Avantages et défis inhérents à l'intégration
du web 2.0 dans l'éducation
El Mostapha El Makkaoui
Résumé
Avec le web 2.0, contrairement au web 1.0, l'utilisateur devient acteur et participe également à la création des contenus dans leurs différentes formes (vidéo, texte, image...). Une nouvelle sphère présente de nouvelles situations exploitables dans le domaine de l'éducation. Et ce, en offrant plus d'opportunités qui favorisent davantage le travail collaboratif et coopératif. Terreau pour les pédagogies actives notamment l'approche actionnelle, le web 2.0 encourage l'interaction, le travail coopératif et le travail collaboratif. Or, Les applications des outils 2.0 dans l'éducation tels que les blogs, les forums, les réseaux sociaux mettent les acteurs impliqués dans le processus enseignement-apprentissage devant des défis de grande ampleur dans la mesure où elles exigent de nouvelles compétences, les compétences numériques, parmi tant d'autres, et font appel à un continuum dynamique de recherche-action, de créativité et d'innovation. Qu'ils soient inhérents à l'apprenant, à l'enseignant, à la redéfinition du concept de la littératie numérique, à la structure organisationnelle ou à l'accompagnement, ces défis sont à comprendre et penser en vue d'assurer une intégration efficace du web2.0 dans l'éducation.
Mots clés : le web2.0, défis inhérents au web2.0, pédagogies actives, compétence numérique, littératie numérique.
Introduction
De nos jours, l'intégration des nouvelles technologies dans le domaine de l'enseignement, est devenue une réalité incontournable. La génération actuelle des apprenants, qualifiés de « natifs numériques » (Prensky, 2001), ou de « millennials » (Howe et Strauss, 2009), sont de plus en plus habitués à l'utilisation des nouvelles technologies dans leur quotidien, particulièrement les sites de réseautage sociaux et outils 2.0 (Facebook, twitter, chat, YouTube...). Le domaine de l'éducation a dévoilé un engouement culminant envers ces nouvelles technologies, le web 2.0 en l'occurrence. Cela se manifeste par la promotion de la mise en place des MOOC, des plates-formes et des portails numériques. Dans cet environnement technologique en perpétuelle évolution, « Numérisphère » (Bertin, 2014), l'éducation se complexifie.
Force est de souligner ces tensions entre les apports du web 2.0 et les défis de grande ampleur qu'il implique. Certes, le web 2.0 offre un espace aux enseignants où ils peuvent faire preuve de leur créativité, s'inscrire dans la recherche-action et développer des attitudes d'innovation. Néanmoins, il impose des changements dans l'environnement en classe et implique des challenges qui doivent être pris en considération en vue d'assurer une intégration efficace et bénéfique à l'apprenant et à l'enseignant. Pour que ces nouvelles technologies répondent aux attentes souhaitées, comme, entre autres, l'implication de l'apprenant, sa motivation et son autonomisation, il est essentiel de tenir compte des variables, multiples et dynamiques, qui y interviennent. Dans cet article, nous avons l'objectif de présenter un certain nombre de ces défis qu'implique l'intégration de web2.0. Et ce, à la suite d'une brève présentation du concept web2.0, ses caractéristiques et les possibilités de son exploitation didactique et, de manière non exhaustive, quelques théories servant d'assises théoriques à l'adoption de ces outils.
1. Le web 2.0 : définition, caractéristiques et exploitation didactique
1.1. Définition
Le terme web 2.0 a été inventé en 2004 par Dale Dougherty de la société O'Reilly Media spécialisée dans l'informatique. Désigné aussi par d'autres termes et expressions connexes tels que « lire et écrire sur le web », « web social », « logiciels sociaux » et « web moderne », ce terme générique est un concept et non pas un modèle de site internet. Il renvoie plus généralement à un ensemble d'outils internet et d'applications allant des réseaux sociaux aux blogs, forum, wikis... Ce web s'inscrit dans l'évolution de l'internet et marque ainsi un passage d'un web1.0 où l'utilisateur reste passif, spectateur, à un web dans lequel l'utilisateur a plus d'opportunités de créer, de partager, de manipuler des contenus (images, vidéo, document...).
