Témoignage de parents d'élèves : le LSU(N),
Livret scolaire unique (numérique),
ce cheval de Troie
Cécile Dolbeau-Bandin
Le 5 décembre 2016, nous ouvrons le cahier de correspondance de notre fils (CM1, école primaire publique [1]) et nous lisons ce court texte signé du chef d'établissement :
« Au cours de l'année scolaire 2016-2017, un "livret scolaire unique" sera instauré. Il rassemblera l'ensemble des éléments scolaires qui concernent votre enfant. Il couvre la totalité obligatoire de l'école élémentaire et du collège (du CP à la 3e). Il suivra votre enfant, même s'il change d'école. Prochainement, vous pourrez y accéder en ligne. L'enseignant de votre enfant vous remettra plusieurs fois dans l'année le bilan des acquis scolaires. Cette année, le premier LSU sera remis, pour la première fois, juste avant les vacances d'hiver sous forme papier (février 2017). Aux vacances de Noël, vous recevrez l'ensemble des évaluations et une appréciation de l'enseignant. Les informations recueillies dans l'application numérique LSU, dont le contenu détaillé est prévu par l'arrêté du 31 décembre 2015, sont limitées aux données nécessaires au suivi efficace des apprentissages. Elles font l'objet d'une déclaration à la commission Nationale Informatique et Liberté. »
Qu'est-ce que ce LSU ? Nous faisons des recherches sur Internet [2] : LSUN ou LSU ? Il devient rapidement LSU (étrange). Ce LSU est en quelque sorte la version numérique du livret scolaire sous format papier (depuis décembre 2016, nous demandons la restitution de ce livret papier : aucune réponse !). Il comporte ou comportera les résultats scolaires de l'enfant et les appréciations de ses enseignants. Il serait officiellement entré en vigueur à la fin du premier trimestre (quelle communication officielle ?).
Le 7 décembre 2016, nous recevons ce courriel via la liste de diffusion du CREIS :
« Si je puis me permettre... Et le fichier des honnêtes petits n'enfants, du CP à la 3e, il serait bien qu'on en fasse aussi des tartines... mais sans Nutella merci, https://reflets.info/cadeau-casier-scolaire-pour-tous-les-marmots/ »
Suite à ce message, nous continuons nos recherches et trouvons ceci [3] :
« Ce nouveau livret, censé simplifier l'évaluation des élèves et faciliter la communication avec les familles, regrouperait :
les bilans à la fin de chaque période et à la fin de chaque cycle (c'est-à-dire en CE2, 6e et 3e) ;
des attestations diverses (prévention et secours civique, sécurité routière, savoir nager) ;
des informations sur les élèves en difficulté ou à besoins particuliers : indication des PPRE, des suivis par le RASED, des PAI, des passages en ULIS et UPE2A, des notifications MDPH, etc. Au collège, des informations sur les absences, sur les retards, sur le respect du règlement. Ce LSU contient donc des données personnelles, hautement sensibles ! Toutes les informations recueillies sous forme numérique seront accessibles aux services sociaux et municipaux, la police, la justice, etc. Vos enfants seront donc fichés sans que vous n'ayez jamais été tenus au courant ! Un casier scolaire au service du fichage et de la "traçabilité" des élèves. Avec ce livret numérique, c'est un véritable casier scolaire qui se met en place. »
Surprise ? Incrédulité ? Un fichier pour nos enfants ? Nous prenons contact avec l'émetteur de ce courriel et nous lui demandons des informations complémentaires et conseils. Ce dernier nous indique que nous pouvons refuser ce LSU(N). Nous répondons au directeur de l'école que sommes surpris de ne pas avoir été informés (c'est la loi), et que nous sommes contre ce LSU(N) (pas informés). Aucune réponse. Nous prenons contact avec les parents d'élèves : aucune réponse. Nous discutons avec certains parents qui ne comprennent ni notre mécontentement ni notre inquiétude. Dix jours plus tard, nous envoyons un courriel type émanant d'un syndicat complétant notre message écrit où nous indiquons et justifions notre choix de refuser ce LSU(N) en rappelant la loi de 1978. Avant les vacances de Noël, le directeur nous répond par écrit de façon très académique (explication des données traitées par l'application, procédure en cas de refus...) et nous offre la possibilité de le rencontrer. Nous repoussons ce rendez-vous. Nous notons sur le compte-rendu du conseil d'école (décembre 2016) que certains enseignants s'interrogent sur l'identification des difficultés, des progrès et des axes de travail à mettre en place pour chaque élève via le LSU(N).
