Analyse de représentations graphiques
du numérique en éducation :
une expérience dans un MOOC
Éric Bruillard
Contexte
Lors du Mooc EMPAN (Enrichir Mutuellement sa Pratique pédagogique Avec le Numérique), j'ai présenté en 2018 une courte vidéo sur les questions de numérique en éducation, autour d'un référentiel d'activités des enseignants et formateurs en cours de constitution (projet CoMUN compétences métier utilisant le numérique). L'idée initiale était de prendre appui sur cette vidéo, proposée au démarrage du Mooc, pour faire faire un premier travail à l'ensemble des participants. Une activité « créative » leur a ainsi été proposée :
« Nous vous demandons de retranscrire par une représentation graphique une partie des éléments du discours d'Eric Bruillard. Nous nous intéressons à l'extrait traitant du cœur de métier d'enseignant et formateur à partir de la 3e minute sur la vidéo (Concevoir, mettre en œuvre, évaluer...). »
« Afin de représenter l'environnement, les domaines d'activité et tâches de l'enseignant/formateur d'aujourd'hui, vous pouvez réaliser un schéma avec l'outil graphique de votre choix ou même prendre la photo d'un croquis/dessin réalisé à la main. »
Cette proposition d'activité a conduit à 948 posts (dont 673 réponses) dans le fil dédié sur le forum du Mooc. Une centaine de réponses, tout au plus, étaient attendues et l'ampleur de la participation a rendu difficile une quelconque analyse. Dans ce qui suit, nous reprenons une partie des contributions qui ont été faites. Pour la mention des auteurs, nous mettons le pseudonyme (parfois simplifié) que les personnes ont choisi lors de leur inscription à la plate-forme FUN.
L'activité proposée consistait à réaliser une sorte de transposition graphique d'un discours oral. Un grand nombre de participants a pris du temps pour faire une réalisation. Le public était très majoritairement constitué de formateurs et d'enseignants, aucune critique forte du modèle décrit dans la vidéo n'est intervenue. Ainsi, l'espace de discussion ouvert n'a pas conduit à remettre en cause le modèle proposé. En quelque sorte, il a été accepté. L'idée que le cœur du métier d'enseignant ou de formateur est fondamentalement stable, mais que ses conditions d'exercice changent semble susciter l'adhésion. En particulier, le discours sur des formes invariantes du métier et des éléments qui se modifient avec l'intrusion du numérique, a été très bien perçu.
Le texte qui suit est une analyse personnelle de l'ensemble de la production réalisée. La diversité est à souligner, bien que l'ensemble témoigne d'une grande redondance, liée à l'exercice lui-même. Dans ce qui va être présenté, ce n'est en aucune façon le choix des « meilleures » représentations mais celles qui illustrent l'ensemble, avec une prédominance des premières propositions (puisqu'elles ont pu orienter les contributions ultérieures). Ainsi, on pourra faire le point sur les métaphores utilisées, le lien aux outils et instruments choisis.
Comment représenter le mouvement et les dépendances ?
Dans cette vidéo il était question des compétences mobilisées par l'enseignant et le formateur pour : concevoir des activités pédagogiques, mettre en œuvre et animer des séquences, évaluer.
Dans la présentation même de la vidéo et de la contribution à réaliser, les trois classes principales d'activités étaient mises en exergue. L'activité de veille était également bien explicitée. Quelles représentations en ont été faites ?
L'une des premières contributions (Gatino, avec Freepik) se centre uniquement sur le cœur de l'activité, avec la veille au centre. L'aspect dynamique est traduit par des sortes de roues qui tournent.
|
Une version dépouillée
(SamInu)
|
Ou chmatus
|
Les triangles de GILBERTAS, la roue de slerouxrichard et dans le dessin d'ELBR44
KATMAUF et ses collègues mettent le processus de veille et le numérique autour des trois processus qui sont représentés comme des ensembles qui ont une intersection.
Quelques métaphores associées aux activités classiques.
Comment dans un dessin, représenter la conception, la mise en œuvre ou l'évaluation ?