Le web 2.0 encourage la communication, l'interaction entre utilisateurs, la collaboration, « la culture participative » (Jenkins, 2006) et l'intelligence collective (Lévy, 2003). Désormais, de nouvelles pratiques et activités sont possibles : création et partage d'un contenu à travers des sites estampillés « 2.0 » comme YouTube ou des réseaux sociaux comme Facebook, le travail collaboratif via des applications comme google docs, des blogs, des wikis...etc.
1.2. Caractéristiques du web 2.0
Ce qui distingue le web 2.0 est qu'il offre plus de liberté à l'usager de participer à créer des contenu et à les réutiliser (Musser et O'Reilly, 2007) L'utilisateur peut jouer avec des contenus, les créer, les manipuler, les partager, les modifier, les remixer ou les créacoller (Peters et Gervais, 2016) pour former de nouveaux contenus. L'utilisateur peut contribuer à éditer et enrichir des contenus numériques d'une encyclopédie en ligne comme Wikipédia. Le travail collaboratif est possible également grâce à des outils comme google docs ou Dropbox Paper...
L'ouverture est aussi une des caractéristiques du web2.0. Elle est rendue possible grâce à l'architecture technologique open source qui donne la main à l'utilisateur pour participer au développement et à la création des plates-formes et outils 2.0. En plus, il est désormais plus aisé de concevoir des sites web, des blogs, des wikis et des plates-formes numériques à l'aide des utilitaires et sites internet dédiés à ces fins.
L'effet de réseau, l'une des caractéristiques de l'internet bien avant l'avènement du web 2.0, est favorisé dans la génération web 2.0. L'effet de propagation augmente avec le web 2.0. Il est dorénavant facile de créer des groupes sur les réseaux sociaux ou autres outils 2.0, de partager, facilement et d'une manière rapide, des contenus avec un nombre important de personnes. C'est une mutation dans les modalités de communication et dans l'accès aux savoirs qui s'affirme davantage.
1.3. Exploitation didactique du web 2.0
Le web 2.0 offre un terreau pour les pédagogies actives et représente un cadre authentique pour mettre en &œuvre l'approche actionnelle. Vu ses caractéristiques et ses fonctionnalités, le web 2.0 suscite l'enthousiasme des enseignants qui l'ont exploité dans leurs activités d'enseignement. Il rend possible la mise en œuvre des dispositifs aidant à dépasser certaines contraintes telles que les effectifs chargés et à éviter les entraves à l'emploi du temps et à la disponibilité des salles de classe.
Les outils web 2.0 favorisent l'interaction entre les apprenants et offrent de nouveaux matériels pédagogiques et de nouvelles activités et situations authentiques, un environnement propice au travail collaboratif. Ils augmentent les possibilités de coopération entre les apprenants et donne plus d'opportunités pour partager des connaissances, et pour collaborer en vue d'assurer un apprentissage constructif. De ce fait, les fonctionnalités des outils 2.0 soutiennent les approches participatives dans lesquelles l'apprenant est actif dans ses apprentissages.
Intégré dans l'environnement d'apprentissage, le web2.0 demeure une zone d'ombre à exploiter. Les blogs par exemple pourraient être employés pour créer, publier et travailler en groupe sur un document. Ils aideraient ainsi à améliorer la compétence rédactionnelle, à développer l'esprit de travail collaboratif et à, subséquemment, apprendre avec les autres. La vidéoconférence via un des outils 2.0 pourrait aussi servir de même comme moyen d'améliorer l'expression orale. Les wikis offrent également, vu leurs fonctionnalités, des possibilités de créer et d'éditer des contenus.
Ces outils peuvent même être à la base des projets de travail en tandem grâce au réseautage facilitant la collaboration entre les groupes distants. En fait, avec l'essor de la technologie, de nouvelles applications marquées 2.0 apparaissent, présentant de nouvelles fonctionnalités. L'enjeu majeur est consécutivement de choisir l'outil adéquat répondant aux intentions pédagogiques (Karsenti et Larose, 2001) et aux besoins des apprenants.
