bas de page
 

Les 10 ans de la SIF
10 ans déjà, 10 ans seulement...

Yves Bertrand
 

   Début 2021, la SIF bruissait déjà d'un événement qui promettait d'être marquant : elle fêterait ses 10 ans en 2022 ! Au moment où vous lisez ces lignes, c'est chose faite : la SIF a célébré ses 10 ans lors du congrès de 2022 au CNAM, trouvant un juste équilibre entre les regards tournés vers le passé et ceux esquissant les contours d'une « boussole » pour guider la SIF pour les dix ans à venir.

   J'attendais beaucoup du discours de mes prédécesseurs à ce congrès pour éclairer ma réflexion de leur expérience. La richesse de leur table ronde a totalement répondu à cette attente. C'est pourquoi mon parti pris est de centrer ici mon propos sur le leur, même si le fait que la SIF soit une société savante visible et reconnue dans le paysage académique national doit énormément aux équipes et qui les ont entourés et à plusieurs personnalités du conseil scientifique et du conseil d'administration de la SIF.

   Dans les propos liminaires de Colin [1] sur la naissance de la SIF, puis dans les interventions de Colin [1], Jean-Marc et Pierre [1], j'identifie et fais miens sept champs d'action pour la SIF : les voici, pour en débattre...

Développer les actions de médiation scientifique...

   En allant au contact du grand public, des parents d'élèves, des enseignants, des enfants pour démystifier l'informatique, pour qu'« algorithme », « intelligence artificielle », par exemple, ne riment plus avec « magie ». L'enjeu est de taille ! L'informatique demeure en effet abstruse aux yeux du plus grand nombre, et il est autrement plus difficile de parler d'informatique à un béotien où à un ministre que d'ergoter entre spécialistes sur les acceptions comparées de termes techniques voisins. Les vidéos qui désacralisent les quatre piliers de l'informatique (algorithmes, langages, machines, données) conçues avec Fred Courant [2] et son équipe de « L'esprit sorcier » en 2022 sont un exemple de ce dialogue à développer avec le grand public.

Fédérer la communauté autour de l'enseignement

   Parce que c'est la qualité de la formation en informatique, en particulier dans le primaire et le secondaire, qui fera, ou pas, de notre pays une nation à la pointe du numérique. Grâce au combat des pionniers depuis près d'un demi-siècle, l'informatique s'enorgueillit depuis peu de quelques lettres de noblesse : un Capes NSI, une agrégation informatique, des classes préparatoires intégrant l'informatique, et une spécialité NSI au lycée. Mais ces avancées sont aussi fragiles qu'elles sont encourageantes : le Capes est passé de 60 à 50 places entre 2020 et 2021 ; l'agrégation de 2021 s'est vue dotée de 20 postes ; la moitié des lycées n'offrent pas la spécialité NSI. Tout reste donc à construire pour que l'informatique puisse un jour être, comme les mathématiques, la physique, la chimie ou la biologie un constituant séculaire de la culture scientifique de chacun.

Promouvoir le duo action politique / communiqué

   Évoqué par Colin, ce duo est plus d'actualité que jamais. Un exemple : l'enseignement SNT en seconde. Sous la houlette d'Isabelle [3], un communiqué prônant l'évolution de cet enseignement vers le cœur de l'informatique est associé à des démarches auprès du MEN. Réciproquement, des contacts institutionnels doivent donner lieu à des communiqués de la SIF. Avec un risque évident : celui d'essuyer d'autant plus de critiques que nos prises de positions seront nettes, fortes et clivantes. Mon credo est qu'il vaut mieux être critiqué pour des participations audacieuses au débat public que pour l'absence de la SIF dudit débat.

Mettre les individualités au service du collectif

   C'est une valeur constitutive de la SIF qu'il convient de préserver à tout prix. Aujourd'hui, les individualités les plus reconnues sont au service d'une cause commune : le développement d'une informatique au service de l'humain. Comme Jean-Marc, j'en cite deux figures de proue évidentes : Serge et Gilles [4] qui mettent leur énergie, leur hauteur de vue et leur expérience au service de notre collectif. La boussole de la SIF en sera d'autant plus pertinente, lisible, pérenne et préservée des contingences politiciennes court-termistes.

