ou un ensemble d'objets matériels (après fabrication).

1.4. Les objectifs

     Les principaux objectifs visés sont les suivants :
- connaître et enseigner cette notion qui est maintenant intégrée dans les nouveaux programmes de construction mécanique des lycées ;
- combattre un comportement relativement courant qui consiste à hiérarchiser les logiciels de DAO en fonction des modèles qu'ils utilisent. Il est courant d'entendre dire qu'un 3D est « mieux » qu'un 2D ou qu'un volumique est bien supérieur à un surfacique qui l'est aussi par rapport à un filaire. Je crois que tout ce que l'on peut dire (actuellement) c'est qu'un modèle peut être mieux adapté qu'un autre pour une application bien définie ;
- faciliter l'ébauche du choix d'un logiciel en sélectionnant le ou les modèles qui peuvent convenir aux applications dont l'informatisation est souhaitable.

1.5. Limite et structure de l'étude

     Nous limiterons cette étude aux modèles géométriques utilisés dans les logiciels de DAO. Seront donc abordés les modèles suivants : 2D filaire, 3D filaire, 3D surfacique, 3D volumique.

     L'étude de chacun de ces modèles est composée de trois parties : des éléments de « définition », les principaux « avantages » et les principaux « inconvénients ». Les éléments de définition sont les principales caractéristiques du modèle du point de vue du concepteur du logiciel (sans aborder les questions informatiques), tandis que les principaux avantages et inconvénients en sont les caractéristiques du point de vue de l'utilisateur (principalement un dessinateur en mécanique). Des définitions plus précises des termes suivants seront tentées ultérieurement : DAO, CAO, modélisation, représentation, visualisation.

2 - LA MODÉLISATION BIDIMENSIONNELLE

2. 1. Introduction au 2D

     Le DAO permet de représenter un objet matériel de manière simple, en utilisant les techniques classiques du dessin industriel. Ce modèle représente donc la pièce par ses contours.
Ce type d'outils est destiné à des dessinateurs industriels, en tant qu'outils de production de plans. D'ailleurs, dans ce type de logiciels, le dialogue homme-machine utilise largement le vocabulaire et le processus mental de cette profession.

     Il est important de noter qu'actuellement, la plupart des logiciels de CAO sont utilisés pour leurs fonctions de DAO.

2.2. La modélisation 2D

2.2.1. Définition

     C'est la plus simple des modélisations. Elle permet la création et la manipulation de dessins techniques.

     C'est un outil de traitement de dessins qui gère des points et des lignes sans aucune notion de pièce (au sens mécanique du terme). Comme un traitement de textes gère des caractères alphanumériques sans notion concernant le sens du texte.

     Si l'on veut transmettre d'autres informations, elles doivent être explicitement indiquées dans la base de données. Par exemple, le volume d'une pièce, le nombre de vis d'un ensemble...

2.2.2. Avantages

     Le 2D correspond au travail du dessinateur (pour des études simples). Il utilise les mêmes méthodes de travail, ce qui en facilite l'apprentissage.

     Il facilite grandement les manipulations de dessins : que ce soit du transfert ou de la modification.

     Les facilités de modification induisent deux avantages importants :

- rendre utile et productive la constitution d'une bibliothèque des pièces déjà existantes. De plus (si la base de données est correctement structurée) cette bibliothèque sera effectivement utilisée par les dessinateurs car il est plus facile et rapide de modifier localement que de la redessiner complètement (comme il est nécessaire de le faire sur une planche à dessin) ;

- permettre une amélioration de la « justesse » des plans. Quand on modifie un tracé, il est facile de modifier la cote en même temps (si le logiciel ne le fait pas lui même).

     Les facilités de transfert et copie induisent, elles aussi, deux avantages importants :

- permettre un gain de temps appréciable pour la constitution des plans de détail (à partir du plan d'ensemble préalablement stocké dans la machine) ;

- faciliter « le remontage sur plan » du mécanisme à partir des dessins de définition. Les sorties-papier sur tables traçantes permettent d'améliorer la qualité des tracés et des écritures. À partir de là, il est possible de créer un standard.

