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Diplômés pour le numérique
et l'informatique en France
chronique d'une pénurie annoncée

Communiqué de la SIF
 

De la difficulté à recruter des cadres dans le numérique et l'informatique

   En mars 2022, la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES, ministère du travail), dans son rapport sur les métiers à l'horizon 2030 [1], indique que les futures créations d'emploi sont globalement favorables aux diplômés de l'enseignement supérieur (création de 1,8 million d'emplois entre 2019 et 2030), et que le métier en plus forte expansion sera celui d'ingénieur en informatique (+26 %, soit +115 000 postes).

   Dans le même temps, les entreprises font face à des difficultés croissantes à recruter en informatique : d'après l'APEC [2], 67 % des entreprises estiment que les deux-tiers des embauches de cadres informatiques prévues seront difficiles à réaliser. Dans son dernier rapport d'orientation stratégique [3], le CIGREF rappelle que « la pénurie de talents dans le domaine du numérique est une tendance lourde », et qu'elle est « la conséquence d'un manque de formations adéquates ». Dans ses 20 propositions majeures pour 2022 [4], Numeum place en priorité numéro un « la formation aux métiers du futur » et une triple action, en matière de formation initiale et professionnelle et surtout de reconversion.

   Le constat est donc sans appel : la France est loin de former suffisamment de diplômés, notamment à bac+5 (masters ou ingénieurs) susceptibles d'occuper des postes de cadres en informatique, et ce déficit risque de s'inscrire dans la durée. Plus généralement, le numérique impacte de nombreux métiers. Ainsi, la Société des ingénieurs et scientifiques de France (IESF) estime, dans son rapport de 2021 [5], que 70 % des ingénieurs sont engagés comme acteurs ou utilisateurs de la transformation numérique. L'accroissement du nombre de cadres informaticiens formés est donc une nécessité socio-économique impérieuse pour que la France conserve un tissu industriel moderne et performant et qu'elle relève les défis sociétaux (climat, énergies, environnement) du XXIe siècle.

Au lycée : une spécialité NSI prometteuse, mais bâtie sur des bases trop fragiles

   La réforme du lycée général de 2019, en introduisant la spécialité Numérique et sciences informatiques (NSI), a posé les bases de formation nécessaires à cet accroissement. Mais son absence dans de trop nombreux lycées (36 % en 2022) [6] est problématique aussi bien pour les besoins économiques à l'horizon 2030 que pour garantir une égalité territoriale des chances aux formations au numérique. La situation est aggravée par le fait que plus d'un élève sur deux abandonne la spécialité NSI entre la première et la terminale et que les filles représentent moins de 14 % des effectifs (2 215 filles en NSI en terminale en 2021 pour toute la France). En outre, ces enseignements s'appuient sur un tronc commun de formation dont la totalité des sciences représente moins de 13 %, et plus d'un tiers des élèves ayant choisi la spécialité NSI ont abandonné les mathématiques en terminale. Enfin, l'enseignement Sciences du numérique et technologie (SNT) en seconde fait l'objet d'un bilan pour le moins mitigé de la part du Conseil supérieur des programmes dans son rapport de 2022, qui parmi les solutions, propose de conférer à cet enseignement une coloration plus informatique [7] [8].

Le cas des universités et écoles d'ingénieurs publiques

   Certaines universités ont su s'adapter à la diversification des profils des bacheliers, et des formations en informatique ont été revues pour intégrer l'existence de bacheliers formés avec la spécialité NSI [9]. Mais cette adaptation est inégale : dans certains établissements, elle demeure au stade d'intention. Elle s'effectue dans le contexte d'un fort accroissement des demandes de formation supérieure en informatique et d'une stagnation globale du nombre de postes d'enseignants-chercheurs en informa- tique. En effet, les établissements sont souvent exsangues financièrement ; ils sont donc dans l'incapacité d'ouvrir un nombre de postes en rapport avec la demande. Sans un « plan Marshall » national de renforcement du potentiel en enseignants- chercheurs en informatique, comme il en a existé un, à juste titre, pour les filières STAPS [10], l'enseignement supérieur public demeurera dans l'incapacité de répondre à la double tension du secteur du numérique : celle de la demande de formation, et celle du nombre d'emplois à pourvoir.

