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Actualité de la didactique de l'informatique

Nouvelles du colloque Didapro / Didastic de janvier 2016

Georges-Louis Baron
 

   Comme en témoigne la date de fondation de l'EPI (1971), l'intérêt pour l'informatique dans l'enseignement est apparu en France au tout début des années 1970. Il avait alors une orientation très particulière : ce qui était jugé fondamental, c'était l'appropriation par les élèves de l'enseignement secondaire de la « démarche informatique ». Qualifiée d'« algorithmique, organisatrice et modélisante » et censée irriguer les disciplines existantes, elle a été l'axe central de la première expérience des 58 lycées (Baron, 1989). Cette décennie 1970 a aussi vu les premières expériences de LOGO dans le primaire (Robert, 1981).

   Des travaux de didactique de l'informatique sont apparus en France dans les années 1980, accompagnant la mise en place de l'option informatique. Le premier colloque consacré à ce sujet s'est tenu à Paris en 1988 (Baron, Baudé & Cornu, 1989). Il a été suivi d'autres, avec une éclipse entre 1997 et 2002 liée à la mise en sommeil de l'enseignement de l'informatique comme discipline dans les années 1990, puis une réorientation vers la didactique des progiciels (DIDAPRO) à partir de 2003 (André, Baron & Bruillard, 2004).

   Dernier en date de la série, le colloque DIDAPRO 6 (Didactique de l'informatique et des STIC, quelles éducations au numérique, en classe et pour la vie ?) s'est tenu à l'Université de Namur du 25 au 27 janvier 2016. C'était le sixième de la série lancée en 2003 et le onzième depuis le premier colloque de 1988. Les lignes qui suivent en présentent une synthèse.

Ce texte s'appuie très largement sur une contribution publiée dans le portique adjectif.net le 6 février 2016 : http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article381&lang=fr.
On peut se référer aux contributions mises en ligne :
http://didapro6.sciencesconf.org/program

Synthèse du colloque de Namur

   Plusieurs points m'ont frappé. Tout d'abord, des anciens, déjà présents dès les premiers colloques de didactique de l'informatique, étaient encore là (Etienne Vandeput, premier de cordée de l'organisation de l'édition 2016, Charles Duchateau, organisateur en première ligne du colloque de Namur en 1991, André Delacharlerie...). Ainsi, une continuité a été affirmée. Mais il y avait également de nombreux jeunes chercheurs, avec une quasi parité entre hommes et femmes.

   Pour les anciens, il est indéniable que certains thèmes discutés en 1988 le sont toujours. Est-ce la malédiction de Sisyphe (en particulier quand on considère la question de la mise en place d'enseignements de l'informatique comme discipline autonome) ou simplement le signe qu'il s'agit de questions qui insistent et qui appellent des réponses différentes en fonction des contextes en place aux moments où elles se posent ?

   Des nouveautés se sont également manifestées. Ainsi, l'enseignement primaire a été très représenté, avec une intervention importante des sciences de l'éducation, en particulier en relation avec le projet Didactique et apprentissage de l'informatique à l'école (DALIE) soutenu par l'Agence nationale de la recherche [1].

   On a aussi eu des contributions traitant du collège, où on trouve des investigations sur l'utilisation par les jeunes de différents outils, soit dans les disciplines, soit autour d'une innovation comme le concours Castor [2].

   En revanche, les interventions sur l'apprentissage de l'informatique en lycée ont été relativement peu nombreuses. Cela peut être dû au fait que les développements d'enseignements de l'informatique à ce niveau sont récents et exigent des praticiens un fort engagement dans l'invention de cours, tandis que les chercheurs n'ont pas encore eu le temps de mettre en place beaucoup de recherches et d'obtenir suffisamment de résultats. Un phénomène similaire a été observé au début des années 1980, où il s'est écoulé 8 ans entre les premières expérimentations et le premier colloque de Paris.

   Quelques contributions concernant l'enseignement supérieur (notamment la formation des maîtres) ont été présentées, dont une concernant un phénomène récent, l'école « 42 », qui fonctionne sur des principes revendiqués de mise à l'écart de la pédagogie au sens classique [3].

   Signe des temps, une question assez débattue a été celle de la « pensée informatique » (computational thinking). Cette notion est maintenant très répandue dans le milieu des personnes s'intéressant à l'informatique et relativement peu ailleurs. Il me semble qu'elle est en fait très proche de ce qui avait été avancé en 1970 pour définir la « démarche informatique » (algorithmique, organisatrice et modélisante). Il sera nécessaire, pour la recherche à venir, de déconstruire cette notion, de la problématiser. Elle n'est en tout cas que l'un des aspects de la culture numérique à transmettre aux jeunes, pour autant qu'on puisse définir cette dernière simultanément avec précision et de manière consensuelle, ce qui n'est pas encore le cas.

   Parmi ces autres aspects, la thématique du numérique dans la société a été abordée. Des chercheurs intéressés par les enjeux sociaux interrogent par exemple depuis plusieurs années l'usage par les jeunes d'environnements techniques connectés en dehors du milieu scolaire. Comment documenter les apprentissages qui se produisent ainsi ? Par ailleurs, qu'enseigner aux jeunes pour leur permettre de comprendre les enjeux sociaux du numérique, les possibilités et les dangers liés au traitement de grandes masses de données ?

   S'agissant des méthodes utilisées par les chercheurs, elles sont classiques en sciences humaines et sociales, relativement « mixtes » et accordant une grande place à l'analyse de données, d'activités et de discours.