Ainsi, la proposition de meca (à droite), donne un bon résumé de ce que l'on va trouver : une ampoule pour la conception, une croix dans une case à cocher pour l'évaluation. C'est plus diversifié, quant à la mise en œuvre. Virigomez montre un « animateur ». |
|
|
|
|
Compléter le schéma ou le dessin pour intégrer les autres éléments
Une fois représentées les activités « standard », comment y insérer les autres ? GBouillot et carlasong2 fournissent deux exemples bien contrastés, le triptyque « historique et stable », auquel on ajoute des textes ou un ensemble d'images.
L'image du puzzle a été utilisée ainsi que celle une sorte de fresque comme lymartin
D'autres visions des évolutions du métier d'enseignant ou de formateur
Commençons par une proposition un peu décalée, celle de GriBA, qui commente sa contribution :
« Un peu enfantin certes mais j'ai voulu utiliser des outils du quotidien (tablette, ordinateur, stylo, papier, ardoise, livre ) et y mêler des personnages divers et variés, tout cela représente le monde interactif dans lequel nous vivons et dans lequel nous allons évoluer. Le travail de fond d'un formateur n'a pas changé mais les outils et les apprenants si ! »
Annelise_Greta répond :
« Bonjour GriBa, Je trouve ton illustration géniale !!!! D'abord parce qu'elle est rigolote, mais en plus parce qu'elle colle au plus près de la réalité du quotidien d'un formateur. C'est un travail très créatif et très intéressant à analyser, voici l'analyse que j'en fais : sont présents les éléments faisant partie de l'apprentissage et de l'enseignement : la mise en scène (concevoir), les différents supports (mettre en œuvre), les mains rejointes sur la tablette montre le dépassement des frontières, l'interaction, le collaboratif, les différentes postures des playmobils représentent les différentes modalités d'apprentissage, et puis tout cela est très créatif, très ludique, on a donc le côté affectif ! Je trouve ton illustration très pertinente, très intelligente ! Bravo ! »
FBONN, dans un fondu entre la photo d'une vieille salle de classe et un dessin d'un plan de travail récent. On peut interroger le côté dépouillé du « nouveau formateur » et des apprenants qui apparaissent sur des écrans.
Discussion
Pouvoir consulter un ensemble volumineux de dessins / images / cartes censés résumer une brève présentation orale n'est pas une chose très courante. On a ainsi un retour à la fois massif et personnalisé, puisque de nombreuses productions ont pris en compte des éléments personnels de leur auteur. L'ensemble fournit un matériau certes un peu touffu mais irremplaçable pour analyser son propre discours . Il offre aussi une sorte de vision collective du domaine étudié : un référentiel de compétences, ou plutôt d'activités, des enseignants et formateurs aujourd'hui.
Comme il s'agit d'un exercice, les contributeurs ont réagi de manière très différente : certains ont simplement résumé les éléments présentés dans la vidéo ; certains ont voulu tester un nouvel outil, dans une approche plutôt technique (le contenu pouvant être vu comme secondaire) ; certains ont apporté leur « touche » personnelle ; certains ont fait un retour sur l'ensemble du Mooc...
S'agissant de la description des activités des enseignants, présenter un cœur de métier finalement très stable, avec un contexte qui amène pas mal de choses nouvelles à prendre en compte, a été bien accepté. Certaines contributions l'ont traduit de manière astucieuse. Mais ce que chaque dessin montre ouvre à quantité d'interprétations, en cohérence ou parfois en opposition à ce que les auteurs ont souhaité dévoiler.
En tout cas, la multiplicité des outils choisis conduit à analyser autant la variété que les redondances. On peut s'interroger sur notre connaissance collective des langages graphiques, sur nos métaphores partagées, sur la facilité de production qui ne donne pas toujours aux réalisations la force et la lisibilité que l'on pourrait souhaiter.
Notons enfin que cette activité et la production correspondante illustrent un des problèmes des Mooc : il n'y a pas de processus simple d'amélioration des propositions. Un espace de mutualisation est offert, pas un espace permettant le dialogue : dès qu'un certain seuil de contributions est franchi, cela devient une sorte de répertoire à consulter. C'est l'une des contradictions du massif : il permet de rendre visible la diversité, pas vraiment de travailler dessus. On peut féliciter les personnes, plus difficilement engager un processus de transformation.
Éric Bruillard
Professeur à l'Université Paris Descartes,
Laboratoire EDA (EA 4071)
Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification).
http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/
|