L'enseignement à distance au Maroc
à l'heure du Covid-19
Driss Louiz
À l'heure de la pandémie du Coronavirus et après l'état d'urgence sanitaire déclaré par le royaume du Maroc, le ministère de l'Éducation Nationale de la Formation Professionnelle, de l'Enseignement Supérieur et de la recherche Scientifique a pris d'importantes mesures préventives afin d'assurer la continuité pédagogique de l'année 2019-2020 et a décidé la suspension des cours dans les différents établissements scolaires et universitaires des secteurs publics et privés. Le but est, en effet, de lutter contre la propagation de la pandémie Covid-19 à partir du 16 mars 2020 et ce jusqu'au 20 mai 2020. Cette décision, prise à temps selon certains experts dans le domaine de l'éducation, a été largement applaudie par les différents acteurs de la société marocaine. Les cours en présentiel ont été remplacés par un enseignement à distance.
Face à cette situation de crise des questions se posent :
- Les enseignants et apprenants ont-ils été préparés à affronter cette situation imprévisible ?
- Les responsables de l'éducation ont -ils été formés à l'enseignement à distance ?
- Quels moyens a-t-on mis à leurs dispositions pour résoudre cette problématique ?
- Fait-on bon usage des technologies dans le monde de l'éducation ?
- Est-ce que la fracture numérique a été surmontée ?
Dans cet article, nous essayerons d'apporter quelques éléments de réponse à ses questions sachant que d'autres interrogations demeurent en suspens.
1. Constat général
Le Ministère de l'Éducation nationale depuis plus d'une décennie a introduit l'enseignement des technologies de l'information et de la communication (TIC) au profit des étudiants universitaire (module TIC pour les étudiants du semestre 5) et des professeurs stagiaires dans les centres régionaux de la formation et de l'Éducation (CRMEF). Une bonne partie d'enseignants relevant du scolaire a bénéficié de formation continue dispensée dans le cadre de la stratégie du programme GENIE (Généralisation des Technologies d'Informations et de communication dans l'Enseignement au Maroc et le Centre marocco-coréen de la formation (CMCF).
Les principaux objectifs arrêtés par la stratégie GENIE en 2006 visent à :
- faire participer activement les enseignants à intégrer les TICE dans l'enseignement ;
- contribuer à améliorer la qualité de l'enseignement et de l'apprentissage par l'exploitation des TICE.
Il faudrait, peut-être, rappeler que ces formations n'ont pas touché tous les enseignants car elles n'étaient pas obligatoires. Mais, un bon nombre de ces professeurs, soucieux d'innover, ont manifesté leur intérêt pour suivre ce type de formations. Des concours ont été organisés, dans ce sens, par le ministère de tutelle en vue d'encourager les projets autour des TICE et en octroyant des prix aux enseignants innovants.
2. Situation actuelle à l'heure du Covid-19
2.1. L'enseignement supérieur
Dans l'enseignement supérieur marocain, chaque université marocaine dispose de sa propre plate-forme ; il est évident que les étudiants, aujourd'hui, ont leur compte institutionnel qui leur permet d'accéder à ces plates-formes, carrefour d'échange d'informations et de partage de documents. Les étudiants sont relativement initiés à ce genre de plate-forme telles que Moodle ou Google Classroom.
Il s'avère également que la majorité des enseignants ont leurs espaces dans ce type de plates-formes et y déposent leurs cours en ligne. Si nous prenons l'exemple de l'université d'Ibn Tofail, les enseignants ont également la possibilité d'enregistrer leurs cours sous forme de MOOC (Massives open on line courses), ou CLOM en français (Cours en ligne massifs et ouverts ) un studio d'enregistrement est mis à leur disposition.
