Littérature numérique :
Vers une mutation du rapport au texte
Latifa Chahbi, Jaouad Boumaajoune
Résumé
La littérature numérique, tout en s'inscrivant dans le prolongement des livres qui l'ont précédée, est riche d'évolutions et de recherches. Internet s'affirme comme le champ privilégié d'écritures habiles à expérimenter de nouvelles formes et à questionner les usages, en écrivant avec les autres et avec la machine, en utilisant de manière ludique ou métaphysique les pouvoirs de transport de l'hypertexte, en détournant logiciels et applications de leurs usages prévus. Le texte, par ailleurs, n'est plus seulement lisible, mais il devient visible, manipulable : depuis longtemps la « main numérique » du lecteur l'invite à « lire sa propre lecture ». On assiste à un renouvellement du rapport au texte.
Dans cet article, il sera question d'exposer les éléments de définition de la littérature numérique pour mettre en exergue les différentes acceptions de cette littérature. Nous conviendrons, dans un premier temps, de bien détailler les notions en jeu : tension existante entre linéarité textuelle et hypertextualité, le lien entre écriture visuelle et effets de sens qui se placent toujours dans une problématique de lisibilité et d'accessibilité au texte. Nous procéderons, dans un second temps, à mettre en avant la question qui nous paraît fondamentale : l'incidence de la technique sur la réception du texte, en prenant comme exemple les Pages Blanches-Livre de Marc Etc. Nous proposerons, enfin d'interroger le rôle de lecteur : son interactivité avec des textes qui tendent plus à suggérer une lecture particulière et singulière.
Mots-clés : Littérature numérique, hypertexte-interactivité, écriture visuelle.
Introduction
Depuis une dizaine d'années, loin des circuits de publication et de diffusion des littératures papier, des cercles, des communautés d'écrivains se sont formés autour de l'idée d'une littérature numérique exploitant pleinement les potentialités du médium « ordinateur ». L'animation, l'interactivité et une programmation créative caractérisent ces nouvelles créations littéraires sur support numérique. C'est ainsi que notre rapport au texte est modifié.
D'une part, dans les environnements numériques le texte est partout : les images, les vidéos, les clics, les objets et même les actions sont en réalité des séries de caractères. D'autre part, le texte acquiert une valeur opérationnelle. L'article questionnera les mutations induites dans le faire littéraire et dans la lecture par l'intervention du médium informatique. En d'autres termes, « Que fait le numérique à l'état du texte littéraire et à sa lecture » ? Dans quelle mesure l'écriture et les structures narratives sont-elles bouleversées par cette nouvelle technologie ? L'animation du texte enrichit-elle l'expérience de lecture ? Redouble-t-elle l'expressivité du texte ? En quoi les modalités de la lecture traditionnelle – individuelle, silencieuse, immobile – sont-elles transformées par le dispositif informatique ? Avant de répondre à ces questions inaugurales, il est nécessaire de s'arrêter sur les différentes acceptions de la littérature numérique.
1. Littérature numérique. Essai de définition
L'avènement des supports numériques a radicalement modifié les conditions de la création littéraire, autrement dit la littérature numérique n'est pas une littérature qui a changé seulement de support, allant d'une page en papier à une page Word sur un écran d'ordinateur, mais c'est une littérature qui a pris des formes dans un espace cybernétique, un espace où les possibilités de création littéraire n'ont plus de limites et l'évolution de l'œuvre va au gré de l'évolution des programmes et des médiums.
Si la littérature se définit par le contenu de ce qui est lu, elle est donc concernée par ce qui se lit sur les écrans. Donc la caractéristique première de ce type de littérature est d'être vue à travers un écran, non pas lue dans un ouvrage. Il s'entend dès lors toute l'importance de qualifier l'impact de l'écran, et du matériau qu'il rend accessible. Cette littérature pose d'emblée au chercheur des problèmes de définition. Certains théoriciens mettent l'accent sur le rapport au langage, sur la notion de programme, ou encore sur le dispositif de communication... Qu'est-ce qui est en jeu derrière ces questions de définition ? Une certaine conception de la littérarité ? Du support ? Du numérique ?
