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Des professeurs pour enseigner l'informatique
La dépendance par rapport aux GAFAM
La spécialité NSI
L'agrégation d'informatique
 

   Le nombre de candidats inscrits au Capes externe NSI (session 2021) est en baisse : 655 candidats inscrits contre 1 118 en 2020, malgré le doublement des postes, passés de 30 à 60. Rappelons qu'en 2020 12 lauréats du même Capes externe NSI sur 30 avaient démissionné.

   Ces constats sont à mettre en relation avec un phénomène inquiétant qui a tendance à se développer, à savoir celui de professeurs qui abandonnent leurs classes en cours d'année et qui ne sont pas remplacés (en mathématiques, langues vivantes...). L'informatique n'est donc pas seule concernée, toutes les disciplines le sont peu ou prou.

   Il y a une profonde désaffection pour le métier d'enseignant qui s'avère de plus en plus difficile à exercer. De plus, les professeurs français sont particulièrement mal rémunérés (avant-dernière place en Europe) et l'on ne voit toujours pas venir la revalorisation. La crise de recrutement est évidente : c'est grave quand la situation d'un pays ne suscite pas les vocations enseignantes dont il a impérativement besoin, à une époque où la connaissance joue le rôle que l'on sait.

   Cette situation est inquiétante car, pour aller vers un enseignement d'informatique de culture générale pour tous les élèves, les besoins en enseignants sont considérables. Or le trop-plein ne menace pas.

   Le bureau de l'EPI est préoccupé par les témoignages de collègues de différentes disciplines qui assurent actuellement l'enseignement de la spécialité NSI. Beaucoup  sont inquiets de la fragilité de leur situation. Notre propos n'est évidemment pas d'opposer aux certifiés et futurs agrégés les enseignants qui au prix d'efforts importants de formation ont assuré le démarrage de la spécialité NSI, car nous avons besoin de tous et de toutes. Mais, outre les inquiétudes et le découragement suscités chez nos collègues, nous ne pouvons accepter l'idée de la perte de compétences, lourdement acquises, par manque de  solutions institutionnelles.

   Il faut mettre en place des solutions administratives nouvelles pour répondre à des situations exceptionnelles. Il ne doit pas y avoir concurrence entre différents statuts enseignants mais complémentarité. Les titulaires du Capes NSI doivent être nommés dans un établissement qui souhaite créer la spécialité NSI sans disposer d'enseignants sur place. Un enseignant NSI (ayant souvent un DIU informatique) souhaitant sa mutation doit pouvoir se voir proposer un établissement demandeur. Le DIU informatique doit être pris effectivement en compte.

   Le contexte de colonisation informatique de notre pays, et de l'Europe en général, par les GAFAM montre à l'évidence que nous avons de plus en plus besoin de compétences informatiques fortes et donc que le système éducatif (enseignements général et technologique) doit répondre massivement aux enjeux importants pour le pays. Ce qui est fait actuellement est notoirement insuffisant.

La dépendance par rapport aux GAFAM

   « L'Europe est confrontée à une problématique de taille : sa dépendance à des services et outils non européens pour une grande majorité de ses activités numériques. Ainsi, 92 % des données occidentales sont hébergées aux États-Unis » [1]. L'utilisation des systèmes des GAFAM, présentés comme gratuits, mais dont la rentabilité est basée sur la monétisation des informations, pose notamment la question de la confidentialité des données personnelles, du non-respect du RGPD (Règlement général de protection des données), sans parler des relations étroites des GAFAM avec les services secrets américains en ces temps d'espionnage de responsables politiques européens par les États-Unis d'Amérique. Rappelons que le Cloud Act permet aux autorités américaines d'obtenir de la part des opérateurs télécoms et des fournisseurs de services américains basés sur le cloud (comme les applications collaboratives) des informations stockées sur leurs serveurs qu'ils soient situés aux États-Unis ou en dehors. « L'extraterritorialité » des lois américaines engendre de légitimes inquiétudes. Le gouvernement français dit vouloir rapatrier le Health Data Hub hébergé chez Microsoft.