Nous reconnaissons qu'il y a encore des efforts à faire dans ce sens car d'autres enseignants ne sont pas encore impliqués dans ce nouveau mode d'enseignement. Il faut signaler que l'un des avantages de cette épidémie c'est qu'un nombre important d'enseignants s'est mobilisé pour réussir cet enseignement à distance. Beaucoup d'efforts fournis par les différents acteurs de l'éducation ont vu le jour en vue de surmonter cette crise. À travers, donc, les différents réseaux sociaux, nous avons observé plusieurs initiatives dans le but d'aider les étudiants à une formation à distance. Ces derniers, de leur côté, se sont montrés impliqués dans ce nouveau mode d'enseignement-apprentissage.
Selon le Centre universitaire des ressources informatiques (CURI) qui relève de l'université et pour faire face à cette situation de crise en vue de trouver des solutions urgentes, plusieurs classes virtuelles ont été créées via la plate-forme de Google Classroom dont voici les statistiques jusqu'à la première semaine d'avril 2020, elles sont résumées dans le tableau ci-après. Nous rappelons que ces statistiques n'incluent pas les autres cours déposés dans la plate-forme Moodle de l'université :
Établissements |
Classes virtuelles |
École de Chimie |
2 |
École Supérieure de l'Éducation et de la Formation |
69 |
École Nationale de Commerce et de Gestion |
39 |
École Nationales des Sciences Appliquées |
65 |
École Supérieure de Technologie |
35 |
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines |
94 |
Faculté des Sciences |
296 |
Faculté des Sciences Juridiques Économiques et Sociales |
222 |
Total |
822 |
2.2. L'enseignement scolaire
À l'instar de l'enseignement supérieur, l'enseignement scolaire, de sa part, s'est mobilisé pour lutter contre cette épidémie, qui a causé l'arrêt des cours en présentiel, par le biais de la création de plusieurs plates-formes pédagogiques. Outre les chaînes nationales (Attaqafia, Laayoune, Arrabiaa) qui ont arrêté leurs programmes pour diffuser les contenus des différents cycles de l'enseignement, le ministère de l'Éducation nationale a mis en place au profit du scolaire des classes virtuelles par le biais de la plate-forme Teams à travers. S'ajoute à cela, les initiatives personnelles émanant des enseignants à travers la création, et la diffusion des capsules vidéos conçues à cet effet afin de venir en aide aux élèves qui sont censés passer des épreuves certificatives à la fin de l'année scolaire.
Il est également à signaler et comme nous l'avons cité ci-dessus, une bonne partie du corps enseignants n'a pas été préparée pour faire face à cette situation de crise. Certains enseignants, avec les moyens de bord dont ils disposent, ont eu recours aux réseaux sociaux les plus utilisés au pays pour rester en contact avec leurs apprenants en utilisant Facebook ou plus particulièrement WhatsApp, des canaux de communication habituels leur permettant de partager les documents avec leurs apprenants.
3. Fracture numérique et usage des technologies éducatives
La fracture numérique est non seulement présente du côté des apprenants qui , soit n'ont pas les moyens pour acquérir un smartphone, une tablette, un ordinateur ou une connexion Internet mais également du côté de certains enseignants qui malheureusement n'intègrent pas régulièrement les technologies de l'information et de la communication dans leurs pratiques enseignantes.
Cette difficulté pourrait, à notre sens, être résolue dans un premier temps par une aide octroyée à ces étudiants afin qu'ils disposent d'un outil pour pouvoir suivre à distance des cours, aussi faut-il le rappeler que le ministère a mis en place les chaînes de télévision publiques pour la diffusion des cours et dans un deuxième temps pour toucher une large partie des apprenants issus du milieu rural, il faudrait mettre, dans un deuxième temps, en place des tuteurs pour accompagner les enseignants qui rencontrent des difficultés au niveau de l'introduction du numérique dans leurs classe.
