Quel dispositif techno-pédagogique
pour le développement en masse
des compétences du 21e siècle
chez les jeunes diplômés ?
Imane Aboutajedyne
Résumé
À l'heure où le débat sur les compétences du 21e siècle s'est orienté de la cause pour laquelle nous devrions les enseigner vers la manière dont nous pouvons les enseigner, la prise de conscience de l'importance du sujet demeure dans certains pays, dont le Maroc, en deçà de cette mutation imposée par le monde d'aujourd'hui. En rapport avec notre recherche, cet article a pour but de donner une idée de notre réflexion sur la conception d'un nouveau processus innovant qui permettrait le développement des compétences du 21e siècle.
Mots clés : compétences du 21e siècle, cMOOC, FOAD.
Introduction
La capacité des diplômés à faire face aux situations en perpétuelle évolution qu'ils vont rencontrer dans leur vie professionnelle est liée en grande partie à la qualité de la formation initiale qu'ils ont suivie dans leur enseignement supérieur. En effet, le diplôme seul semble désormais insuffisant dans un monde mouvant. D'où l'intérêt d'améliorer l'aptitude de chaque futur diplômé à acquérir des habilités, des capacités, des connaissances et des attitudes essentielles pour optimiser les composantes de son employabilité. Ce qui met en évidence aussi l'importance de l'apprentissage continu dont les jeunes diplômés doivent prendre conscience pour faire face à l'accélération des nouveautés.
À l'évidence, un « apprentissage en profondeur » suscite des améliorations au niveau des stratégies pédagogiques et interpelle des approches nouvelles pour le favoriser.
Dans cette optique, les finalités poursuivies par la vision stratégique 2015-2030 visent essentiellement le passage d'une pédagogie fondée sur la transmission des connaissances à une pédagogie qui implique l'apprenant dans la construction de son apprentissage en développant son autonomie et en encourageant ses initiatives. Ce qui nous amène à repenser la nature des compétences que doivent posséder les apprenants à leur sortie de l'université et comment les développer ultérieurement.
1. Les compétences du 21e siècle
Nous nous appuyons sur une classification qui fait consensus, retenue par l'OCDE. Il s'agit d'un cadre fondé par le partenariat pour les compétences du 21e siècle (P21) [1]. Il englobe douze compétences essentielles réparties en trois catégories :
Compétences cognitives, ou liées à l'apprentissage (Learning skills – 4C) : Critical Thinking (Pensée critique), Créativité, Coopération, Communication.
Compétences littéraires (Litteracy skills) : Information, Média, Technologie.
Compétences liées au quotidien (Life skills) : Flexibilité, Initiative, Sociabilité, Productivité Leadership.
Figure1 : Cadre d'apprentissage du 21e siècle (Partenariat 21, 2019).
Nous nous focalisons sur les compétences cognitives ou liées à l'apprentissage. Le partenariat les considère comme les compétences qui font la différence entre les apprenants qui sont préparés à des environnements de vie et de travail de plus en plus complexes et ceux qui ne le sont pas. Nous identifions ces compétences comme suit :
Créativité : Elle consiste à innover, à mettre en avant de nouvelles façons de penser, et à concevoir de nouvelles idées et solutions.
Pensée critique : il s'agit d'analyser, d'interpréter et de synthétiser l'information pour s'assurer de son objectivité, sa fiabilité et son actualité.
Communication : c'est la capacité d'exprimer des pensées de façon claire et efficace, oralement et par écrit, de défendre des idées et utiliser divers média pour communiquer.
Coopération : il s'agit d'apprendre des autres et contribuer à l'apprentissage d'autrui, co-construire du savoir, du sens et du contenu.
2. Optimisation de l'employabilité des jeunes diplômés
Préparer les apprenants au travail et à la vie au 21e siècle constitue un défi de taille. L'apparition de nouveaux métiers et la disparition d'autres [2] signifie, d'après Lamri (2019), qu'un assemblage de compétences n'est plus assez adéquat et qu'un nouvel assemblage est sollicité.