   La pandémie a démontré, encore plus fortement, combien manquent des alternatives nationales ou européennes. La question se pose de savoir pourquoi le Ministère de l'Éducation nationale a choisi depuis de nombreuses années de dépenser des sommes considérables au bénéfice de Microsoft et Google plutôt que d'investir dans des infrastructures et de rémunérer du personnel compétent, ce qui nous aurait permis de miser sur des solutions logiciels libres auto-hébergées. Pourquoi ces accords avec Microsoft signés par l'Éducation nationale ? Pourquoi payer sans fin des royalties à Microsoft plutôt que d'avoir une politique de développement des logiciels libres ? Et rappelons que les GAFAM payent très peu d'impôts (neuf fois moins que ce qu'ils devraient payer !) et donc, par exemple, ne participent pas comme ils le devraient au financement des services de santé des pays dans lesquels ils font des profits considérables.

   En mai 2017, suite à un courrier du directeur de la DNE (Direction du numérique pour l'éducation, Ministère de l'Éducation nationale) indiquant qu'« il n'y avait pas de réserve générale sur l'usage des outils liés aux environnements professionnels chez les grands fournisseurs de service du web », l'EPI publiait un communiqué dans lequel elle affirmait qu'« on ne devait pas donner les clés de la maison Éducation nationale aux GAFAM » et nous demandions la non-reconduction de la convention signée en novembre 2015 entre Microsoft France et l'Éducation nationale [2].

   Mais les choses évoluent. À la suite d'une saisine par la Conférence des présidents d'université et la Conférence des grandes écoles sur l'utilisation des « suites collaboratives pour l'éducation » proposées par des sociétés américaines [3], la CNIL appelle à des évolutions dans l'utilisation des outils collaboratifs étatsuniens pour l'enseignement supérieur et la recherche, alerte sur le risque d'accès illégal aux données personnelles avec les outils numériques américains. Elle estime que les applications collaboratives américaines Zoom et autres Microsoft Teams posent des problèmes dans l'hébergement des données personnelles, notamment les données de santé. Il est donc « nécessaire que le risque d'un accès illégal par les autorités américaines à ces données soit écarté », souligne la CNIL. En attendant, l'enseignement supérieur doit donc se passer de ces applications et utiliser des solutions alternatives estime la Commission qui promet d'accompagner ces organismes, de les aider à identifier ces alternatives européennes voire françaises qui existent. Et bien entendu les enseignements primaire et secondaire sont aussi concernés.

   Mais, dans une tribune sur zdnet, Jean-Paul Smets pose la question de savoir pourquoi les technologies libres ou européennes de cloud, pourtant nombreuses et compétitives, sont de fait exclues des marchés publics en France ? [4]. En effet, il constate que le gouvernement français met en avant « les entreprises qui utilisent ou distribuent des technologies US de cloud (Atos, Orange, OVHCloud, etc.) », tandis que les industriels européens de technologies de cloud sont eux largement ignorés. Jean-Paul Smets annonce que les industriels européens du cloud vont bientôt créer une nouvelle initiative : Euclidia (European Cloud Industrial Alliance). Affaire à suivre, de près

   Par ailleurs, signalons les conclusions des travaux de la mission d'information sur les géants du numérique présentées par les députés Alain David et Marion Lenne [5]. Les rapporteurs montrent le retard global et très important de l'informatique européenne, hétérogène selon les pays, sur les géants américain et chinois mais aussi ses potentialités. Il est encore temps de réagir.

La spécialité NSI entre Première et Terminale

   En 2012, l'option ISN est créée. Puis récemment NSI, SNT, un Capes et une agrégation d'informatique. Des avancées significatives pour lesquelles nous avons multiplié les actions et dont nous nous sommes félicités. Elles donnent satisfaction dans nombre de lycées mais des problèmes demeurent, en premier lieu de moyens. Et l'on ne perçoit pas, répétons-le, la perspective d'un enseignement de culture générale d'informatique conséquent pour tous les élèves. En cette fin d'année scolaire, France Inter a parlé des nouvelles spécialités au lycée, de NSI notamment [6]. « Parmi les 12 enseignements de spécialité qui existent, c'est l'un de ceux que les élèves abandonnent le plus, presque autant que le latin. Décevant pour cette nouvelle discipline au lycée, alors que les besoins en informatique sur le marché du travail sont colossaux. ». Ils étaient 53,8 % l'an dernier.