2. Théories et concepts sur l'adoption du web 2.0 dans l'enseignement
Les caractéristiques du web 2.0 sont conciliables avec les théories pédagogiques et les pédagogies actives telles que le constructivisme, le connectivisme et l'approche actionnelle. C'est ce qui explique cet engouement pour le web 2.0 et c'est ce qui donne naissance à de nouvelles modalités d'enseignement-apprentissage, à savoir la classe inversée, la classe renversée, les MOOC, etc. L'accent est mis sur le rôle actif de l'apprenant dans le processus et à la co-construction des connaissance grâce au travail collaboratif et coopératif.
2.1. Le constructivisme et socioconstructivisme
Il est admis que le web 2.0 est compatible avec la dimension socioculturelle de l'apprentissage et offre des situations authentiques dans lesquelles l'apprenant participe activement à la construction des connaissances. En effet, le recours au web 2.0 fait écho aux principes du socio-constructivisme selon lequel l'apprentissage est un processus social, centré sur l'apprenant, acteur social qui agit dans son environnement. Le web 2.0 vient donc incarner les principes prônés par les théories d'apprentissage mettant l'apprenant dans des situations d'apprentissages authentiques. L'apprenant, grâce à ces technologies web 2.0 (wikis, blogs...), construit ses connaissances dans le processus d'interaction, et s'inscrit ainsi dans la théorie de l'apprentissage socio-constructiviste de Vygotsky. Les outils web 2.0 favorisent davantage l'interaction entre les apprenants dans des contextes sociaux, leur permettant de s'impliquer activement dans le processus d'apprentissage.
2.2. Le connectivisme
Le web 2.0 présente de nouvelles situations de travail à exploiter en faisant appel à la théorie du connectivisme selon laquelle d'apprentissage peut se faire à travers des réseaux de pairs en ligne (Siemens, 2005). Dans cette perspective, l'apprentissage n'est pas une accumulation mais un processus de construction à l'aide d'échanges interactifs entre les apprenants formant ainsi des communautés d'apprentissage. Cela fait écho à la théorie de zone proximale de développement qui relie l'apprenant avec un autre plus savant (Vygotski, 1978) et au principe d'échafaudage dont le social est au centre.
Le web 2.0 avec la richesse de ses fonctionnalités, en fournissant des espaces plus pratiques pour le dialogue et l'interaction, permet l'opérationnalisation des principes du connectivisme tels que, parmi tant d'autres, l'apprentissage et la connaissance basés sur la diversité des opinions.
2.3. L'approche actionnelle
La perspective actionnelle préconise l'apprentissage par tâches dans lesquelles l'apprenant, en tant qu'acteur social, apprend dans l'action. Il apprend en faisant (Learning by doing). Il est désormais actif dans son environnement d'apprentissage, interagit avec ses pairs et ses enseignants, co-construit ses connaissances par sa participation active (perspective écologique de Van lier, 1998). Les usages du web 2.0 s'adaptent à ces approches. Ils mettent l'apprenant au cœur du système et rappellent ainsi le concept de « l'apprenance », un concept qui est défini comme « une attitude ou un ensemble de dispositions favorables à l'acte d'apprendre sous toutes ses formes », (Carré, 2005, 2016).
En effet, le vrai moteur de l'apprentissage réside dans les liens sociaux qui peuvent naître d'un milieu d'interaction humaine stimulant (Vygotsky, 1986). Des activités comme les travaux de groupes, la conception et la conduite des projets, le dialogue et l'échange entre apprenants, d'une part, et entre apprenants et tuteur d'autre part, aident à faire sortir l'apprenant de son isolement et à l'impliquer davantage. En outre, le web 2.0 favorise la pédagogie différenciée, dans la mesure où il permet au tuteur et à l'enseignant d'adapter le rythme et la méthode d'enseignement au rythme de progression de chaque apprenant ou groupe d'apprenants.