Le cas des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE)

   Trois ans après leur création, on ne dénombrera, à la rentrée prochaine, que 38 classes préparatoires MP2I (Mathématiques, physique, ingénierie et informatique, première année) et MPI (Mathématiques, physique et informatique, deuxième année). Ce nombre est faible au regard des autres classes préparatoires, avec de fortes disparités régionales [11]. Par ailleurs, ces classes préparatoires recrutent aussi bien des élèves ayant conservé en terminale les spécialités maths et physique-chimie (PC) que ceux ayant conservé maths et NSI : cela encourage peu les élèves voulant poursuivre en CPGE à choisir la spécialité NSI. En outre, d'après des statistiques extraites de Parcoursup [12] pour 2022, 48 % des élèves de terminale ayant demandé une classe préparatoire et conservé les spécialités maths et PC ont eu au moins une réponse positive. Ce taux est de 30 % pour ceux ayant conservé les spécialités maths et SI, et chute à 14 % pour les élèves ayant choisi maths et NSI ! Le taux de réponses positives est donc inversement proportionnel à la pertinence des spécialités pour le secteur du numérique et de l'informatique.

   Dans ces nouvelles classes préparatoires, le volume d'heures dédiées à l'informa- tique reste inférieur au volume dédié à la physique (en moyenne, environ 6h30 hebdomadaires de physique contre 5h d'informatique en MP2I). Pourtant, le numérique évolue et se complexifie à grande vitesse, et ses fondamentaux en algorithmique et programmation nécessitent des temps significatifs d'assimilation. Enfin, si plusieurs formations recrutant sur concours après les classes préparatoires ont rapidement proposé un concours spécifique pour les élèves venant des MPI avec un nombre de places conséquent [13], ce n'est pas le cas de la majorité. Certaines ont même réduit récemment l'importance de l'informatique dans leur concours d'entrée. Et pour les écoles ayant ouvert des places spécifiques aux élèves de MPI, le programme de formation n'a guère évolué, pour rester compatible avec les autres classes préparatoires.

Le cas des écoles d'ingénieurs publiques post-bac

   Les conditions de recrutement diffèrent selon les écoles d'ingénieurs publiques recrutant après le bac. Pour certaines, la spécialité NSI a été d'office considérée comme mineure : les spécialités recommandées en première sont maths et, au choix, PC ou SI. Pour d'autres (écoles du concours GEIPI-Polytech [14]), le choix est plus ouvert : les épreuves du concours dépendent des spécialités conservées en terminale. Du point de vue du programme des années de classes préparatoires intégrées, ces écoles restent majoritairement fondées sur les spécialités maths et PC, avec une place mineure dévolue à l'informatique. C'est particulièrement étonnant pour les écoles spécifiquement orientées vers l'informatique. Dans certaines écoles, l'informatique représente moins de 8 % de la formation en termes de crédits ECTS (European Credit Transfer and Accumulation System). Dans d'autres, dont toutes les spécialités sont liées à l'informatique, cette discipline représente seulement 12 % des crédits ECTS.

L'informatique comme ascenseur social

   D'après une étude de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) concernant la rentrée 2020 [15], la spécialité NSI pourrait pourtant clairement jouer le rôle d'ascenseur social dans les disciplines scientifiques. En effet, alors que seuls 34 % des élèves ayant conservé la doublette maths et PC en terminale sont issus de milieux sociaux moyens ou défavorisés, c'est le cas de 46,5 % des élèves ayant conservé la doublette maths et NSI. Autant pour amplifier ce rôle d'ascenseur social que pour diversifier les profils scientifiques, le passage de 64 à 75 % de la présence de la spécialité NSI dans les lycées à l'horizon 2027 ne semble pas à la hauteur des enjeux sociaux-économiques. En parallèle, les formations privées du supérieur en informatique se multiplient, mais nombre d'entre elles ne délivrent pas de diplômes reconnus, ou sont financièrement inaccessibles aux classes moyennes ou défavorisées.

