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Continuité pédagogique
au temps du confinement
 

   Le Président de la République a annoncé le 13 avril que le confinement, dans sa forme actuelle, est prolongé jusqu'au 10 mai. Sans garantie absolue. Il y a en effet l'évolution de la pandémie et un déconfinement progressif suppose notamment de disposer de masques pour tout le monde, de tests en nombres suffisants, de traitements et de vaccins.

   Autre annonce du Chef de l'État, la réouverture progressive des crèches, écoles, collèges et lycées à partir du 11 mai, avec « des règles particulières, aménagées par le gouvernement dans la concertation : organiser différemment le temps et l'espace, bien protéger les enseignants et les enfants avec le matériel nécessaire ». Ces règles demandent à être explicitées. Les lieux publics comme les restaurants et les cinémas resteront fermés mais pas les établissements scolaires. L'on sait pourtant que les enfants constituent un vecteur de propagation du virus entre eux et vers les adultes, et qu'il leur est difficile de respecter les gestes barrières d'autant plus qu'ils sont petits. Il faudra des masques et des sanitaires en nombres suffisants. Syndicats d'enseignants et fédérations de parents d'élèves émettent des doutes, formulent des demandes de mesures précises. Le Ministre de l'Éducation nationale doit effectivement apporter des réponses claires rapidement sauf à faire courir des risques graves aux élèves, aux personnels et aux familles.

   Lors d'une conférence donnée le lundi 6 avril, la rectrice de l'académie de Reims, Agnès Walch Mension-Rigau, s'est notamment exprimée sur la réouverture des établissements scolaires : « La reprise à l'Éducation nationale ne se fera pas en un jour. Il va d'abord falloir désinfecter l'ensemble des établissements scolaires, ensuite il faudra faire revenir les professeurs comme dans une prérentrée pour que les chefs d'établissements remettent bien leurs troupes en ordre de bataille, voir combien de temps il reste jusqu'au 4 juillet et puis, après, peut-être qu'il y aura une rentrée échelonnée des élèves » [1].

   L'ensemble des épreuves du bac 2020 sera validé par les notes obtenues pendant les trois trimestres de Terminale, à l'exception des notes obtenues pendant la période de confinement. Les coefficients des disciplines sont maintenus. L'assiduité jusqu'au 4 juillet sera une condition sine qua non. Les oraux de rattrapage sont maintenus et se tiendront début juillet. Le BEP, le CAP et le BTS seront validés par le contrôle en cours de formation. Le DNB sera validé par les notes obtenues lors des trois trimestres de troisième, hors période de confinement. Tous les élèves de collège auront cours jusqu'au 4 juillet [2].

L'engagement des enseignants

   Les enseignants sont mobilisés pour assurer la continuité pédagogique, la continuité des apprentissages. Ils rivalisent d'ingéniosité pour assurer cette continuité à distance avec leur propre matériel, en dépit des difficultés techniques, ou, dans les établissements, pour assurer la garde des enfants des personnels soignants. Ils téléphonent à leurs élèves. Tout cela même si les « relations numériques » ne remplacent pas, loin de là, les interactions en présentiel, principalement pour les jeunes enfants. La dynamique que crée le groupe classe n'est pas là.

   L'engagement des enseignants est salué comme il se doit. Une exception cependant, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, qui, lorsque le ministre de l'Agriculture, emphatique, a lancé un appel aux personnes désœuvrées afin de « rejoindre la grande armée de l'agriculture française », a tenu à préciser : « Nous n'entendons pas demander à un enseignant qui aujourd'hui ne travaille pas compte tenu de la fermeture des écoles, de traverser toute la France pour aller récolter des fraises ». Des propos incompréhensibles, scandaleux et irresponsables.