Outre ces théories qui sont considérées comme une des bases de l'application du web 2.0, il existe également une forte relation entre la motivation des apprenants et l'utilisation du web 2.0 dans l'éducation (Karsenti, 1999). D'autant plus que l'utilisation des sites de réseautage sociaux et autres applications 2.0, (Facebook, YouTube...) fait partie du quotidien des apprenants. Il serait en conséquence facile de stimuler et maintenir leur motivation à apprendre en exploitant ces outils auxquels ils sont habitués et qui leur sont familiers. Chose qui aiderait à entretenir leur curiosité, à susciter leur intérêt et leur attention et à favoriser ainsi leur motivation intrinsèque qui a un impact positif sur l'apprentissage. D'ailleurs, cela figure parmi les stratégies décrites dans le modèle de Keller (1987) ARCS (attention, pertinence, confiance et satisfaction) qui a comme objectif de motiver les apprenants pour améliorer leurs apprentissages.
3. Défis de l'intégration du Web2.0 dans l'éducation
Vu les fonctionnalités de ses outils, le web 2.0 suscite l'enthousiasme des enseignants. Il pourrait être considéré comme l'avenir de l'éducation. Cependant, leur mise en œuvre soulève d'importantes questions et présente des défis cruciaux que ce soit du côté de l'apprenant, de l'enseignant ou de leur structure organisationnelle (le dispositif dans lequel ils sont intégrés). Il importe par conséquent de mettre en évidence ces paradoxes et comprendre la complexité de leur intégration dans le contexte éducatif.
3.1. Défis inhérents à l'enseignant
L'enseignant se retrouve face à d'importantes questions quant à l'intégration efficace du web 2.0. Il est devant des défis relatifs au style d'enseignement, aux postures à adopter, aux dispositifs pédagogiques adéquats et aux outils appropriés. En fait, le web 2.0 interroge l'enseignant sur sa pertinence et sa disponibilité à accepter et à traiter les nouvelles situations que ces outils présentent telles que les forums, les discussions instantanées avec leurs contraintes (langage utilisé et registre de langue auxquels la majorité des apprenants sont habitués).
En général, intégrer efficacement des outils technologiques dans l'enseignement, le web 2.0 en l'occurrence, provoque des changements des paradigmes. En fait, ces outils « catalysent le changement dans les méthodes pédagogiques, car elles dictent un nouveau départ, une refonte du contexte qui laisse entrevoir de nouvelles façons de fonctionner. Elles peuvent susciter un passage de la méthode traditionnelle à un ensemble plus éclectique d'activités d'apprentissage faisant place à des situations de construction des connaissances » (Haymore Sandholtz, Ringstaff & Owyer, 1997 : 50). La mise en œuvre d'un dispositif d'enseignement intégrant le web 2.0, implique donc la capacité des enseignants à trouver des scénarios d'exploitation adéquats (une conception pédagogique appropriée) permettant de transposer leurs compétences pédagogiques vers ces nouveaux outils. Force est de souligner la nécessité d'assurer les implications de l'intégration de ces nouvelles applications. L'enseignant doit adopter des postures qui doivent être orientées vers la régulation et la rectification des interactions et ne pas rester dans le transmissif. Il doit dans certains cas faire preuve de son agilité (Alves & Hélène, 2016) et d'inventivité (Renaud & Orly, 2013).
L'intégration commence dès que « l'outil informatique est mis avec efficacité au service des apprentissage » (Mangenot F. 2000). À la lumière de ce postulat, pour assurer l'intégration du web 2.0, l'enseignant pourrait concevoir un TPCK, modèle conçu par Shulman, L. (1986) (Technology, Pedagogy, and Content Knowledge). C'est un modèle qui représente les connaissances nécessaires pour assurer l'intégration efficace des outils et ressources numériques dans un dispositif d'enseignement.
The TPACK framework and its knowledge components.
(Koehler & Mishra, 2009).
