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Journée PEEP « L'Informatique et l'École »

Synthèse de Gilles Dowek
 

   L'informatique et l'École est la première édition des « journées de la PEEP », dont le but est de faire réfléchir ensemble des personnes diverses, autour d'une question concernant l'École.

   Valérie Marty, présidente de la Fédération des Parents d'Élèves de l'Enseignement Public (PEEP), a ouvert cette journée et rappelé à quel point la troisième révolution industrielle avait modifié la société, notre manière de vivre avec les autres et, dans une moindre mesure, l'École. Elle a insisté sur l'importance de prendre conscience du retard de la France sur ce dernier point et du rôle moteur que les parents d'élèves doivent jouer, pour que leurs enfants ne deviennent pas des illettrés numériques.

   François Lasne, vice-président de la PEEP, a ensuite présenté la journée, rappelant l'omniprésence de l'informatique dans l'ensemble des métiers que les élèves exerceront demain et la vitesse à laquelle des métiers disparaissent, pour être remplacés par d'autres. Il a rappelé que, si l'utilisation d'objets informatiques – tels des logiciels de traitement de texte ou des encyclopédies en ligne – dans toutes les disciplines était indispensable, il était nécessaire d'aller au-delà et de faire de l'informatique un véritable objet d'enseignement. Il a souligné à quel point l'usage impropre du mot « informatique » pour désigner l'utilisation de logiciels – tels des jeux vidéos ou des réseaux sociaux – était à l'origine d'une confusion, y compris au sein de l'Éducation nationale : dans certains cursus de l'Enseignement supérieur, des cours consacrés à l'apprentissage de l'utilisation de logiciels sont parfois appelés « cours d'informatique ». Il a également rappelé que l'informatique, science et technique du traitement automatique de l'information dépasse le cadre de la simple programmation. L'apprentissage de la programmation est un élément essentiel de l'apprentissage de l'informatique, mais l'apprentissage de l'informatique ne saurait s'y réduire. Il s'est enfin réjoui des annonces et actions récentes qui ont vu, en quelques années, l'introduction d'un enseignement d'informatique en terminale S, puis au Collège – de la cinquième à la troisième – puis en terminale L et ES et en première, et aussi l'École primaire. Il a aussi rappelé que d'autres pays avancent beaucoup plus vite que la France, notamment les États-Unis avec les récentes actions initiées par le Président Obama, le Royaume-Uni, l'Estonie...

   Cette introduction achevée, la matinée a vu se succéder sept intervenants :

  • Jean-Pierre Archambault, Président de l'Enseignement Public et Informatique (EPI),
  • Olivier Granier, Professeur de Physique en Classes Préparatoires aux Grandes Écoles,
  • Pierre Dubuc, Fondateur de l'entreprise OpenClassrooms,
  • Maurice Nivat, Enseignant et Chercheur en Informatique,
  • Frédéric Drouillon, Enseignant à CS2i Bourgogne,
  • Charlotte Dechamp, Responsable Recrutement et Carrières chez Paritel,
  • Lison Scopel, de l'entreprise voxe.org.

   Les interventions de Charlotte Dechamp, Lison Scopel, Olivier Granier et Pierre Dubuc nous ont montré quatre exemples d'activités que l'informatique a transformées.

   L'expérience de Charlotte Dechamp nous a montré comment le métier de la gestion des ressources humaines et du recrutement a été radicalement transformé. Traditionnellement, une fois un besoin identifié, le service des ressources humaines d'une entreprise rédigeait une offre d'emploi et la diffusait, par exemple dans des journaux spécialisés, l'entreprise recevait des curriculum vitae, qui étaient lus et annotés à la main. Aujourd'hui, la diffusion de l'offre d'emploi se fait non seulement sur des sites dédiés, mais aussi par les réseaux sociaux, sur lesquels chaque employé de l'entreprise joue un rôle d'ambassadeur. Les curriculum vitae sont parfois analysés automatiquement – et les algorithmes peuvent être plus performants que l'intuition humaine pour repérer les bons candidats – et ils sont souvent complétés par la recherche d'informations concernant le candidat sur le Web. Les entretiens ont souvent lieu en vidéoconférence et le recruteur pourrait, un jour, être remplacé par un logiciel. Réciproquement, les candidats peuvent souvent postuler à un emploi d'un simple clic et postulent souvent de ce fait à des centaines d'emplois à la fois. La réputation de l'entreprise sur le Web est essentielle dans le choix de leur candidature. Les candidats et les entreprises attendent, les uns et les autres, une plus grande transparence du processus de recrutement. Cette évolution des pratiques du recrutement pose de nombreuses questions éthiques, pour la plupart non encore résolues et pour certaines non encore clairement formulées.