   Parmi les raisons, selon Charles Poulmaire, professeur de NSI dans un lycée des Yvelines et président de l'Association des enseignants d'informatique de France (AEIF), une association récente, cette nouvelle spécialité n'est pas indispensable pour accéder à certaines filières de l'enseignement supérieur, et donc les élèves restent sur des disciplines qu'ils connaissent : « Ils se réfugient dans un choix classique avec des visions du post-bac issues de leurs parents, de leurs frères et sœurs. Ils reproduisent un ancien système par peur de la nouveauté. On leur explique que maintenant les choses sont en train de changer mais ça change lentement ! », regrette Charles Poulmaire. Un Capes d'informatique a donc été créé l'an dernier mais, la spécialité n'étant pas enseignée dans tous les lycées, les établissements de l'enseignement supérieur ne peuvent pas l'exiger.

   Si la discipline informatique n'est pas suffisamment valorisée auprès des élèves, les débouchés sont pourtant considérables, comme le dit Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire (Dgesco) : « Il n'y a absolument aucun doute sur le fait que c'est une spécialité qui débouche sur des filières à fort taux d'insertion professionnelle et des insertions qui sont à la fois intéressantes avec des progressions de carrières et des niveaux de rémunération qui sont également attractifs. »

   Comme le demande l'EPI depuis de nombreuses années, il reste à définir une politique volontariste cohérente dans la durée. Nous sommes en 2021. Il ne suffit pas que le Ministère de l'Éducation nationale invoque à la moindre occasion l'importance cruciale pour le pays des datas, de l'IA, voire de l'ordinateur quantique... et les besoins correspondants, il faut aussi qu'il donne les moyens (programmatiques, matériels, humains) de susciter massivement des vocations dès le secondaire.

   Un mot sur le déroulement concret du Grand Oral. Des professeurs parlent de l' «organisation du chaos » réalisée par des responsables « déconnectés de la réalité ». C'est tout dire. Et cela après une non-préparation des élèves dénoncée par les enseignants et leurs syndicats.

L'agrégation d'informatique

   Une bonne nouvelle pour terminer. Dans le JORF du 13 juin 2021, il est question de la création de l'agrégation externe d'informatique [7]. A) Épreuves d'admissibilité - B) Épreuves d'admission. Effet au 1er septembre 2021. Nous y reviendrons.

   Bonne santé à tous et respect des gestes barrières, la pandémie n'est pas finie.

Le 14 juin 2021

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] https://cursus.edu/actualites/43615/souverainete-numerique-quel-role-pour-la-recherche

[2] https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1706a.htm

[3] 27 mai 2021 https://www.cnil.fr/fr/la-cnil-appelle-evolutions-dans-utilisation-outils-collaboratifs-etatsuniens-enseignement-superieur-recherche

[4] https://www.zdnet.fr/blogs/l-esprit-libre/tribune-les-technologies-libres-ou-europeennes-de-cloud-sont-elles-exclues-des-marches-publics-en-france-39924119.htm
Jean-Paul Smets est le fondateur de Nexedi il y a 12 ans, puis de Rapid.Space, « un fournisseur européen de cloud "Hyper Open", une façon de faire du cloud qui applique aux activités de service des principes de transparence similaires à ceux du libre dans le logiciel ».

[5] Conclusion des travaux de la mission d'information sur les géants du numérique (Assemblée Nationale).
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_afetr/l15b4213_rapport-information#

[6] https://www.franceinter.fr/nouvelles-specialites-au-lycee-le-flop-de-la-discipline-numerique

[7] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043648279

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Juin 2021

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