Nous exposons les éléments de définition de cette littérature. L'intérêt est de pouvoir confronter différentes définitions à mettre à l'épreuve de l'œuvre envisagée.
Définir la littérature numérique s'avère, inéluctablement, une tâche ardue. Dans Les Basiques [1] : Philippe Bootz définit la littérature numérique comme étant « Toute forme narrative ou poétique qui utilise le dispositif informatique comme un médium et met en œuvre une ou plusieurs propriétés spécifiques à ce médium » [2].
On constate d'emblée que le terme de texte n'est, volontairement, pas employé : en effet, pour Philippe Bootz, « la littérature numérique n'est pas prioritairement textuelle, mais est à comprendre comme un art du rapport au langage » [3]. Plus loin, il précise qu'« un texte littéraire "mis sur ordinateur" ne peut être qualifié de "littérature numérique" que s'il utilise au moins une de ces propriétés en tant que contrainte », c'est-à-dire si l'œuvre fait fonctionner cette propriété de façon constructive. Autrement dit, la littérature numérique se distingue nettement de l'œuvre littéraire numérisée : elle est nativement conçue par et pour le numérique, et en exploite les potentialités comme créatrices. Cette définition nous confronte à deux termes qu'il s'agit de préciser : le « médium », et le « dispositif ».
De cette façon, on peut contredire l'idée selon laquelle le texte numérique est immatériel : au contraire, il est ancré et dépendant d'une nouvelle forme de matérialité, non plus celle du livre, mais celle du support numérique. Dès lors, on peut définir la littérature numérique comme une littérature ancrée dans un médium informatique et qui met volontairement l'accent sur son dispositif technique.
Cette définition nous permet de prendre la mesure des évolutions médiatiques de la littérature : si nous sommes aujourd'hui pleinement habitués au livre papier, au point de le percevoir comme un support neutre et transparent du texte, ce dernier n'a pas toujours été dominant.
Comme l'affirme alors (Bouchardon, 2009), la littérature numérique a la vertu de révéler les impensés de l'approche traditionnelle du texte littéraire : il s'agit bien d'ouvrir les frontières, de déplacer les bornes d'appartenance afin d'explorer des œuvres à la marge. Dans son second ouvrage sur la question, (Bouchardon S., 2014) propose une définition plus formelle de la littérature numérique, en montrant que l'expression même comporte une tension constructive.
Il est nécessaire de préciser que cette littérature repose principalement sur l'exploitation des caractéristiques du support numérique (animation textuelle, dimension multimodale ou multimédia, technologie hypertexte et interactivité). De cette manière, le lecteur peut avoir la possibilité d'une lecture non linéaire de fragments reliés par des liens grâce aux hyperfictions ou fictions hypertextuelles. Pour rendre compte du potentiel de cette littérature, nous avons décidé de nous intéresser aux productions, en particulier aux productions de la littérature numérique, comme nous l'avons dit, sont conçues et réalisées pour l'ordinateur et le support numérique.
2. Analyse de l'œuvre Les pages Blanches de Marc Etc
Il s'avère fondamental, dans un temps préliminaire d'expliciter la raison derrière l'étude des caractéristiques et des différents types de l'hypertexte. C'est d'abord vérifier que cette technique informatique contribue à modifier le rapport du lecteur au texte. Pour ce faire, nous allons donc nous pencher sur l'analyse d'une œuvre de littérature numérique : sa nature (les formes de textualité numérique), ses modalités de lecture et d'écriture. L'œuvre en question est : Les pages Blanches, Histoire d'@livre de Marc Etc : cette œuvre hypermédiatique se situe dans la lignée innovatrice de la littérature hypertextuelle.