Les dispositifs mis en œuvre

   Les enseignants préparent des cours pour les élèves. Les ressources existantes sont utilisées. Selon une enquête de l'association SynLab réalisée du 21 au 23 mars, les ENT sont utilisés par 44 % des enseignants au global, mais par 86 % dans les collèges et 74 % dans les lycées, suivis des réseaux sociaux (40 %) et du dispositif du CNED « Ma classe à la maison » (13 %) [3]. « Ce dispositif se compose de ressources en ligne permettant aux élèves d'écoles primaires, de collèges et de lycées de réviser leurs cours de début d'année dans la plupart des disciplines. Des plates-formes sont mises à disposition des enseignants, leur permettant d'organiser des classes virtuelles, en associant web-conférence et partages de documents, en s'appuyant localement sur les ENT déployés dans les établissements et l'ensemble des ressources acquises » [4]. Mais peu de choses sont dites sur la façon de les mettre en oeuvre et d'y préparer les enseignants en amont. Et il est vrai que la formation initiale et continue des enseignants en informatique est encore insuffisante pour les usages pédagogiques que l'on peut en faire. Or l'appropriation des outils par les enseignants est nécessaire. La formation, toujours la formation. Un document de l'OCDE récemment publié indique que la réponse apportée par les pays de l'OCDE à la fermeture des écoles est assez similaire à ce qu'on observe en France. Et que la France est parmi les moins avancés en raison « d'un manque de formation. » [5]. D'une manière générale, si, suite aux actions menées, des avancées ont été obtenues quant à l'informatique reconnue comme composante de la culture générale scolaire de tous les élèves en tant que telle, il reste encore beaucoup à faire.

   Scaleway s'est associé au Ministère de l'Éducation nationale pour bâtir des instances Peer Tube dont Framasoft a assuré une bonne partie du financement. Il permet de créer des fédérations d'instances, les données des contenus provenant de diverses machines [6].

   L'EPI propose sur son blog un recensement de ressources pour la continuité pédagogique et des informations sur le confinement [7].

L'aggravation des inégalités

   Dans certains endroits, des services sont mis en place pour les enfants qui ne disposent pas de matériel informatique à la maison (pas d'ordinateur familial (le cas pour un foyer sur cinq, le chiffre montant à un tiers chez les 25 % les plus pauvres) ou un seul portable pour toute la famille), afin d'acheminer du matériel d'établissements scolaires ou des documents papier. Mais, d'une manière générale, les inégalités sociales se trouvent aggravées. Tous les parents ne sont pas en mesure de « remplacer » les enseignants. Il existe en effet de grandes inégalités dans ce domaine de l'aide scolaire parentale aux enfants. Et la disponibilité des parents a ses limites de par leur travail ou télétravail. Sans compter l'exiguïté d'une partie des logements qui complique singulièrement la tâche.

   Environ 20 % des enseignants interrogés par l'association SynLab disaient se sentir « sereins » face à la situation de fermeture des établissements. Ce sentiment, qui apparaissait le plus marqué en lycée, était partagé par près de la moitié (48 %) des directeurs et chefs d'établissement. Dans le détail, les proviseurs étaient 71 % à se montrer positifs contre 33 % des directeurs d'écoles. Si les cadres de l'Éducation nationale se disaient confiants (à 85 %) pour la suite, les enseignants étaient 70 % à redouter « le décrochage dans les apprentissages des élèves les plus fragiles » [3].

   Après avoir dit le 13 mars « Nous sommes prêts », le ministre de l'Éducation a fini par reconnaître le 31 mars qu'« entre 5 et 8 % d'élèves avaient été en quelque sorte perdus depuis deux semaines ». Chiffres qui ont paru « sous-estimés » à Sophie Vénétitay, secrétaire générale adjointe du SNES-FSU, qui ajoutait que « dans certains territoires, c'était beaucoup plus » [8].

   Pour Marc Douaire, Président de l'Observatoire des Zones Prioritaires, « Ce modèle de continuité pédagogique numérique correspond à un modèle d'élève précis : celui des couches sociales supérieures bénéficiant du cadre de travail et de toutes les aides techniques et pédagogiques dans le cadre familial » [9]. Malgré les efforts des enseignants, il se confirme que les inégalités augmentent.

Des problèmes techniques notamment

   Et il y a les problèmes techniques rencontrés dont se font l'écho des enseignants sur le terrain. Les difficultés pour se connecter, alors que la charge était prévisible, ont montré les limites de la capacité des réseaux en terme de volume face à une telle charge. Des outils informatique non adaptés doivent être utilisés. Les enseignants sont obligés de se débrouiller pour trouver des outils qui fonctionnent, pour gérer eux-mêmes le service informatique. Des enseignants demandent, sur une liste de diffusion professionnelle « pourquoi avoir choisi de dépenser des sommes considérables au bénéfice de Microsoft et Google plutôt que d'investir dans des infrastructures et de rémunérer du personnel compétent, ce qui nous aurait permis de miser sur des solutions logiciels libres auto-hébergées ».