Ce schéma met en évidence les trois composantes : contenu, pédagogie et technologie. L'enseignant est appelé à trouver un état d'équilibre entre ces trois éléments. Ils sont en interaction et en tension essentielle (« essential tension » Kuhn,1977) et ne doivent pas être examinés séparément. Un changement dans l'un des facteurs doit être « compensé » par des changements dans les deux autres. (Mishra & Koehler, 2006). Ce qui rend la tâche de l'enseignant ardue, c'est qu'il n'y a pas de solution unique. Chaque situation est singulière et exige une nouvelle combinaison de ces trois éléments et requière un nouvel état d'équilibre dynamique. La solution est dans l'aptitude de l'enseignant à naviguer, de manière souple et pragmatique, dans les trois composantes (le contenu, la pédagogie et la technologie) tout en tenant compte de la complexité inhérente à chaque élément et à la manière avec laquelle il interagit avec les deux autres. La connaissance du TPACK est une compréhension globale et profonde de ce qui découle des interactions entre les trois constituants et elle est différente de la connaissance de chacune des trois composantes prise séparément des autres.
L'enseignant est continuellement devant un risque de se perdre s'il ne maîtrise pas l'outil technologique, s'il n'est pas préparé pour ces nouveaux usages, ou encore s'il n'a pas les compétences technologiques nécessaires pour ces nouvelles situations d'enseignement. Chose qui donne naissance à des dispositifs dont les constituants coexistent sans liaison ni complémentarité. Les apprenants dans de tels dispositifs se retrouvent mal accompagnés, face à des tutoriels ou des contenus qui les placent, en contradiction avec l'approche co-actionnelle, dans l'approche pédagogique traditionnelle. En effet, certains enseignants ont encore un manque de compétences technologiques et gardent cette réticence envers les nouvelles modalités d'apprentissage qu'offre le web 2.0. Ajoutons à cela, la difficulté relative au choix de l'outil 2.0 approprié qui correspond le mieux au contenu et au processus d'apprentissage et à la meilleure façon de l'intégrer, efficacement, dans un environnement académique.
3.2. Défis liés aux apprenants
Il a été souvent admis que les « natifs numériques » maîtrisent des compétences technologiques et savent comment utiliser les nouvelles technologies, une croyance commune déduite et prise pour une évidence. Certes, les jeunes d'aujourd'hui sont plus compétents dans la manipulation de ces outils et de ces applications, mais sont-ils armés des connaissances et des compétences qui les aideraient à utiliser le web 2.0 en tant qu'apprenants responsables faisant preuve d'esprit critique ? Arrivent-ils à déceler ce qui est bon à apprendre et à comprendre dans la nature du web 2.0 pour tirer profit de ses apports tangibles ?
On a tendance à croire que, vu qu'ils utilisent fréquemment les technologies de l'information, les jeunes apprenants peuvent en tirer profit dans leurs apprentissages formels. Or, bien qu'ils apprennent rapidement les compétences technologiques, ils ne sont pas aptes à déterminer d'autres compétences qui sont nécessaires pour participer d'une manière efficace dans l'apprentissage par le web 2.0. Ces compétences sont transversales, multiples et indispensables et incluent en effet différentes compétences dont les principales sont : les compétences cognitives, les compétences comportementales, les compétences socio-affectives, les compétences sociales (la communication, l'écoute, la perception et la volonté de servir les autres). Les apprenants ne sont pas forcément conscients de la nécessité de ces compétences et ne comprennent pas nécessairement la philosophie et les principes sous-jacents du web 2.0 (Paul Anderson, 2012) illustrés dans la figure ci-dessous.
Figure 1.3. in Paul Anderson, Web 2.0 and Beyond : Principles and Technologies,
Chapman and Hall/CRC Book, 2012, page 12.
Il serait intrépide de postuler que le web 2.0 garantit la motivation et l'égalité des chances. En fait, la perception des apprenants de l'exploitation des sites de réseaux sociaux ou des outils 2.0 en général dans l'apprentissage formel est relative. Les apprenants ne perçoivent pas tous l'utilité du web 2.0 dans un contexte éducatif formel. Pour certains, il est perçu comme un des moyens de divertissement et il est limité à des usages personnels.