Elle se présente comme un récit dont les nombreux fragments sont tissés de liens hypertextes. Nous nous demandons donc, en quoi les Pages Blanches, Histoires d'@. Histoires d'anonymat, d'amour, d'isolement, d'inflation du silence, œuvre de littérature numérique de Marc Etc., diffère-t-elle d'un récit papier ? Les Pages Blanches ont été réalisées dans le cadre d'un atelier de création hypertexte, organisé par le CICV Centre Pierre Schaeffer, avec des auteurs curieux de cette nouvelle forme, mais novices en matière d'hypertexte et de navigation HTML. Les œuvres produites durant cet atelier ont été présentées lors du festival Videoformes de Clermont-Ferrand du 26 mars au 13 avril 1996 sous forme d'installations.
Précisons que Les Pages Blanches est un hypertexte qui ne comporte ni images, ni sons, ni séquences animées. Le lecteur est amené à cliquer sur des liens qui le font avancer de fenêtres en fenêtres. La pagination, terme peu adéquate car il ne s'agit pas réellement de pages mais plutôt de fenêtres, est déterminée par des lettres. La première fenêtre qui fait suite à la page de garde est paginée page [ug]. Les liens hypertextes, sur lesquels i1 faut cliquer pour avancer dans l'œuvre sont désignés comme-ci :« ____ », le trait n'est souvent pas visible, seul subsiste un blanc entre deux mots. La structure de l'œuvre n'est pas linéaire, aucun chemin n'est déterminé. Les textes ne nous racontent pas une histoire avec un début et des péripéties qui conduisent à une fin. Des thèmes récurrents les traversent, et nous naviguons de texte en texte. La page blanche, c'est l'absence de parole. Le sens de l'œuvre ne réside pas seulement dans le texte mais aussi dans la navigation qu'il suscite, ainsi que les jeux sur les liens, la mise en page...
2.1. Hypertexte
Théodore Nelson est considéré comme le premier à avoir utilisé le concept « hypertexte » en 1965. Selon cet inventeur, l'hypertexte est constitué de « nœuds » (les textes) et des liens qui les relient entre eux et que le lecteur peut activer ou non au cours de sa lecture. Sur le modèle de l'encyclopédie classique dont il s'inspire, l'hypertexte électronique est libéré de la linéarité des pages du livre et des contraintes de son volume, il se donne à lire par unités « discrètes » reliées entre elles selon des configurations « variables » [4].
En effet, il s'agit d'une sorte de nœuds qui sont, comme leur nom l'indique, liés entre eux tels des blocs d'information textuelle. Lors de la navigation ou la consultation, le lecteur passe d'un nœud à l'autre via l'activation les unissant. Quant au langage HTML relatif aux sites Web, ses nœuds prennent le nom de pages-écrans.
Figure. Ted Nelson, Schéma de représentation de l'hypertexte (1965).
Cette figure montre clairement que l'établissement de liens ou d'hyperliens est le propre de l'hypertextualité. Pour parler de liaison, il est important d'être en présence d'au moins deux éléments à relier. Ce néologisme américain hypertexte a été construit à partir du préfixe grec hyper, qui signifie « au-dessus, au- delà » et exprime l'exagération, et d'un radical constitué par un substantif text, issu du participe passé du verbe latin texo,is, ere,texui, texum qui veut dire « tisser, tresser, les liens créent d'énormes ratures qui obscurcissent le schéma ». Il a été utilisé aussi par Gérard Genette dans son ouvrage Palimpsestes en 1982 dans un sens un peu différent.
