Rencontre avec l'Inspection générale
Le 29 mars 2023, président de l'EPI, j'ai été auditionné par un groupe de l'Inspection Générale. Ce groupe est chargé d'une mission inscrite au programme de travail annuel 2022-2023 de l'IGÉSR : « La préparation aux formations et aux métiers du numérique et de l'informatique : parcours, programmes, pédagogie, mixité des cursus dans les lycées professionnel, général et technologique ». Cette mission a été confiée à un groupe de cinq inspecteurs généraux. Elle s'est fixée comme objectifs, d'une part, de dresser un état des lieux de l'offre de formation dans le secondaire des lycées et, d'autre part, de recueillir les besoins actuels de préparation aux métiers du numérique et de l'informatique afin de faire des propositions d'évolution des formations au lycée.
La mission souhaitait échanger notamment avec l'EPI, d'une part, sur l'appréciation que nous portons sur les enseignements actuels essentiellement dans la voie générale des lycées (enseignement de sciences numériques et technologie – SNT – pour tous les élèves de seconde et enseignement de spécialité numérique et sciences informatiques – NSI –), et, d'autre part, leur contribution à la préparation aux formations et aux métiers du numérique et de l'informatique. Enfin, le groupe souhaitait aborder les leviers pour favoriser l'orientation des filles dans ces formations.
L'EPI a donc rencontré Yannick Almeras, Jean-Marie Chesneaux, Zaïr Kedadouche et Vincent Montreuil, membres du groupe coordonné par Christine Gaubert-Macon. La rencontre fut fructueuse et s'est déroulée dans une ambiance très sympathique.
J'ai rappelé que l'EPI, fondée en 1971, demande depuis des décennies une discipline informatique pour tous et toutes complémentaire de l'utilisation de l'informatique et du numérique dans les différentes disciplines (« complémentarité des approches »). L'informatique est à notre époque et dans notre société une composante incontournable de la culture générale scientifique et technique de tous et de toutes. La mission traditionnelle de l'École est de former l'homme, le travailleur et le citoyen. L'informatique doit y avoir toute sa place.
Sciences Numériques et Technologie – SNT –
1) Il faudrait une entrée par des notions scientifiques et non par des thèmes
Le programme SNT est trop ambitieux pour une seule année avec des élèves n'ayant pas déjà rencontré pour l'essentiel les notions scientifiques et techniques informatiques qui le sous-tendent. Et sans qu'une progression didactique ne soit explicitement proposée. Il faut un programme dont la logique et la progression soient structurées par les notions scientifiques et techniques que les élèves doivent s'approprier, ces notions s'appuyant pédagogiquement sur des aspects de thématiques qui les justifient et les illustrent. Et ces thématiques sont sources de motivation pour les élèves car elles renvoient à leur vécu d'usagers de l'informatique.
Attaquer le programme sous un angle thématique ne permet pas nécessairement d'abstraire les concepts informatiques (c'est même compliqué). Précisément, il faut identifier très clairement, dans le programme, un nombre limité de compétences scientifiques et techniques que l'on attend d'un lycéen et de les incarner, chacune, dans un ou plusieurs thèmes. Autrement dit, il s'agit d'expliciter la transversalité des éléments du socle scientifique dans les différents usages numériques abordés. Il ne s'agit pas d'étudier des usages pour eux-mêmes mais d'en éclairer certains en étudiant la science et technique qui les sous-tend. Les élèves doivent être capables d'énoncer les quatre concepts de la science informatique : algorithme, machine (dont les objets connectés et les réseaux), langage et programmation, données et information.
Il y a des enjeux sociétaux et éthiques : les lycéens doivent être capables, grâce à une meilleure compréhension des aspects scientifiques et techniques du numérique et à une mise en perspective historique, de questionner les enjeux sociétaux et éthiques liés à leurs pratiques. Ces aspects doivent s'appuyer sur une compréhension des concepts scientifiques et techniques sous-jacents
2) Il faudrait une nouvelle appellation où figure le mot informatique ! À quand, enfin, de l'école au lycée, en passant par le collège, une discipline informatique qui ne change pas de nom à chaque saison, ou presque (!). C'est le cas des mathématiques ou de l'histoire-géographie. Ce ne serait que mieux pour les élèves et leurs parents.
3) SNT, tenant compte des améliorations qui s'imposent, doit se prolonger en Première et Terminale dans le tronc commun, avec une montée en charge progressive.
4) Et, évidence loin d'être partagée, l'informatique doit être enseignée par des professeurs d'informatique : c'est loin d'être le cas pour SNT.
Numérique et Sciences Informatiques – NSI –
Les programmes actuels donnent globalement satisfaction même s'ils sont parfois perçus comme trop denses par les élèves et certains enseignants.