En plus, dans le cas de certains dispositifs (MOOC, classe inversée, etc.), certains apprenants, n'ayant pas développé un certain niveau d'autonomie et de responsabilité, sont parfois déstabilisés lorsqu'ils sont exposés, seuls, aux savoirs. Dans ces situation, l'autonomie, une des clés d'un bon apprentissage, est considérée comme un pré-acquis. Pourtant, elle est un objectif, entre autres, du processus enseignement-apprentissage. D'ailleurs, l'apprenant n'est autonome que pour ce qu'il maîtrise déjà. Sans oublier le risque de frustration lorsqu'un apprenant n'arrive pas à s'engager dans le travail collaboratif, à suivre le rythme du groupe classe, ou à organiser le temps de travail entre classe et le dispositif mis en place.
L'introduction de la technologie web 2.0 dépend de plusieurs facteurs, tels que la représentation des apprenants de ces technologies et leurs apports, leurs styles cognitifs, leur degré de responsabilité et d'autonomie (Albero, 1998) et leurs stratégies d'apprentissage. Elle modifie les concepts d'apprentissage et exige de la part des apprenants d'adapter leurs styles d'apprentissage et apprendre à utiliser les nouvelles technologies pour mieux servir l'apprentissage. L'apprenant est appelé à adopter de nouvelles postures pour s'engager activement dans la co-construction des connaissances et pour développer des qualités d'un apprenant responsable, actif et créatif. Certes, c'est un chemin pavé de bonnes intentions, mais il présente des défis de grande ampleur aux apprenants.
3.3. Défis liés aux littératies numériques
La littératie numérique (LN) ou littératie médiatique multimodale (LMM) (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) est une combinaison de deux éléments : la littératie traditionnelle et le numérique. D'une manière générale, la littératie numérique renvoie à plusieurs connaissances et habilités d'utiliser de manière critique les logiciels et applications de médias, de comprendre, d'évaluer et de créer avec ses outils (Stordy, 2015), (Réseau Éducation Médias, 2010), Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012). La littératie numérique intègre un grand nombre de compétences, la compétence numérique en l'occurrence. (Unesco, 2008).
Cependant, certains apprenants restent au niveau de la capacité d'utiliser, compétence de base de la littératie, et ne développent guère les autres compétences pour comprendre et évaluer des contenus et des outils numériques. Or, de nouveaux types de textes, de nouvelles activités qu'offrent ces nouvelles technologies, comme celle de créacollage (Peters et al., 2016), nécessitent des compétences complexes, et non seulement celles maîtrisées à l'étape de l'utilisation. Pour l'apprenant, le défi est de passer au niveau de « Comprendre » où il est amené à développer davantage l'esprit critique pour évaluer le contenu et l'outil et réfléchir à leur propos. C'est ainsi qu'il apprend à apprendre dans l'environnement du web 2.0.
En effet, ce qui rend le concept de littératie difficile à cerner, c'est que les technologies sont en perpétuelle et rapide évolution. Il n'est plus question de littératie, mais de littératies, d'autant plus qu'elles englobent une multitude de littératies : littératie informationnelle, littératie de communication, littératie technologique... En fait, dans sa taxonomie Stordy (2015) a énuméré plus de 35 types de littératies. Cela met les apprenants et les enseignants devant le défi de gérer les enjeux des changements continus des technologies et mettre au point leurs connaissances et leurs compétences.
3.4. Défis liés à la structure organisationnelle
Intégrer le web 2.0 dans l'enseignement pose de grands challenges quant à la structure organisationnelle dont les variables sont multiples et dynamiques. La question est comment gérer l'ensemble dans une approche globale ? Et comment ces outils peuvent-ils être combinés pour atteindre des résultats d'enseignement efficaces ? En effet, pour mettre en œuvre efficacement une innovation pédagogique, elle doit être conduite par une dynamique impliquant tous les acteurs et mobilisant l'ensemble des leviers pour déployer l'efficacité de ces outils dans les pratiques mises en œuvre.
Il n'est pas question d'ajouter simplement le web 2.0, (les blogs, les wikis, et autres outils.) mais il y d'autres facteurs qui doivent être pris en considération, notamment l'impact qu'il peut y avoir sur le paysage éducatif, particulièrement sur le comportement de l'enseignant et de l'apprenant (Ebner, 2007).