Ainsi, l'hypertexte se caractérise par une structure complexe et non linéaire. Nous ne parlerons pas ici des hypertextes à structure arborescente, qui possèdent un début, une fin et s'inscrivent dans une linéarité, comme par exemple, Vertiges, arachnides de Darx le Hibou, et qui ont un schéma de navigation représentable de cette façon :
Le schéma de navigation des Pages Blanches n'est pas représentable sur papier de façon totale, ou alors de manière quasi illisible. Les flèches symbolisant les liens créent d'énormes ratures qui obscurcissent le schéma. On arrive alors à une abstraction tellement poussée que la figuration des entremêlements ne peut se penser que via l'informatique et son outil hypertextuel. Nous assistons ici réellement à une nouvelle forme d'écriture.
Dans la pensée même d'un schéma, le papier devient inutile si l'on cherche à rendre compte du schéma total : seul un aspect partiel peut être visible. Les Pages Blanches deviennent un entremêlement de liens. Nous ne sommes pas ici dans une linéarité, au contraire. La page 2 ne succède pas à la page 1 et précède encore moins la page 3. Fenêtre [ca] :
« Croyez en ma vieille expérience, je ne m'allume jamais. J'ai disculpé mes formes dans le noir. Je ne suis là pour personne. J'ai déjà toute l'humanité à charge : ____ » dont le clic fait suivre la fenêtre [aj] [5] : « Interdiction formelle de franchir la ligne d'arrivée sans y être invité.____Nous voici donc cloués au sol, une ronce en travers la cheville nous raccrochant pas à pas à notre arborescence : mais l'humanité en transe de transits, s'est portée disparue ____. » [6]. Les thèmes sont assez différents, la continuité logique n'est pas évidente. Notons le petit clin d'œoeil dans le texte au refus d'une structure arborescente et à 1a notion de fin avec l'expression « ligne d'arrivée ».
Comme le montre très bien le schéma de navigation de l'œuvre (ci-joint), nous sommes en présence d'une interconnexion quasi infinie comportant des impasses, des points morts... qui nécessite des retours en arrière, voire des sauts avant. Ainsi la page [b] renvoie aux pages [e], [ag], [fb], [g] et [j]. Toutes renvoient encore à d'autres pages, sauf la page [j] qui, elle, est une impasse car elle ne possède aucun autre lien. Nous ne sommes pas seulement dans une « non linéarité » (dans le sens l'une décomposition de la linéarité), mais dans le sens d'une absence de cette dernière. Négation de la linéarité qui en fait n'existe pas. Le terme de « non linéarité » ne renvoie pas au contraire de la linéarité mais à son inexistence, le « non » se voulant alors privatif. Cette non-linéarité dans une structure complexe devient une des caractéristiques de l'hypertexte.
2.2. L'hypertexte et le lecteur
Grâce à Internet, ou plutôt à l'outil informatique, le feuilletage manuel est impossible. À l'instar des pages Blanches, le lecteur progresse sans garantie de contrôle, d'une certaine façon à la merci du texte. Chaque clic le laisse dans le mystère de la forme que revêtira la page suivante qui apparaîtra à l'écran. Par ailleurs, le clic lui-même peut laisser apparaître un nouvel élément sur une page écrite. Par exemple en cliquant sur le premier lien de la page, le lecteur n'est pas conduit vers une nouvelle page, mais le mot apparaît donnant un sens nouveau à la phrase voire au texte intégral.
Ordinairement, l'auteur possède toute puissance dans l'organisation de la structure de son œuvre. La chapitration comme la temporalité relève de son seul désir, lequel, une fois exprimé, s'inscrit dans la matière du livre, lui offre une forme définitive et concourt dans une part certaine à l'originalité de l'œuvre. Soulignons que la façon dont l'auteur conduit la narration, dont il permet au lecteur d'accéder à des ressources qu'il possède, révèle pleinement l'art et le savoir-faire de l'écrivain. Alors qu'en est-il alors de la réception du lecteur face à cette nouvelle forme ? Quel mode de lecture suscite-t-elle chez le lecteur ? Si la nature du texte change dans les œuvres de littérature numérique, qu'en est-il de l'activité de lecture ? Comment l'œuvre de littérature numérique est-elle lue ? Que lit-on dans de telle œuvre ? Dans quelle mesure un texte dynamique peut -il entraîner une lecture elle-même dynamique ?