     Il est important de noter que le 2D est très souvent indispensable pour l'habillage et la cotation des plans.

2.2.3. Inconvénients

     La création d'un plan d'ensemble prend plus de temps que sur la planche à dessin. Mais cette différence tend à disparaître (et même à s'inverser) grâce à l'augmentation de rapidité et de capacité mémoire des nouveaux matériels. Par exemple, dans les années 80, avec un PC/XT (8086), le « temps-DAO » est couramment égal à 120-125 % du « temps-planche ». Avec un PC/AT (80286), ce temps descend à 100120 % et avec un PC équipé d'un 80386, il est possible d'atteindre 80-90 % du « temps-planche ».

     En outre, ces logiciels ne permettent aucune relation entre les différentes vues d'une même pièce ou d'un même mécanisme. C'est ce qui les fait souvent appeler « planches à dessin électronique ».

3. LES MODÉLISATIONS TRIDIMENSIONNELLES

3.1. Introduction au 3D

     Il existe trois types de modélisation 3D : filaire, surfacique et volumique. Ces modélisations permettent une représentation « réelle » des objets. Elles apportent une aide très précieuse quand la complexité des formes et/ou des représentations de ces formes devient trop importante pour la méthode classique du dessin technique utilisée en 2D.

     Une des contradictions importantes que doivent résoudre les modélisations tridimensionnelles est la nécessité d'une représentation, la plus réelle possible, des objets et la nécessité d'un temps de réponse le plus réduit possible (pour l'affichage à l'écran).

     Une solution est de faire varier la modélisation et/ou la représentation utilisée en fonction du stade d'avancement des travaux où elle intervient. Par exemple, dans un même logiciel, « couplage » des modélisations filaire et surfacique ou surfa cique et volumique, ou « couplage » de différentes représentations : traits ou images (ombrées, colorées).

3.1.1. Avantages

     Le 3D permet souvent de diminuer (ou d'éviter) l'étape coûteuse (et fastidieuse) de la maquette. Ceci grâce aux caractéristiques suivantes :
- les visualisations possibles ;
- l'ouverture du modèle.

     Il est possible de visualiser l'objet sous différents angles : l'utilisateur définit lui-même les directions d'observation qu'il désire, et ceci d'une manière simple. Suivant le modèle et le logiciel, il est possible de faire varier le type de représentation (ombrage, élimination des arêtes cachées...). Cette notion de représentation sera développée ultérieurement. Mais il faut noter que le 3D (les logiciels eux-mêmes ou leur utilisation) ne doit pas se limiter à faire de « belles images ».

     L'ouverture du modèle permet la connexion avec des logiciels spécifiques en vue de réaliser différentes applications ou opérations telles que calculs de structures, élaboration de gammes d'usinage, programmation de machines-outils à commande numérique...

3.1.2. Inconvénients

     Les inconvénients ne sont pas absents, surtout en ce qui concerne :
- les coûts ;
- les temps ;
- les applications.

     Les logiciels 3D coûtent plus cher que les 2D.

     Le 3D demande souvent un temps d'apprentissage plus long que le 2D. Ces logiciels possèdent un nombre de commandes plus important et sont d'utilisation plus complexe.

     Ils demandent aussi un temps d'adaptation plus important car ils apportent des changements plus profonds dans les méthodes de travail.

     Ils ont une gamme d'applications différente du 2D. Le choix de ces applications doit être sérieusement étudié sous peine de se révéler très pénalisant pour l'utilisateur : essentiellement en temps et en motivation.

3.2. La modélisation filaire

3.2.1. Définition

     Les autres appellations de cette modélisation sont linéiques, treillis ou fil de fer. C'est le premier niveau de modélisation dans l'espace. Elle utilise les mêmes entités géométriques que le 2D, en y ajoutant la troisième dimension. Elle est donc basée sur des points et des lignes. L'objet est décrit par ses sommets (points) et ses arêtes (lignes qui relient ces sommets). Pour gérer la notion de pièce, on ne pourra utiliser que des points appartenant aux arêtes ; ce sont les seuls repérables.