   La relation des citoyens à la politique est aussi transformée, comme l'a montré l'expérience relatée par Lison Scopel. Le site voxe.org propose un comparateur de programmes politiques. Site collaboratif, comme Wikipédia, il permet de comparer, sujet par sujet, la position de différents partis et candidats à une élection. L'important, a souligné Lison Scopel, n'est pas tant d'accéder à des informations, mais de savoir les relier et les comparer. Dans l'apprentissage de l'informatique, savoir se positionner sur le Web, interroger la pertinence des informations que l'on y trouve, ... lui semble plus important que, par exemple, l'apprentissage de la programmation, au sujet de laquelle elle a exprimé un certain scepticisme.

   Le métier d'enseignant est également transformé par l'informatique, comme l'ont montré d'abord l'expérience d'Olivier Granier, pionnier de l'utilisation de vidéos dans une pratique de classe inversée. Dans son enseignement, le cours magistral est remplacé par une vidéo que les étudiants regardent à leur rythme, sur un ordinateur ou un téléphone, seuls ou en petits groupes. Selon leur niveau, ils peuvent aussi approfondir ou non ce cours, grâce à des documents complémentaires disponibles sur le Web. Les heures de classe sont alors consacrées à la réponse aux questions que les étudiants ont préparées et, de manière plus traditionnelle, aux exercices. Olivier Granier évoque des prolongements possibles de cet enseignement, par exemple le développement de forums permettant aux étudiants d'échanger entre eux.

   Si l'expérience d'Olivier Granier se situe dans le cadre scolaire, celle de Pierre Dubuc fait sortir l'échange de connaissances du cadre strictement scolaire. Rappelant son engagement pour une connaissance plus accessible, pour la pédagogie par projets, pour l'évaluation continue, et pour l'échange horizontal – tout le monde a quelque chose à apprendre, tout le monde a quelque chose à transmettre –, Pierre Dubuc a présenté son entreprise, OpenClassrooms, qui propose des cours en ligne massifs et ouverts (MOOC en anglais) à un public d'étudiants, de salariés et de chômeurs, se focalisant sur la formation professionnelle. Il a évoqué les évolutions pédagogiques, que les cours en ligne permettent, en particulier la flexibilité temporelle. Il a également brièvement présenté le modèle économique de son entreprise, et montré comment le « marché » de l'éducation et notamment de la formation permanente était transformé par l'informatique. Concluant sur le projet Class'Code dont OpenClassrooms est partenaire, il a insisté sur les enjeux de société que représente, à ses yeux, la littérature numérique.

   Plus centrée sur l'enseignement de l'informatique proprement dit, l'intervention de Jean-Pierre Archambault a commencé par un rappel des différents statuts pédagogiques de l'informatique qu'il importe de démêler. L'informatique est un outil pédagogique – finalement assez peu utilisé si l'on se réfère à la récente note d'information sur le collège de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance – à la disposition de tous les enseignants pour enseigner leur discipline. Plus répandue est l'utilisation d'objets informatiques – traitement de textes, encyclopédies en ligne – pour, chez soi, préparer ses cours. Ensuite l'informatique modifie l'« essence » des disciplines. Ainsi les professeurs des sciences expérimentales enseignent-ils la simulation, les enseignants des filières techniques et professionnelles ont-ils intégré les machines à commande numérique, le traitement de texte, les bases de données, ... qui ont remplacé les anciennes machines outils, les machines à écrire ou les fiches en carton...

   Mais l'informatique est surtout une discipline scientifique et technique que l'on doit enseigner, comme on enseigne l'histoire, les mathématiques ou l'anglais. L'omniprésence de l'informatique – que nous ont rappelée Valérie Marty, François Lasne, Charlotte Dechamp, Lison Scopel, Olivier Granier et Pierre Dubuc – fait de l'informatique un savoir aussi fondamental que la lecture, l'écriture, ou l'arithmétique, pour préparer les élèves aussi bien à leur vie professionnelle que citoyenne.

   L'échec du B2i peut s'expliquer par la confusion de ces différents statuts, qui a laissé croire qu'il suffisait d'utiliser des outils pour comprendre les notions fondamentales.

   Il a conclu en soulignant les avancées effectuées depuis 2007, après la traversée d'un désert explicatif, avec le B2i, qui a duré plus de dix ans. Mais le problème de la formation et du recrutement des maîtres perdure et il ne pourra être résolu que par la constitution de corps d'enseignants et la création de concours de recrutement : CAPES et Agrégation d'informatique, la création en 2017 d'une option informatique dans le CAPES de mathématiques constituant une avancée.