D'autres difficultés constatées lors de cette nouvelle expérience d'usage des technologies c'est que les écoliers, les collégiens et les lycéens n'avaient pas l'habitude d'exploiter, de façon formelle, ce nouveau mode d'apprentissage à distance, ils se trouvent, bon gré, malgré, bombardés de ressources numériques et ne savent à quel saint se vouer notamment si les parents sont incapables de venir en aide à leurs enfants. Autrement dit, enseigner à distance est une bonne chose mais, il faudrait également penser à savoir gérer le partage des ressources au moment opportun pour que l'apprenant ne soit pas perdu dans une avalanche d'informations ou de tâches à exécuter en un temps déterminé.
Dans ce sens, nous citons Thierry Karsenti, expert en technologies de l'éducation, qui montre que « les technologies ont un réel impact sur l'apprentissage, la motivation,... encore faut-il développer l'art d'enseigner avec les technologies »ou encore comme disait Lameul : « il n'existe pas de bonnes ou de mauvaises technologies mais de plus ou moins bonnes pédagogies utilisant les technologies. » (Lameul, 2008, p. 80).
En bref, le rôle de l'école ou de l'université c'est d'abord et avant tout de montrer aux apprenants comment utiliser à bon escient l'usage des technologies de l'information et de la communication et surtout fournir le contexte favorable pour son exploitation.
4. Leçons à tirer de cette pandémie
Dans cette crise du Coronavirus comme dans la vie, il y a toujours des leçons à tirer. Au Maroc comme partout dans le monde, il y a plusieurs types d'enseignants : les innovants, les débutants, les réticents, et les récalcitrants.
Cette pandémie a été une véritable opportunité pour que tout le monde y compris ceux qui ne croient au numérique mettent la main dans les technologies. D'ailleurs, tous les enseignants n'ont pas eu le choix, la seule solution a été de faire du télétravail, surtout pour garder le contact avec ses apprenants.
Les récalcitrants en particulier commencent à comprendre l'utilité des technologies même si elles ne pourraient jamais remplacer l'enseignant mais restent quand même un véritable atout pour résoudre partiellement des problèmes dans un pareil contexte de crise.
Certains parents confinés passent plus de temps avec leurs enfants et découvrent de près comment leurs progénitures apprennent à distance et la façon avec laquelle les enseignants s'acquittent de leurs tâches. D'autres, désagréablement, surpris de ne pouvoir mettre à la disposition de leurs enfants les outils nécessaires, faute de moyens, pour qu'ils assurent cette continuité pédagogique.
Conclusion
Face à cette pandémie qui a obligé plus de la moitié de la population mondiale à se confiner , il s'est avéré que l'enseignement à distance est l'une des solutions efficientes pour répondre aux besoins de nos apprenants. Il va sans dire que le e-learning ne remplacerait jamais l'enseignant, c'est pourquoi il faudrait considérer ce nouveau mode d'enseignement comme un ajout, une plus value qui enrichirait l'enseignement en présentiel. Cette pandémie du Coronavirus devra nous servir de leçon et nous préparer à d'éventuels risques.
Driss Louiz
Laboratoire Langage et Société, Enseignant chercheur
Faculté des Lettres et des sciences humaines
Université Ibn Tofail, Kénitra, Maroc
Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification).
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Bibliographie
Lameul, G. (2008). Les effets de l'usage des technologies d'information et de communication en formation d'enseignants, sur la construction des postures professionnelles , Resumen. Savoirs, (17),71-94.
Louiz, D. (2015). Usage des technologies de l'Information et de la communication dans l'enseignement.apprentissage. Thèse de doctorat codirigée par Malika Bahmad, UIT Ibn Tofail Kénitra et J P Narcy Combes, Université Sorbonne Nouvelle Paris
OCDE. (2015). Connectés pour apprendre- les élèves et les nouvelles technologies.
http://www.oecd.org/fr/edu/scolaire/connectes-pour-apprendre-les-eleves-et-les-nouvelles-technologies-principaux-resultats.pdf
https://www.educavox.fr/alaune/le-numerique-en-education-par-thierry-karsenti
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