Rentrée 2016 :
l'enseignement de l'informatique de
l'école primaire au lycée
Cette rentrée 2016 voit l'extension de l'option de spécialité de Terminale S « Informatique et sciences du numérique » en 1ères ES, L et S sous forme d'un enseignement facultatif « Informatique et création numérique ». De l'informatique figure dans les nouveaux programmes des cycles 2, 3 et 4, pour le cycle 4 dans les cours de mathématiques et de technologie. Ces nouveautés viennent rejoindre l'option ISN de Terminale S créée en 2012, l'enseignement de l'informatique pour tous les élèves de CPGE scientifiques introduit en 2013 et l'enseignement d'exploration « Informatique et création numérique » mis en place en classe de Seconde en 2015.
Dans les grandes lignes, on a une sensibilisation aux concepts de l'informatique – algorithme, machine, langage et information – à l'école primaire, un apprentissage de la programmation au collège et une approche plus scientifique au lycée. L'enseignement de l'informatique, science et technique majeure de notre époque, omniprésente dans tous les secteurs de la société, prend ainsi une place dans le système scolaire, en tant que composante de la culture générale. Il devient de plus en plus difficile de nier cette place légitime et nécessaire dans le monde tel qu'il est. Les actions menées par l'EPI, la SIF et d'autres, le rapport de l'Académie des sciences L'enseignement de l'informatique en France – Il est urgent de ne plus attendre, publié en mai 2013, ont en partie porté leurs fruits.
Si les avancées sont réelles, le cheminement de l'informatique dans le système éducatif, commencé dans les années 80, et même avant dans les enseignements technologiques, avec ses avancées et ses reculs, n'en conserve pas moins un caractère chaotique. En progrès donc, mais il faut persévérer, car rien n'est jamais acquis à l'homme...
Dans une interview à « Acteurs publics », le 1er juillet dernier, Cédric Villani, médaille Fields en 2010, déclare : « Je ne suis pas certain que l'Éducation nationale saisisse les enjeux de l'enseignement de l'informatique » [1]. Il rappelle que « l'objectif premier de cet enseignement n'est pas de former des informaticiens, c'est de former des citoyens conscients de ce qu'est l'informatique, des mécanismes de pensée et des évolutions de pratiques que cela suppose. Et de découvrir un art qui a emmené l'humanité sur les chemins d'une révolution. » Il fait un parallèle avec la classe d'histoire, « tous les enfants devant apprendre la Révolution française en classe d'histoire, car cela a joué un rôle majeur sur le pays dans lequel nous vivons ». D'une manière analogue, « tous les enfants doivent apprendre ce que c'est qu'un programme informatique, car cela a changé la marche du monde. Et le meilleur âge pour apprendre cela, c'est quand on est jeune et que la programmation est un jeu ». Et de souligner l'existence d'une pensée informatique sans laquelle « on n'aurait jamais pu mettre en œuvre les algorithmes qui sont si utiles dans tous les secteurs de l'informatique. Les révolutions techniques sont toujours précédées de révolutions conceptuelles, et ce sont ces dernières qu'il est difficile et important de saisir ».
Parmi les nouveautés de cette rentrée figure donc l'enseignement facultatif ICN en Première dont la lecture du préambule du programme laisse quelque peu perplexe [2]. Il y est dit, fort justement : « L'acquisition d'une culture numérique construite sur des connaissances en informatique est indispensable (dans la société contemporaine). Il s'agit de préparer chacun à agir et à participer pleinement à la vie sociale, économique et culturelle. » Pour cela « bien plus que de capacités liées à l'usage des outils, il s'agit de maîtriser un certain nombre de notions afin de comprendre les logiques et les enjeux du traitement de l'information et de pouvoir décoder les processus à l'oeuvre dans les algorithmes, les écritures et les systèmes complexes qui sous-tendent le fonctionnement de notre société ». Mais pourquoi donc s'agit-il d'un enseignement facultatif ? Alors que l'enjeu de culture générale scientifique pour tous les élèves est d'une évidence rare ! Et dans tout le second cycle du Secondaire général, on retrouve cette situation, l'informatique n'étant proposée que sous forme optionnelle. Contradictions, cheminement chaotique...
Toujours dans ce programme d'ICN, l'accent est mis sur les méthodes pédagogiques alors que les contenus, eux, se retrouvent relégués bizarrement en annexe dans une formulation peu détaillée en termes de notions scientifiques, avec un positionnement par rapport au collège. Les projets occupent la majeure partie du texte du programme dans son ensemble (certes, le projet joue un rôle important en informatique). Les projets proposés sont intéressants et ambitieux. Trop ambitieux même si l'on se réfère au sort réservé aux contenus informatiques.
Et puis toujours pas à l'horizon de Capes et d'agrégation d'informatique que l'Éducation nationale se refuse à créer avec obstination depuis des décennies [3]. L'informatique, toujours pas discipline scolaire en tant que telle, restera cette science singulière que l'on peut enseigner après quelques jours, quelques dizaines au mieux, de formation. Alors que ses consœurs réclament, elles, plusieurs années. Cette question décisive de la formation d'enseignants spécialisés en informatique n'est donc toujours pas réglée. Elle hypothèque gravement la mise en œuvre des réformes.
Alors, verre à moitié plein ou verre à moitié vide...
15 septembre 2016
Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
NOTES
[1] http://www.acteurspublics.com/2016/07/01/cedric-villani-je-ne-suis-pas-certain-que-l-education-nationale-saisisse-les-enjeux-de-l-enseignement-de-l-informatique
[2] http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=104657
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032887355& dateTexte=&categorieLien=id
[3] Une option informatique dans le Capes de mathématiques en 2017 et déjà dans plusieurs CAPET.
|