3.2.2. Avantages

     Cette modélisation permet la représentation « réelle » d'un objet dans l'espace. Les erreurs d'interprétation sont diminuées (du fait des compléments d'informations apportés par la troisième dimension). Elle permet donc de traiter des géométries plus complexes que le 2D.

3.2.3. Inconvénients

     Cette modélisation ne comporte pas les notions de surface et de volume bien que la visualisation obtenue puisse en donner « l'idée ».

     Il n'y a donc pas d'élimination automatique des arêtes cachées. Elle doit être faite manuellement par l'utilisateur.

     Cela apporte aussi des ambiguïtés au niveau de la compréhension de la géométrie de la pièce.

     On se heurte vite à des problèmes de lecture de dessin. Celle-ci devient difficile au-delà d'une certaine densité de traits (qui est, en général, vite atteinte).

3.3. Les modélisations surfaciques

3.3.1. Définition

  • du surfacique en général

     Cette modélisation est le premier outil du concepteur de formes car elle prend en compte la notion de surface dont elle permet la représentation et la manipulation.

     Un objet est défini par son enveloppe, ses surfaces-frontières. On gère les intersections de surfaces et on applique des règles de contrôle topologique (ouvert/fermé, intérieur/extérieur) pour « créer » des objets.

     C'est le premier niveau de modélisation qui permet de traiter les parties cachées. Il existe deux types de modélisation surfacique : par facettes planes et par surfaces gauches.

  • par facettes planes

     C'est la méthode la plus couramment utilisée en surfacique. L'objet y est représenté par des facettes. On habille une structure filaire avec ces facettes polygonales planes (ou « carreaux »). Il est possible d'obtenir une visualisation correcte de l'objet en utilisant un grand nombre de facettes.

  • par surfaces gauches

     Cette méthode est employée quand la surface à définir est trop complexe pour être définie par des surfaces simples (planes, cylindriques, sphériques, coniques...). La surface à définir l'est alors par des fonctions polynomiales paramé trées. L'utilisation de ces fonctions donne une excellente approximation de la surface réelle (et permet aussi l'obtention à l'écran de son profil apparent). Son utilisation est indispensable pour la commande numérique, car on connaît mathématiquement tout point de la surface.

3.3.2. Avantages

  • du surfacique en général

     Cette modélisation permet une définition précise de la surface de l'objet, ainsi que des intersections de surfaces. Elle procure une nette amélioration de la visualisation, principalement par la possibilité d'élimination automatique des arêtes cachées.

     C'est un niveau suffisant pour accéder à des calculs complexes dans de nombreux domaines.

  • du surfacique à facettes

     Elle permet de modéliser n'importe quel solide, avec relativement peu de calculs. Elle convient très bien pour des calculs de structure.

  • du surfacique gauche

     Elle permet la définition des surfaces complexes qu'elle modélise bien. On peut connaître tout point de la surface et de plus, il y a la possibilité d'avoir la notion de matière (par exemple par la normale orientée à la surface). Elle est donc indispensable pour la conception des surfaces complexes.

     Elle est aussi indispensable pour l'usinage par commande numérique (définition mathématique des surfaces).

     Par rapport à la modélisation par facettes, elle apporte une nette amélioration de la visualisation (en particulier par les possibilités d'ombrage et de coupe). Ce qui permet d'introduire les notions d'esthétique.

3.3.3. Inconvénients

  • du surfacique en général

     Cette modélisation n'est pas toujours bien adaptée à la conception d'éléments de machines.

     Les temps de réponse sont importants pour l'élimination des arêtes cachées.

  • du surfacique à facettes

     Ce modèle est difficilement utilisable pour l'usinage par commande numérique, principalement pour des questions de temps de calcul. En effet, pour obtenir une surface « lisse », on doit réduire la taille des « carreaux », donc augmenter leur nombre, donc la durée des calculs.

  • du surfacique gauche

     En ce qui concerne les objets complexes, les temps de réponse sont très importants.

3.4. La modélisation volumique

3.4.1. Définition

     C'est la modélisation la plus complète car elle englobe les deux précédentes (arêtes et surfaces). Elle permet la représentation dans l'espace, avec la notion de matière.