Faire œuvre d'histoire et de mémoire

   Dans son évolution, l'informatique est à un moment idéal pour se doter de trois mémoires. La mémoire du matériel : Pierre a développé l'idée d'un musée de l'informatique, central ou en réseau. Sous son impulsion, et avec le CNAM et INRIA, la SIF est partie prenante de la sauvegarde d'une collection matérielle conséquente. Gageons que cette action préfigure la naissance d'un musée national porté par les institutions dont l'objet est le développement de la science informatique. La mémoire des logiciels : saluons l'œuvre de Roberto [5] dont le projet Software héritage a déjà collecté plus de 10 milliards d'objets logiciels, et vise ni plus ni moins qu'à être une « bibliothèque d'Alexandrie » de notre discipline qui compte aujourd'hui plus de langages que l'humanité ne compte de langues et dialectes. La mémoire des idées. Puisse l'impulsion de membres illustres de la SIF contribuer à faire voir le jour dans notre bulletin 1024 à une histoire des idées de l'informatique racontée aux générations futures par celles et ceux qui les ont développées depuis plus d'un demi-siècle.

Professionnaliser la relation de la SIF avec le monde socio-économique

   Notre congrès 2022 m'a convaincu que notre association est née et demeurera société savante académique. Il serait vain de viser une quelconque parité interne avec des membres industriels qui se passent fort bien de notre concours direct, tellement leurs enjeux financiers et technologiques leur semblent éloignés des nôtres. En revanche, les puissantes associations qui les représentent, comme le CIGREF et Numeum, ont manifesté à maintes reprises leur ouverture à nos positions concernant la médiation, la formation, la parité femme-homme, la formation en mathématiques et en sciences, le développement durable, la responsabilité sociétale. Lisez leurs tribunes, leurs propositions : vous serez surpris de constater à quel point leurs préoccupations sur ces thématiques rejoignent les nôtres. C'est donc avec ces associations qu'il convient de tisser des liens durables.

L'inégalité femme-homme

   Sujet difficile s'il en est, il fut abordé rapidement par mes prédécesseurs. La part des femmes dans notre discipline demeure à un niveau très bas depuis trente ans. La part des filles au lycée en informatique stagne autour de 13 % en terminale. En 2021, seules 2 215 filles ont choisi la spécialité NSI en terminale. L'industrie du numérique demeure très largement masculine. Jusqu'en 2019, le lycée contenait les disparités femmes-hommes dans les disciplines scientifiques se faisant jour dès le CE1. Depuis trois ans, ces disparités reprennent de la vigueur à un rythme préoccupant pour l'avenir de notre discipline dans le monde socio-économique. Agissons de conserve avec ses principaux représentants pour infléchir cette inquiétante trajectoire. Agissons aussi avec eux pour proposer des journées « informatique et société » comme celle du 4 octobre 2022 à Bordeaux sur les « Algorithmes d'aide à la décision publique » et comme celle du 22 novembre 2022 à Paris sur les « Infrastructures pour la souveraineté numérique » en donnant aux femmes systématiquement la place qu'elles méritent : la même que celles des hommes. Éprouvons notre logique interne jusqu'à faire en sorte que le prochain président de la SIF soit... une présidente ?

Yves Bertrand
Président de la Société informatique de France,
professeur des universités, université de Poitiers.

Paru dans le numéro 20, novembre 2022, de 1024 la Revue de la SIF.
https://www.societe-informatique-de-france.fr/bulletin/1024-numero-20/

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

NOTES

[1] Colin de la Higuera, Jean-Marc Petit, Pierre Paradinas : précédents présidents de la SIF.

[2] Journaliste, grand reporter et animateur de télévision français.

[3] Isabelle Debled-Rennesson, vice-présidente Enseignement de la SIF.

[4] Serge Abiteboul et Gilles Dowek, anciens présidents du conseil scientifique de la SIF.

[5] Roberto di Cosmo, https://www.dicosmo.org

haut de page
Association EPI
Janvier 2023

Accueil Articles