Nous devons attendre le 12 mai 2017 pour recevoir une communication officielle émanant de l'Éducation nationale [4]. C'est un document qui explique le fonctionnement (accessible en ligne), le contenu (bilans périodiques, bilans de fin de cycle), donne des informations (comment consulter le livret scolaire, l'accès aux bilans est ouvert pendant un an, la confidentialité disposant d'un droit d'accès, de rectification et d'opposition et la continuité de LSU(N) en cas de déménagement et des numéros et sites utiles. Nous cédons en lisant ceci : « les éléments du bilan de fin de cycle 4 [...] sont transférés automatiquement à l'application nationale dédiée à l'affectation au lycée. » Nous avons accepté ce LSU(N). Que pouvions-nous faire ? Le livret format papier de notre fils (de la maternelle au début CM1) n'est toujours pas restitué ? [5]. Qu'est devenu ce livret ? Comment être sûrs que les bilans seront bien transférés au collège et au lycée, si nous n'adhérons pas à ce LSU(N) ? Qu'en est-il du « consentement éclairé des utilisateurs » (Ertzscheid, 2017) ?
Rebondissement en mai 2017. Mathieu Jeandron, Directeur de la DNE (Direction du numérique pour l'éducation, Ministère de l'Éducation nationale) envoie un courrier aux délégués académiques au numérique (DAN) et aux directeurs des services informatiques. Cette lettre [6] explique que le LSU(N) est bien la propriété de l'État et que les données personnelles et scolaires sont mises à disposition des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Ce sont les données personnelles des élèves, qui représentent et vont représenter une valeur considérable notamment pour des recruteurs. Ce courrier suscite de nombreuses réactions [7]. En juillet, différentes organisations (CREIS-Terminal, Enseignement Public et Informatique (EPI), la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), la Fédération des Parents d'Élèves de l'Enseignement Public (PEEP), la Ligue des droits de l'Homme (LDH), la Ligue de l'Enseignement et la Société Informatique de France (SIF) publient un communiqué commun adressé au Ministre de l'Éducation nationale et au Secrétaire d'État chargé du Numérique [8] :
« Dans ce contexte, nous vous demandons, Monsieur le Ministre et Monsieur le Secrétaire d'État, de nous indiquer comment vous entendez répondre à la nécessité de fixer un cadre de régulation adapté qui protège de façon effective les données personnelles des élèves et des enseignants, à la nécessité de mettre en place des solutions adaptées à l'évolution du service public du numérique éducatif. »
Fin d'année, nous recevons un laconique suivi « papier » (l'école ne nous a communiqué ni notre identifiant ni notre mot de passe) des acquis scolaires de notre enfant. Ce document écrit nous interroge : comment notre enfant est-il vraiment évalué ? Nous ne comprenons pas ! Bref, les professeurs évaluent les enfants selon huit grands domaines d'enseignement comme le français, les mathématiques ou l'enseignement moral et civique. Les éléments du programme travaillé durant la période (connaissances-compétences) et acquisitions, progrès et difficultés éventuelles sont mentionnés. Chaque compétence est évaluée à partir d'une échelle à 4 niveaux : non atteints, partiellement atteints, atteints et dépassés. S'ajoute une case sur l'appréciation générale de la progression de l'élève (commentaire de l'enseignant).
Ce LSU(N) (et j'insiste sur ce N, que le ministère veut absolument gommer !) nous interroge en tant que parents, enseignants, chercheurs, citoyens... Des éléments sur l'état de santé provisoire ou chronique ou sur les handicaps de nos enfants seront-ils mentionnés ? Comment le droit à l'oubli est-il garanti ? Le ministère de l'Éducation nationale prévoit un effacement des données un an après la fin du collège, mais comment ? Et avec quels modalités et moyens techniques ? Ce système numérique est-il ou sera-t-il fiable et sécurisé ? Qui pourra le consulter ? Par exemple, Linkedin et son site en ligne de formation Lynda le pourra-t-il ? Nos enfants sont-ils déjà considérés comme de simples unités RH avant même de quitter l'école ? Ne laissons pas les données personnelles et scolaires de nos enfants dans les mains ou plus exactement les algorithmes des GAFAM (Sadin, 2017) et correspondre à leurs orientations technologiques et idéologiques. Il est temps de mener une réflexion commune sur les réels tenants et aboutissants de cet étrange LSU(N).
Cécile Dolbeau-Bandin
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NOTES
[1] https://www.ac-caen.fr/mediatheque/communication/actualites/2016/12/presentation_LSU_Caen.pdf
[2] http://www.ac-grenoble.fr/ien.pontdecheruy/IMG/pdf/FICHE2_-guide_utilisation_Livret_scolaire_unique_du_CP_a_la_3eme_611860.pdf
[3] https://paris-luttes.info/non-au-livret-scolaire-unique-7258
[4] Ce document est consultable à cette adresse :
http://cache.media.education.gouv.fr/file/04_-_avril/61/3/2017_livretscolaire_bdef_757613.pdf
[5] L'école nous rend ce livret début juillet.
[6] Ce document est consultable à cette adresse :
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/jeandronmail.pdf
[7] Cf. article « Le Ministère de l'Éducation nationale et les GAFAM » de Jean-Pierre Archambault, juin 2017, https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1706g.htm
[8] Ce document est consultable à cette adresse :
https://www.epi.asso.fr/blocnote/Lettre%20LDH%20%28GAFAM%29.pdf
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