   Maurice Nivat, qui s'est concentré davantage sur l'École primaire, a rappelé les liens entre l'informatique et l'ensemble des disciplines enseignées à l'École, notamment le français. Au lieu de créer une nouvelle discipline à l'École – la question est, bien entendu, différente au Collège et au Lycée – il a souligné l'importance de la cohérence de l'enseignement à l'École primaire, la transversalité de la notion d'algorithme et le fait que des disciplines fondamentales déjà enseignées, comme le calcul et la grammaire regorgent d'algorithmes et de programmes. L'apprentissage de la division est, par exemple, un bon moyen d'introduire l'idée de pluralité des algorithmes permettant de résoudre un même problème et aussi de toucher du doigt la difficulté d'écrire les programmes qui traduisent un algorithme en suite d'instructions selon la nature des opérateurs – humains, robots, machines – auxquels ces instructions s'adressent. L'apprentissage de la grammaire devrait être aussi l'occasion de souligner le caractère algorithmique des règles qui la constituent. Il a rappelé les liens anciens entre l'informatique et l'étude de la langue, prenant, comme exemple, l'analyse textométrique de l'œuvre de Rabelais qui révèle que, après « Dieu », le mot le plus fréquemment employé par Rabelais est le mot « Cheval », ce qui reflète l'importance du cheval à son époque.

   Il souligne ensuite que, contrairement à celle de Rabelais, notre langue regorge de mots liés à l'informatique tels : machine, algorithme, bureautique, système, pertinence, virus, pare-feu... De même qu'un enseignement pré-scientifique, à l'École primaire, apprend à distinguer masse et poids, chaleur et température... sans avoir l'ambition de former des scientifiques, l'enseignement de l'informatique à l'École devrait accorder une place importante à la compréhension de la signification de ces mots et des expressions et phrases qui les contiennent.

   Il a ensuite insisté sur le fait que le choix des mots est important : l'introduction de mots tels que « numérique », « code »... introduit de nombreuses confusions, que le mot « informatique » évite.

   Il a enfin conclu, sur l'importance de la formation des maîtres et en particulier sur le rôle des ESPE, dans lesquelles il faut faire entrer un véritable enseignement de l'informatique.

   L'intervention de Frédéric Drouillon va, à certains égards, dans le même sens que celle de Maurice Nivat. Il a insisté sur les liens entre les langues naturelles et les langages de programmation. Un algorithme – une manière de faire – peut se décrire dans de nombreux langages, de la langue naturelle aux langages de programmation. Notre savoir-faire linguistique et nos grammaires s'adaptent à des objets techniques diversifiés, de même que les organisations, telles que les entreprises, créent leurs propres structures et grammaires.

   Il a ensuite insisté sur la dimension créative de la programmation, comme de toute écriture qu'elle soit littéraire, musicale, chorégraphique... Le code n'est pas un outil, mais une œuvre. Écrire un programme est une réelle expérience que vit le développeur, dans laquelle la surprise et la sérendipité jouent un rôle essentiel. Comme dans toute activité créative, il faut savoir essayer, se laisser surprendre et modifier son œuvre.

   Après cette matinée de conférences et débats, l'après-midi à été consacrée à des ateliers plus interactifs organisés en groupes plus restreints. Ils étaient consacrés au projet Class'Code, à la communication entre parents et enseignants, à la didactique de l'informatique, à l'apprentissage du code, à l'informatique au lycée, à l'importance des données et à l'usage pédagogique de tablettes.

   Derrière la diversité des interventions, qui ont donné lieu à des débats souvent contradictoires et parfois animés, un certain nombre d'idées forces et relativement consensuelles semblent émerger :

  • l'idée de l'importance de l'enseignement de l'informatique pour préparer les élèves à vivre dans le monde d'aujourd'hui et de demain – aussi bien dans leur vie professionnelle que citoyenne –,

  • l'idée que l'informatique est une activité qui stimule l'imagination des élèves, leur créativité, et leur capacité à construire des projets, et contribue ainsi à leur formation générale,

  • l'idée que l'informatique se distingue de l'apprentissage des usages des objets informatiques, et que les deux doivent aller de pair,

  • l'idée que l'informatique est une discipline autonome qui ne peut pas être dissoute dans les autres, mais qui doit veiller à se développer en cohérence avec elles,

  • l'idée de l'importance de la formation et du recrutement des enseignants, aussi bien à l'École – c'est-à-dire dans les ESPE –, qu'au Collège et au Lycée – c'est-à-dire par la création de concours de recrutement : CAPES et Agrégation.

6 février 2016

Synthèse de Gilles Dowek
Professeur d'Informatique à l'École Polytechnique et chercheur à l'INRIA

Les « journées de la PEEP » – Fédération des Parents d'Élèves de l'Enseignement Public – L'informatique et l'École.
http://peep.asso.fr/peep/assets/File/info-peep/conf-2016-02-06/Texte Synthèse de Gilles Dowek 16 02 14.pdf

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Mars 2016

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