Mesures à prendre

   Trois leviers peuvent être actionnés pour améliorer la situation. Il est bien sûr indispensable d'augmenter rapidement le nombre de lycées proposant la spécialité NSI pour arriver non pas à 75 % mais à la quasi-totalité des lycées en 2027. Le trop faible nombre de places aux concours d'enseignants pour l'année 2023 (50 places au premier concours du CAPES, 22 places à l'agrégation) n'est par exemple pas du tout en accord avec les besoins constatés par tous, d'autant plus que les créations de classes préparatoires MP2I et MPI nécessitent également le recrutement de nouveaux agrégés. Le nombre de postes aux concours du CAPES NSI et de l'agrégation informatique doit augmenter significativement afin de répondre aux besoins de formation, comme cela a déjà été évoqué dans le communiqué de la SIF du 27 décembre 2022 [16].

   Il s'agit aussi d' augmenter les débouchés immédiats pour les élèves ayant suivi la spécialité NSI, en permettant aux formations publiques du supérieur de les accueillir en nombre. Cela implique une création significative de postes d'enseignants- chercheurs en informatique dans l'enseignement supérieur, création subordonnée à des mesures gouvernementales politiquement et financièrement incitatives. C'est notamment nécessaire en licence, et en BUT informatique, en particulier pour répondre à l'augmentation prévisible des effectifs induite par la troisième année de BUT. Cela implique une création significative de postes en informatique, création subordonnée à des mesures gouvernementales politiquement et financièrement incitatives. Il est également indispensable de proposer des places plus nombreuses aux élèves au pro- fil maths et NSI en CPGE, ainsi qu'un accès privilégié aux classes CPGE MP2I qui doivent être ouvertes en plus grand nombre. Enfin, le volume d'heures d'informa- tique doit augmenter dans les classes préparatoires (CPGE et classes préparatoires intégrées aux écoles post-bac) avec des programmes ayant pour pré-requis l'enseignement de NSI.

   Il est également indispensable, notamment dans les écoles d'ingénieurs en informatique, d'augmenter les places accessibles aux élèves venant de CPGE MPI. Au-delà, l'accès aux écoles d'ingénieurs généralistes doit s'ouvrir plus largement aux élèves ayant suivi la spécialité NSI, surtout lorsqu'elle est associée à une autre spécialité scientifique.

   Une prise de conscience nationale des enjeux de l'emploi du numérique doit donc se décliner en termes concrets du lycée aux classes préparatoires et à l'enseignement supérieur. Sans des mesures concrètes et chiffrées, les alertes répétées du monde socio-économique du numérique et du monde académique resteront lettre morte et les chances de relever à court terme les défis sociétaux correspondants seront réduits à néant.

Paru dans 1024, Bulletin de la SIF, numéro 21, avril 2023, p. 13-18.
https://doi.org/10.48556/SIF.1024.21.13

Cet article est sous licence Creative Commons Attribution 4.0 International. https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr

NOTES

[1] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dossier/les-metiers-en-2030.

[2] Emploi IT : L'APEC table sur des recrutements records en 2022, Le Monde informatique, 23 septembre 2022.

[3] Rapport d'orientation stratégique, CIGREF, édition 2022. DOI:10.48556/SIF.1024.21.13

[4] 20 actions majeures pour 2022, Numeum.

[5] 32e enquête nationale, synthèse des résultats de l'édition 2021, IESF.

[6] Salon Educatech, 30 novembre-2 décembre 2022, déclaration de Pap Ndiaye.

[7] Conseil supérieur des programmes, rapport juin 2022.

[8] https://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2022/07/Communique_SIF_sur_SNT.pdf

[9] https://doi.org/10.48556/SIF.1024.20.97.

[10] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/le-mesri-mobilise-5-millions-d-euros-supplementaires-pour-recruter-80-postes-dans-la-filiere-staps-83918.

[11] Une seule pour la Bretagne ou la Normandie, par exemple, contre six pour l'île de France ou sept pour les Hauts de France.

[12] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2022-10/nf-sies-2022-29-tableaux-et-graphiques-24692.xlsx.

[13] L'École polytechnique proposera 20 à 25 places
https://gargantua.polytechnique.fr/siatel-web/app/linkto/mICYYYShBg5S,
l'ENSIMAG 40 places https://ensimag.grenoble-inp.fr

[14] https://www.geipi-polytech.org/terminale-generale-scientifique-integrez-une-ecole-dingenieurs-apres-le-bac.

[15] Note de la DEPP n° 20.38, novembre 2020.

[16] https://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2022/12/2022-12-27-communique-places-aux-concours.pdf

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