     Pour créer un objet, le 3D volumique :
- utilise des primitives volumiques ;
- les assemble par des opérateurs logiques ;
- les manipule par des opérateurs géométriques ;
- conserve les étapes de la construction.

  • les primitives volumiques

     Les primitives volumiques sont des volumes simples qui sont stockés en bibliothèque, dans laquelle l'utilisateur va « piocher » selon ses besoins. Les primitives les plus courantes sont parallélépipède, cylindre, sphère, cône, pyramide, tore, polyèdres... En théorie, il faudrait une infinité de primitives pour créer une pièce complexe. De plus on peut en créer de nouvelles (selon les besoins spécifiques). Elles sont stockées en bibliothèque et sont utilisables au même titre que les primitives initiales.

  • les opérateurs logiques

     Les opérateurs logiques sont les opérations booléennes classiques : union, intersection, différence. Ils permettent de combiner les primitives pour créer des solides plus complexes.

  • les opérateurs géométriques

     Les opérateurs géométriques sont des transformations géométriques classiques. Les principales sont : translation, rotation, symétrie, homothétie...

  • visualisation approchée par facettes

     Une variante de visualisation souvent utilisée est la représentation approchée par facettes. Cette approximation permet de réduire les temps de réponse d'une manière importante. Ce qui est particulièrement intéressant pour les traitements nécessitant des grands temps de calcul. Il est important de noter que la représentation de l'objet est exacte dans la base de données, seule sa représentation à l'écran est approchée.

3.4.2. Avantages

     Ce modèle apporte la connaissance de la notion de matière. Il donne une définition exacte et non ambiguë de l'objet, ce qui en fait le modèle préféré des concepteurs d'éléments de machines.

     Il facilite la conception car permet de concevoir des dispositifs ou des ensembles qui peuvent être complexes. Et il permet de le faire exactement comme on imagine en suivant le processus mental du concepteur (alors que le 2D suit le processus mental du dessinateur).

     D'autres facilités de conception sont apportées par la possibilité de prendre en compte les notions de montage, d'esthétique, de faisabilité...

     De plus, il améliore la visualisation de l'objet en déterminant les intersections de volumes et les perspectives (extérieures et intérieures). Les perspectives extérieures donnant des informations sur le contour apparent de l'objet, son aspect extérieur, son encombrement... Les perspectives intérieures donnant des indications sur les formes internes, les aménagements, les possibilités de montage...

3.4.3. Inconvénients

     L'interface homme-machine est difficile d'utilisation car elle requiert de la part de l'utilisateur une vision spatiale intégrale amenant celui-ci de l'espace vers les projections planes ce qui va à contre-courant de la formation initiale d'un concepteur dont tout l'apprentissage a consisté à concevoir dans des plans de projection pour en déduire le volume de l'objet.

     Ce modèle ne convient pas pour les dessins d'exécution. Jusqu'à présent, il ne convenait pas non plus pour la commande numérique car il conduit à faire des approximations sur la géométrie des pièces. Mais cette barrière semble être levée par l'apparition de logiciels 3D volumique avec « sortie » en commande numérique ceci se réalisant grâce à une « conversion » en surfacique transparente pour l'utilisateur.

CONCLUSION

     À partir de nos objectifs d'enseignement, seule une définition rigoureuse du besoin, peut justifier l'outil utilisé. Dans le cas de l'outil informatique, il faut être vigilant car trop souvent l'outil a généré le besoin et de ce fait l'enseignement d'un savoir faire a pris le pas sur la connaissance nouvelle acquise grâce à l'outil.

     Il est à noter malgré tout, qu'il est impossible d'utiliser un logiciel sans avoir un savoir faire minimal, cette contradiction nécessite de fait une réflexion pédagogique importante et doit générer des stratégies variées adaptées à nos différents niveaux d'enseignement.

     Le choix d'un logiciel, la maîtrise du logiciel par l'enseignant, la guidance dans la conduite des applications, (évaluation des connaissances acquises définissent autant de sujets de réflexion qui vont à l'encontre d'une grande idée reçue qui est de dire « Qu'un logiciel est forcément bon puisqu'il est très utilisé dans l'industrie... »

Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, p. 123-131.

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