En 2010, une étude [3] a été menée pour identifier les connaissances, savoir-faire et aptitudes les plus en demande sur le marché du travail. En utilisant une base de données vivante et évolutive nommée « O*Net » [4], les résultats ont montré que parmi les dix aptitudes les plus demandées, huit sont cognitives. Ceci dit, que la place de la technicité demeure importante mais elle ne suffit plus dans le monde d'aujourd'hui si elle a un jour suffit.
Au surplus, la durée de vie des compétences créant de la valeur ajoutée est réduite qu'auparavant (elle est entre 6 mois et 5 ans), il s'agit bien « d'obsolescence des compétences » (Lamri, 2019). Donc, il s'avère nécessaire que les jeunes adoptent rapidement une culture de l'apprentissage continu et de la formation tout au long de la vie.
Dans la même veine, apprendre à apprendre constitue une compétence fondamentale qui permet à un apprenant de se perfectionner et d'optimiser son employabilité.
Il convient de signaler que le développement des compétences et l'apprentissage tout au long de la vie figurent parmi les priorités de la vision stratégique 2015-2030. Pour relever les défis qu'ils leur sont liés, la réforme préconise de promouvoir l'apprentissage à distance comme un complément aux cours en présentiel à travers l'adoption de programmes et d'outils numériques et interactifs et de favoriser la formation hybride.
Ainsi, il semble important d'aller au-delà d'une transmission passive du savoir des enseignants aux apprenants (Riyami, 2018) et d'innover notre pédagogie en optimisant l'exploitation des technologies de l'information et de la communication (TIC) par les apprenants aussi bien que par les enseignants pour développer, entre autres, les compétences susmentionnées.
3. cMooc : un processus participatif au service de développement de compétences
L'introduction des innovations technologiques dans l'enseignement représente à la fois une nécessité et une opportunité suite à une demande en masse et surtout à une révélation des lacunes au niveau de la formation initiale en termes de compétences du 21e siècle.
Tout au long d'un siècle, plusieurs formes de formation à distance se sont succédées, la Formation par Correspondance, l'Enseignement à Distance (EAD), la Formation à Distance (FAD), la Formation Ouverte et à Distance (FOAD), les MOOC (Massive Open Online Courses), et les SPOC (Smal and Private Online Courses) qui ne peuvent être considérés qu'un retour à la FOAD. Nous adoptons un type de MOOC comme composante dans le dispositif que nous proposons dans notre recherche.
Nous nous intéressons à la forme de formation à distance dite connectiviste (cMOOC) [5]. Afin de la mettre en évidence, nous la distinguons de la forme dite transmissive (xMOOC).
Selon Belleflamme et Jacqmin (2014), il est utile de les distinguer au niveau de ressources pédagogiques utilisées. Les xMOOCs reposent sur la transmission d'un contenu exogène « c'est-à-dire élaboré par une équipe d'enseignants ». D'ailleurs, lorsque nous visons le développement des compétences transversales, un changement des pratiques pédagogiques centrées sur le contenu s'avère nécessaire. Les exigences de la vie et du travail, au 21e siècle, vont au-delà de la connaissance du contenu, affirme Scott (2015).
D'après les mêmes auteurs, les cMOOCs « cherchent plutôt à favoriser l'interaction entre participants pour les amener à construire ensemble le contenu ». Il s'agit, en effet, d'un apprentissage collaboratif où l'apprenant se sert des ressources du groupe pour apprendre (Souhait et Hernandez, 2016) [6]. D'après Downes (2007) [7], le connectivisme s'appuie fondamentalement sur l'opportunité d'apprendre tout en développant des compétences.
Compagnon (2014) [8] a montré que la performance de ce type de MOOC est faible en matière de formation initiale, alors que leur intérêt est confirmé pour la formation continue des diplômés de l'enseignement supérieur. Ce sont eux qui bénéficient de cet enseignement puisque ils cherchent à affiner leurs compétences plutôt qu'acquérir des connaissances de base (Tharindu, 2015) [9] .
4. Formalisation de l'idée de recherche
La formation ouverte et à distance (FOAD) est considérée comme « une forme de succès » de la formation à distance (FAD) en termes de développement des compétences de haut niveau (Aboutajdyne, 2014). Ce concept (FOAD) est défini par le consensus de Chasseneuil (2001) comme « un dispositif organisé, finalisé, reconnu comme tel par les acteurs, qui prend en compte la singularité des personnes dans leurs dimensions individuelles et collectives, et repose sur des situations d'apprentissage complémentaires et plurielles en termes de temps, de lieux, de médiations pédagogiques humaines et technologiques, et des ressources ».