La réforme du lycée et son contexte « spécialité » sont sources de problèmes avec lesquels il faut en finir, par exemple : NSI n'est présente que dans 36 % des lycées seulement : quid de l'égalité républicaine dans ces conditions ? Avec une forte inégalité territoriale. En Terminale seules deux spécialités sont conservées par les élèves : cela joue en défaveur de NSI. La variété des situations dans l'enseignement supérieur vis-à-vis de NSI n'est pas de nature à faciliter son choix... Disparition du groupe classe ; or, si l'enseignement a une évidente dimension cognitive, il est aussi une relation humaine. Le travail en groupe devient difficile et l'on constate un renforcement de l'individualisme. Les élèves et leurs parents éprouvent des difficultés pour construire un cursus cohérent ne compromettant pas l'avenir. Des emplois du temps infernaux se mettent en place. L'évaluation permanente se fait au détriment de la pédagogie ; il faut revenir à un diplôme national avec des épreuves communes le même jour (pas en mars comme pour les spécialités, il faut des épreuves et pas le contrôle continu (le livret scolaire a toujours sa place). Quid des conseils de classe avec 35 professeurs ?
L'égalité filles-garçons recule et les inégalités sociales s'accentuent...
Filles et informatique
Les présupposés jouent le rôle important que l'on sait. Concernant notre problématique, et les autres, ils prennent naissance dans la vie sociétale et familiale des femmes. Ils contribuent à l'abandon des sciences alors que les filles y ont de meilleurs résultats que les garçons. Notons que SVT est la discipline la moins souvent abandonnée. La vie présente et future des filles a à voir avec cette réalité.
Les filles sont confrontées à une censure sociale. Elles reçoivent des signaux selon lesquels l'informatique (plus généralement les sciences) ce n'est pas pour elles alors que, par exemple, elles obtiennent au lycée de meilleurs résultats que les garçons en mathématique. Difficile pour l'École d'influer sur cette réalité. Il faut alors se centrer sur les idées, les présupposés de la population, toute la population. La population dans son ensemble est la cible prioritaire.
Il faut des démarches globales, coordonnées avec des campagnes nationales d'affichage, des spots TV, des jeux en ligne autour du quotidien des métiers du numérique soulignant leur dimension relationnelle et humaine, trop peu mise en avant et méconnue.
Il faut inciter les entreprises à proposer aux jeunes filles des stages de découverte des métiers du numérique pour renforcer la lutte contre les stéréotypes et l'autocensure et impulser très tôt des vocations pour les métiers scientifiques et technologiques auprès des jeunes filles. De tels stages permettent aux jeunes filles de rencontrer des femmes qui constituent des modèles rapprochés en âge, et accessibles. Ces femmes sont de potentielles marraines qui leur ressemblent (pouvant avoir été lycéennes peu d'années avant elles), dont l' « efficacité » en tant qu'exemple est plus grande que les références aux lointaines et prestigieuses « Ada Lovelace ». Il faut notamment organiser des stages en 3e.
Dans notre lettre au nouveau ministre Pap Ndiaye [1], nous rappelons une fois de plus notre demande d'une discipline informatique pour tous. Une telle mesure réglerait de fait la question d'un enseignement de l'informatique pour toutes les jeunes filles.
Un Colloque national, « Informatique et enseignement » [2], a eu lieu les 21 et 22 novembre 1983 à Paris, dans les locaux de l'École Polytechnique. Madame Yvette Roudy, Ministre des droits de la Femme, a déclaré : « Il est (donc) souhaitable que l'enseignement de l'informatique soit obligatoire et non facultatif. Aussi bien pour les filles que pour les garçons » (page 10 des Actes). Il y a de cela 40 ans !
La formation des enseignantes et des enseignants
Le problème essentiel, le facteur limitant depuis des décennies, restent la formation des enseignants toujours insuffisamment traitée. Quels professeurs pour enseigner l'informatique ? Les besoins sont considérables. Le nombre de postes mis aux concours du Capes et de l'agrégation d'informatique, actuellement insuffisant, doit donc être augmenté d'une manière substantielle. Pour l'agrégation d'informatique, il y a en plus les besoins issus des classes préparatoires. Il faut également une reconnaissance institutionnelle des enseignants assurant actuellement NSI au prix d'efforts de formation personnelle très importants.
Il faut rendre le métier d'enseignant plus attractif en le revalorisant de façon significative [3].
Les efforts en matière de formation des enseignants sont la condition essentielle d'une montée en charge progressive d'un enseignement de la science et technologie informatique pour toutes et tous.
Quel que soit l'avenir de la réforme, il est impossible dans cette troisième décennie du XXIe siècle de ne pas amplifier l'enseignement scientifique général au sein duquel la science et technologie informatique doit avoir toute sa place.
14 avril 2023
Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
NOTES
[1] Lettre au ministre Pap Ndiaye du 14 mai 2022 :
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a2205a.htm
[2] « Informatique et enseignement ». Colloque national des 21-22 novembre 1983 à Paris, organisé par le MEN en collaboration avec l'EPI :
https://www.epi.asso.fr/revue/histo/h83-informatique-et-enseignement-jb20.htm
Programme complet : https://www.epi.asso.fr/blocnote/Programme%20colloque%201983.pdf
[3] Éditorial d'EpiNet n° 250 « Des avancées et des reculs » :
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a2212a.htm
|