Il est nécessaire de mentionner que l'œuvre les Pages Blanches, constitue un nouvel horizon d'attentes du lecteur. Classiquement, l'auteur conçoit son ouvrage comme un élément chronologique et le destine à une lecture progressive selon l'ordre des pages. Il inclut certainement la possibilité d'être lu en diagonale ou d'avant en arrière, mais jamais dans une optique de la « non-séquentialité ». C'est ce qui marque pleinement l'originalité d'un hypertexte littéraire comme les Pages Blanches. Si le lecteur veut comprendre l'œuvre tout en en préservant le caractère hypertextuel, il doit obligatoirement partir du tableau et y revenir, formant ainsi un parcours circulaire où s'opère le déplacement d'un point déterminé qui lui évite de se perdre. C'est ainsi qu'il ne peut être que lecteur ambulant muni d'une intention précise et d'un plan solide qui oriente sa transformation et le transforme d'un simple lecteur curieux en un lecteur qui assume la fonction de coordination et d'assemblage des fragments dans un tous les contenant et leur offrant harmonie et cohérence. Si le narrateur s'est qualifié d'assembleur de fragments qu'il aurait trouvés par hasard, ce qualificatif convient davantage au lecteur aux multiples facettes.
2.3. Du lisible au visible
La dimension textuelle et diégétique est enrichie avec une forme d'écriture visuelle qui donne une importance à l'œuvre numérique. Nous distinguons, en effet, des GIF animés, des illustrations, des images, documents audiovisuels et des animations en vue d'intégrer le lecteur dans le prolongement de l'histoire. C'est toute la subjectivité inconsciente de l'internaute qui est interpellée à travers le déclenchement de son émotion et la stimulation de sa participation loin des préjugés et des inhibitions de toutes sortes.
Les œuvres de littérature numérique, comme nous l'avons vu précédemment, s'intéressent à la qualité visuelle du texte. L'absence d'instances éditrices qui poursuivent le travail de l'écrivain donne à ce dernier de nouvelles fonctions à remplir ; la mise en page, la typographie.... Les éditeurs s'occupent de l'œuvre en tant que contenant, c'est à dire objet. Plus qu'une lecture, le livre fait aussi appel à un regard.
Dans les Pages Blanches, l'écran lui-même fait sens lorsque l'on débouche notamment sur les pages [j] et [a] renvoyant à des pages complètement blanches ou noires.
Grâce à sa structure dense, bâtie sur le laconisme et le découpage – qui a créé une rupture d'avec le discours achevé au sens unique et connu –, l'œuvre de littéraire numérique permet de réaliser un décalage depuis le narratif vers le poétique. En effet, toutes les formes de corrélation textuelles ne sont qu'un rejet des liens conventionnels au sein de la langue, et un appel à l'autonomie et à la multiplicité sémantique, organisationnelle ou classificatoire. La structure fragmentaire est consolidée par un ensemble de décalages qui renversent l'ordre narratif, libérant la phrase, les mots et les nœuds de tout ce qui les alourdit et qui peut en gêner la compréhension.
Conclusion
Pour conclure, nous dirons qu'avec le numérique s'ouvre un nouvel espace d'écriture dont les modalités sont infiniment plus riches et plus diverses que celles offertes par les supports précédents. La littérature numérique cherche à faire écran à notre réception de l'œuvre, à contrer nos habitudes de lecteur. Le lecteur s'implique complètement dans l'acte de lire, il n'est plus l'entité passive qui reçoit les mots et leurs sens mais agit directement sur l'œuvre, la manipule (ou se fait manipuler) à son tour, ses actions et décisions influant sur le déroulement des événements. L'ère du numérique, c'est donc une ère de renouvellement non pas du texte, mais de notre rapport au texte. Comme le soutient Samuel Archibald dans Le Texte et la technique « L'inattention à la matérialité des supports est un tribut qu'une théorie du texte ne peut plus payer » [7]. Autrement dit, par le biais des liens, le texte montre comment il a été tissé. Le curseur, indice de la dimension interactive d'un site, invite le lecteur à « lire sa propre lecture ».