3.5. Défis relatifs à l'accompagnement
En rappelant que c'est pour des raisons pédagogiques, entre autres, que le web 2.0 (MOOC, plates-formes...) est intégré dans l'enseignement, pour répondre aux attentes élaborées en amont (autonomie, apprentissage significatif...), il est crucial de concevoir des dispositifs adéquats dont les composantes sont en complémentarité. Dans de tels dispositifs, la fonction d'accompagnement, cette nébuleuse pratique, devient plus complexe à l'heure du numérique. Elle est une pierre angulaire, une fonction qui « exerce une activité dans l'ensemble » (Paul, 2016) et elle est « immergée par définition dans un système, un ensemble d'éléments interagissant qui suppose à minima de penser le rapport entre eux et de concevoir qu'en interagissant, ils modifient la structure globale du système » (Paul, 2016).
Les situations d'interactions et de travail collaboratif que facilitent les outils web 2.0 exigent de nouvelles modalités d'accompagnement. Le défi est de mettre en œuvre une modalité d'accompagnement pertinente qui aide à assurer l'égalité des chances et à éviter tout risque de creuser un hiatus entre les apprenants et le savoir ou entre les apprenants qui savent les utiliser et ceux qui n'ont pas encore les compétences nécessaires ou les moyens pour suivre leurs pairs. L'enjeu est d'accompagner les apprenants devant une abondance d'information, les accompagner en vue de les orienter et les aider à développer un esprit critique. C'est ainsi qu'ils deviendront des apprenants et internautes autonomes, responsables et armés de connaissances qui les protègent.
L'accompagnement impose donc une pluralité de pratiques et de rôles et postures chez les enseignants et également chez les apprenants. Il peut être assuré par l'enseignant, par un tuteur ou par un pair. Il importe de mettre en exergue la complexité de la fonction du tutorat en ligne dans le cas des outils web 2.0. Cette fonction exige du tuteur des compétences disciplinaires et pédagogiques et il est appelé à assurer plusieurs fonctions (Denis, 2003), notamment l'accueil et la mise en route, l'accompagnement disciplinaire, l'accompagnement méthodologique, l'auto-régulation et la métacognition, l'évaluation et le rôle de personne-ressource attitrée.
Conclusion
Certes, les activités d'apprentissage à l'ère du Web 2.0 aident les apprenants à développer de nouvelles compétences et connaissances et à devenir davantage autonome et responsable dans leur processus d'apprentissage. Elles permettent d'étendre l'espace-temps de la classe.
Cependant, utiliser les outils 2.0 est un choix lourd de conséquences. D'autant plus qu'il y a une tension entre les apports potentiels du web 2.0 et les défis de sa mise en œuvre. Cela met l'enseignant devant une énorme responsabilité, il est amené à retrouver un état d'équilibre entre les différents facteurs qui interviennent : l'évolution rapide du monde numérique, les objectifs décrits dans les textes officiels, les compétences en littératies numériques que ces outils nécessitent, la motivation des apprenants et leur attitude vis-à-vis de l'employabilité de ces outils dans le cadre d'un apprentissage formel... En ce sens, le web 2.0 ne devrait pas être considéré comme une potion magique qui sauverait le système éducatif, mais au contraire, il est un nouveau fardeau à repenser et à appréhender dans sa complexité.
Le but de ce présent document est d'élucider les caractéristiques de ces outils, leurs limites et les principes sous-jacents de leur fonctionnement. Et ce, dans l'optique de mettre en exergue la complexité, mais aussi la richesse de leur intégration dans l'optique d'éveiller la responsabilité collective de l'ensemble des acteurs de la communauté éducative.
El Mostapha El Makkaoui
Centre d'Études Doctorales : Homme, Société, Éducation (HSE)
Recherches Interdisciplinaires pour l'Innovation en Didactiques et en
Capital Humain (RIIDCH)
Faculté des Sciences de l'Éducation (FSE)
Université Mohammed V de Rabat. Maroc.
Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification).
http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/
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