   Une communauté de recherche pluridisciplinaire sur les enjeux didactiques de l'informatique et des progiciels est donc toujours active. On y trouve des personnes ayant pour intérêt principal l'enseignement de l'algorithmique, la pédagogie qu'il est possible de mettre en œuvre avec des instruments informatisés, les apprentissages instrumentés (notamment avec des outils mobiles), la « littératie numérique », la « translittératie » ou encore les enjeux sociaux.

   Cette ouverture est bien sûr corrélative d'une incertitude sur les orientations susceptibles de prendre de la vigueur dans les années à venir : la recherche porte sur un champ de pratiques en évolution. La facile métaphore de l'auberge espagnole, en tension avec la vision d'une science avançant calmement et sûrement, est sans doute ici partiellement valide : Mais il y a des mécanismes de sélection des communications conformes aux canons scientifiques en vigueur. Cette diversité est en tout cas un facteur de vitalité.

   Une prochaine édition de cette série de colloques est prévue dans deux ans (ce sera alors le 30e anniversaire du premier colloque de Paris), sans doute en Suisse. Espérons que cette douzième édition prolonge l'exploration entreprise il y a plus d'une trentaine d'années et confirme sa fécondité.

Le programme du colloque : http://didapro6.sciencesconf.org/program
La publication sur le site adjectif.net :
http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article381&lang=fr.

Georges-Louis Baron

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

Références

André, B., Baron, G.-L. & Bruillard, É. (Éd.). (2004). Traitement de texte et production de documents : questions didactiques. Lyon : INRP, GÉDIAPS.

Baron, G.-L. (1989). L'informatique, discipline scolaire ? (le cas des lycées). Paris : PUF. Consulté à l'adresse http://tel.archives-ouvertes.fr/edutice-00000369

Baron, G.-L., Baudé, J. & Cornu, P. (Éd.). (1989). Colloque francophone sur la didactique de l'informatique. Paris : EPI. Consulté à l'adresse http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00374950

Baron, G.-L., Bruillard, É. & Drot-Delange, B. (Éd.). (2015). Informatique en éducation : perspectives curriculaires et didactiques. Clermont-Ferrand, France : Presses universitaires Blaise-Pascal.

Baron, G.-L., Bruillard, É. & Komis, V. (Éd.). (2011). Didapro 4 - Dida&STIC. Sciences et technologies de l'information et de la communication (STIC) en milieu éducatif Analyse de pratiques et enjeux didactiques. Athènes : new technologies editions.

Drot-Delange, B. & Bruillard, É. (2013). Éducation aux TIC, cultures informatiques et du numérique : quelques repères historiques. Études de communication, n° 38(1), 69-80. Consulté à l'adresse
https://www-cairn-info.frodon.univ-paris5.fr/resume.php?ID_ARTICLE=EDC_038_0069

Duchateau, C. (1992). Peut-on définir une« culture informatique » ? Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix. Consulté à l'adresse https://pure.fundp.ac.be/portal/files/252837/peut-on-5-34.pdf

Duchateau, C. (1994). Faut-il enseigner l'informatique à ses utilisateurs. In Québec, Communication au quatrième colloque francophone sur la didactique de l'informatique. Consulté à l'adresse https://pure.fundp.ac.be/ws/files/988521/54322.pdf

Duchateau, C. (2003). Peut-on enseigner les « outils » logiciels ? Un dispositif pour une auto-formation au traitement de texte, balisée et assistée, partiellement à distance : analyse d'une expérience. In Premières journées francophones de didactique des progiciels Didapro. Consulté à l'adresse http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00145560/en/

INRP. (1981). Pratique active de l'informatique par l'enfant, rapport de recherche, Paris : Institut national de recherche pédagogique. Consulté à l'adresse
http://lara.inist.fr/handle/2332/1248

Institut de France. Académie des sciences. (2013). L'enseignement de l'informatique en France. Il est urgent de ne plus attendre, n° 66, p. 34. Consulté à l'adresse
http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf

Nijimbere, C. (2015, 31 juillet). L'enseignement de savoirs informatiques pour débutants, du second cycle de la scolarité secondaire scientifique à l'université en France. Consulté 31 janvier 2016, à l'adresse http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article355&lang=fr

Pochon, L.-O., Bruillard, É. & Maréchal, A. (2006). Apprendre (avec) les progiciels. Entre apprentissage scolaire et pratiques professionnelles. Neuchâtel / Lyon : IRDP-INRP.

Robert, F. (1981). Quelques formes de raisonnement en « géométrie de tortue », par des enfants de 10-12 ans. In INRP, Pratique active de l'informatique par l'enfant, p. 49-58. Paris : Institut national de recherche pédagogique. Consulté à l'adresse
http://lara.inist.fr/handle/2332/1248

Robert, F. (1981). Quelques formes de raisonnement en « géométrie de tortue », par des enfants de 10/12 ans. In INRP, Pratique active de l'informatique par l'enfant (p. 49-58). Paris: Institut national de recherche pédagogique. Consulté à l'adresse
http://lara.inist.fr/handle/2332/1248

Wing, J. M. (2008). Computational thinking and thinking about computing. Philosophical Transactions of the Royal Society of London A : Mathematical, Physical and Engineering Sciences, 366(1881), 3717-3725. http://doi.org/10.1098/rsta.2008.0118

NOTES

[1] http://www.unilim.fr/dalie/

[2] http://castor-informatique.fr/

[3] http://www.42.fr/notre-pedagogie-principes/

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Avril 2016

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