Le support numérique ouvre de nouveaux horizons à la littérature. Par les outils technologiques qu'il offre tout d'abord, mais aussi par l'espace de diffusion qu'il offre à la différence de l'espace papier. Le potentiel que génère l'animation de l'œuvre permet une pluralité de lectures ; l'hypertexte abolit la frontière spatiale propre au texte imprimé. Cette potentialité invite le lecteur à un nouveau type de manipulation, à une indépendance qui n'existait pas à l'ère qu'il faudra peut-être appeler celle du papier.
En exposant sa mécanique, le texte renonce ainsi en partie à cette illusion qu'il donne traditionnellement, de s'énoncer et de se raconter « tout seul ». Certes, cette caractéristique du lien hypertexte peut être mise à profit pour, justement, en finir avec certaines conceptions mystifiantes du texte ; le lien permet ainsi au lecteur d'accéder aux sources d'inspiration de l'auteur, à des définitions, à des suggestions de lecture.
Il s'agirait donc pour le lecteur d'accepter de repenser le texte pour repenser la littérature, de se délester d'une vision figée du texte là où les auteurs de littérature numérique cherchent justement à insuffler une évolution, voire une révolution, sur les conventions d'écriture et de lecture.
Latifa Chahbi
Jaouad Boumaajoune
Université Abdelmalek Essaadi,
Laboratoire de Recherche sur le Maghreb et la Méditerranée,
Tétouan, Maroc
Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification).
http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/
Bibliographie
Marc Etc. (1996), « les Pages Blanches, histoires d'@. Histoires d'anonymat, d'amour, d'isolement, d'inflation du silence ».
Sur http://www.archives.cicv.f\HYP\hypert.html
Bouchardon, S. (2009). Littérature numérique : le récit interactif. Paris : Hermès Science
Bootz, P. (2006). Les Basiques : La littérature numérique, Leonardo Olats (collection les basiques),
http://www.olats.org/livresetudes/basiques/litteraturenumerique/basiquesLN.php
Bouchardon, S. (2002). « Hypertexte et art de l'ellipse », dans Les Cahiers du numérique, La navigation, vol. 3-n°3. Paris : Hermès, 65-86.
Clément, J. (2003). « Hypertexte et fiction : la question du lien », dans Hypertextes – espaces virtuels de lecture et d'écriture, Québec : Nota Bene,
http://cv.uoc.edu/~04_999_01_u07/clement9.html
Samuel Archibald, (2009) Le Texte et la technique, Montréal, Le Quartanier
Vandendorpe, C. (1999). Du papyrus à l'hypertexte. Montréal : Éditions de la Découverte.
NOTES
[1] http://www.olats.org/livresetudes/basiques/litteraturenumerique/basiquesLN.php
[2] Bootz, P. (2006). Les Basiques : La littérature numérique, Leonardo Olats (collection les basiques), http://www.olats.org/livresetudes/basiques/litteraturenumerique/basiquesLN.php
[3] Ibid.
[4] Jean Clément, 2001, La littérature au risque du numérique, Lavoisier, 2001-1, Vol.5, Pages 113 à 134.
[5] Marc Etc. (1996), Les Pages Blanches, histoires d'@. « Histoires d'anonymat, d'amour, d'isolement, d'inflation du silence ». Sur http://www.archives.cicv.f\HYP\hypert.html
[6] Ibid.
[7] Samuel Archibald, (2009) Le Texte et la technique, Montréal, Le Quartanier.
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