   Le ministère et les académies indiquent avec raison que l'utilisation de Discord est à proscrire. En effet, le modèle économique de cette solution pose question. Avec 250 millions de comptes gratuits et sans publicité, l'entreprise est néanmoins valorisée à deux milliards de dollars. Les conditions générales d'utilisation (CGU) précisent : « Divulgation de données personnelles : Conformément à la section "notre divulgation de vos informations" ci-dessus, nous pouvons être amenés à partager vos données personnelles avec des parties tierces. Nous divulguons les catégories de données personnelles mentionnées plus haut à des fins commerciales. » [10]. La société trouve donc son financement dans la commercialisation des données de ses usagers.

   Beaucoup d'enseignants posent alors une bonne question : « Google serait-il plus conforme au RGPD ? »

Des conséquences des politiques menées

   Dans les faits, la « continuité pédagogique » est victime des conséquences des politiques menées depuis des décennies à l'encontre des services publics : coupes budgétaires, suppressions de postes, de fait destruction rampante... ; à l'instar des hôpitaux publics qui connaissent les suppressions de lits, de postes, le paiement à l'acte... Et si les services publics font face, c'est grâce aux personnels, à leur dévouement. Il faudra ne pas oublier de revaloriser leurs salaires. Rodrigo Arenas, co-président de la FCPE, rappelle que, « comme l'hôpital, le service public de l'éducation est fondamental et structurant, et qu'il est vital d'inverser la tendance à la fermeture de classes et d'écoles, aux cantines payantes, aux établissements sous-dotés » [8].

   « La question n'est pas de savoir si une épidémie va arriver, mais si nous y sommes préparés. » [11]. Ce n'était manifestement pas le cas comme l'illustre la pénurie de masques. La déforestation, le rapprochement des animaux des villes, les élevages industriels, l'uniformité génétique favorisent les épidémies. La recherche fondamentale, pour comprendre les mécanismes de transmission des virus et de réaction des humains, est un objectif de service public. Il faut espérer que les investissements annoncés par la France et l'Union européenne ne concernent pas que la recherche appliquée, laquelle débouche aussi sur des profits pour l'industrie pharmaceutique.

   À l'avenir et sans attendre, les choses ne doivent plus être comme avant. Il faut non pas supprimer des postes dans la Fonction publique mais, au contraire, en créer correspondant aux besoins. Il faut pour cela mettre de l'humain dans l'économie, c'est-à-dire en finir avec les critères de gestion par la rentabilité financière et leur substituer des critères de développement social, solidaire et écologique. En clair, une autre politique économique et une politique fiscale juste.

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/marne/reims/coronavirus-pourquoi-ecole-ne-reprendra-pas-4-mai-rectrice-academie-reims-1812766.html

[2] https://www.education.gouv.fr/bac-brevet-2020-les-reponses-vos-questions-303348
https://www.education.gouv.fr/coronavirus-covid-19-report-des-examens-nationaux-et-des-concours-prevus-d-ici-au-5-avril-2020-289692

[3] https://syn-lab.fr/enquete-covid-19-et-continuite-pedagogique/

[4] Jean-François Cerisier, https://theconversation.com/covid-19-heurs-et-malheurs-de-la-continuite-pedagogique-a-la-francaise-133820

[5] https://www.challenges.fr/politique/ecole-a-la-maison-pourquoi-la-france-n-est-pas-en-pointe-comme-le-dit-blanquer_705546

[6] https://www.nextinpact.com/brief/scaleway-s-est-associe-au-ministere-de-l-education-pour-batir-des-instances-peertube-11903.htm

[7] http://www.enseignerlinformatique.org/

[8] L'Humanité du 1er avril 2020.

[9] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/04/07042020Article637218423881163896.aspx

[10] https://www.ac-besancon.fr/spip.php?article8612
https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/upload/docs/application/pdf/2020-03/outils_points_de_vigilance_-_focus_-_discord.pdf

[11] Frédéric Keck, anthropologue, Les sentinelles des pandémies, éditions Zones sensibles.

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Avril 2020

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