Parmi les cinq modalités de la FOAD qui ont été identifiés par la typologie COMPETICE [10] en fonction du degré d'intégration des TICE, nous mettons l'accent sur un dispositif hybride nommé « le présentiel réduit », au niveau duquel la formation se déroule essentiellement en ligne avec quelques regroupements en présentiel. Cette modalité repose sur une approche dite mixte qui présente un grand potentiel puisque elle rassemble et optimise les avantages de formation présentielle et distancielle (Graham, 2013) [11]. C'est pour cela que nous avons pensé à combiner une FOAD hybride à cMOOC.
Le recours à l'apprentissage hybride apparaît comme la solution appropriée visant l'amélioration de la qualité des apprentissages en matière de compétences, en s'appuyant sur la mise en relation des apprenants.
L'organisation d'une communauté d'apprenants peut largement contribuer à réduire les risques de décrochage inhérents à ce type de formation à distance. D'où justement l'avantage de quelques rencontres en présentiel pour dynamiser la communauté et appuyer sur les points essentiels ou difficiles abordés en dehors de la présence de l'enseignant.
Les cMOOC s'inscrivent dans ce sens-là. Dans la mesure où ils se basent sur la création des réseaux d'apprentissage et le partage de savoirs en étant comme un levier principal dans la mise en œuvre d'une connaissance (Tahiri et al., 2014).
En voyant de près les activités autour desquelles s'articulent les cMOOC, nous en citons quatre qui sont essentielles : l'agrégation, le remixage, la reproposition et la transmission [12]. Sans vouloir entrer dans les détails de chaque activité, nous dirons simplement qu'elles ont toutes pour objectif de responsabiliser les apprenants et leur donner un rôle actif vis-à-vis de leur apprentissage, dans la mesure où elles les conduisent à : consulter, choisir et filtrer les ressources les plus adaptées à leurs objectifs d'apprentissage, les interpréter, s'en servir pour créer de nouvelles idées et interprétations, et diffuser ce qu'ils ont créé auprès des autres participants.
En effet, ces activités font référence à l'ensemble des compétences du 21e siècle, précédemment évoquées, que sont la pensée critique, la collaboration, la créativité et la communication.
De là, dans un cMOOC l'apprenant peut jouer trois rôles selon O'Brien et al. (2017) [13], à savoir : participant, contributeur et enseignant. Il peut participer aux activités proposées, produire des contenus, évaluer ceux de ses pairs et proposer de nouvelles activités en adéquation avec le cours. Comme le précise Downes(2013) [14], dans un cours connectiviste l'apprenant peut apprendre comment il apprend tout en aidant les autres apprenants à apprendre. En effet, la forme d'un cours de type « cMOOC » rime avec les stratégies préconisées dans l'enseignement-apprentissage au 21e siècle.
L'enjeu est d'apporter une nouvelle conception et articulation de formation afin d'appuyer un processus qui permet le développement de ces compétences du 21e siècle.
En effet, dans notre recherche, nous avons opté pour un dispositif d'une formation ouverte et à distance (FOAD) hybride (avec présentiel réduit) supplié par un MOOC collaboratif (cMOOC) que nous pouvons nommer FOAD-cMOOC. En se focalisant sur les quatre compétences transversales à développer, précédemment explicitées. Sans oublier la cinquième compétence de maîtrise des TIC naturellement considérée comme un prérequis relatif à toute formation à distance.
Conclusion
Notre projet de recherche consiste d'abord, à concevoir un parcours de formation qui peut être déployé dans un dispositif combinant une FOAD, à présentiel réduit, à un cMOOC. Cela conçu de manière à incorporer les ingrédients nécessaires pour pouvoir contribuer efficacement au développement des cinq compétences transversales. Ensuite, à proposer les conditions nécessaires pour qu'un tel dispositif puisse contribuer au développement de ce type de compétences.
Dans de prochains articles nous vous mettrons au courant, au fur et mesure, de la progression de notre recherche.
Imane Aboutajedyne
Équipe : Recherches Interdisciplinaires pour
l'Innovation en Didactique et en Capital Humain (RIIDCH)
Faculté des Sciences de l'Éducation (FSE)
Université Mohammed V, Rabat, Maroc
imane.about@gmail.com
Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification).
http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/
Références bibliographiques
Aboutajdyne, M. (2014). Place de la FOAD à l'ère des MOOC : Vers une typologie, des contextes d'usages pédagogiques des MOOC, capitalisant sur l'expérience de la FOAD.
Bakki, A. (2018). Modèle et outil pour soutenir la scénarisation pédagogique de MOOC connectivistes [PhD Thesis]. Université du Maine ; Université Ibn Zohr (Agadir, Maroc).
Belleflamme, P. & Jacqmin, J. (2014). Les plates-formes MOOCs. Menaces et opportunités pour l'enseignement universitaire. Regards Économiques.
Bof, J., Demarcin, E., Deltour, C., Jamart, G. & Masset, A. (s.d.). Les MOOcs dans les programmes d'enseignement supérieur : un modèle a suivre ?
Framework for 21st century learning definitions. (2019).
http://static.battelleforkids.org/documents/p21/P21_Framework_DefinitionsBFK.pdf
Collectif de Chasseneuil, « Accompagner des formations ouvertes », in Conférence de consensus, Paris, 2001.
Eyitayo, H. (s.d.). La rétention dans l'apprentissage en ligne des technologies de l'information : Le cas des cours en ligne privatisés (SPOCs). 126.
Lamri, J. (2020). « Les compétences du 21e siècle – Comment faire la différence ? Créativité, Communication, Esprit Critique ».
Miraoui, A. (2019). L'université de demain. Comment former les nouvelles générations ? Vers l'université 4.0.
https://www.linkedin.com/posts/abdellatif-miraoui-51b3ba40_université-de-demain-ugcPost-6618489089693892608-LZEg
Riyami, B. (2018). Analyse des effets des TIC sur l'enseignement supérieur au Maroc dans un contexte de formation en collaboration avec une université française. 168.
Scott, C. L. (s.d.). Les apprentissages de demain 2 : 2015, 18.
Souhait, M., Thévenot, P., Hernandez, L., Chevalier, S. & Duval, R. E. (2018, juin). Développer ses compétences transversales pour réussir ses études en santé. Colloque international : Apprendre, Transmettre, Innover à et par l'Université Saison_2. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01950793
Tahiri, J. S., Bennani, S. & Idrissi, M. K. (2014). MOOC... Un espace de travail collaboratif mature : Enjeux du taux de réussite. Communication présentée à la 2e édition de la Conférence francophone sur les systèmes collaboratifs (SysCo'2014), Hammamet, Tunisie.
Récupéré de http://www.researchgate.net.
Vision stratégique de la réforme 2015-2030.
https://www.men.gov.ma/Fr/Documents/Vision_strateg_CSEF16004fr.pdf
NOTES
[1] Coalition de dirigeants des entreprises et d'éducateurs, basé aux États-Unis. Cité par Scott (2015).
[2] D'après le rapport sur l'avenir de l'emploi, world Economic Forum (2018). Cité par Miraoui (2019).
[3] Citée par Ouellet et Ann Hart (2013).
[4] « O*Net » est un système d'information sur les occupations des États-Unis pour identifier les compétences du 21e siècle.
[5] Relativement au connectivisme.
[6] Cité par Souhait et al. (2018).
[7] Cité par Tahiri et al. (2014).
[8] Cité par Bof et al. (2014).
[9] Cité par Eyitayo (2013).
[10] Est un outil de pilotage des projets par les compétences. « Il vise essentiellement à contribuer à la professionnalisation de tous les acteurs qui œuvrent à l'intégration des TICE (Technologie de l'Information et de la Communication pour l'Enseignement) dans les pratiques d'enseignement-apprentissage de l'enseignement supérieur. » (Frédéric Haeuw, 2002).
http://www.novantura.com/wiki/wakka.php?wiki=Competence
http://www.novantura.com/wiki/wakka.php?wiki=Competice
[11] Cité par Eyitayo (2013).
[12] Ibid.
[13] Cité par Bakki (2018).
[14] Ibid.
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